Point de vue narratif dans Alexandre Chenevert
Titre | Point de vue narratif dans Alexandre Chenevert |
Type de publication | Article de revue |
Année de publication | 1988 |
Auteur·e·s | Boucher, J-P |
Revue | Littératures |
Numéro | 1 |
Pages | 149-164 |
Texte complet | L’instance narrative omnisciente d’Alexandre Chenevert domine le personnage à la manière des puissants de ce monde qui dominent les faibles; son regard extérieur, sévère et menaçant, s’ajoute à tous les autres qui scrutent déjà le personnage. En plus de constater l’aliénation du personnage, donc, l’instance narrative contribue à l’y enfoncer. Au fond, Alexandre lui-même a renoncé à être le narrateur de sa propre vie: il cesse de consigner par écrit ses pensées, il n’arrive pas à écrire aux journaux et à ses proches pour communiquer les vérités que lui révèle son séjour au lac Vert. «Son échec est donc avant tout narratif» (p. 155) et entraîne tous les autres échecs dont est faite sa vie. Si aucun autre personnage n’est jugé digne d’accéder à la narration, même le Dr Hudon, qui en a manifestement les capacités, c’est que l’instance narrative refuse jalousement de renoncer à ses privilèges. Par contre, les restrictions de champ ponctuelles font voir une pluralité de points de vue, dont aucun n’est privilégié. Le roman se situe ainsi à mi-chemin entre les œuvres traditionnelles, monolithiques, et les romans à la première personne qui commencent à émerger à l’époque. Par la suite, Gabrielle Roy n’accordera le privilège de la narration qu’à son double fictif, Christine; aucun personnage différent d’elle ne devient narrateur. Tout se passe donc comme si Roy parlait «d’elle-même en parlant des autres à qui elle prête sa voix plutôt que de les laisser raconter eux-mêmes l’histoire de leur vie» (p. 164). Cette incapacité de créer des personnages-narrateurs autonomes est donc un défaut important chez celle qui est considérée par beaucoup comme notre meilleur écrivain. [source: Saint-Martin, L. (1998). Lectures contemporaines de Gabrielle Roy: bibliographie analytique de la critique (1978-1997), Montréal, Boréal.] |