Le fauteuil roulant
État final - Le fauteuil roulant
Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à recevoir le colis qui leur serait livré, au passage, V par la voie des airs. Gros et encombrant comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos d'homme à travers la toundra raboteuse et coupée partout de petits lacs, V un pour ainsi dire dans chaque creux de terrain.
L'avion ne se poserait pas. Il survolerait le village en cherchant V du coin de l'œil un endroit propice où laisser choir le colis avec le plus de ménagements possibles. Aux gens de le recueillir V et d'en prendre bien soin, car il est peu probable qu'un de ses pareils viendrait jamais le rejoindre dans l' Arctique .
C'est ainsi, par un beau soir d'été n'en finissant plus de durer, qu'aboutit, par le ciel, à Iguvik 1 , petite communauté esquimaude non loin de la baie de l'Ungava, le grand fauteuil roulant envoyé par une société philanthropique à Isaac qui, depuis son accident à la chasse V au phoque, l'hiver précédent, était changé pour ainsi dire en roc V de la tête aux pieds.
Peut-être, s'il avait pu s'exprimer V avec une parcelle de la vivacité de jadis, Isaac aurait-il d'abord demandé à savoir comment il se faisait qu'il était maintenant assez connu pour qu'on lui envoie une chaise V du bout du monde.
Retirée de sa caisse et exposée tout contre le grand ciel nu de là-bas, V elle fit en tout cas un effet extraordinaire avec ses accoudoirs chromés, son dossier, son siège rembourré, ses deux grandes roues garnies de caoutchouc, en bref une attention au confort comme on n'aurait pu supposer ici qu'il y en eût de par le monde. V
Les bien-portants eurent l'idée de l'essayer pour voir ce que l'on peut ressentir à être devenu invalide. Ils se prirent V à rire et se passèrent le fauteuil et eurent un plaisir fou à s'imaginer être désormais incapables V de mettre un pied devant l'autre et n'avoir plus qu'à se laisser promener pour le reste de leurs jours.
À la fin pourtant on songea à venir montrer son fauteuil à Isaac. Évidemment Isaac était un homme bien changé depuis le temps où il avait soutenu sur tous les tons que mourir n'est pas difficile, qu'il n'y a qu'à s'y laisser aller, le moment venu, que rien V n'est plus facile en vérité, qu'il n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau jour de son plein gré vers la mort. Lui-même n'y parvenait point pourtant, ne pensant sans doute qu'à cela, V laissé seul dans ce coin précisément de la hutte d'où une autre femme de sa famille, sa propre fille Deborah 2 , avait pu, elle aussi, se tirer. V Tandis que lui!
De son œil valide, il parut examiner le fauteuil. À quelqu'un qui ne s'était jamais de toute sa vie assis que par terre ou, à la rigueur, sur un banc dur V à l'église, ce curieux fauteuil faisait peut-être l'effet d'un trône. S'il demeurait un peu de malice d'autrefois dans la vieille tête, il en était peut-être à rire en lui-même de voir tout le dérangement qu'il avait réussi à occasionner V à lui seul. Mais avec un côté du visage inerte et l'autre à peine plus vivant, Isaac, de physionomie jadis si vive, était réduit à avoir l'air terriblement éloigné de tout, alors qu'il ne l'était peut-être pas encore tout à fait. V Les quelques sons qu'il parvenait à se sortir de la gorge ne lui étaient guère plus utiles. Ou on ne les comprenait pas ou on faisait semblant pour ne pas avoir à renouveler l'effort de toujours l'écouter attentivement. V Il est vrai que les gens ici étaient V bien changés depuis la disparition de Deborah et l'enquête qui avait suivi, des envoyés du gouvernement arrivant V à plein avion pour poser, à n'en plus finir, des questions sans rime ni bon sens : — « Avait-elle l'air découragée? Était-elle encore saine d'esprit? Pourquoi, selon vous, a-t-elle agi de la sorte? » V
Après cette histoire, on n'avait pas envie, en tout cas, d'avoir encore par ici sur les bras V des décès qui eussent pu avoir l'air librement consentis et de se singulariser ainsi à la face du monde. V
On en était donc venu, ici comme un peu partout, à tâcher V de « garder » les gens en vie le plus longtemps possible, de gré V ou de force. La mort s'éloignait des Esquimaux presque autant que des Blancs. V
Isaac aurait évidemment pu refuser d'avaler les bouchées que sa bru Esmeralda lui mettait V sur la langue et qui étaient d'ailleurs loin d'être toujours les meilleures. Il semble qu'il avait essayé une fois. Mais était-ce dégoût de cette nourriture-là? V Ou de lui-même? Ou de vivre encore? Toujours est-il qu'Esmeralda lui avait remis le morceau de viande dans la bouche et qu'il l'avait avalé cette fois, soit que l'appétit en fin de compte eût été plus fort que la tristesse, ou bien encore parce qu'il n'avait pas pu faire autrement.
Et peut-être aussi se serait-il fait malgré tout à sa condition, enfin à moitié V engourdi, sur le point, comme V au bord du froid extrême, de s'en aller dans le grand sommeil, si ce fameux fauteuil, en parvenant jusqu'à eux, n'eût réussi à tout remettre encore une fois en cause : la vie, la mort, ce qu'il faut faire pour ou contre elle... et quand V s'en aller...
II
La joyeuse surexcitation provoquée par la livraison du fauteuil à peine émoussée, d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.
Sortie de sa tanière, Eleonora, une vieille cousine d'Isaac, s'en vint faire trois fois le tour du fauteuil et finit par offrir d'envieuses félicitations :
—
Hé! Hé! Quelqu'un était bien vu par ici! Il suffisait
V
apparemment de perdre l'usage de ses deux jambes pour tout recevoir en échange. Il y avait en ce monde des
chanceux...
V
—
...Chanceux! reprit plus ou moins distinctement Isaac du coin de la bouche, en guise de protestation, peut-être, et c'est ce que la plupart entendirent, à moins que ce fût seulement « euh, euh! »
V
Mais Alfreda, elle, un peu sourde, entendit « heureux, heureux », et se traînant sur ses
vieilles jambes enflées approuva
V
avec mauvaise humeur :
— Je te crois bien que tu as des raisons de te dire heureux. Si tu ne l'étais pas
encore!...Et elle commença
V
à laisser entendre qu'il n'y avait pas qu'Isaac ici à avoir
besoin d'une bonne chaise, et que celle-ci pouvait bien ne pas avoir été envoyée rien qu'à lui.
V
Esmeralda les voyait
venir ces deux-là et ne
V
perdit pas de temps à mettre les choses au point.
—
Ce siège-là, dit-elle à la ronde, est envoyé au Vieux
V
par
ses amis de la Fédération des Infirmes, et moi ici présente, personne ne va le lui prendre et le lui user une heure par-ci, une heure par-là.
V
Des témoins, qui avaient étroitement surveillé le visage d'Isaac pendant qu'Esmeralda prenait sa défense, crurent voir qu'il en avait l'air content. V
Alors la bonne humeur revint, et on s'empara d'Isaac.
À quatre, à six, on le souleva, on réussit à lui faire plier les jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.
À présent, à cause de la pose, les mains ridées à plat sur les accoudoirs, la tête se tenant raide, Isaac prit l'air d'un vieux roi encore régnant. Presque tous en furent frappés jusqu'à lui accorder une toute nouvelle considération.
V
Sans plus tarder, on partit le promener à travers son rude pays.
Aucun sol ne se prête moins à la promenade, cahoteux à l'extrême sous la mousse de caribou 3 qui V donne une fausse impression de l'uni. L'on ne pouvait aller vite, mais, même à petit train, le fauteuil tanguait. À chaque tour des roues butant contre le lichen rêche, le paralytique tressautait, la tête secouée. On voyait remuer ses lèvres. Essayait-il de protester? Demandait-il d'être laissé tranquille? Ou était-il au contraire tout éveillé par cette promenade et cherchait-il à obtenir des détails? On lui en avait fourni au départ comme à quelqu'un en visite. Maintenant, dans l'effervescence générale, on l'oubliait un peu. Lui, à faire tant d'efforts accrus et peut-être désespérés pour parler, la lèvre toute retroussée, en vint à avoir vraiment l'air de rire. V De lui voir cet air-là, assis dans son bon fauteuil déjà si drôle, porta les femmes au fou rire, l'une entraînant l'autre au fur et à mesure qu'elles s'apercevaient être nombreuses à trouver la situation comique. De tant rire leur enleva des forces pour pousser le fauteuil dans les petites remontées, ce qui V les amena à rire encore plus, si bien qu'arrêtées en pleine pente elle ne purent bientôt plus rien faire d'autre. V
À quelque distance, les hommes, à voir les femmes tant s'esquinter pour si peu de résultat, partirent tout d'un coup eux aussi à rire de bon cœur.
Longtemps après que le village eut perdu de vue le sentiment d'ailleurs assez confus qui l'avait tant porté à rire ce jour-là, il arrivait à l'un et à l'autre, soudainement, au milieu de ses souvenirs, de se mettre à pouffer, et les autres en devinaient aussitôt la raison et se prenaient aussi à rire, sachant que cette gaieté-là du moins, quoi qu'il arrive, jamais ne leur serait tout à fait enlevée. V
* * *
Les femmes, toutefois, se lassèrent assez V vite de pousser le fauteuil. Nulle part il n'y avait de terrain propice. Ou bien c'était le lac autour duquel étaient assemblées les pauvres huttes, ou bien c'était le sol invariablement spongieux et bosselé. Sur la mousse de caribou d'une consistance assez proche de celle du caoutchouc, les belles grandes roues tournaient somme toute fort mal. Les femmes finirent V par céder le Vieux aux enfants qui n'attendaient que cela.
De joie ils dansèrent autour du fauteuil. V
L'œil en biais, inquiet à ce qu'il semblait, Isaac les examina autant qu'il lui était possible, se demandant sans doute ce que les petits méditaient et avaient l'intention de faire de lui maintenant qu'ils l'avaient en leur possession.
En fait ce n'était rien de bien terrible. Seulement de le mener là où les femmes avaient échoué, au sommet du mamelon le plus proche.
Ils s'y attelèrent à douze, l'entière population enfantine du village, à partir de six ans.
V
L'un l'autre s'aidant à pousser, chacun les mains appuyées aux hanches de celui qui précédait, penchés tous dans le même sens et sans gaspiller de force à rire, graves et appliqués dans leur V effort, ils montaient pouce à pouce, le fauteuil en tête, en une mince procession serrée comme celle des fourmis accordées qui vont droit au but, et enfin ils V parvinrent sur la crête de la colline chauve devant le ciel répandu à l'infini. Alors seulement ils s'accordèrent de se reposer. V
Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait apercevoir la ligne d'argent de l'océan Glacial qui aujourd'hui n'avait rien de dur dans sa rigueur. Le ciel, presque sans nuages, était rempli d'une douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant V de mourir avait le goût de revoir? Savaient-ils même déjà peut-être, dans leurs fins petits cerveaux, que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler? Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici? V
Ils semblèrent en tout cas comprendre les quelques sons par lesquels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils calèrent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avait recommandé leur mère et, laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait sur ce versant aussi de la colline. V Longtemps ils s'amusèrent à tenter d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un grand bruit joyeux dont la gaieté parvenait au vieillard assis au cœur du ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui, dans sa pose attentive, les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer, de l'horizon et de l'air, une sorte V de grand sermon silencieux.
Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui arrivait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible prolongement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain. V
On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait goût à vivre. V
III
Souvent encore, les enfants le menèrent là-haut, soit qu'ils eussent pressenti le bonheur qu'éprouvait le vieil homme lorsqu'on le portait en plein ciel, soit qu'ils eussent maintenant plus de plaisir à jouer V de ce côté-ci de la colline.
Parfois cependant, V dans leur hâte de courir vers quelque découverte, ils abandonnèrent Isaac dans des creux mornes où il n'y avait à voir ni eau frémissante ni lointain mystérieux. V Alors le vieil Esquimau semblait vraiment las d'être encore de ce monde. Même ceux qui à cause de sa joue plissée avaient prétendu qu'il devait encore avoir envie de rire n'eussent jamais plus osé soutenir pareille version s'ils avaient seulement pu surprendre Isaac alors que les enfants l'oubliaient pendant des heures dans des dépressions de terrain que n'atteignaient ni V le vent ni le soleil.
Les enfants, quand V ils s'avisaient enfin de venir le chercher, semblaient alors quelque peu conscients de la détresse d'Isaac et craignaient de le regarder du côté de son bon œil, par peur de l'intensité d'expression qu'il réussissait encore à y mettre. V
Le lendemain, pour réparer, ils ne manquaient jamais de le mener, tout en chantant, sur le pic de la vieille petite colline. V
De son côté, le Vieux faisait alors des efforts V accrus pour remuer les doigts, soulever la main, atteindre les joues rondes et fraîches des enfants. Il parvenait presque à esquisser ce qui pouvait avoir l'air d'une caresse... dans le vide. V
* * *
Un jour pourtant ils l'oublièrent sur le haut du V mamelon. Les mères ne s'avisèrent pas immédiatement que les enfants V revenaient seuls. On était tellement habitué à les voir de compagnie, le Vieux avec V sa ribambelle d'enfants qui le trimbalaient à longueur de journée, que cette fois encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant de fois enregistrée, on se figura les avoir vus ensemble comme toujours. V
Même Esmeralda, l'heure du souper venue, ne s'aperçut pas encore qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras croisés. Il y avait des moments V où l'atavisme renaissait très fort chez tous ces gens-là, pour essuyer ensuite, il est vrai, une autre terrible déroute, sous le vent du progrès. V
Toujours est-il que vers minuit, tous rentrés se coucher, il devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir que le Vieux n'était pas là. V
Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incertaines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant Isaac à la maison. C'était comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez grande pour lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et appelait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire de même, un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de la partie, couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce charivari, les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement. Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir V qu'elle était apparemment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle s'en plaignit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être entendue par ceux qui V V avaient encore assez peu de cœur pour dormir en une pareille extrémité. V
Or, à ce moment même, comme elle se trouvait à regarder du côté du gros mamelon à droite, elle y perçut distinctement, cette fois, des nuages s'écartant, le Vieux, de profil, bien découpé contre le ciel de transparence obscure, en noir sur noir, les mains aux accoudoirs, un faible croissant de lune sur la tête, qui plus que jamais faisait penser à un vieux roi... mais maintenant dépossédé. V V
Elle s'empressa d'aller le chercher. En le ramenant, la descente lui donnant beaucoup de mal avec ce lourd fauteuil difficile à retenir, qui semblait maintenant vouloir voler de son plein gré, elle ne put toutefois s'empêcher de maugréer un peu comme si c'était par sa faute qu'Isaac était resté dehors si tard. V
— En tout cas, lui signifia-t-elle, c'était fini pour V lui de se promener de tous côtés. Il allait maintenant rester sous ses yeux, à la maison, et si parfois elle permettait peut-être encore qu'il s'assoie dans le fauteuil, ce serait pour n'aller nulle part. V
Mais sans suite et sans grande détermination dans les idées, un autre jour que les enfants étaient venus à trois ou quatre reprises lui demander s'ils ne pourraient pas « ravoir » le Vieux, elle finit par se laisser fléchir, ou se lasser, et dit, sans trop s'en rendre compte peut-être, fatiguée de les voir tourner autour d'elle :
— Prenez-le donc et laissez-moi tranquille à la fin.
V
Et tout recommença comme avant. On alla en haut, en bas, autour du lac et par-delà ce versant-ci de la colline. V
Dans toute sa vie d'adulte Isaac n'avait probablement pas vu autant de petits coins charmants de son pays que les enfants le menèrent en voir cet été-là. V
Ils réussirent un matin à capturer un papillon des plus rares, venu au monde, par on ne sait quel caprice de la création, dans le désert de l' Arctique , pour exister une journée seulement, V dans son habit de bal. Ne sachant qu'en faire, ils le donnèrent au Vieux. V
Ils lui mettaient souvent aussi entre les mains de petites fleurs. V
Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes enfants insouciants, et ils « l'oublièrent » V encore une fois. Or, cette nuit-là, Esmeralda s'était endormie de bonne heure, abattue comme une souche. Elle ne se réveilla même pas au grondement subit de V l'orage. Ensuite tout se déchaîna.
La pluie tomba à plein ciel sur le Vieux bien placé pour la recevoir, en haut du mamelon. Les vents le souffletèrent de tous côtés. La nature entière semblait lui en vouloir d'être encore de ce monde, à moins que ce ne fût le contraire et que, clémente à sa manière, elle travaillât à l'en soustraire. V
Les éclairs révélaient de temps à autre, au sein de l'obscurité, son visage inscrutable. Il avait toujours été difficile de savoir à quoi pensait Isaac, même au temps où il se livrait encore un peu, à cause d'une manière de parler rien qu'à lui, caustique et déroutante. V V V
Par exemple cette idée naguère exprimée par lui que l'on devrait mourir en faisant le moins d'histoires possible et à laquelle aujourd'hui il n'arrivait pourtant pas à se conformer, comme pour se donner à lui-même un démenti. V
Son visage ruisselant apparaissait sur un fond de ciel tourmenté, s'effaçait en même temps que des tourbillons de nuages, revenait sur l'horizon. V
Se réjouissait-il, comme d'une aide enfin secourable, des griffes du vent, des trombes d'eau, de l'amertume des éléments, les alliées, cette nuit-ci peut-être, de son âme lasse? Ou pensait-il plutôt V aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri? V
La pluie cessa. Sur la butte chauve, Isaac, écrasé dans son fauteuil, ressemblait à quelque créature végétale abîmée par trop d'eau. Mais, l'orage passé et le vent aidant, une plante peut du moins se secouer quelque peu et commencer à se sécher. V Lui ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses membres. V
Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par un clair matin de fin d'été. V
IV
Pour quelles vraies raisons au fond Esmeralda se remit-elle à le soigner? Par compassion? Par remords? Ou peut-être plutôt par entêtement, par habitude? Celle-ci acquise, il est sûr qu'il n'est pas facile de savoir y renoncer, comme il faut bien pourtant en venir un jour ou l'autre à s'y résoudre. Esmeralda semblait s'être prise au jeu. Elle enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures. Elle le transporta d'un coin à l'autre, là où il y V avait un peu de soleil. Elle lui eut de la pénicilline d'une voisine à qui il en était resté de la dose laissée par l'infirmière à sa dernière visite. V
Elle fit tant et si bien qu'elle réussit, comme elle put s'en vanter, à « sauver » Isaac, et en tira un curieux mélange de fierté, de fatigue et, tout compte fait, d'embarras, car « sauvé », Isaac ne valait pas cher. V
Il était même à ce point fondu et rapetissé que sa bru pouvait aisément le porter à bras d'un coin à l'autre de la hutte quand elle se mettait en tête de nettoyer partout.
