« Mon cher grand fou… » Dialogue et/ou monologue amoureux dans les lettres de Gabrielle Roy à Marcel Carbotte (1947-1950)

Les lettres qu’ont échangées Gabrielle Roy et Marcel Carbotte durant les premières années de leur mariage révèlent dans un premier temps une femme amoureuse qui exprime son désir et sa soif d’échanges en instaurant un dialogue avec son bien-aimé (comme en témoignent la fréquence des pronoms «tu» et «nous» et les formules de réciprocité telles que «l’un et l’autre»). Graduellement, devant le peu d’empressement de Marcel à lui répondre, Gabrielle Roy change d’attitude; à partir de l’automne 1949, elle semble déjà écrire plus pour elle-même que pour lui. À l’échange avec l’autre, au désir de rapprochement, se substituent peu à peu la création et l’examen de la vie intérieure. Si l’écriture épistolaire demeure indispensable, c’est qu’elle permet justement ce rapprochement avec la création: au destinataire réel se substitue une vision idéalisée de l’amour, si bien qu’on récrit la relation et soi-même. Le dialogue cède le pas au monologue, et les lettres deviennent une manifestation du besoin de créer plutôt que de celui d’aimer et d’être aimé. [source: Saint-Martin, L. (1998). Lectures contemporaines de Gabrielle Roy: bibliographie analytique de la critique (1978-1997), Montréal, Boréal.]