Quand les voix de la résistance deviennent politiques. Bonheur d’occasion ou le réalisme au féminin

En mettant au centre de son roman l’histoire d’une mère et en montrant le prix du dévouement maternel, Gabrielle Roy crée un réalisme au féminin; l’instance narrative ressemble à une mère qui écoute tendrement tous ses enfants à la fois et laisse s’exprimer ceux qui n’ont jamais été entendus. La mère et la guerre sont donc «comme les deux pôles d’un univers souffrant et en besoin de salut» (p. 204), et le réalisme met en cause l’impasse de la culture patriarcale tout en «donnant une voix à ceux et à celles qui ont été écrasés par la culture» (p. 205). C’est dans l’amour mère-fille, entravé par la culture, que réside le meilleur espoir de solidarité entre les femmes, mais le moment de son épanouissement n’est sans doute pas encore venu. Par ailleurs, l’apparition de multiples figures de mères, toutes détruites par leur rôle maternel, montre combien le prix du dévouement est exorbitant pour la femme et pour la société. Rejetant le destin maternel, Florentine, d’objet du désir destructeur de Jean Lévesque, devient un sujet de plein droit, grâce à une relation d’amour-amitié avec l’homme nouveau, Emmanuel Létourneau, qui incarne une «pensée-femme» (p. 232). Ainsi, la trajectoire féminine serait non pas linéaire, comme celle de Jean Lévesque, mais marquée par l’ambivalence et les contradictions. Dans ses livres subséquents, Gabrielle Roy abandonnera le réalisme et cherchera à remonter vers une source maternelle qui s’exprimera dans une forme plus libre et plus ouverte, plus «féminine». [source: Saint-Martin, L. (1998). Lectures contemporaines de Gabrielle Roy: bibliographie analytique de la critique (1978-1997), Montréal, Boréal.]