Il y eut quelques beaux jours encore. Au cours de l'un d'eux, comme Esmeralda surprit le regard d'Isaac fixé sur le fauteuil, elle se laissa apitoyer. Pauvre Vieux, il avait donc à ce point pris goût à son trône!
V
Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula au dehors de manière à ce qu'il pût avoir sous les yeux un petit aperçu encore du lac et du ciel, sans pour cela le perdre elle-même de vue, du fond de la hutte
et des molles rêvasseries qu'elle y poursuivait.
V
V
—
C'est fini, lui expliqua-t-elle, de rôder de tous bords, de tous côtés. Vous allez rester devant la porte maintenant, le père.
V
Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance dans le vieux
V
regard si las? En tout cas, elle alla s'occuper de choses et d'autres et revint le réprimander un peu :
— Des peurs comme vous nous en avez faites, faudrait plus que ça recommence.
V
Les enfants passaient sans plus jamais s'arrêter pour demander comme une grâce de promener le Vieux. Ils avaient d'autres jeux en tête, et puis, à la longue, s'était usé le bizarre attrait du grand fauteuil à roues. On ne sait d'ailleurs trop comment cela s'était fait, d'étape en étape, mais un jour on fut devant l'évidence : pas plus que les vieux pneus échoués ici, pas plus que les tonneaux à mazout amoncelés au rebut, le fauteuil faisait-il encore de l'effet. Il était entré dans le paysage. V
En même temps que son fauteuil, Isaac avait aussi peu à peu perdu de l'importance. V
Il n'y eut plus guère pour l'approcher en tout temps, avec une curiosité sympathique mêlée à de la crainte, qu'un pauvre chien boiteux que de jour en jour l'on remettait d'abattre parce que naguère il avait été si vaillant.
Or la caresse à laquelle s'était longuement exercé Isaac pour le cas où les enfants reviendraient le chercher, quand enfin il put l'esquisser, ce fut le chien qui se trouva là pour la recevoir. C'était un pitoyable chien qui n'avait jamais pour ainsi dire senti la main de l'homme se poser sur lui uniquement par amitié. De surprise, il s'assit, tout tremblant, les yeux dans le regard de l'homme, et se prit à pleurer comme s'il était capable tout d'un coup de revoir sa vie de chien d'un bout à l'autre, de fil en aiguille. V
* * *
Ç'avait été malgré tout un bien bel été... mais il s'achevait et rien ne pouvait faire qu'on n'entrerait V bientôt dans le cruel hiver tout claquemuré.
De jour en jour, se décidant à la toute dernière minute seulement à sortir encore une fois le Vieux, Esmeralda l'avertissait charitablement :
— C'est peut-être la dernière fois.
De l'endroit où Esmeralda installait le fauteuil jusqu'au bord du lac, il n'y avait pas loin, en fait une trentaine de pieds seulement, et le terrain était en pente assez bien battue.
Sans cesse Isaac gardait l'œil fixé sur l'eau à ses pieds. À l'approche du gel, elle était lourde déjà, un peu figée sur les bords. Presque sans mouvements, elle reflétait à merveille la chaude couleur des lichens avant leur mort. Ils ourlaient le tour entier du lac d'un bel ourlet régulier et minutieux. C'était presque le plus beau temps de l'année, à bien y penser, vivifiant, court, poignant. Sous la couverture qu'on avait mise sur les genoux du Vieux, on ne s'apercevait pas que sans arrêt sa main tentait de faire tourner la roue droite du fauteuil.
V * * *
Un jour il y parvint. Esmeralda leva la tête juste à temps pour le voir filer. Elle ne fit qu'un saut, attrapa le fauteuil à deux doigts du bord du lac. Elle était toute tremblante de crainte, d'énervement, de dépit, et sans doute en son agitation entrait-il bien d'autres sentiments encore qui se contredisaient tous les uns les autres.
— En voilà des choses à faire! reprocha-t-elle.
V
Elle cherchait de l'œil une bonne grosse pierre pour caler le fauteuil et se fâchait de ne pas en trouver. Elle l'aurait bien rentré V et remisé une fois pour toutes, mais, pour lui faire place dans la cabane, il fallait d'abord en sortir des tas d'objets pour lesquels il eût fallu auparavant trouver aussi de la place, ailleurs. On était V toujours, dans ce grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin, d'un bout de bois elle cala le fauteuil. En se relevant, tout essoufflée, à moitié V triomphante d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir encore avec tout cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de ce visage mort un regard toujours étonnamment vivant, doué d'une volonté bien personnelle, qui lui criait silencieusement : — « Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin? » V
Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intelligiblement c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui pourquoi elle cherchait à le garder. De l'œil, elle fit le tour du tragique horizon nu et crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire comprendre. Partout dans le monde.
Elle frissonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des déserts nordiques.
— Il n'y a plus rien qui reste chez nous, dit-elle, avec une sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah.
Ils
sont arrivés avec toutes leurs questions;
ils
ont demandé pourquoi.
Ils
nous ont fait honte.
V
Elle se pencha sur lui, arrangea sa couverture, le menaça, comme impuissante, sans méchanceté : — « Il faut vivre à présent... » et courut vivement se mettre au chaud dans la cabane. V
État 6 - Le fauteuil roulant
Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à recevoir le
colis qui leur serait livrés, au passage, par la voie des airs. Gros et
encombrant comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos d'homme à
travers la toundra raboteuse et coupée partout de petits lacs, un pour
ainsi dire dans chaque creux de terrain.
L'avion ne se poserait pas. Il survolerait le village en
cherchant du coin de l'oeil un endroit propice où laisser choir le colis
avec le plus de ménagements possibles. Aux gens de le recueillir et d'en
prendre bien soin, car il est peu probable qu'un de ses pareils viendrait
jamais le rejoindre dans l'
Arctique
.
C'est ainsi, par un beau soir d'été n'en finissant plus de
durer, qu'aboutit, par le
ciel, à
Igu
gwik
vik
, petite
communauté esquimaude
non loin de la
Baie de l'Ungava
, le grand fauteuil roulant envoyé par une
société philanthropique à Isaac qui, depuis son accident à la chasse au
phoque, l'hiver précédent, était changé pour ainsi dire en roc de la tête
aux pieds.
Peut-être,
s'il avait
encore
pu s'exprimer
avec une parcelle de
la vivacité de jadis, Isaac aurait-il d'abord demandé à savoir comment il
se faisait qu'il était maintenant assez connu pour qu'on lui envoie une
chaise du bout du monde.
Retirée de sa caisse et
exposée
tout
contre
tout
le grand ciel nu
qu'il y a
de
là-bas,
elle fit en tout cas un effet extraordinaire avec ses
accoudoirs chromés, son dossier, son siège rembourré, ses deux grandes
roues garnies de
caoutchouc, en bref une attention au confort comme on
n'aurait
su
pu
supposer ici qu'il y en eût de par le monde.
Les bien-portants eurent l'idée de l'essayer pour voir ce que l'on
Image
peut ressentir à être devenu
invalide
,
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et
Ils
se prirent
à rire et se
passèrent le fauteuil et eurent un plaisir fou à s'imaginer être
désormais incapables de mettre un pied devant l'autre et n'avoir plus
qu'à se laisser promener pour le reste de leurs jours.
A la fin pourtant on songea à venir montrer son fauteuil à
Isaac. Evidemment Isaac était un homme bien changé depuis le temps où
il avait soutenu sur tous les tons que mourir n'est pas difficile, qu'il
n'y a qu'à s'y laisser aller, le moment venu, que rien n'est plus facile
en vérité, qu'il n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau jour de son
plein gré vers la mort. Lui-même n'y parvenait point pourtant, ne pensant
sans doute qu'à cela, laissé seul dans ce coin précisément de la hutte d'où
une autre femme de sa famille, sa propre fille Deborah , avait pu, elle
aussi, se tirer. Tandis que lui!
De son oeil valide, il parut examiner le fauteuil. A quelqu'un
qui ne s'était jamais de toute sa vie assis que par terre ou, à la rigueur,
sur un banc dur à l'église, ce curieux fauteuil faisait peut-être
l'effet d'un trône. S'il demeurait un peu de malice d'autrefois dans la
vieille tête, il en était peut-être à rire en lui-même de voir tout le
dérangement qu'il avait réussi à occasionner à lui seul. Mais avec un
côté du visage inerte et l'autre à peine plus vivant, Isaac, de physiono-
mie jadis si vive, était réduit à avoir l'air terriblement éloigné de tout,
alors qu'il ne l'était
peut-être pas
encore
tout à fait.
Les quelques sons qu'il
parvenait à se sortir de la gorge ne lui étai
t
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guère plus utiles. Ou on
ne les comprenait pas ou on faisait semblant pour ne pas avoir à renouveler
l'effort de toujours l'écouter attentivement. Il est vrai que les gens ici
étaient bien changés depuis la disparition de Deborah et l'enquête qui avait
suivi, des envoyés du gouvernement arrivant à plein avion pour poser, à n'en
Image
plus finir, des questions sans rime ni bon sens :
— « Avait-elle l'air
découragée? Était-elle encore saine d'esprit? Pourquoi, selon vous,
a-t-elle agi de la sorte? »
Après cette histoire, on n'avait pas envie, en tout cas,
d'avoir encore par ici sur les bras des décès qui eussent pu avoir l'air
librement consentis et de se singulariser ainsi à la face du monde.
On en était donc venu, ici comme un peu partout, à tâcher
de "garder" les gens en vie le plus longtemps possible, de gré ou
de force. La mort s'éloignait des Esquimaux presque autant que des
Blancs.
Isaac aurait évidemment pu refuser d'avaler les bouchées
que sa bru Esmeralda lui mettait sur la langue et qui étaient d'ailleurs
loin d'être toujours les meilleures. Il semble qu'il avait essayé une
fois. Mais était-ce dégoût de cette nourriture-là? Ou de lui-même?
Ou de vivre encore? Toujours est-il qu'Esmeralda lui avait remis le
morceau de viande dans la bouche et qu'il l'avait avalé cette fois,
soit que l'appétit en fin de compte eût été plus fort que la tristesse,
ou bien encore parce qu'il n'avait pas pu faire autrement.
Et peut-être
aussi se faisait-il malgré tout
à sa condition,
enfin à moitié engourdi, sur le point, comme au bord du froid extrême, de
s'en aller dans le grand sommeil, si ce fameux fauteuil, en parvenant jus-
qu'à eux, n'eût réussi à tout remettre encore une fois en cause : la vie, la
mort, ce qu'il faut faire pour ou contre elle... et quand s'en aller...
Image II
La joyeuse surexcitation provoquée par la livraison du fau-
teuil à peine émoussée, d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.
Sortie de sa tanière, Eleonora, une vieille cousine d'Isaac,
s'en vint faire trois fois le tour du fauteuil et finit par offrir d'en-
vieuses félicitations :
— « Hé! Hé! Quelqu'un était bien vu par ici! Il suffisait
apparemment de perdre l'usage de ses deux jambes pour tout recevoir
en échange. Il y avait en ce monde des
chanceux ...
»
—
... chanceux! reprit plus ou moins distinctement Isaac du
coin de
sa
la
bouche
,
tordue
en guise
peut-être
de protestation
, et c'est ce
que
la plupart entendirent, à moins que ce fût seulement "euh, euh!"
Mais Alfreda, elle, un peu sourde, entendit "heureux, heureux",
et se traînant sur ses vieilles jambes enflées approuva avec mauvaise humeur :
— Je te crois bien que tu as des raisons de te dire heureux.
Si tu ne l'étais pas encore ! ...
et commença à laisser entendre qu'il n'y
avait pas qu'Isaac ici à avoir besoin d'une bonne chaise, et que celle-ci
pouvait bien ne pas avoir été envoyée rien qu'à lui.
Esmeralda les voyait venir ces deux-là et ne perdit pas de temps
à mettre les choses au point.
— Ce siège-là, dit-elle, à la ronde, est envoyé au Vieux par ses
amis de la Fédération des Infirmes, et moi ici présente, personne ne va le
lui prendre et le lui user une heure par-ci, une heure par-là.
Des témoins qui avaient étroitement surveillé le visage d'Isaac
pendant qu'Esmeralda prenait sa défense, crurent voir qu'il en avait l'air
content.
Image
Alors la bonne humeur revint, et on s'empara d'Isaac.
A quatre, à six, on le souleva, on réussit à lui faire
plier les jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.
A présent, à cause de la pose? les
deux vieilles
mains
ridées
posées
à plat
sur les accoudoirs, la tête se tenant raide, Isaac
prit l'air d'un vieux roi encore régnant. Presque tous en furent
frappés jusqu'à lui accorder une toute nouvelle considération.
Sans plus tarder, on partit le promener à travers son
rude pays.
Aucun sol ne se prête moins à la promenade, cahoteux à
l'extrême sous la mousse de caribou qui
donne une fausse impression
de l'uni. L'on ne pouvait aller vite, mais, même à petit train, le
fauteuil tanguait. A chaque tour des roues butant contre le lichen
rêche
,
le paralytique tressautait, la tête
portée en arrière
secouée
. On
voyait remuer ses lèvres. Essayait-il de protester? Demandait-il
d'être laissé tranquille? Ou était-il au contraire tout réveillé
par cette promenade et cherchait-il à obtenir des détails? On lui en
avait fourni au départ comme à quelqu'un en visite. Maintenant, dans
l'effervescence générale, on l'oubliait un peu. Lui, à faire tant
d'efforts accrus et peut-être désespérés pour parler, la lèvre toute
retroussée, en vint à avoir vraiment l'air de rire.
De lui voir cet
air-là, assis dans son bon fauteuil déjà si drôle, porta les femmes
au fou rire, l'une entraînant l'autre au fur et à mesure qu'elles
s'apercevaient être nombreuses à trouver la situation comique. De tant
rire leur enleva des forces pour pousser le fauteuil dans les petites
remontées, ce qui les amena à rire encore
plus, si bien, qu'arrêtées
en pleine pente, elle ne purent bientôt plus rien faire d'autre.
À quelque distance, les hommes, à voir les femmes tant s'esquinter
pour si peu de résultat, partirent tout d'un coup eux aussi à rire de bon cœur.
Image
Longtemps après que le village eut perdu de vue le sentiment
d'ailleurs assez confus qui l'avait tant porté à rire ce jour-là, il
arrivait à l'un et à l'autre, soudainement, au milieu de ses souvenirs,
de se mettre à pouffer, et les autres en devinaient aussitôt la raison
et se prenaient aussi à rire, sachant que cette gaieté-là du moins, quoi
qu'il arrive,
ne leur serait
jamais
tout à fait enlevée.
X X X
Les femmes, toutefois, se lassèrent assez vite de pousser le
fauteuil. Nulle part il n'y avait de terrain propice. Ou bien c'était
le lac autour
duquel étaient assemblées les pauvres huttes, ou bien c'était
le sol invariablement spongieux et bosselé. Sur la mousse de caribou
d'une consistance assez proche de celle du caoutchouc, les belles grandes
roues
somme toute
tournaient
fort mal. Les femmes finirent
par céder le
Vieux aux enfants qui n'attendaient que cela.
De joie ils dansèrent autour du fauteuil.
L'œil en biais, inquiet à ce qu'il semblait, Isaac les examina
autant qu'il lui était possible, se demandant sans doute ce que les petits
méditaient et avaient l'intention de faire de lui maintenant qu'ils
l'avaient en leur possession.
En fait ce n'était rien de bien terrible. Seulement de le
mener là où les femmes avaient échoué, au sommet du mamelon le plus proche.
Ils s'y attelèrent à douze, l'entière population enfantine
du village, à partir de six ans.
L'un l'autre s'aidant à pousser, chacun les mains appuyées aux
hanches de celui qui précédait, penchés tous dans le même sens et sans gas-
piller de force à rire, graves et appliqués dans leur
effort, ils montaient
pouce à pouce, le fauteuil en tête, en une mince petite procession serrée
comme celle des four
n
m
is accordées qui vont droit au but, et enfin ils
Image
parvinrent sur la crête de la colline
nue
chauve
devant
ce
le
ciel répandu à l'in-
fini. Alors seulement ils s'accordèrent
pour
de
se reposer.
Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait
apercevoir la ligne d'argent de l'océan glacial qui aujourd'hui n'avait
rien de dur dans sa rigueur. Le ciel, presque sans nuages, était rempli
d'une douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné
que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant
de mourir avait le goût de
revoir?
Savaient-ils même déjà peut-être
,
dans leurs fins petits cerveaux
,
que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler?
Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici?
Ils semblèrent en tout cas comprendre les quelques sons par les-
quels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils cal
l
è-
rent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avait
recommandé leur mère, et laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu
de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute
hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait
sur ce versant aussi de la colline. Longtemps ils s'amusèrent à tenter
d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un
grand bruit joyeux dont
en
parvenait la gaieté au vieillard assis au milieu
du ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui, dans sa pose atten-
tive, les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer, de
l'horizon et de l'air, une sorte
de grand sermon
quelques mots
silencieux.
Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui arri-
vait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible prolon-
gement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain.
On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait goût
à vivre.
Image III
Souvent encore, les enfants le m
a
e
nèrent là-haut, soit qu'ils
eussent pressenti le bonheur qu'éprouvait le vieil homme lorsqu'on le
portait en plein ciel, soit qu'ils eussent maintenant plus de plaisir
à jouer de ce côté-ci de la colline.
Quelquefois
Parfois
cependant,
dans leur hâte de
courir
à la
vers quelque
découverte
,
de quelque chose de neuf,
ils abandonnèrent Isaac dans des creux mornes
où il n'y avait à voir ni eau frémissante ni lointain mystérieux.
Alors
le vieil Esquimau semblait vraiment
las d'être encore de ce monde. Même
ceux qui à cause de sa joue plissée avaient prétendu qu'il devait encore
avoir
parfois
envie de rire, n'eussent jamais plus osé soutenir pareille
version s'ils avaient seulement pu
voir
surprendre
Isaac alors que les enfants l'ou-
bliaient pendant des heures dans des dépressions de terrain que n'attei-
gnaient ni
le vent ni le soleil.
Les enfants, quand
ils s'avisaient enfin de venir le chercher,
semblaient alors quelque peu conscients de la détresse d'Isaac et craignaient
de le regarder du côté de son bon œil, par peur de l'intensité d'expression
qu'il réussissait encore à y mettre.
Le lendemain, pour réparer, ils ne manquaient jamais de le
mener, tout en chantant, sur le pic de la vieille petite colline.
De son côté, le Vieux faisait alors des efforts
accrus pour
remuer les doigts, soulever la main, atteindre les petites joue
rondes et
fraîches
et heureuses
des enfants. Il parvenait presque à esquisser
parfois
ce qui
pouvait avoir l'air d'une caresse...dans le vide.
X X X
Un jour pourtant ils l'oublièrent sur le haut du mamelon.
Les mères ne s'avisèrent
pas immédiatement que les enfants
revenaient
seuls. On était tellement habitués à les
voir de compagnie, le Vieux avec
Image
sa ribambelle d'enfants qui le trimbalait à longueur de journée, que
cette fois encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle
avant tant de fois enregistrée, on se figura les avoir vus ensemble
comme toujours.
