Le Cycle manitobain de Gabrielle Roy
Titre | Le Cycle manitobain de Gabrielle Roy |
Type de publication | Livre |
Année de publication | 1993 |
Auteur·e·s | Harvey, CJ |
Ville | Saint-Boniface |
Éditeur | Éditions des Plaines |
Texte complet | L’importance de l’époque manitobaine dans la formation de la sensibilité littéraire de Gabrielle Roy ressort de trois livres (Rue Deschambault, La Route d’Altamont, Ces enfants de ma vie) qui ont pour narratrice Christine et qui mettent en scène deux grandes problématiques, l’enfance et le rôle de la femme. Si, d’un ouvrage à l’autre, l’écriture de l’auteure évolue (le registre devenant plus grave, et le style, plus précis, mais aussi plus précieux), les trois sont marqués par de nombreux traits récurrents: même amour de la nature, même notion romantique d’être une élue du destin, même importance accordée aux dialogues, même économie de moyens dans la narration. Une présentation de la vie de Gabrielle Roy montre de quelle manière se trouvent transformés en fiction les menus souvenirs d’enfance ainsi que la situation difficile des francophones du Manitoba, les épreuves de la jeunesse et le travail d’institutrice, cependant que le personnage passe de l’innocence à l’expérience, et que le Manitoba, de territoire réel, devient un pays intérieur, mythique. Parmi les espaces fictifs, ressortent le jardin rassurant et maternel qui s’oppose à la plaine, symbole de liberté et de découverte, mais aussi de chaos et de mort, ainsi que l’eau, symbole de naissance et de changement, à l’encontre de l’arbre, signe de stabilité et de permanence. L’étude du décalage entre le «je» narrant et le «je» narré, entre le passé et le présent, révèle à quel point la mise en fiction transforme la réalité vécue. Ressort de cette lecture la solidarité de la narratrice à l’égard des enfants pauvres — elle prend alors position implicitement contre «les structures qui permettent l’exploitation des minoritaires et des marginalisés» (p. 89-90) — et à l’égard des femmes, dont la souffrance est longuement dépeinte. Ainsi, derrière les réflexions en apparence anodines de Christine sur l’amour, le mariage et la maternité, se cache une certaine remise en question, bien que l’on doive se garder de «vouloir attribuer à Gabrielle Roy un féminisme précoce qui lui serait étranger» (p. 94). La mère captive du foyer transmet alors à sa fille un désir de liberté et d’épanouissement personnel qui la conduit vers l’écriture, tout en la rendant peu solidaire de la souffrance féminine, à laquelle elle a réussi à échapper; elle gardera donc ses distances par rapport aux autres femmes, même en compatissant avec leur misère. En raison de sa forme quasi autobiographique et circulaire, l’œuvre de Gabrielle Roy relève d’une écriture féminine qui privilégie l’intériorité. Enfin, à l’origine de la création romanesque, se trouve un sentiment de culpabilité à l’endroit de la mère. Le cycle autobiographique, en proposant une image idéalisée du passé, permet la réparation de l’objet (la mère) dans Rue Deschambault et dans La Route d’Altamont, alors que, dans Ces enfants de ma vie, on assiste à celle du sujet (l’auteure elle-même). Christine est donc «Gabrielle Roy telle qu’elle a été et comme elle aurait voulu être» (p. 256). [source: Saint-Martin, L. (1998). Lectures contemporaines de Gabrielle Roy: bibliographie analytique de la critique (1978-1997), Montréal, Boréal.] |