Même Esmeralda, l'heure du souper venu
e
, ne s'aperçut pas en-
core qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là
en veine de fainéantise et
avait averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se dé-
brouiller chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les
bras croisés. Il y avait des moments
où l'atavisme renaissait très fort
chez tous ces gens-là, pour essuyer ensuite, il est vrai, une autre terri-
ble déroute, sous le vent du progrès.
Toujours est-il que vers minuit,
tout le monde étant
tous
rentré
s
se
coucher, il devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir que le
Vieux n'était pas là.
Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant Isaac à la maison. C'était
comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez grande pour
lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et appe-
lait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire de même,
un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de la partie,
couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce charivari,
les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement. Peut-
être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir
qu'elle était apparemment la
seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle s'en plaignit, face
au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être entendue par ceux
qui
avaient encore assez peu de cœur pour dormir en une pareille extrémité.
Image
Or, à ce moment même, comme elle se trouvait à regarder du côté
du gros mamelon à droite, elle y perçut distinctement, cette fois, des
nuages s'écartant, le Vieux, de profil, bien découpé contre le ciel de
transparence obscure, en noir sur noir, les mains aux accoudoirs, un
faible croissant de lune sur la tête, qui plus que jamais faisait penser
à un vieux roi... mais maintenant dépossédé.
Elle s'empressa d'aller le chercher. En le ramenant, la des-
cente lui donnant beaucoup de mal avec ce lourd fauteuil difficile à rete-
nir, qui semblait maintenant vouloir voler de son plein gré, elle ne put
toutefois s'empêcher de maugréer un peu comme si c'était par sa faute
qu'Isaac était resté dehors si tard.
—
En tout cas, lui signifia-t-elle, c'était fini pour lui de se
promener de tous côtés. Il allait maintenant rester sous ses yeux, à la
maison, et si parfois elle permettait peut-être encore qu'il s'assoie dans
le fauteuil, ce serait pour n'aller nulle part.
Mais sans suite et sans grande détermination dans les idées,
un autre jour que les enfants étaient venus à trois ou quatre reprises lui
demander s'ils ne pourraient pas " ravoir " le Vieux, elle finit par se
laisser fléchir, ou se lasser, et dit, sans trop s'en rendre compte peut-
être, fatiguée de les voir tourner autour d'elle :
— Prenez-le donc et laissez-moi tranquille à la fin.
Et tout recommenca comme avant. On alla en haut, en bas,
autour du
lac et par-delà ce versant-ci de la colline.
Dans toute sa vie d'adulte Isaac n'avait probablement pas vu
autant de petits coins charmants de son pays que les enfants le menèrent
en voir cet été-là.
Image
Ils réussirent un matin à capturer un papillon des plus rares,
venu au monde, par on ne sait quel caprice de la création, dans le désert
de l'
Arctique
, pour exister une journée seulement,
dans son habit de bal.
Ne sachant qu'en faire, ils le donnèrent au Vieux.
Ils lui mettaient souvent aussi entre les mains de petites
fleurs.
Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes enfants insouciants, et
ils " l'oublièrent " encore une fois. Or, cette nuit-là, Esmeralda s'était
endormie de bonne heure, abattue comme une
souche. Elle ne se réveilla
même pas au grondement subit de
l'orage. Ensuite tout se déchaîna.
La pluie tomba à plein ciel sur le Vieux bien placé pour la
recevoir, en haut du mamelon. Les vents le souffletèrent de tous côtés.
La nature entière semblait lui en vouloir d'être encore de ce monde, à
moins que ce ne fût le contraire et que, clémente à sa manière, elle
travaillât à l'en soustraire.
Les éclairs révélaient de temps à autre, au sein de l'obscurité,
son visage inscrutable. Il avait toujours été difficile de savoir à quoi
pensait Isaac
,
même au temps où il se livrait encore un peu, à cause d'une
manière de parler rien qu'à lui, caustique et déroutante.
Par exemple cette idée naguère exprimée par lui que l'on devrait
mourir en faisant le moins d'histoires possible et à laquelle aujourd'hui
il n'arrivait pourtant pas à se conformer, comme pour se donner à lui-même
un démenti.
Son visage ruisselant apparaissait sur un fond de ciel tourmenté,
s'effaçait en même temps que des tourbillons de nuage, revenait sur l'horizon.
Image
Se réjouissait-il, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau, de l'amertume des éléments, les
alliées, cette nuit-ci peut-être
,
de son âme lasse? Ou pensait-il
plutôt
aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri?
La pluie cessa. Sur la butte chauve, Isaac, écrasé dans
son fauteuil, ressemblait à quelque créature végétale abi
^
mée par trop
d'eau. Mais, l'orage passé et le vent aidant, une plante peut du moins
se
se secouer quelque peu et commencer à se sécher.
Lui ne pouvait
même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses membres.
Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla
par un clair matin de fin d'été.
Image IV
Pour quelles vraies raison au fond Esmeralda se remit-elle
à le soigner? Par compassion? Par remords? Ou peut-être plutôt par
entêtement, par habitude? Celle-là
prise
acquise
, il est sûr qu'il n'est pas
facile de savoir y renoncer, comme il faut bien pourtant en venir
un jour ou l'autre
à
s'y résoudre
.
un jour.
Esmeralda semblait s'être prise au jeu. Elle
enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures. Elle le transporta d'un
coin à l'autre, là où il
y
avait un peu de soleil. Elle lui eut de la
péniciline d'une voisine à qui il en était resté de la dose laissée par
l'infirmière à sa dernière visite.
Elle fit tant et si bien qu'elle réussit, comme elle pu
t
s'en
vanter, à "sauver" Isaac, et en tira un curieux mélange de fierté, de
fatigue et, tout compte fait, d'embarras, car "sauvé", Isaac ne valait
pas cher.
Il était même à ce point fondu et rapetissé que sa bru pou-
vait aisément le porter à bras d'un coin à l'autre de la hutte quand
elle se mettait en tête de nettoyer partout.
Il y eut quelques beaux jours encore. Au cours de l'un d'eux,
comme Esmeralda surprit le regard d'Isaac fixé sur le fauteuil, elle se
laissa apitoyer. Pauvre Vieux, il avait donc à ce point pris goût à son
trône!
Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula au dehors de manière à
ce qu'il pût avoir sous les yeux un petit aperçu encore du lac et du
ciel, sans pour cela le perdre elle-même de vue, du fond de la hutte et des
molles rêvasseries qu'elle y poursuivait.
— C'est fini, lui expliqua-t-elle, de rôder de tous bords, de
tous côtés. Vous allez rester devant la porte maintenant, le père.
Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance dans le vieux
Image
regard si las? En tout cas, elle alla s'occuper de choses et
d'
autres
et revint le
disputer
réprimander
un peu:
— Des peurs comme vous nous en avez faites, faudrait plus
que ça recommence.
Les enfants passaient sans plus jamais s'arrêter pour demander
comme une grâce de promener le Vieux. Ils avaient d'autres jeux en tête,
et puis, à la longue, s'était usé le bizarre attrait du grand fauteuil
à roues. On ne sait d'ailleurs trop comment cela s'était fait, d'étape
en étape, mais un jour on fut devant l'évidence: pas plus que les vieux
pneus échoués ici, pas plus que les
bidons
tonneaux
à mazout amoncelés au rebut, le
fauteuil faisait-il encore de l'effet. Il était entré dans le paysage.
En même temps que son fauteuil, Isaac avait aussi peu à peu
perdu de l'importance.
Il n'y eut plus guère pour l'approcher en tout temps, avec une
curiosité sympathique mêlée à de la crainte, qu'un pauvre chien boiteux
que de jour en jour l'on remettait d'abattre parce que naguère il avait
été si vaillant.
Or la caresse à laquelle s'était longuement exercé Isaac pour le
cas où les enfants reviendraient le chercher, quand enfin il put l'esquisser,
ce fut le chien qui se trouva là pour la recevoir. C'était un pauvre chien
q ui n'avait jamais pour ainsi dire senti la main de l'homme se poser sur lui
uniquement par amitié. De surprise, il s'assit, tout tremblant, les yeux
dans le regard de l'homme, et se prit à pleurer comme s'il était capable tout
d'un coup de revoir sa vie de chien d'un bout à l'autre, de fil en aiguille.
X X X
Ç'avait été malgré tout un bien bel été... mais il s'achevait et
rien ne pouvait faire qu'on n'entrerait
bientôt dans le cruel hiver tout
claquemuré.
Image
De jour en jour, se décidant à la toute dernière minute seule-
ment à sortir encore une fois le Vieux, Esmeralda l'avertissait charita-
blement:
— C'est peut-être la dernière fois.
De l'endroit où Esmeralda installait le fauteuil jusqu'au
bord du lac
,
il n'y avait pas loin, en fait une trentaine de pieds seule-
ment, et le terrain était en pente assez bien battue.
Sans cesse Isaac gardait l'oeil fixé sur l'eau à ses pieds.
A l'approche du gel, elle était lourde déjà, un peu figée sur les bords.
Presque sans mouvements, elle r
é
e
flétait à merveille la chaude couleur des
lichens avant leur mort. Ils ourlaient le tour entier du lac d'un bel
ourlet régulier et minutieux. C'était presque le plus beau temps de
l'année, à bien y penser, vivifiant, court, poignant. Sous la couver-
ture qu'on avait mis sur les genoux du Vieux , on ne s'apercevait pas que
sans arrêt sa main tentait de faire tourner la roue droite du fauteuil.
X X X
Un jour il y parvint. Esmeralda leva la tête juste à temps pour
le voir filer. Elle ne fit qu'un saut, attrapa le fauteuil à deux doigts
du bord du lac. Elle était toute tremblante de crainte, d'énervement, de
dépit, et sans doute en son agitation entraient-ils bien d'autres senti-
ments encore qui se contredisaient tous les uns les autres.
— En voilà des choses à faire! reprocha-t-elle.
Elle cherchait de l'oeil une bonne grosse pierre pour caler le
fauteuil et se fâchait de
n'en point voir
ne pas en trouver
. Elle l'aurait bien rentré
Image
et remisé une
bonne
fois pour toutes, mais, pour lui faire place dans la
cabane, il fallait d'abord en sortir des tas d'objets pour lesquels il eût
fallu auparavant trouver aussi de la place, ailleurs. On était
toujours,
dans ce grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin, d'un bout de bois
,
elle cala le fauteuil. En se relevant, tout essouflée, à moitié
triomphante
d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir encore avec tout
cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de ce visage mort un
regard
toujours étonnamment vivant, doué d'une volonté bien personnelle, qui lui
criait silencieusement
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?
Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler
intelligiblement c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune
réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui pourquoi elle cherchait
à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon nu et crut
voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
comprendre. Partout dans le monde.
Elle frissonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
— Il n'y a plus rien qui reste chez nous, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah.
" Ils " sont arrivés avec toutes leurs questions; " ils " ont demandé pourquoi.
" Ils " nous ont fait honte.
Elle se pencha sur lui, arrangea sa couverture, le menaça,
comme impuissante, sans méchanceté :
— « Il faut vivre à présent... »
et
courut vivement se mettre au chaud dans la cabane.
État 5 - Le fauteuil roulant
parvinrent sur la crête de la colline
nue en plein
devant ce
ciel répandu à l'in-
fini. Alors seulement ils s'accordèrent
de
pour
se reposer.
Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait
apercevoir la ligne d'argent de l'océan glacial qui n'avait
rien
aujourd'hui
dans sa rigueur
de dur
. Le ciel, presque sans nuages était rempli d'une
douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné
que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant de mourir avait le goût
de revoir? Savaient-ils même déjà peut-être dans leurs fins petits cerveaux
que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler?
Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici?
Ils semblèrent en tous cas comprendre les quelques sons par les-
quels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils collè
rent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avaient
recommandé leur mère, et laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu
de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute
hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait
sur ce versant aussi de la colline. Longtemps ils s'amusèrent à tenter
d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un
grand bruit joyeux dont en parvenait la gaieté en vieillard assis
en plein
au milieu
du
ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui
,
dans sa pose attentive,
les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer,
du ciel
de l'horizon
et de l'air, une sorte de grand sermon silencieux.
Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui ar-
rivait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible pro-
longement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain.
On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait
goût à vivre.
sa petite troupe qui le trimbalait à longueur de jour
née
, que cette fois
encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant
de fois enregistrée
,
on se figura les avoir vus ensemble comme toujours.
Même Esmeralda, l'heure du souper venu, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait
averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller
chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras
croisés. Il y avait des moments où l'atavisme renaissait très fort
chez tous ces gens-là, pour
recevoir
essuyer
ensuite, il est vrai, une autre
terrible
mise en
déroute.
Toujours est-il
, qu'à près de
que vers
minuit, tout le monde
était
rentré se
coucher, il
n'y eut pas moyen pour
devint impossible à
Esmeralda de ne pas s'apercevoir
enfin
que le Vieux
n'y
n'
était pas
.
là.
Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant à la maison Isaac.
C'était comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez
grande pour lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert
et
et appelait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire
de même, un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de
la partie, couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce
charivari, les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement
dans les huttes. Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir qu'elle
était apparemment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle
s'en plaignit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être
entendu par ceux qui avaient encore assez peu de coeur pour dormir en une
pareille extrémité.
Etait-il content, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau et de la grande amertume des élé-
ments
en toute sympathie
peut-être
liée
unies
cette nuit
-là
avec
dans une immense
compassion pour tout
ce qui souffre,
tout
ce qui attend,
tout
ce qui espère? Ou pensait-il plutôt aux autres, à cette
heure
,
bien au chaud, à l'abri?
La pluie cessa. Sur la butte chauve, dans ce pays sans arbre,
Isaac, écrasé dans son fauteuil, aurait pu faire penser à quelque créature
végétale abimée par trop d'eau. Mais, l'orage passé, l'arbre du moins
peut se secouer, le vent aidant, et commencer à se sécher. Pour lui, il
ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses mem-
bres.
Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par
une claire et brillante matinée de fin d'été.
et remisé une bonne fois pour toutes mais
,
pour lui faire place dans la
cabane
,
il fallait d'abord en sortir des tas d'objets auxquels il fallait
auparavant trouver de la place ailleurs. On était toujours, dans ce
grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin elle trouva un bout de
bois pour caler le fauteuil. En se relevant, tout essoufflée, à moitié
triomphante d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir
encore avec tout cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de
ce visage mort un regard étonnamment vivant encore
,
doué d'une volonté
bien personnelle, et qui lui criait silencieusement :
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?
Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intel-
ligiblement
ce serait
c'est
ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune
réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui, au fond, pourquoi elle
cherchait à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon
nu et crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
voir. Tout se sait. On est des civilisés maintenant.
Elle frisonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
— Les choses se savent loin, loin, loin, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avec vu avec Deborah
!
.
«
i
I
ls » sont arrivés avec toutes leurs questions
;
« ils ont demandé pourquoi.
« Ils » ne nous ont pas laissés en paix. Il faut vivre jusqu'au bout à présent.
Elle se pencha sur lui, lui arrangea sa couverture, le menaça
,
comme impuissante, sans méchanceté.
— « Les choses se savent
»
... »
et elle cou-
rut vivement se mettre au chaud dans la cabane.
État 4 - Le fauteuil roulant
Roy
La Rivière sans repos
"Le
Fauteuil roulant" M dacty-
lographié p.63-
Pages
un ou deux mots
p.79-
Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à recevoir le
colis qui leur
serait
descendu
livré
, au passage,
par la voie des airs. Gros
et encombrant comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos d'homme à
travers la toundra
raboteuse et
partout
coupée
de petits lacs,
un pour ain-
si dire dans chaque creux de terrain.
L'avion ne se poserait pas. Il survolerait le village en cher-
chant du coin de l'oeil un endroit propice où laisser choir le colis avec
le plus de ménagements possibles.
A eux
Aux gens
de le recueillir
et d'en prendre
bien soin, car il est peu probable qu'un de ses pareils viendrait jamais
le rejoindre dans l'
Arctique
.
C'est ainsi,
par le ciel,
par un beau soir d'été n'en finissant plus de durer,
qu'aboutit, par le
ciel, à
Igugwik
, petite
communauté esquimaude non loin
de la
Baie de l'Ungava
, le grand fauteuil roulant envoyé par une société
philanthropique à Isaac qui, depuis son accident à la chasse au phoque,
l'hiver précédent, était changé pour ainsi dire en roc de la tête aux pieds.
Peut-être,
s'il avait encore pu s'exprimer
avec une parcelle de la
vivacité de jadis, Isaac aurait-il d'abord demandé à savoir comment il se
faisait qu'il était maintenant assez connu pour qu'on lui envoie une chaise
du bout du monde.
Retirée de sa caisse et
exposée contre tout le grand ciel nu qu'il
y a
par
là-bas,
elle fit en tout cas un effet extraordinaire avec ses accou-
doirs ch
o
r
omés, son dossier, son siège rembourré, ses deux grandes roues
garnies de
caoutchouc,
enfin
en bref
une attention au confort comme on
n'avait jamais
n'aurait
même
pas même
pu supposer par
su
quelques mots
ici qu'il
pût
y en
avoir
eût
de par le monde.
Les bien-portants eurent l'idée de l'essayer pour voir ce que l'on
Image
peut ressentir à être devenu
invalide, et se prirent
à rire et se passè-
rent le fauteuil et eurent un plaisir fou à s'imaginer être désormais in-
capables de mettre un pied devant l'autre et n'avoir plus qu'à se laisser
promener pour le reste de leurs jours.
A la fin pourtant on songea à venir montrer son fauteuil à
Isaac. Evidemment Isaac était un homme bien changé depuis le temps où il
avait soutenu sur tous les tons que mourir n'est pas difficile, qu'il n'y
a qu'à s'y laisser aller, le moment venu, que rien n'est plus facile en
vérité, qu'il n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau jour de son
plein gré vers la mort. Lui-même n'y parvenait point pourtant, ne pensant
sans doute qu'à cela, laissé seul dans ce coin précisément de la hutte d'où
une autre femme de sa famille, sa propre fille Deborah,
avait pu
,
elle aussi
,
se tirer.
Tandis que lui!
De son oeil valide, il parut examiner le fauteuil. A quelqu'un
qui ne s'était jamais de toute sa vie assis que par terre ou, à la rigueur,
sur un petit banc dur à l'église, ce curieux fauteuil faisait peut-être l'ef-
fet d'un trône. S'il demeurait en peu de malice d'autrefois dans la vieille
tête,
peut-être même
deux ou trois mots
il en
en était
-il en ce moment
peut-être
à rire
en lui-même de voir
tout le dérangement qu'il avait réussi à occasionner à lui seul.
Mais
,
avec
un
côté du visage inerte
,
et
l'autre
pas beaucoup
à peine
plus vivant, Isaac, de physiono-
mie jadis si vive,
en
était réduit à avoir l'air terriblement éloigné de tout
,
alors qu'il ne l'était peut-être pas
complètement encore sait
un mot
encore, au fond
tout à fait
.
Les quelques sons
qu'il
parvenait
encore
à se sortir de la gorge ne lui étaient
un mot
guère
plus
utiles. Ou on ne les comprenait pas ou on
le feignait,
faisait semblant
pour ne pas avoir
à renouveler
quelques mots
trois mots
l'effort de
à
toujours l'écouter attentivement.
Il est
vrai
aussi
que les gens
d'ici
ici
étaient
bien changés depuis la disparition de Deborah et l'enquête qui avait
suivi, des
envoyés du
G
g
ouvernement, arrivant
à plein avion pour poser, à n'en
Image
plus finir, des questions sans rime ni bon sens:
— « Avait-elle l'air décou-
ragée? Etait-elle encore saine d'esprit? Pourquoi,
selon vous
? »
, a-t-elle agi de la sorte? »
Après cette histoire, on n'avait pas envie, en tout cas, d'avoir
encore par ici sur les bras des décès qui eussent pu avoir l'air librement
consentis et de se singulariser ainsi à la
face
pour ainsi dire
du monde.
On en était donc venu, ici comme un peu
partout
,
sur la terre,
à tâcher
de "garder" les gens en vie le plus longtemps possible, de gré
ou de force. La mort s'éloignait des Esquimaux presque
autant
qu'elle s'é-
tait
loignait
éloigné
que
des Blancs.
Isaac aurait évidemment pu refuser d'avaler les bouchées que sa
bru
,
Esmeralda
,
lui mettait
sur la langue et qui étaient d'ailleurs loin
d'être toujours les meilleures. Il semble qu'il avait essayé une fois.
Mais était-ce dégoût de cette nourriture-là? Ou de lui-même? Ou de vivre
encore? Toujours est-il qu'Esmeralda lui avait remis le morceau de viande
dans la bouche et qu'il l'avait avalé cette fois, soit que l'appétit en
fin de compte eût été plus fort que la tristesse, ou bien encore parce
qu'il n'avait pas pu faire autrement.
Et peut-être
aussi se faisait-il malgré tout à sa condition,
enfin
à
moitié
engourdi
,
déjà,
sur le point
,
comme
au bord du froid extrême, de s'en
aller dans le grand sommeil, si ce fameux fauteuil, en parvenant jusqu'à
eux, n'eût réussi à tout remettre encore une fois en cause: la vie, la
mort, ce qu'il faut
faire pour
elle
ou contre
elle... et quand s'en aller...
Image II
La joyeuse surexcitation provoquée par la livraison du fauteuil
à peine émoussée, d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.
Sortie de sa tanière, Eleonora, une vieille cousine d'Isaac,
s'en vint faire trois fois le tour du fauteuil et finit par offrir d'en-
vieuses félicitations:
—
« Hé! Hé! Quelqu'un était bien vu par ici!
Hé! Hé!
Il suffi-
sait
apparemment de perdre l'usage de ses deux jambes pour tout recevoir
en échange. Il y avait en ce monde des chanceux...
—
...chanceux! reprit plus ou moins distinctement Isaac du coin de
sa bouche tordue en guise peut-être de protestation, et c'est ce que la plu-
part entendirent
!
,
à moins que ce fût seulement "
huh
euh
, euh! "
Mais Alfreda, elle, un peu sourde, entendit "heureux, heureux",
et se traînant sur ses vieilles jambes enflées approuva avec mauvaise humeur:
— Je te crois bien que tu as des raisons de te dire heureux. Si
tu ne l'étais pas encore! ...
et commença
à laisser entend
r
e qu'il n'y avait
pas qu'Isaac ici à avoir besoin d'une bonne chaise, et que celle-ci pouvait
bien ne pas avoir été envoyée rien qu'à lui.
Esmeralda les voyait
venir ces deux-là et ne
perdit pas de temps à
mettre les choses au point.
— Ce siège-là,
dit-elle, à la ronde,
est envoyé au Vieux par
ses
amis de la Fédération des Infirmes, et moi ici présente, personne ne va le
lui prendre et le lui user une heure par-ci
,
une heure par-là.
Des témoins qui avaient étroitement surveillé le visage d'Isaac
pendant qu'Esmeralda prenait sa défense, crurent voir qu'il en avait l'air
content.
Image
Alors la bonne humeur revint, et on s'empara d'Isaac.
A quatre, à six, on le souleva, on réussit à lui faire plier
les jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.
Alors, était-ce à cause de la pose, les deux vieilles mains ridées
posées sur les accoudoirs, la tête se tenant raide, mais Isaac prit aussitôt
l'air d'un vieux roi encore régnant. Presque tous en furent frappés
jusqu'à
à lui
accorder une toute nouvelle considération.
Sans plus tarder, on partit le promener à travers son rude pays.
Tout le sol est cahoteux là-bas,
en bosses par ici, en
un mot
bosses par
là,
abrupt
es et traîtres
sous la mousse de caribou qui
donne bien à tort
l'impression de l'uni, l'on ne pouvait aller vite, mais
,
même à petit train
,
le fauteuil tanguait et à chaque tour de roues butant contre
la mousse
le lichen
rê-
che projetait le paralytique tête en avant. On voyait remuer ses lèvres.
Essayait-il de protester? Demandait-il d'être laissé tranquille? Ou était-
il au contraire tout réveillé par cette promenade et cherchait-il à obtenir
des détails? On lui en avait fourni au départ comme à quelqu'un en visite
.
Maintenant, dans l'effervescence générale, on l'oubliait un peu. Lui, à faire
tant d'efforts accrus, et peut-être désespérés
,
pour parler, la lèvre toute re-
troussée, en vint à avoir vraiment l'air de rire.
De lui voir cet air-là, assis
dans son bon fauteuil déjà si drôle, porta les femmes au fou rire, l'une en-
traînant l'autre au fur et à mesure qu'elles s'apercevaient être nombreuses
à trouver la situation comique. De tant rire leur enleva des forces pour
pousser le fauteuil dans les petites remontées, ce qui les amena a rire en-
core
plus, si bien
,
qu'arrêtées en pleine pente, elles ne
pouvaient
purent bientôt
plus
rien faire d'autre.
A quelque distance, les hommes, à voir les femmes tant s'esquinter
pour si peu de résultat, partirent tout d'un coup eux aussi à rire de bon coeur.
Image
Longtemps après que le village eut perdu de vue le sentiment
d'ailleurs assez confus qui
les
l'
avait tant porté
s
à rire ce jour-là, il
arrivait à l'un et à l'autre, soudainement, au milieu de ses souvenirs,
de se mettre à pouffer, et les autres en devinaient aussitôt la raison
et se prenaient aussi à rire, sachant que cette gaieté-là du moins, quoi
qu'il arrive,
jamais
elle
ne leur serait
tout à fait enlevée.
X X X
Les femmes, toutefois, se lassèrent assez vite de pousser le
fauteuil. Nulle part il n'y avait de terrain propice. Ou bien c'était
le lac autour
duquel étaient assemblées les pauvres huttes, ou bien c'était
le sol invariablement spongieux et bosselé. Sur la mousse de caribou d'une
consistance
non très loin
assez proche
de celle du caoutchouc, les belles grandes roues
somme toute tournaient fort mal. Les femmes finirent
par céder le
v
V
ieux
aux enfants qui n'attendaient que cela.
De joie ils dansèrent autour du fauteuil.
L'oeil en biais, inquiet à ce qu'il semblait, Isaac les examina
autant
que
qu'il lui était
possible, se demandant sans doute ce
qu'ils
que les petits
méditaient et pouvaient
avaient
bien entendre
l'intention de
faire de lui maintenant qu'ils l'avaient en leur possession.
En fait ce n'était rien de bien terrible. Seulement de le mener
là où les femmes avaient échoué
,
au sommet du mamelon le plus proche.
Ils s'y attelèrent à douze, l'entière
petite
population enfantine
du village, à partir de six ans.
L'un l'autre s'aidant à pousser, chacun les mains appuyées aux
hanches de celui qui précédait, penchés tous dans le même sens et sans gas-
piller de force à rire, graves et appliqués dans leur
effort, ils montaient
pouce à pouce, le fauteuil en tête, en une mince petite procession serrée
comme celle des fourmis accordées qui vont droit au but, et enfin ils
Image
refaire
parvinrent sur la crête de la colline nue
en plein
devant ce
ciel répandu à l'in-
fini. Alors seulement ils
s'arrêtèrent
s'accordèrent
de
pour
se reposer.
Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait
apercevoir la ligne d'argent de l'océan glacial qui
n'avait rien
aujourd'hui
dans sa rigueur
de dur
. Le ciel, presque sans nuages
,
était rempli d'une
douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné
que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant
de mourir avait le goût
de revoir?
Savaient-ils même déjà peut-être dans leurs fins petits cerveaux
que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler?
Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici?
Ils semblèrent en tout cas comprendre les quelques sons par les-
quels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit.
Ils c
o
a
llè-
rent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avaient
recommandé leur mère, et laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu
de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute
hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait
sur ce versant aussi de la colline.
Longtemps ils s'amusèrent à tenter
d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un
grand bruit joyeux dont en parvenait la gaieté en vieillard assis
en plein
au milieu du
ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui
,
dans sa pose attentive,
les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer,
du ciel
de l'horizon
lointain
et de l'air, une sorte
de grand sermon silencieux.
Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui ar-
rivait même à l'oreille, quand les enfants
se taisaient, quelque faible pro-
longement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain.
On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait
goût à vivre.
Image III
Souvent encore, les enfants le menèrent là-haut, soit qu'ils
eussent pressenti le bonheur qu'éprouvait le vieil homme lorsqu'on le
portait en plein ciel, soit qu'ils eussent maintenant plus de plaisir à
jouer de ce côté-ci de la colline.
Quelquefois cependant, dans leur hâte de courir
à la découverte
de quelque chose de neuf
,
pour eux,
ils abandonnèrent Isaac dans des creux
mornes où il n'y avait à voir ni eau frémissante ni lointain mystérieux.
Alors le vieil Esquimau semblait vraiment
las
d'en
d'
être encore
à attendre.
de ce monde.
Même ceux qui à cause de sa joue plissée
,
avaient prétendu qu'il
riait encore,
devait encore avoir parfois envie de rire,
tout seul,
un mot
n'eussent jamais plus osé soutenir pareille
chose
version
s'ils avaient
seulement pu
le
voir
Isaac
alors que les enfants l'oubliaient pendant des heures
dans des dépressions de terrain que n'atteignaient ni
le vent ni le soleil.
Même
l
L
es enfants, quand
ils s'avisaient enfin de venir le chercher,
semblaient alors
quelque peu
conscients de la détresse d'Isaac et craignaient de le re-
garder du côté de son bon oeil, par peur de l'intensité d'expression qu'il
réussissait encore à y mettre.
Le
un mot
lendemain, pour réparer, ils ne manquaient jamais de le mener,
tout en chantant, sur le pic de la vieille petite colline.
De son côté, le Vieux faisait alors des efforts
accrus pour remuer
les doigts, soulever la main, atteindre les petites joues fraîches et heureu-
ses des enfants. Il
réussissait
parvenait
presque à esquisser parfois ce qui
avait
pouvait
avoir
l'air
... dans l'air...
d'une caresse...
dans le vide.
X X X
Un jour pourtant ils
l'oublièrent sur le haut du
mamelon. Les mè-
res ne s'avisèrent
pas
non plus
immédiatement que les enfants
revenaient
seuls. On était tellement habitués à les
voir de compagnie, le Vieux avec
Image
sa
petite troupe
ribambelle d'enfants
qui le trimbalait à longueur de journée, que cette fois
encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant
de fois enregistrée, on se figura les avoir vus ensemble comme toujours.
Même Esmeralda, l'heure du souper venu, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là
en veine de fainéantise et avait
averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller
chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras croi-
sés. Il y avait des moments
où l'atavisme renaissait très fort chez tous
ces gens-là, pour essuyer ensuite, il est vrai, une autre terrible déroute
.
,
sous le vent du progrès.
Toujours est-il que vers minuit, tout le monde étant rentré se
coucher, il devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir que le
Vieux n'était pas là.
Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant
à la maison
Isaac
. C'était
comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez grande pour
lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et appe-
lait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire de même,
un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de la partie,
couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce charivari,
les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement
.
dans les
huttes.
Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir
qu'elle était appa-
remment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle s'en plai-
gnit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être entendu
e
par ceux qui
avaient encore assez peu de coeur pour dormir en une pareille
extrémité.
Image
refaire
sa petite troupe qui le trimbalait a longueur de jour
née
, que cette fois
encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant
de fois enregistrée
,
on se figura les avoir vus ensemble comme toujours.
Même Esmeralda, l'heure du souper venu, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait
averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller
chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras
croisés. Il y avait des moments où l'atavisme renaissait très fort
chez tous ces gens-là, pour
recevoir
essuyer
ensuite, il est vrai, une autre
terrible
mise en
déroute.
Toujours est-il
,qu'à près de
que vers
minuit, tout le monde
étant
rentré se
coucher, il
n'y eut pas moyen pour
devint impossible à
Esmeralda de ne
ne
un mot
pas
un mot
pas s'apercevoir
enfin
que le Vieux
n'y
n'
était pas
.
là.
Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant à la maison Isaac.
C'était comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez
grande pour lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert
et
et appelait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côte et faire
de même, un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de
la partie, couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce
charivari, les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement
dans les huttes. Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir qu'elle
était apparemment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle
s'en plaignit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être
entendu par ceux qui avaient encore assez peu de coeur pour dormir en une
pareille extrémité.
Image
Or, à ce moment même, comme elle se trouvait à regarder du côté
du gros mamelon à droite, elle y perçut distinctement
,
cette fois, des nua-
ges s'écartant, le Vieux, de profi
l
, bien découpé contre le ciel de trans-
parence obscure, en noir sur noir, les mains aux accoudoirs, un faible
croissant de lune sur la tête, qui plus que jamais faisait penser à un
vieux roi... mais
un roi
maintenant dépossédé.
Elle s'empressa d'aller le chercher. En le ramenant,
toutefois,
la descente lui donnant beaucoup de mal avec ce lourd fauteuil difficile à
retenir, qui semblait maintenant vouloir voler de son plein gré, elle ne
put
toutefois
s'empêcher de maugréer un peu
Isaac
comme si c'était par sa faute
qu'Isaac
qu'il
était resté dehors si tard.
—
En tout cas, lui signifia-t-elle,
dès en arrivant en bas,
un mot
c'était
fini pour lui de se promener de tous côtés. Il allait maintenant rester
sous ses yeux, à la maison, et si
,
parfois
,
elle permett
r
ait peut-être
encore qu'il s'assoie dans le fauteuil, ce serait pour
n'
aller nulle part.
Mais sans suite et sans grande détermination dans les idées,
un autre jour que les enfants étaient venus à trois ou quatre reprises lui
demander s'ils ne pourraient pas "ravoir" le Vieux, elle finit par se lais-
ser fléchir, ou se lasser, et dit, sans trop s'en rendre compte peut-être,
fatiguée de les voir tourner autour d'elle:
— Prenez-le donc et laissez-moi tranquille à la fin.
Et tout recommença comme avant. On alla en haut, en bas, autour
du
lac et par-delà ce versant-ci de la colline.
Dans toute sa vie d'adulte Isaac n'avait probablement pas vu
autant de petits coins charmants de son pays
comme
que
les enfants le menèrent
en voir
au cours de
cet été-là.
Image
73
Ils réussirent un matin
à capturer un papillon
des plus rares, venu
au monde, par on
ne sait quel caprice de
la création, dans le
désert de l'
Arctique
,
pour exister une
journée seulement, dans
son habit de bal. Ne
sachant qu'en faire,
ils le donnèrent au Vieux.
Image
Ils réussirent à capturer
un jour
un spécimen d'
un
papillon
des plus rares
,
brillante créature revêtue comme pour un bal dans le désert de l'
Arctique
, où elle vient au monde pour une existence d'un jour seulement.
papillons qui soient, qui,
on ne sait par quel caprice de la création,
vient au monde
pour vivre une seule journée d'existence,
paré
portant
d'une
beauté inouie de couleur, au fin fond de l'
Arctique
, là ou presque aucun
regard ne l'a jamais pu voir.
[]
[illis.] [écriture sténographique] tournure de noces,
Ne sachant qu'en faire, ils le donnèrent
au Vieux.
Ils lui mettaient souvent aussi
des petites fleurs dans
entre
les
mains
.
de petites fleurs.
Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes enfants insouciants, et
ils "l'oublièrent" encore une fois. Or, cette nuit-là, Esmeralda s'était
endormie de bonne heure, abattue comme une
souche
,
.
et
Elle
ne se réveilla même
pas au grondement subit de
l'orage. Ensuite tout se déchaîna.
La pluie tomba à plein ciel sur le Vieux bien placé pour la re-
cevoir
,
en haut du mamelon. Les vents le souffletèrent de tous côtés. La
nature entière semblait lui en vouloir d'être encore de ce monde, à moins
que ce ne fût le contraire et
que, clémente à sa manière
qu'
elle travaillât
à l'en soustraire.
, clémente à sa manière.
Les éclair
s
révélaient de temps à autre, au sein de l'obscurité, son
visage inscrutable. Il avait toujours été difficile de savoir à quoi
il
pen-
sait
Isaac
,
même au temps où il se livrait encore un peu, à cause d'une manière de
parler rien qu'à lui, caustique et déroutante.
Par exemple cette idée naguère exprimée par lui que l'on devrait
mourir en faisant le moins d'histoire
s
possible et à laquelle aujourd'hui
il n'arrivait pourtant pas à se conformer, comme pour se donner à lui-même
un démenti.
Son visage ruisselant apparaissait sur un fond de ciel tourmenté,
s'effaçait en même temps que des tourbillons de nuage, revenait sur l'horizon.
Image
Se réjouissait-il, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau, de l'amertume des éléments, les
alliées, cette nuit-ci peut-être, de son âme lasse? Ou pensait-il
plutôt aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri?
La pluie cessa. Sur la butte chauve, Isaac, écrasé dans
son fauteuil, ressemblait à quelque créature végétale abimée par trop
d'eau. Mais, l'orage passé
,
et le vent aidant,
une plante peut du moins se secouer
un
quelque peu
peu, le vent aidant,
et commencer à se sécher.
Pour
l
L
ui
, il
ne pou-
parvenait
vait même pas
à
grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses mem-
bres.
Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla
par un
e
clair
e
et brillante
étincelante
matin
ée
de fin d'été.
Image
Se réjouissait-il, comme
d'une aide
enfin
secourable, des
griffes du vent, des trombes
d'eau, de l'amertume des
éléments, les alliées, cette
nuit-ci peut-être, de son âme
trop
lasse?
Image
Était-il
content
heureux
, comme d'une aide enfin secourable, des grif-
fes du vent, des trombes d'eau et de la grande amertume des éléments
un mot
peut-être
unies
,
cette nuit-là
,
dans une immense
par
compassion
,
pour tout ce
à
qui souffre, tout
à
ce qui
et n'
attend, tout ce qui espère?
le jour
Ou pensait-il plu-
tôt
aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri?
La pluie cessa. Sur la butte chauve,
dans ce pays sans arbre,
Isaac, écrasé dans son fauteuil,
aurait pu faire penser
ressemblait
à quelque créature
un mot
végétale abimée par trop d'eau. Mais, l'orage passé,
même un
une plante peut du moins se secouer un peu, le vent aidant,
l'arbre du moins
peut se secouer, le vent aidant,
et commencer à se sécher.
Pour lui, il
ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses
membres.
Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par
une claire et brillante matinée de fin d'été.
Image
refaire
Était-il content, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau et de la grande amertume des élé-
ments
en toute sympathie
compassion
peut-être
un mot
unies
cette nuit
-là
dans une immense compassion pour tout ce qui souffre,
avec ce qui souffre,
tout
ce qui attend,
tout
ce qui espère? Ou pensait-il plutôt aux autres, à cette
heure
,
bien au chaud, à l'abri?
La pluie cessa. Sur la butte chauve, dans ce pays sans arbre,
Isaac, écrasé dans son fauteuil, aurait pu faire penser à quelque créature
végétale abimée par trop d'eau. Mais, l'orage passé, l'arbre du moins
peut se secouer, le vent aidant, et commencer à se sécher. Pour lui, il
ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses mem-
bres.
Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par
une claire et brillante matinée de fin d'été.
Image IV
Pour quelles vraies raisons
,
Esmeralda
,
au fond
,
se
re
mit-elle
en
frais de
à
le soigner
?
encore?
Par compassion? Par remorde
s
? Ou peut-être
un mot
surtout
plutôt
par entêtement, par habitude?
Il est sûr que,
c
C
elle-là
cette habitude
prise,
il est sûr
qu'
il n'est pas facile de savoir
quand
y renoncer, comme il faut bien pour-
tant
arriver
en venir
à s'y
faire un jour
résoudre un jour
. Esmeralda semblait s'être prise au jeu.
plusieurs mots
Elle enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures. Elle le transporta
d'un coin à l'autre
,
là où il
avait un peu de soleil. Elle lui eut de la
péniciline d'une voisine à qui il en était resté de la dose laissée par
l'infirmière à sa dernière visite.
Elle fit tant et si bien qu'elle réussit, comme elle put s'en
vanter, à "sauver" Isaac, et en tira un curieux mélange de fierté, de fa-
tigue et, tout compte fait, d'embarras, car "sauvé"
,
Isaac ne valait pas
cher.
Il était même à ce point fondu et rapetissé que sa bru pouvait
aisément le porter à bras d'un coin à l'autre de la hutte quand elle se
mettait en tête de nettoyer partout.
Il y eut quelques beaux jours encore. Au cours de l'un d'eux,
comme Esmeralda surprit le regard d'Isaac fixé sur le fauteuil,
il
elle
se lais-
sa apitoyer. Pauvre Vieux, il avait donc à ce point pris goût à son trône!
Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula au dehors de manière à ce
qu'il pût
contempler
avoir
sous les yeux
un petit aperçu encore du lac et du ciel, sans pour cela
le perdre elle-même de vue
,
du fond de la hutte et des molles rêvasseries
qu'elle y poursuivait.
— C'est fini, lui expliqua-t-elle, de rôder de tous bords, de
tous côtés. Vous allez rester devant la porte maintenant, le père.
Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance dans le vieux
Image
et remisé une bonne fois pour toute
,
mais, pour lui faire place dans la
cabane
,
il fallait d'abord en sortir des tas d'objets
auxquels il fallait
pour lesquels il eût fallu
auparavant
fallu aussi
trouver
aussi
de la place
,
ailleurs. On était
toujours, dans ce grand
pays sans limites, à court d'abri. Enfin
,
elle trouva
d'
un bout de bois
pour
elle
cal
er
a
le fauteuil. En se relevant, tout essouflée, à moitié
triomphante
d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir encore avec tout
cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de ce visage mort un
regard
toujours
éton
n
amment vivant
encore
, doué d'une volonté bien personnelle,
et
qui lui criait silencieusement :
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?
Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intel-
ligiblement c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune ré-
ponse prête. Elle ne savait pas plus que lui
, au fond,
pourquoi elle cher-
chait à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon nu et
crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
voir.
comprendre.
Tout se sait. On est des civilisés maintenant.
Partout dans le monde.
plusieurs mots
Elle frissonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
—
Les choses se savent loin, loin, loin,
Il n'y a plus rien qui reste chez nous,
dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah.
« Ils » sont arrivés avec toutes leurs questions ; « ils » ont demandé pourquoi.
« Ils »
ne
nous ont
pas laissés en paix.
fait honte.
Il faut vivre jusqu'au bout à présent...
Elle se pencha sur lui, arrangea sa couverture, le menaça, com-
me impuissante, sans méchanceté :
— «
Les choses se savent
« Il faut vivre
...
à présent ...
»
plusieurs mots
et
elle
courut
vivement se mettre au chaud dans la cabane.
Image
refaire
et remisé une bonne fois pour toutes mais
,
pour lui faire place dans la
cabane
,
il fallait d'abord en sortir des tas d'objets auxquels il fallait
auparavant trouver de la place ailleurs. On était toujours, dans ce
grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin elle trouva un bout de
bois pour caler le fauteuil. En se relevant, tout essoufflée, à moitié
triomphante d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir
encore avec tout cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de
ce visage mort un regard étonnamment vivant encore
,
doué d'une volonté
bien personnelle, et qui lui criait silencieusement :
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?
Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intel-
ligiblement
ce serait
c'est
ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune
réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui, au fond, pourquoi elle
cherchait à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon
nu et crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
voir. Tout se sait. On est des civilisés maintenant.
Elle frisonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
— Les choses se savent loin, loin, loin, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah
!
.
«
i
I
ls » sont arrivés avec toutes leurs questions
;
« ils
»
ont demandé pourquoi.
« Ils » ne nous ont pas laissés en paix. Il faut vivre jusqu'au bout à présent.
Elle se pencha sur lui,
lui
arrangea sa couverture, le menaça
,
comme impuissante, sans méchanceté.
— « Les choses se savent
»
...
»
et elle cou-
rut vivement se mettre au chaud dans la cabane.
État 3 - Le fauteuil roulant
Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à
recevoir le colis qui leur
serait descendu, au
passage,
par la voie des airs. Gros et encombrant
comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos
d'homme à travers la toundra
raboteuse et
coupée presque
partout
coupée
de petits lacs,
un
pour ainsi dire dans chaque creux de
terrain.
L'avion ne se poserait pas. Il survolerait
le
village
au ralenti
en cherchant
du
coin de l'oeil un endroit propice où
laisser choir le colis avec le plus de
ménagements possibles.
A eux de le recueillir
et d'en prendre bien soin, car il est peu
probable qu'un de ses pareils viendrait
jamais le rejoindre dans l'
Arctique
.
C'est ainsi, par un beau soir d'été
n'en finissant plus de durer, qu'aboutit,
par le
ciel, à
Igugivik
,
petite communauté
esquimaude
non loin
de la
Baie
de l'Ungava,
de
un mot
d'Ungava
, le
beau
grand fauteuil roulant
,
envoyé
cadeau d'une
s
ociété philantrophique
envoyé par une société philant
h
rop
h
ique à
Isaac qui, depuis son accident
l'hiver
précédent,
à la chasse
au
phoque
l'hiver précédent,
était
resté
changé
pour ainsi dire
un mot
un mot
en
roc
de la tête aux
pieds.
Peut-e
^
tre, s'il avait encore pu s'exprimer
Image
avec
au moins
une parcelle de la vivacité
de jadis, Isaac aurait-il d'abord
demandé
à savoir
comment il se faisait qu'il
était maintenant assez connu pour
recevoir
qu'on lui envoie
une chaise
du bout du monde.
Retirée de sa caisse et exposée
contre tout le grand ciel nu qu'il y a par
là-bas,
elle fit en tout cas un effet
extraordinaire avec ses accoudoirs
chromés, son dossier, son siège rembourré,
ses deux grandes roues garnie
s
de
caoutchouc, enfin une attention
au confort comme on n'avait
jamais
même
jamais
pu supposer par ici qu'il
pût
y en
eut
avoir
de par le monde.
Les bien-portants eurent l'idée
de l'essayer pour voir ce que l'on
peut ressentir à être devenu
invalide,
et se prirent
à rire et se passèrent
le fauteuil et eurent un plaisir
fou à
s'imaginer être
devenus
désormais
incapables
de mettre un pied devant
l'autre et n'avoir plus qu'à se
laisser promener pour le reste de leurs jours.
A la fin pourtant on songea
à venir
m
ontrer son fauteuil à Isaac.
Evidemment Isaac était un homme
bien changé depuis le temps où
il avait soutenu sur tous les tons que
Image
mourir n'est pas difficile, qu'il n'y a qu'à
s'y laisser aller, le
moment venu,
sans
que rien
n'est plus facile en vérité, qu'il
n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau
jour de son plein gré vers la mort.
Lui-même
avec tout
un mot
Lui-même n'y parvenait
point
pourtant,
ne pensant sans doute
pourtant
qu'à cela
,
laissé seul dans ce coin
précisément de la hutte d'où une autre
femme de sa famille, sa propre fille
Deborah,
avait pu elle aussi se
en
tirer
.
elle.
Tandis que lui !
De son oeil valide, il parut examiner
le fauteuil. A quelqu'un qui ne s'était
jamais de toute sa vie assis que par
terre ou, à la
rigueur, sur un petit
banc dur
à l'église, ce curieux
fauteuil faisait peut-être l'effet
d'un trône. S'il demeurait un peu de
malice d'autrefois dans la vieille
tête,
peut-être même en était-il en ce
moment à rire en lui-même de voir
tout le
branle-bas qui était
dérangement
qu'il avait réussi
un ou deux mots
à occasionner
à lui seul.
Mais,
un côté du visage inerte, l'autre pas beaucoup
plus vivant, Isaac, de physionomie
jadis
si
vive, en était réduit à avoir l'air
de son
penser à rien,
terriblement éloigné de tout,
alors qu'il ne l'était peut-être pas
encore
, au fond.
Image
Les quelques sons qu'il
parvenait encore
à se sortir de la gorge ne lui étaient
guère plus utiles. Ou on ne les comprenait pas
ou
on
le feignait, pour
s'épargner d'
ne pas
avoir
à l'écouter toujours
à
l'écouter attentivement
à
l'écouter
toujours
attentivement.
Il
est
vrai aussi que les gens d'ici étaient
bien changés depuis la disparition de
Deborah et l'enquête qui avait
suivi, des
envoyés du Gouvernement
arrivant
à plein avion pour poser, à
n'en plus finir, des questions sans
rime ni bon sens :
— « Avait-elle
l'air découragée? Était-elle encore
saine
d'esprit?
alors
p
P
ourquoi, selon
vous
? »
a-t-elle fait cela ? »
Après cette histoire, on n'avait
pas envie, en tout cas, d'avoir encore
par ici
des décès sur les bras
sur
les bras
des décès qui eussent pu avoir
l'air librement consentis et de se
singulariser ainsi à la
face pour
ainsi dire du monde.
On en était donc venu, ici comme
un peu
partout sur la terre, à tâcher
de
" garder " les gens en vie le plus longtemps
possible, de
bon
gré
ou de force. La
mort s'éloignait des Esquimaux
presque
autant qu'elle s'éloignait des Blancs.
Image
Isaac aurait évidemment pu refuser
d'avaler les bouchées que sa
bru, Esmeralda,
lui mettait
sur la langue et qui étaient
d'ailleurs loin d'être toujours les meilleures.
Il semble qu'il avait essayé une fois. Mais
était-ce
dégoût de
un mot
cette
nourriture-là ?
Ou
de lui-même ? Ou de vivre encore ? Toujours
est-il qu'Esmeralda lui avait remis
le morceau de viande dans la bouche
et qu'il l'avait avalé cette fois, soit
que l'appétit en fin de compte eût été
plus fort que la tristesse, ou bien encore
parce qu'il n'avait pas pu faire autrement.
Et peut-être
aussi se faisait-il
malgré tout à sa condition, à moitié
engourdi
déjà, sur le point,
comme au bord du froid
extrême
,
de s'en aller dans le grand
sommeil, si ce fameux fauteuil, en
parvenant jusqu'à eux, n'eût réussi à
tout
remettre
en cause
encore une fois
:
la vie, la mort, ce qu'il faut faire
pour
et ne pas faire
elle ou contre elle
... et quand
s'en aller ...
II
La joyeuse surexcitation provoquée
par la livraison du fauteuil à peine émoussée,
d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.
Image
Sortie de sa tanière, Eleonora, une
vieille cousine d'Isaac, s'en vint
faire trois fois le tour du fauteuil
et finit par offrir d'envieuses félicitations :
—
« Hé ! hé ! Quelqu'un était
bien vu par ici ! Hé ! hé ! Il suffisait
apparemment de perdre l'usage de ses
deux jambes pour tout recevoir en
échange. Il y avait en ce monde des
chanceux ...
—
...chanceux
,
!
reprit plus ou moins
bien
distinctement
Isaac du coin de sa bouche tordue
avec
l'idée peut-être de protester ou de se
disculper,
en guise peut-être de
protestation, et c'est ce que la plupart
entendirent, à moins que ce fût
seulement «
e
uh ! euh ! »
Mais Alfreda, elle, un peu sourde,
entendit « heureux, heureux » et se
traînant sur ses
vieilles
jambes
enflées
et
approuva
avec mauvaise humeur :
— Je te crois bien que tu as des raisons
de te dire heureux. Si tu ne l'étais pas
encore ! ...
et commença
à laisser entendre
qu'il n'y avait pas qu'Isaac ici à
avoir
besoin d'un
e
fauteuil
bonne chaise
, et
que
celui-ci
celle-ci
d'ailleurs
pouvait bien ne
pas
lui
avoir été envoyé
e
rien
que pour
lui
qu'à lui.
Image
Esmeralda les voyait
venir
ces deux-là
toutes les
deux
et ne
perdit pas de temps à mettre
les choses au point.
—
Ce
fauteuil-là, fit-elle observer, est
siège-là, dit-elle, à la ronde,
est
envoyé au Vieux
par
ses amis de la Fédération
des Infirmes, et, moi ici présente, personne
ne va le lui prendre et le lui user une
heure par-ci une heure par-là.
Des témoins qui avaient étroitement
surveillé le visage d'Isaac pendant qu'Esme-
ralda prenait sa défense, crurent voir
qu'il en avait l'air content.
Alors la bonne humeur revint,
et on s'empara d'Isaac.
A quatre, à six, on le souleva
on le
hissa
, on réussit à lui faire plier les
jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.
Alors, était-ce à cause de la pose,
des
deux
les deux
vieilles mains ridées posées
sur les accoudoirs,
de
la tête
qui
se
tenait
tenant
raide, mais Isaac prit aussitôt
l'air d'un vieux roi encore régnant.
Presque tous en furent frappés à lui
accorder une toute nouvelle considération.
Sans plus tarder, on partit
alors
le
promener à travers son
r
ude pays.
Tout le sol est cahoteux là-bas, en
bosses par ici, en bosses par là, abruptes et
traîtres sous la mousse de caribou qui
Image
donne
bien à tort
l'impression de l
'
uni,
le fau
l'on ne
pouvait
pas
aller vite, mais même à
petit train le fauteuil tanguait et
à chaque tour de roues butant contre
la mousse rêche projetait le paralytique
tête en avant. On voyait remuer ses
lèvres. Essayait-il de protester ? Demandait-
il d'être laissé tranquille ? Ou était-
il
égayé au contraire par cette promenade
malgré tout
un mot
au contraire tout réveillé
par cette promenade
et cherchait-il à obtenir des détails
?
On
lui en avait fourni au départ comme
à quelqu'un en visite. Maintenant,
dans l'effervescence générale, on
l'
oubliait un peu.
le Vieux.
Lui, à
faire tant d'efforts accrus, et peut-être
désespérés pour parler, la lèvre
toute
retroussée,
en vint à avoir vraiment l'air de
rire.
De lui voir cet air-là
,
assis
dans son bon fauteuil déjà si drôle,
porta les femmes au fou rire, l'une
entrainant l'autre au fur et à
mesure qu'elles s'apercevaient
du
être nombreuse à trouver la situation comique.
être du même avis à propos de cette situation comique.
comique de la situation.
De
tant
rire leur enleva des forces pour
pousser le fauteuil dans les petites
remontées
,
ce qui
les amena à
rire encore
plus
,
si bien,
qu'elles
finirent
qu'
arrêtées en pleine pente, elles ne
pouvaient
ne plus
pouvoir
pouvaient
rien faire d'autre.
Image
A quelque distance, les hommes, à
voir les femmes tant s'esquinter pour
si peu de résultat, partirent tout d'un
coup eux aussi à rire de bon coeur.
Longtemps après que le village eut perdu
de vue le sentiment d'ailleurs assez
confus
un mot
qui les avait tant portés à rire ce jour-là,
il arrivait à l'un et à l'autre, soudaine-
ment, au milieu de ses
pensées
souvenirs
, de se
mettre à pouffer, et les autres en
devinaient aussitôt la raison et
se prenaient aussi à rire, sachant
que cette gaieté-là du moins,
quoi qu'il arrive, jamais ell
e
ne leur
serait tout à fait enlevée.
- - -
Les femmes, toutefois, se lassèrent
assez
vite de pousser le fauteuil. Nulle
part il y n'y avait de terrain propice. Ou
bien c'était le lac autour
duquel
étaient assemblées les pauvres huttes,
ou bien c'était le sol invariablement
spongieux et bosselé. Sur la mousse
de caribou d'une consistance non très
loin
du
de celle du
caoutchouc, les belles grandes
roues
somme toute
tournaient fort mal.
en fin de
compte.
Les femmes finirent
par céder
Image
le Vieux aux enfants qui n'attendaient
que cela.
De joie, ils dansèrent autour du
fauteuil.
L'oeil en biais,
et
inquiet à ce qu'il
semblait, Isaac les examina
tant
qu'il pouvait
autant
que possible
, se demandant sans doute ce
qu'ils
pouvaient méditer et
méditaient et pouvaient bien
entendre
faire de lui maintenant qu'ils
l'avaient en leur possession.
En fait ce n'était rien de bien
terrible. Seulement de le mener là
où les femmes
n'
avaient
pas réussi
échoué
:
au sommet du mamelon le plus proche.
Ils s'y attelèrent à douze, l'entière
petite population enfantine du village, à
partir de six ans.
L'un l'autre s'aidant à pousser,
chacun les mains appuyés aux han
ch
es de
celui qui précédait, penchés tou
s
dans le
même sens et sans gaspiller de force
à rire, graves et appliqués dans leur
effort, ils
montèrent
montaient pouce
à pouce, le fauteuil en tête, en
une mince petite procession serrée
comme celle des fourmis
accordées
qui vont
droit au but, et enfin ils
parvinrent
sur la crête de la colline nue en
plein ciel répandu à l'infini, alors
seulement ils s'accordèrent de se reposer.
Image
Ici le souffle du vent était large et
pur. Au loin on pouvait
apercevoir la
ligne d'argent de l'océan glacial qui n'avait
rien aujourd'hui dans sa rigueur de dur.
Le ciel, presque sans nuage, était rempli d'une
douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les
enfants avaient-ils deviné que c'était
ici
l'endroit précisément qu'Isaac
avant
de mourir avait eu le goût de
revoir?
Savaient-ils même déjà
peut-être dans leurs fins petits cerveaux
que
c'est la
la mer est ce que tout bon
Esquimau, avant de mourir, désire contempler ?
Ou avaient-ils tout simplement eu
envie de venir jouer par ici ?
Ils semblèrent en tout cas comprendre
les quelques sons par lesquels Isaac fit
savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit.
Ils calèrent les roues du fauteuil avec
des mottes de mousse, comme le leur avaient
recommandé leur
s
mère, et laissant le
Vieux bien en évidence au beau milieu de
l'horizon, sur le plus haut
du mamel
point des
la petite colline
alentours
, ils coururent en
toute hâte se mettre à jouer, en
bas, autour d'un autre petit lac
qu'il y avait sur ce versant aussi de
la colline.
Longtemps ils s'amusèrent à tenter
Image
Longtemps ils
d'attraper des poissons avec leurs mains nues
et
ils
menaient là-bas un grand bruit
joyeux dont en parvenait la gaieté au
vieillard assis
en pl
ein ciel, cheveux
au vent, par ailleurs immobile, et
qui dans sa pose attentive, les yeux fixés
dans l'infini, paraissait écouter,
venu
de partout à la fois,
de la mer,
du ciel et de l'air, une sorte
de
grand sermon silencieux.
Le vent propre le nettoyait des
odeurs de la maladie. Il lui arrivait
même à l'oreille, quand les enfants
se
taisaient, quelque faible prolongement
du grand bruit
de la rumeur
de la mer qui battait
le rivage lointain.
On eut comme le sentiment qu'Isaac,
ces jours-là, reprenait goût à vivre.
III
Souvent encore les enfants le
menèrent là-haut, soit qu'ils eussent
pressenti le bonheur qu'éprouvait
le vieil homme lorsqu'on le portait
en plein ciel, soit qu'ils eussent
maintenant plus de plaisir à jouer
Image
de ce côté-ci de la colline.
Quelquefois cependant,
dans leur hâte
de courir
à la découverte de quelque
chose de neuf pour eux, ils abandonnèrent
Isaac dans des creux mornes où il n'y
avait à voir ni eau frémissante ni
lointain mystérieux.
Alors le vieil Esquimau
semblait vraiment
las d'en être encore à
attendre. Même ceux qui à cause de s
on
a
rictus
joue plissée avaient prétendu qu'il
riait encore
,
tout seul, n'eussent jamais
plus oser soutenir pareille chose s'ils
avaient seulement pu
le
voir
Isaac
alors que les enfants l'oubliaient pendant
des heures dans des dépressions de
terrain que n'atteignaient ni
le vent
ni le soleil.
Même les enfants, quand
ils s'avisaient
enfin de venir le chercher,
semblaient
alors c
o
nscients de la détresse d'Isaac et
c
raignaient de le regarder du côté
de son bon oeil, par peur de
l'expression
intens
l'intensité d'expression qu'il réussissait
encore à y mettre.
Le lendemain, pour réparer, ils ne
manquaient jamais de le mener, tout
en chantant, sur le pic de la vieille
petite colline.
De son côté, le Vieux faisait
alors
des efforts
Image
accrus pour remuer les doigts, soulever
la main, atteindre les petites joues fraîches
et heureuses des enfants. Il réussissait
presque à esquisser parfois
une
ce
qui avait l'air
d'une caresse
... dans
l'air ...
d'une caresse ...
Un jour pourtant ils
l'oublièrent
en
sur le
haut du
mamelon. Les mères ne
s'avisèrent
pas non plus immédiate-
ment que les enfants
revenaient seuls.
On était tellement habitués à les
voir
ensemble
de compagnie
, le Vieux
et
avec
sa
petite troupe qui le trimbalait à longueur
de
journée
jour
, que cette fois encore, par
une illusion de la mémoire et de
l'image qu'elle avait
tant
de fois enregistrée,
on s'imagina
se figura
les avoir vus
ensemble
comme
d'habitude.
toujours.
Même Esmeralda, l'heure du souper
venu, ne s'aperçut pas encore qu'Isaac
manquait. Elle était ce jour-là en
veine
de fainéantise et avait averti tout son monde
d'avoir à se chercher à manger et à
se débrouiller chacun pour soi, car
elle-même entendait rester aujourd'hui
les bras croisés. Il y avait des moments
Image
où l'atavisme renaissait très fort chez
tous ces gens-là, pour recevoir ensuite,
il est vrai, une autre terrible mis
e
en déroute.
Toujours est-il, qu'à près de minuit,
tout le monde rentré se coucher, il
n'y eut pas moyen pour Esmeralda
de ne pas s'apercevoir enfin que le
Vieux n'y était pas.
Elle sortit de la hutte. Les étoiles
étaient pâles et
toutes
incertaines
encore dans un ciel lui-même à
peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous
côtés, rappelant à la maison Isaac.
C'était comme si elle eût oublié qu'il
ne pouvait ouvrir la bouche assez
grande pour lui répondre. Elle se
tournait vers un point du vaste pays
désert et appelait
,
un peu
la tête
levée haut, pour se retourner
de l'autre côté et faire de même, un
peu à la manière des chiens qui
d'ailleurs
commençaient à s'agiter
et à s'énerver aussi
se mirent
aussi de la partie, couvrant bientôt
complètement
la
voix d'Esmeralda.
Presq
Malgré ce
charivari, les autres avaient
tout
l'air de
continuer à dormir paisiblement
.
dans les huttes.
Peut-être
Esmeralda
en
fut-elle vexée
un mot
de découvrir
Image
qu'elle était apparemment la seule à
se faire
encore
du souci pour le Vieux.
Cela
lui parut sans doute injuste.
Elle
s'en plaignit, face au ciel nocturne,
accusant
aussi ha
à voix aussi
haute que possible tous ceux qui dormaient.
A ce moment même, comme elle
se trouvait à regarder du côté du gros
mamelon à droite, elle perçut distincte-
ment cette fois, des nuages s'écartant,
en noir sur noir,
bien découpé
en noir sur noir,
contre le ciel de transparence obscure,
le
le
Vieux qui, les mains sur les accoudoirs,
de profil sous un faible croissant de
lune, faisait penser plus que jamais
ce soir
à un vieux roi ...
ce soir
mais un
maintenant
roi maintenant
dépossédé...
Elle s'empressa d'aller le chercher.
Image
qu'elle était apparemment la seule à se faire
encore du souci pour le Vieux. Elle s'en
plaignit, face au ciel nocturne, haussant
la voix pour tâcher d'être entendue par
ceux qui
avaient encore assez peu de coeur
pour dormir en une pareille extrémité.
Or, à ce moment même, comme elle se
trouvait à regarder du côté du gros mamelon
à droite, elle y perçut distinctement, cette
fois, des nuages s'écartant, le Vieux,
de profil, bien découpé contre le ciel de
transparence obscure, en noir sur noir,
les mains aux accoudoirs, un faible
croissant de lune sur la tête, qui plus
que jamais faisait penser à un vieux
roi... mais
un peu
un roi maintenant
dépossédé.
Elle s'empressa d'aller le chercher.
En le ramenant
,
toutefois, la descente lui
donnant beaucoup de mal, avec ce
lourd fauteuil difficile à retenir,
et
qui semblait maintenant vouloir voler
de son plein gré
,
elle ne put
se retenir
s'empêcher
de se plaindre un peu à Isaac de
tout le mal qu'il lui donnait.
de morigéner un peu Isaac comme
si c'était par sa faute
qu'
il était resté
dehors si tard.
—
En tout cas, lui signifia-t-elle dès
en arrivant en bas, c'était fini pour
Image
—
lui de
rôder
se promener
de tous
les
côtés. Il allait
maintenant rester sous ses yeux, à
la maison, et si, parfois, elle permettrait
peut-être encore qu'il s'assoie dans le
fauteuil, ce serait pour aller nulle part.
Mais sans suite et
sans
grande détermination
dans les idées
,
un autre jour que les
enfants étaient venus à
tr
ois ou
quatre reprises lui demander s'ils
ne pourraient pas " ravoir " le Vieux,
elle finit par se laisser fléchir, ou
se lasser, et dit, sans trop s'en rendre
compte peut-être, fatiguée de les voir
tourner autour d'elle :
— Prenez-le donc
à la fin
et
laissez-moi tranquille à la fin.
Et tout recommença comme
avant. On alla en haut, en bas,
autour du
lac et par-delà
le
ce
versant
-ci
de la colline.
Dans toute sa vie d'adulte
,
Isaac
n'avait
sûrement
probablement
pas vu autant de
petits coins
charmants
de son pays
que
comme
les enfants
,
avides de tout connaître, l'amenèrent
le menèrent
en
voir au cours de cet été-là.
Ils réussirent à capturer un spécimen
d'un des plus rares papillons
du monde
qui soient
,
qui,
par
on ne sait
par
quel caprice de la
c
réation, vient
au monde
à la vie
au monde
pour vivre une
Image
seule journée d'existence,
p
arée d'une beauté
inouïe de couleur, au fin
une lettre
fond de l'
Arctique
.
,
là où presque aucun regard ne l'a jamais pu voir.
Ne sachant qu'en faire, il le donnèrent au Vieux.
Sync
alinéa
[
Ils lui mettaient souvent aussi des petites
fleurs dans les mains.
Mais, hélas, ce n'étaient
que de jeunes
enfants insouciants, et ils l' "oublièrent"
encore une fois. Or, cette nuit-là,
Esmeralda s'était endormie de
bonne heure, abattue comme une
souche,
et ne se réveilla même pas au
grondement subit de
l'orage. Ensuite
tout se déchaîna.
La pluie tomba à plein ciel sur
le Vieux bien placé pour la recevoir
sur le
en
haut du mamelon. Les vents le
soufflet
aient
èrent
de tous
les
côtés. La nature
entière semblait lui en vouloir d'être
encore de ce monde, à moins que ce
ne fût le contraire et que, clémente
à sa manière, elle travaillât
cette
un mot
nuit
nuit
à
l'en le libérer
l'en soustraire.
Les éclairs révélaient de temps
à
autre, au sein de l'obscurité, son
visage inscrutable. Il avait toujours
été difficile de savoir à quoi il pensait,
même au temps où il se livrait encore un
peu, à cause d'une manière de parler
Image
rien qu'à lui, caustique et déroutante.
Mais, à présent, qu'en savoir ?
Son visage ruisselant a
Par exemple cette idée,
soutenue
exprimée
par
de
lui, que
l'on devrait mourir sans faire d'histoire,
alors que maintenant, comme mis au
démenti, il n'y arrivait pas...
Son visage ruisselant apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté,
rien qu'à lui, caustique et déroutante.
Par exemple cette idée naguère
exprimée par lui que l'on devrait mourir
en faisant le moins d'histoire possible
et à laquelle aujourd'hui il n'arrivait
pourtant
pas à se conformer, comme pour se donner
à lui-même
un démenti.
Son visage ruisselant apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté, s'effaçait
en même temps que des tourbillons de
nuage, revenait sur l'horizon.
Était-il content, comme d'une aide
enfin
secourable,
enfin,
des gifles du vent, des
trombes d'eau et de la grande amertume
des éléments en toute sympathie peut-être
[]
[illis.]
cette nuit
[]
[illis.] à ce qui souffre, ce qui
attend, ce qui
espère ?
un mot
? Ou pensait-il plutôt
Image
aux autres, à cette heure,
au
bien au chaud,
à l'abri ?
aux autres, à cette heure
à l'abri, bien au chaud?
bien au chaud, à l'abri ?
La pluie cessa. Sur
le haut de
la butte
chauve, dans ce pays sans arbre
,
Isaac,
é
c
rasé dans son fauteuil
,
faisait
aurait pu
faire
penser à quelque créature végétale
toute
abîmée par trop d'eau. Mais, l'orage
passé, l'arbre du moins peut se
secouer, le vent aidant, et commencer
à se sécher.
Pour lui, il ne pouvait
même pas grelotter
et
pour s'aider à
chasser le froid de ses membres.
Il vivait encore pourtant quand le
village en bas s'éveilla par une claire et brillante
claire
matinée de fin d'été.
IV
Pour quelles
vraies
raisons
,
au fond
Esmeralda
,
au fond,
se mit-elle en frais de le soigner encore ?
Par compassion ? Par remords ? Ou
surtout
peut-être surtout
par entêtement, par habitude ? Il est sûr que,
celle-là prise, il n'est pas facile de savoir
quand y renoncer, comme il faut
bien
pourtant
y
arriver
à s'y faire un jour.
. Esmeralda semblait
s'être
un mot
au jeu
prise au jeu. Elle
enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures.
Elle le transporta d'un coin à l'autre là où il
Image
avait
le plus
un peu
de soleil. Elle lui eut de la
péniciline d'une voisine
qui
à qui il en
était resté de la dose laissée
chez elle
p
ar l'infirmière à sa dernière visite.
Elle fit t
an
t et si bien qu'elle
réussit, comme elle put s'en vanter, à
« sauver » Isaac, et en tira un
curieux mélange de fierté,
et
de
fatigue et, tout compte fait
,
d'embarras, car « sauvé » Isaac
ne valait pas cher.
Il était même à ce point fondu
et rapetissé que sa bru pouvait
aisément le porter à bras d'un
coin à l'autre de
la
hutte quand
elle se mettait en tête de
donner
nettoyer partout.
Il y eut quelques beaux jours
encore. Au cours de l'un d'eux,
comme Esmeralda surprit le regard
d'Isaac fixé sur le fauteuil, elle
se laissa apitoyer. Pauvre Vieux, il
avait donc à ce point pris goût à
son trône !
Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula
au dehors de manière à ce qu'il
pût avoir un
e
petit aperçu
encore
du lac
et du ciel, sans pour cela le perdre
elle-même de vue du fond de la hutte
Image
et des
molles
rêvasseries qu'elle y poursuivait.
— C'est fini, lui expliqua-t-elle,
de nouveau,
de
rôder de tous
les bords
bords, de tous
les
côtés.
Vous allez rester devant la porte maintenant,
le père.
Crut-elle voir
s'allumer
une lueur de défiance
dans le vieux
regard si las ? En tout cas,
elle alla s'occuper de choses et d'autres et
revint le disputer un peu :
— Des
peurs
comme vous nous en
avez faites, faudrait plus que ça recommence.
Les enfants passaient sans plus
s'arrêter pour demander comme une gra
^
ce
de promener le Vieux. Ils avaient d'autres
jeux en tête, et puis, à la longue, s'était
usé le bizarre attrait du grand fauteuil
a
`
dossier
roues
. On ne sait d'ailleurs trop
comment cela s'était fait, d'étape en
étape, mais un jour on fut devant
l'évidence : pas plus que les vieux pneus
échoués par ici, pas plus que les bidons
à
vides de
mazout
s
enta
s
sés en colline
, au rebut,
le fauteuil faisait-il encore de l'effet.
Il était
enfin
entré dans le paysage
.
un point c'est
tout.
En même temps que son fauteuil,
Isaac avait aussi
,
peu à peu
,
perdu
de l'importance.
Il n'y eut plus guère pour l'approcher
Image
en tout temps, avec une curiosité sympathique
mêlée à de la crainte, qu'un pauvre
chien boiteux que de jour en jour
l'on remettait d'abattre parce que
naguère il avait été si vaillant.
Or la caresse à laquelle s'était
longuement exercé
Isaac
, à l'usage des
enfants, quand enfin il fut capable
de l'esquisser, il
Or la caresse à laquelle
s'était longuement exercé Isaac
pour le cas où les enfants reviendraient
le chercher, quand enfin il put
l'esquisser,
il
ce fut le chien
qui se trouva là pour la recevoir.
C'était un pauvre chien qui n'avait
jamais pour ainsi dire senti la main de
l'homme se poser sur lui uniquement
par amitié. De surprise, il s'assit,
tout tremblant, les yeux dans
le regard de l'homme, et
il
se prit
à pleurer comme s'il était capable
tout d'un coup
de
penser à
revoir
toute
sa vie
de chien
d'un bout
à l'autre, de fil en aiguille.
C'avait été malgré tout un
bien bel été... mais il s'achevait
et rien ne pouvait faire qu'on
n'entrât
n'entrerait
Image
bientôt dans le cruel hiver tout claquemuré.
De jour en jour, se décidant à la toute
dernière minute seulement à sortir encore
une fois le Vieux, Esmeralda l'avertissait
charitablement :
— C'est peut-être la dernière fois
,
.
le père.
Était-ce donc pour cela qu'il
regardait si intensément
à chaque jour
le ciel et le lac?
De l'endroit où Esmeralda
installait le fauteuil jusqu'au bord
du lac il n'y avait pas loin
,
en fait
,
une trentaine de pieds seulement, et
le terrain était en pente assez bien battue.
Sans cesse donc Isaac gardait l'oeil
fixé sur l'eau à ses pieds. A l'approche
du gel elle était lourde déjà, un peu
figée sur les bords.
Presque
s
ans mouvements,
presque,
elle reflétait à merveille
la chaude couleur des lichens
qui
ourlait
avant leur mort. Ils ourlaient
le tour entier du lac d'un bel ourlet
régulier et
magnifique
minutieux
. C'était presque
le plus beau temps de l'année, à bien
y penser, vivifiant, court,
et
poignant.
Sous la couverture qu'on avait mis
sur les genoux du Vieux
,
on ne s'apercevait
pas que sans arrêt
, sans arrêt,
sa
main
s'exerçait à
tentait de faire
tourner la rou
e
droite du fauteuil.
Image
Un jour il y parvint. Esmeralda
leva la tête juste à temps pour le voir
filer. Elle ne fit qu'un saut, attrapa
le fauteuil à deux doigts du bord du
lac. Elle était toute tremblante de
crainte, d'énervement, de dépit, et
sans doute
,
en son agitation
,
entraient
-ils
bien
d'autres sentiments encore
bien moins compréhensibles.
qui se contredisaient tous les uns les autres.
— En voilà des choses à faire !
reprocha-t-elle.
à Isaac.
Elle cherchait de l'oeil une bonne
grosse pierre pour caler le fauteuil et se
fâchait de
ne
n'en
point
en
voir. Elle
l'aurait bien
remisé tout de suite
rentré
et remisé une bonne fois
pour toutes mais pour lui faire place
dans la cabane il fallait d'abord en
sortir des tas d'objets
à qui il fa
auxquels il fallait
auparavant
trouver de la place
ailleurs. On
en
était
toujours, dans ce
grand pays
à peu près vide
sans limites
, à court d'abri.
Enfin elle trouva un bout de bois
pour caler le fauteuil. En se relevant,
toute
essouff
essoufflée, à moitié
Image
triomphante d'avoir encore une fois réussi, à
moitié
étonnée
abattue
d'avoir encore avec tout
cela le Vieux sur les bras, elle recontra
,
au
fond de ce visage mort
,
un regard
étonnamment vivant encore, doué
d'une volonté bien personnelle, et qui lui
criait
dans le silence
silencieusement :
— Pourquoi ? Mais pourquoi, à la fin ?
Elle avait toujours su
au fond
que s'il parvenait jamais à parler
intelligiblement
,
ce serait ce qu'il
lui demanderait,
m
ais elle n'avait
aucune réponse prête. Elle ne savait
pas plus que lui,
au fond,
pourquoi elle cherchait
à le garder
.
De l'oeil, elle fit le tour
du tragique horizon nu et crut voir
que c'était peut-être en partie à
cause de l'opinion.
des autres.
— Les choses se savent aujourd'hui,
essaya-t-elle de lui faire voir. Tout
se sait. On est de
s
civilisés maintenant.
Elle frissonna sous un coup de vent plus
rude venu du fond des déserts nordiques.
— Les choses se savent loin, loin, loin,
dit-elle avec une sorte d'amertume
mêlée à de l'émerveillement.
tout de même.
Vous avez vu avec Deborah : « ils » sont
arrivés avec toutes leurs questions « ils » ont
Image
— demandé pourquoi. « Ils » ne nous ont pas
laissés tranquilles
laissés en paix. Il
faut vivre jusqu'au bout à présent.
... quand on peut.
Elle se pencha sur lui,
le couvrit
un peu mieux
lui arrangea sa
couverture, le menaça,
comme impuissante,
sans méchanceté :
— « Les choses se savent ... »
et elle
courut vivement se mettre au
chaud dans la cabane
,
.
car, décidément,
l'air tournait à l'hiver aujourd'hui.
aujourd'hui, l'air tournait à l'hiver.
Image Image
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État 2-Le fauteuil roulant
Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à
recevoir le colis qui leur serait livré par les
airs. Gros et encombrant comme il était, on se
l'imaginait mal porté à dos d'homme à
travers la toundra raboteuse avec ses
petits lacs à l'infini, un pour ainsi dire
pour chaque creux de terrain.
L'avion toutefois ne se poserait pas.
Il survolerait le village tout en cherchant
du coin de l'oeil l'endroit le plus propice
pour y laisser choir le colis avec les
plus
grands ménagements.
possibles.
Aux Esquimaux
à eux
du village de le recueillir et d'en
prendre
grand
bien
soin
car
,
il est peu probable
qu'on recevrait
jamais
un autre
cadeau de ce genre dans
l'Arti
l'Arctique
.
C'est ainsi, par un beau soir que par
Image
C'est ainsi, par un beau soir
d'été qui n'en finissait plus
de durer
, qu'arriva
à
Igu
Ivugivik
le fauteuil roulant
pour
destiné à
Isaac qui depuis son
accident à la chasse au phoque,
l'hiver précédent, était resté pour
ainsi
de
changé en
roc de la tête aux pieds. La
chose
nouvelle
avait dû se savoir et
même se répandre, en dépit de
ce que Isaac ne se connaissait
personne en dehors de son village,
puisque
car
était
étaient
arrivé
s
d'abord
une lettre
d'une Société philantrophique
annonçant
le fauteuil
l'arrivée
du fauteuil et puis
et puis
peu après, ce soir-ci, le fauteuil
lui-même.
Retiré de sa caisse, il fit dans
le désert
un mot
du
Nord
un effet
extraordinaire avec ses appuis chromés,
Image
son siège rembourré et ses hautes roues
garnies de caoutchouc, que l'on pouvait
actionner de la main.
Les bien-portants eurent l'idée
de l'essayer pour voir ce que cela pourrait
donner d'être devenus
des
des
un mot
invalides,
et se mirent à rire et eurent un
plaisir fou à s'imaginer n'avoir plus
jamais à présent à mettre un pas
devant l'autre, seulement à se laisser
promener là-dedans pour le reste de leurs
jours.
A la fin on songea pourtant à venir
le montrer au vieil Isaac.
Le Vieux était bien changé depuis
le temps où il avait soutenu
avec tant de
[]
[illis.]
si allègrement
que, le temps venu de mourir, on y
passait, un point c'est tout. A tout
venant alors il proposait l'exemple de
Image
son aïeule ayant demandé
d
'être
libérée de la vie et comment on
avait accédé à son souhait.
Peut-être était-il
puni
pour avoir
trop dit et redit qu'il était facile de
mourir. Lui-même n'y parvenait
point et n'avait
pourtant
pour ainsi dire
plus que cela
pourtant
à l'esprit,
laissé à lui-même dans ce coin
précisément de la hutte ou sa
fille Deborah avait attendu la
mort,
et
mais
elle s'en était tirée elle,
tandis que lui ! ...
A la vue du fauteuil, qu'est-
ce qui pu bien
encore
remuer de pensées dans
la vieille tête endolorie ? Isaac
en tout cas parut examiner le
fauteuil de son oeil valide.
Pour
A
quelqu'un qui ne s'était jamais assis que
Image
par terre ou, à la rigueur, sur un petit banc
de bois dur
à l'église,
cette espèce de grand siège
à haut dossier
devait paraître
dut avoir l'air
comme
d'
un trône
peut-être
sans doute
. Tout un
côté du visage inerte, l'autre guère
plus animé, la physionomie d'Isaac
ne démontrait à peu près rien. Quant
aux sons qu'il parvenait encore à émettre,
ou
l'
on ne les comprenait pas ou l'on
feignait ne pas les comprendre.
Depuis la disparition de Deborah et l'enquête
qui avait suivi, l'on n'avait plus envie
de revoir par ici la Police et des envoyés
du gouvernement avec leurs singulières
questions :
— « Était-elle saine d'esprit ?
Parlait-elle d'en finir ?
Qu'est-ce qui
a pu la pousser ?
Avait-elle l'air découragée ? »
Donc on ne voulait plus de décès
qui eussent pu avoir l'air librement
Image
consentis. Un peu comme partout
ailleurs dans le monde, on s'était
mis à " garder " les gens, de gré ou
de force.
Appar
La mort qu'autrefois
on avait pu choisir
,
les yeux encore
plus ou moins ouverts, reculait,
devenait inaccessible aux Esquimaux
autant qu'aux Blancs.
Evidemment Isaac aurait
pu refusé d'avaler les bouchées
qu'on lui mettait dans la bouche
et qui étaient d'ailleurs loin
d'avoir toujours bon goût. Il semble
qu'il avait essayé une fois, mais
était-ce par dégoût de la vie ?
qu'il
menait ?
ou de la nourriture
seulement ? De toute façon, sa bru
Esmeralda la lui avait remise
sur la langue et en fin de
Image
compte Isaac avait
dû
avale
r
le bout de
viande.
Peut-être malgré tout se faisait-il
à sa petite vie réduite à presque rien,
dans son coin de la hutte, et y
était-il déjà à moitié engourdi
comme tant de fois au cours de ses
cha
sses il avait failli l'être par
le froid,
qui
sans trop y prendre garde.
Et voici qu'arrivait ce fauteuil pour
tout
compliquer
remettre en cause !
II
L'excitation joyeuse provoquée par
l'arrivée du fauteuil à peine émoussée,
d'autres sentiments commencèrent
à se faire jour.
— Faut-il être né pour la chance !
entendit-on de part et d'autre.
Ou encore :
Image
— Qu'a-t-il bien pu faire dans sa
vie, ce paresseux, pour mériter un
si beau fauteuil.
Quant la vieille cousine
d'Isaac, Eleonora, surgi
e
t
enfin
de sa tanière, ce fut pour ne
plus tarir d'envieuses
éloges
congratulations :
— Hé Hé ! Quelqu'un
était bien vu par ici ! Apparemment
il
ne
s'agissait de ne plus avoir
l'usage de ses jambes pour tout
obtenir en retour. Hé ! Hé ! le
cadeau était généreux ... généreux ...
— ... généreux ! .. généreux ! ..
essaya de répéter Isaac, peut-être
par protestation, ou avec malice,
mais cela ressembla plutôt à
" heureux ... heureux ... "
— Je te crois bien que tu as raison
Image
— de te dire heureux, renchérit sa vieille
tante Alfreda, passablement plus
âgée que lui, enflée des deux jambes,
et qui trouvait que ç'aurait été juste
d'avoir le fauteuil
à
pour
elle
-même
au moins
pour
au moins
une
au moins
moitié de la journée.
Mais alors la bru
d
'Isaac, Esmeralda,
s'avança pour
défendre les
prendre la parole au
nom
des droits de son beau-père, et
le bon oeil du paralytique parut
scintiller de satisfaction à
la
voir
remis
à leur
tout de même
prendre
ses
intérêts à coeur.
— Ce fauteuil-là, fit observer
Esmeralda à la ronde, est adressé
au Vieux, c'est à lui, et personne
ne va le lui prendre, ni une heure
par-ci, ni une heure par là.
Cela aussitôt décidé, on s'empara
Image
d'Isaac. A quatre, à six, on le porta
au dehors, on réussit à le
caser
hisser
dans le fauteuil. Presque
sur-le-champ, c'est étrange, il
eut
prit
l'air d'un vieux roi encore
sur son trône
régnant
, et presque tous en
furent frappés, à le regarder
maintenant avec une
toute
nouvelle
considération.
Quant à lui, était-il plutôt
content ? Ou plus triste encore ? C'était
fort difficile à dire. Personne ne
s'en souciait au reste, tant ils
avaient l'air heureux
et contents
tous
de fêter Isaac. Sans plus, on
partit en foule le promener par
son pauvre petit coin de pays dont
il n'avait rien vu depuis assez
longtemps.
Image
Tant le sol est cahoteux
par là,
là-bas,
en
bosses par ici en bosses par là,
abruptes et vilaines
toutes
sous
leur revêtement de mousse de
caribou, l'on ne pouvait aller vite,
mais même à petit train, presque
à chaque tour de roues butant
contre la mousse rêche, le Vieux
était quasi projeté hors
de son
du
fauteuil.
On voyait remuer un peu les coins de
sa bouche. Sans doute essayait-il
de parler ? pour se plaindre peut-être
ou pour demander d'être laissé tranquille,
qui sait ! Mais ses protestations étaient
perdues dans la bonne humeur générale.
D'ailleurs ses efforts accrus et
peut-être désespérés pour avoir voix
au chapitre ne faisaient qu'accentuer
le pli au coin de sa bouche qui lui
Image
donnait l'air de rire. Lui
voyant plus que jamais
cet air-là aujourd'hui
porta les femmes à rire
au fou rire
elles-mêmes,
toute la bande
ensemble et de plus en plus.
l'une entrai
^
nant l'autre et de
plus en plus au fur et à
mesure qu'elles étaient nombreuses
à trouver la situation drôle
comique
à rire
. De tant rire leur fit
perdre des forces pour pousser
le fauteuil dans les petites remontées,
ce
qui les amena à rire encore
plus, si bien qu'elles ne
pouvaient
parvenaient
plus
à
rien faire d'autre en fin de compte.
A quelque distance, les hommes,
à voir les femmes essoufflées
tant
s'esquinter
p
our
rien
si peu de résultat
partirent eux aussi à
rire tout d'un coup.
Image
On peut dire que cette première sortie
d'Isaac en son fauteuil fut marquée
par
la
une franche
gaieté.
X X X
Toutefois les femmes se lassèrent
assez vite de pousser le fauteuil. Nulle part
il n'y avait de terrain propice. Ou bien
c'était le lac autour duquel
était assem
étaient assemblées les huttes, ou bien
c'était le sol invariablement bosselé
et spongieux. Sur la mousse de caribou,
de consistance assez semblable au
caoutchouc, les belles grandes roues
tournaient non sans beaucoup de mal.
Les femmes finirent par céder le Vieux aux
enfants qui n'attendaient que cela.
De joie, ils dansèrent autour du
fauteuil.
Image
L'oeil en coin
,
et plein d'inquiétude,
peut-être,
Isaac les examina
autant
qu'il pouvait
que possible
, se demandant
sans doute ce qu'ils pouvaient bien
méditer et
entendaient
entendre
faire de
lui
lorsqu'ils
maintenant qu'ils
l'avaient en leur possession.
En fait ce n'était rien de terrible.
Seulement de le mener au sommet
du mamelon le plus proche.
Ils s'y attelèrent à dix
,
en somme
l'entière population enfantine du
village à partir de six ou sept ans.
L'un l'autre s'aidant à pousser,
chacun les mains appuyées aux hanches
de celui qui précédait, penchés tous dans
le même sens et sans gaspiller
leu
de
force à rire, ils montèrent petit à petit,
le fauteuil en tête, en une mince
Image
procession serrée comme celle de
fourmis bien accordées et parvinrent
enfin sur la crête de la colline
nue en plein ciel répandu à
l'infini. Alors seulement ils
s'accordèrent de se reposer.
Ici le souffle du vent était large
et pur. Au loin on pouvait apercevoir
la ligne bleue de l'océan glacial qui
n'avait rien aujourd'hui
dans sa rigueur
de dur. Le
ciel lui-même était rempli d'une
clarté
douce
et
un mot
. Le Vieux eut
l'air content.
de
Les enfants avaient-ils
donc
deviné que c'était précisément
l'endroit qu'Isaac
avait
avant
de mourir
avait eu le goût de revoir ? Savaient-ils
même déjà peut-être dans leurs
fins petits cerveaux que c'était
ce que presque chacun avant de
Image
mourir avait le désir de contempler ?
une ou deux lettres
Ou avaient-ils tout simplement
eu envie de venir jouer par ici ?
Ils semblèrent en tout cas
comprendre les quelques sons
par lesquels Isaac fit savoir
qu'il désirait demeurer en cet
endroit. Ils c
a
lèrent les roues du
fauteuil avec des bouts de
pierre et de mottes, comme le leur
avaient recommandé leurs
mères, et laissant là le Vieux
bien en évidence en plein milieu
du ciel, sur le
pic de la crête
plus haut de la crête, ils coururent
en toute hâte se mettre à jouer
autour d'un autre petit lac
qu'il y avait sur ce versant-ci
de la colline. Longtemps ils s'amusèrent
Image
à tenter
de saisir
d'attraper
des poissons avec leurs
mains nues, et ils menaient un
grand bruit joyeux qui parvenait au
vieillard en haut de la colline, dont
les cheveux s'agitaient au vent,
un mot
qui, immobile
mais qui, par
ailleurs, complètement immobile,
dans sa pose attentive paraissait
écouter, venu de de la mer et
du ciel, une sorte de grand sermon
silencieux.
Le vent propre le nettoyait des odeurs
de la maladie. Il lui arrivait même
à l'oreille, quand les enfants se taisaient,
quelque faible prolongement du
grand bruit de la mer
là-bas
qui
battait
le rivage lointain.
Ainsi, le pauvre Isaac qui n'avait
désiré que la mort depuis assez longtemps,
Image
à cause de cette belle journée de
sa vie sur le tard
,
parut malgré
tout reprendre maintenant
quelque peu
le
goût de vivre encore
un peu.
III
Souvent encore les enfants
le menèrent là-haut, soit qu'ils
eussent pressenti le bonheur
qu'en
qu'
éprouvait le vieil homme lorsque
soustrait à l'agitation humaine
et porté en plein ciel, soit qu'ils
eussent
plus
maintenant plus de
plaisir à jouer autour de ce lac-ci
qu'autour de celui du village.
Quelque fois cependant, dans
leur hâte de courir à la découverte
Image
de quelque chose de neuf pour eux
chaque jour par ici, ils l'abandonnèrent
dans des creux mornes où il n'y
à voir ni eau frémissante ni lointain
captivant. Alors le vieil Esquimau
semblait vraiment las d'en être encore
à vivre. Même ceux qui à cause de
son rectus prétendaient qu'il riait
encore tout seul, n'auraient plus
jamais eu le front de soutenir pareille
chose s'i
ls
avaient seulement pu le voir
dans les moments où les enfants
l'oubliaient trop longtemps dans des
dépressions de terrain que n'atteignaient
ni le vent ni le soleil.
Même les enfants, alors, quand ils
s'avisaient enfin de venir le chercher,
semblaient conscients de la détresse
d'Isaac et n'osaient pas trop le regarder
Image
du côté de son bon oeil, quelque peu
effrayés par l'intensité d'expression
qui cherchait encore à s'y exprimer.
Alors, le lendemain, pour réparer,
ils ne manquaient pas de remonter
le Vieux sur le pic de la crête.
Et le vieillard faisait de grands
efforts pour allonger la main et
chercher à tapoter les petites joues
rondes. Tous les jours il s'y exerçait.
Peut-être au fond, depuis que
les enfants lui donnaient tant de
plaisir, souffrait-il surtout de
ne pas parvenir à leur faire
de caresses
Un jour pourtant ils l'oublièrent
au plus
en
haut du mamelon. Les
Image
mères ne s'avisèrent pas non plus tout
de suite que les enfants revenaient
seuls. On était maintenant tellement
habitué à les voir toujours ensemble,
eux et le Vieux qu'ils trimballaient
à la journée longue, que cette fois
aussi, par une illusion de la
mémoire et de l'image qu'elle
avait tant de fois enregistrée, on
se figura les avoir vus
ensemble
réunis
aujourd'hui
encore comme d'habitude.
Même Esmeralda, l'heure du
souper venue, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce
jour-là en veine de fainéantise
et avait averti tout son monde
d'avoir à se chercher à manger
,
chacun
pour soi, car elle-même entendait
rester les bras croisés et la tête libre.
Image
Il y avait des moments où l'atavisme
renaissait très fort c
h
ez
tous
ces
gens-là, pour subir ensuite
une terrible mise en déroute.
Toutefois, à près de minuit,
quand tout le monde fut rentré
se coucher, il n'y eut pas moyen
de ne pas s'apercevoir que le Vieux
n'y était pas.
Fort mécontente, Esmeralda
sortit de la hutte. Les étoiles
étaient pâles et comme incertaines
encore dans le ciel à peine
assombri. Esmeralda lança
des cris aigus de tous côtés,
rappelant à la maison Isaac.
Peut-être avait-elle oublié
dans sa mauvaise humeur
qu'il n'aurait guère pu ouvrir
Image
la bouche assez grande pour lui répondre.
Elle se tournait vers un côté
du pays et appelait, la tête levée
haut, puis se retournait de l'autre
côté et
appelait
encore
de nouveau
, un peu
comme
à la manière
des chiens qui d'ailleurs
avaient commencé à s'agiter et
à donner aussi de la voix.
Malgré
tout,
En dépit de tout ce charivari,
les autres avaient toujours l'air de
continuer à dormir paisiblement.
Esmeralda en fut vexée peut-être
et se plaignit, face au ciel nocturne,
d'être pour ainsi dire la seule à
s'inquiéter au sujet du paralytique,
les autres n'étant ni plus ni
moins que des sans-coeur.
A ce moment même, comme elle
se trouvait à regarder du côté du
Image
gros mamelon à droite, elle perçut
cette fois distinctement le Vieux
en son fauteuil qui plus que
jamais avait l'air d'un roi,
trôna
là-haut, dans sa pose hiératiqu
tout découpé
en noir,
comme une
image, sur un fond de ciel de
transparence obscure.
Elle s'en fut le chercher, mau
gréant un peu,
et, tout en le
un mot
et, tout en le
ramenant de peine et de misère
elle n'arrêta pas tout au long
de la descente
ne cessa pas
non plus de le morigéner comme
si c'était par sa faute qu'il était
resté dehors si tard.
— En tout cas c'était fini, lui
signifia-t-elle, de se trimballer de
tous les côtés. Dès lors il resterait à
Image Image Image
gros mamelon à droite, elle perçut cette
fois distinctement le
V
ieux, les mains
aux accoudoirs, la tête dans les nuages,
une image noire sur noir, se
découpant bien dans la nuit de
transparence obscure et qui plus
que jamais faisait
[]
[illis.]
penser à un vieux
[]
[illis.]
roi
abandonné
dépossédé
... roi dépossédé.
Elle
éprouva
en eut comme des
remords et s'empressa d'aller le chercher,
mais ne put se retenir en le ramenant
,
tout au long de la descente qui lui
donna du mal,
un mot
de le
morigéner un peu
Isaac
comme si c'était par sa faute
[]
[illis.]
s'il était resté dehors si tard.
— En tout cas c'était fini pour lui, lui
soulig
signifia-t-elle, de rôder de tous les côtés.
Dès maintenant il resterait à la maison, et, si
parfois
encore, elle permettrait qu'il s'asseoit encore dans
Image
—
la maison. Si elle permettrait encore
peut-être qu'il s'asseoit dans le
le
fauteuil, ce serait
pour y rester et
non
pour aller
partout de cote
nulle part.
Molle toutefois et sans persistance
dans les idées, Esmeralda, aux enfants
qui ne se lassaient pas de venir
lui demander jour après jour
s'ils pourraient ravoir le Vieux,
une bonne fois, sans trop s'en
rendre compte peut-être, et comme
joyeusement, accèda à leur demande.
— Prenez-le donc à la fin et
laissez-moi tranquille.
Et tout recommença
comme avant.
On alla
en haut, en bas, autour du lac et
par-delà ce versant
-ci
du village. Il
est probable qu'Isaac, cet été-là,
put
entrevit des aspects de son propre
Image
[]
[illis.]
pays et de la nature
tels qu'
dont
il
n'en
n'
aurait jamais eu
l'
idée,
n'eût été l'ardente curiosité des
enfants et leur désir de tout
connaître.
Mais, hélas, ce n'étaient que des
enfants, et une fois encore ils
l' « oublièrent » . Or, cette nuit-là,
Esmeralda s'était endormie de
bonne heure, abattue comme
une souche, et ne se réveilla
même pas au grondement subit
de l'orage. Ensuite tout se déchai
^
na.
La pluie tomba à plein ciel
sur le Vieux bien placé pour la
recevoir sur le haut du mamelon.
Les vents le souffetèrent
des deux
de tous
les
côtés à la fois.
Toute
l
L
a nature
[]
[illis.]
semblait
le mépriser
vouloir le
Image
punir d'être encore de ce monde,
impuissant comme il était. A moins
que ce ne fût le contraire et que,
clémente à sa manière, elle travaillat
cette nuit à l'en soustraire. Les
éclairs de l'orage révélaient un
instant, au sein de l'obscurité,
son visage inscrutable. (Il avait
2
déjà été difficile de savoir à
quoi il pensait,)(
même
au temps
1
où il se
livrait tout de même une petite part de
ses pensées, à cause d'un tour d'esprit
peu ordinaire
assez original et d'une certaine
manière de voir rien qu'à lui
seul. Mais maintenant !
Son visage inondé
livrait
quelque
un
peu
,
) à cause
3
d'une manière
de voir rien qu'à lui, caustique et
déroutante ! Mais maintenant !
Image
Son visage ruisselant apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté,
sombrait dans la nuit, reparaissait
à la lueur d'un éclair qui
sabrait
déchirait
l'horizon. Il était impossible
d'y lire s'il était content à chaque
gifle du vent qui peut-être hâtait
sa fin. Ou s'il ne pensait pas
plutôt aux autres bien à l'abri
dans les huttes contre le mauvais temps.
Enfin la pluie cessa. Isaac
ressemblait à un vieil arbre, tout
inondé,
un mot
qui a survécu de
justesse. Mais,
l'arbre du moins
l'orage passé,
peut se secouer et,
le vent
venant à son secours
aidant
,
commencer à se sécher.
Pour Isaac,
il ne pouvait
mouillé de la tête aux pieds,
il grelotta
Image
dans le froid vif qui succéda à l'orage,
il
ne pouvait même pas grelotter
dans le froid vif qui le saisit.
Pour on ne sait quelle vraie
raison au fond, Esmeralda se
mit en frais de le soigner.
Peut-être tout simplement parce qu'elle avait un jour commencé et
[]
[illis.]
Elle
le garda plusieurs jours enveloppé
dans
les
ses
plus chaudes couvertures. Elle
mêla à son manger de la peniciline
qu'elle
avait eu
eut
d'une voisine
à qui il en était resté
après la visite
de l'infirmière pour soigner
de la dose
laissée
distribuée par l'infirmière du
Gouvernement.
pour soigner les celle-là.
Elle le "sauva" et en ressentit une
étrange fierté, comme d'un véritable
tour de force accompli et ne cessa plus
de s'en vanter aux autres,
laissait
donnant à entendre que cette fois-ci, sans
Image
elle, hein, le Vieux y aurait passé.
Il était
red
devenu si maigre
qu'elle pouvait le porter à bras
d'un coin à l'autre,
pour
débarasser, quand elle
se mettait en
faisait
frais de temps
[]
[illis.] de faire du ménage
le ménage. Quelquefois encore,
elle prenait la peine de l'installer
dans le fauteuil, lorsqu'elle
ne pouvait vraiment pas
faire autrement que de rencontrer
son bon oeil,
vivant
tenace
encore,
tant ça lui faisait quelque chose
de voir dans le visage mort
ce
regard si curieusement
vivant
insistant
.
Elle poussait le fauteuil dehors,
mais pas loin, pour l'avoir sous
à
l'oeil,
et
sans être
pour cela
contrariée
pour cela
dans
la poursuite
des
de ses
molles
et agréables
rêveries
coutumières
. Alors, parfois, elle
Image
prenait la peine de lui expliquer pourquoi
elle agissait comme elle le faisait.
— Vous nous avez fait une trop
grosse peur la nuit de l'orage.
Faudrait pas que ça recommence.
Elle ajoutait
Elle faisait un petit tour dans ses
propres rêveries
puis
et
l'avertissait :
— Vous n'irez plus
bien
loin
maintenant. C'est fini, grand-père.
Était-ce illusion? Il lui
[]
[illis.]
semblait
voir s'allumer une lueur de défiance
dans le vieux regard si las.
Les enfants passaient sans
plus s'arrêter ni demander comme
une grâce de promener le Vieux. Ils
avaient d'autres jeux en tête, et puis,
en fin de compte, s'était usé le
bizarre attrait du grand fauteuil à
Image
haut dossier. On ne sait trop comment
cela s'était fait, petit à petit,
d'étape en étape, mais enfin,
un jour, on s'était trouvé
devant l'évidence : pas plus que les
vieux pneus crevés échoués
par
ici, pas plus que les bidons
de mazout entassés en colline, le
fauteuil ne faisait encore d'effet.
En même temps que son fauteuil,
Isaac avait perdu de l'importance.
Il n'y eut plus guère pour l'approcher
en tout temps, avec une curiosité
sympathique mêlée à de la crainte,
qu'un pauvre chien galeux que
l'on remettait
de jour en jour
d'abattre
parce que
autrefois
naguère
une lettre ou virgule
il avait été
si vaillant.
Or la caresse à laquelle Isaac
Image
s'était longuement exercé, à l'usages des
enfants, quand enfin, à bout d'efforts, il
réussit à l'esquisser, ce fut le chien qui
apparement
se trouva là pour la recevoir. C'était bien
la première fois qu'une main humaine
flattait son
petit
pauvre
front étroit où
s'était
logeait
sans doute
logé
aussi
logé
le souvenir de bien des
misères.
[]
[illis.]
De surprise, il s'assit, tout tremblant,
et, les yeux dans le regard de l'homme,
il
se prit à pleurer longuement.
Malgré tout ça avait été un bel été
mais il n'
[]
[illis.]
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État 1-Le fauteuil roulant
Les gens avaient été avertis de se
tenir prêt à recevoir le " cadeau " qui
ne pourrait évidemment leur être
livré que par les airs, gros et
encombrant comme il était. On se
l'imaginait mal en effet porté
par
sur le
quelqu'un
dos
à travers la raboteuse
toundra. Donc il leur serait descendu
du ciel. L'avion toutefois ne se poserait
pas. Il survolerait le village en
cherchant de l'oeil l'endroit le plus
favorable où laisser choir doucement
le colis protégé autant que cela
se pouvait contre les heurts. A eux
de le recueillir et d'en prendre un
soin extrême, car,
un mot
de mémoire
d'homme, c'était la première
fois que
Image
pareil objet allait parvenir dans
l'
Arctique
et sans doute
peut-être bien
aussi
cela
la dernière.
ne se reproduirait pas de sitôt.
C'est ainsi qu'arriva à
Ivugivik
, par un beau soir d'été,
le fauteuil roulant
et
ce serait
sans doute la dernière
fois
qu'un objet de ce genre
parviendrait
était expédié
dans l'
Arctique
.
C'est ainsi,
que
par un beau
soir d'été, tout doré et frémissant
de clarté, arriva à
Ivugivik
le
fauteuil roulant destiné à Isaac
lequel, à la suite de son accident
à la chasse au phoque l'hiver
précédent, était resté comme un
bloc de bois, presque entièrement
paralysé,
sans
mouvement.
et
a
A
pparemment la
chose s'était sue, même répandue
,
car
en dépit de ce que Isaac ne
se connaissait pas d'amis en
dehord de son village, puisque,
ce beau
Image
soir d'été
d'abord il
était
venu
arrivés
d'abord une
cette
une lettre d'une Société philantrophique
annonçant
l'arrivée
la livraison
du fauteuil, et puis, ce soir-là enfin,
le fauteuil lui-même.
Retiré
aussitôt
de sa caisse de
bois, il fit un effet extraordinaire
avec ses appuis chromés, son siège
rembourré et
surtout
ses deux belles
grandes roues
garnies de caoutchouc
que l'on pouvait
actionner de la main.
Tous les bien-portants eurent
l'idée de l'essayer et rirent et
eurent un plaisir fou à s'imaginer
être devenus invalides et
se promenant
ne plus
et n'avoir plus maintenant
avoir à se promener maintenant toute
leur vie ne plus jamais
maintenant
jamais à
marcher,
mais à
seulement à
se promener
maintenant
là-dedans pour le reste de leurs jours.
Image
et n'avoir plus maintenant qu'à se laisser promener là-dedans pour le reste de leurs jours.
Enfin pourtant on songea à
l'amener
le montrer
au vieil Isaac à qui il était
bel et
bien
adressé.
destiné.
Isaac était bien changé depuis
le temps où il avait tant raillé
ceux qui
s'accrochaient
tardaient
à s'en aller de cette vie, le
temps venu, y compris
Isaac était bien changé
depuis le temps où il avait soutenu
si allègrement que, le
temps
jour
venu
de mourir, on y passait, un point
c'est tout, et que sans cesse
il avait
alors
proposait
alors
l'exemple de la Vieille
partie d'elle-même vers sa libération.
Peut-être était-il puni
ayant
il avait alors proposé en exemple la Vieille
ayant
demandé elle-même
sa libération
à être libérée de la vie.
Peut-être était-il puni pour
avoir raillé ceux qui s'accrochent
Image
à l'existence et sont à la charge des autres.
à
la vie
l'existence
,
ou pour manque de
sympathie humaine.
Toujours est-il
qu'il avait tout loisir
maintenant
de réfléchir
longuement à tout cela
abondamment là-dessus
, laissé à
lui-même
précisément
dans
l
c
e
même
coin de la hutte
un mot
précisément
avait occupé sa
un mot
pauvre
où avait tant souffert sa
fille
pauvre
Deborah
,
mais
d'où elle
avait
tout de même
pu se tirer, elle, un beau
jour
,
.
quand elle en
Tandis que
lui! ...
A la vue du fauteuil
,
on peut
qu'est-ce
toujours cherché à
s'
imaginer un peu ce qui se passa
qui peut bien se passer
dans la vieille tête ! De son oeil
encore valide, Isaac l'examinait.
Pour quelqu'un qui ne s'était jamais
assis que par terre ou, à la rigueur,
à l'église, sur un petit banc dur,
cette sorte de grand thrône princier
pouvait lui faisait-il apparaissait-il
Image
comme un hommage? Ou
comme une dérision?
devait paraître bien impressionnant.
Tout
un côté
de son
du
visage raide, aux
comme
rides figées, l'autre
guère plus vivant,
il
Isaac
ne pouvait
guère démontrer ses sentiments.
Quant
à ses
aux
paroles qui
pouvaient
parvenaient
encore
à
franchir
s
s
a bouche tordue,
ou bien on ne les comprenait
pas, ou bien on feignait de
ne pas les comprendre. Depuis
la disparition de Deborah et
l'enquête qui avait suivi, on
n'avait pas envie, au village,
d'avoir encore ici la Police, puis
des envoyés du Gouvernement
et
avec
leurs
des
questions
à n'en plus finir. Donc plus
de décès qui pouvaient avoir
l'air consentant. Aussi bien, on
Image
s'était mis à soigner plus ou moins
tout le monde, de gré ou de force.
La mort qui allège, que l'on
pourrait
pouvait
encore comme autrefois
avait pu autrefois
choisir de préférence à
une
la
vie
,
maintenant
trop
dure, cela
était devenu
e
apparemment
aussi inaccessible aux Esquimaux
qu'aux Blancs. Et c'est ainsi
qu'Isaac était gardé de force en
vie.
Evidemment, il aurait pu
refuser d'avaler les bouchées qu'on
lui mettait dans la bouche et
qui
un mot
étaient d'ailleurs loin d'avoir
toujours bon goût. Il semble qu'il
avait essayé une fois de les
cracher, mais était-ce
parce
à
cause du
goût
dégoût
ou parce qu'il
de
la nourriture ... ou de la vie
plutôt? En tout cas, on lui avait
Image
remis la bouchée sur la langue
et il avait bien fallu qu'il l'avale.
Peut-être se faisait-il peu à
peu
malgré tout à
cette vie
sa petite vie immobile, dans
son coin, réduite à presque rien,
hormi
s
ce qui pouvait
encore
se
passer dans sa tête, et
s'engourdissait-il doucement
à peu près comme si c'était au
froid. Et voici qu'arrivait
ce fauteuil pour tout remettre
en cause !
Image II
L'excitation provoquée par l'arrivée
du fauteuil à peine un peu émoussée,
d'autres sentiments commencèrent à
se faire jour.
— Faut-y être né pour la chance!
Recevoir pareil cadeau
,
!
s'exclama
sa dernière bru vivante qui n'était
guère venue près de lui depuis quelques
semaines.
Quant à la vieille cousine d'Isaac,
Eleonora, surgie enfin de sa tanière,
ce fut pour ne plus tarir d'envieuses
congratulations:
— Hé Hé ! Quelqu'un
était bien vu ! On était drôlement
généreux envers un
était bien vu
par ici ! Apparemment, il ne s'agissait
que de ne plus avoir l'usage de ses jambes
Image
— pour tout avoir! Hé Hé ! on
était généreux ... généreux ...
— ... généreux ! .. généreux ! ...
...
essaya de répéter Isaac en
guise de protestation peut-être
ou de commentaire m
al
icieux,
mais cela ressembla plutôt à
" heureux ... heureux ..."
— Je te crois bien que tu
as raison de te dire heureux,
l'appuya sa vieille tante Alfreda
passablement plus âgée que lui,
enflé
e
des
deux
jambes et qui
aurait bien tenu à avoir le
fauteuil pour une petite moitié
de la journée.
Mais alors, avec ce qui eut
l'air d'une certaine satisfaction
tout de même, un pétillement dans son
Image
oeil valide, Isaac vit que sa bru,
Esmeralda, point si méchante au
fond, entendait
défendre ses
se porter
à la défense de la stricte justice.
— Ce fauteuil-là, fit-elle observer
à la ronde, est adressé au Vieux, et,
qu'il moi vivante,
personne ne
le lui prendra même pas pour une
heure par-ci, une heure par-là.
Ainsi fut
-il
décidé, et sur-le-
champs on s'empara d'Isaac. A
quatre, à six, on le traîna au dehors
et on réussit à le hisser dans le
fauteuil.
Le Vieux eut-il l'air un peu
content, ou plus triste, c'était difficile à dire.
Presque
T
t
ous les autres cependant
, à le voir
dans son grand fauteuil,
en
furent
dès ce moment prirent
prirent dès
Image
lors un visage heureux.
On
Sa
ns plus
on
partit
sans plus
promener
Isaac par son petit coin de
pays dont il n'avait rien vu
depuis assez longtemps.
Tant
le sol est cahoteux par
là, fait
un peu
partout de bosses
à peine
rondes comme des
termitières, traîtres sous leur mousse
de caribou, on ne pouvait pas
aller vite, mais même
au ralenti
en
y
allant si peu vite,
ainsi,
à chaque tour
des roues butant contre la mousse
rêche, le Vieux était quasi projeté
hors du fauteuil. On voyait
qu'il
remuait un peu
le coin de
s
l
a bouche
,
remuer un
peu et qu'il
essayait de parler
,
peut-être pour se plaindre ou
demander de le laisser tranquille, qui
Image
sait ! Mais ses efforts accrus et peut-
être désespérés lui donnèrent comme
jamais
encore
aujourd'hui l'air de rire.
De lui voir cet air-là porta les
femmes à
éclater de rire tout d'un coup.
éclater de rire.
rire
un mot
à grands éclats.
Elles
en perdirent des forces pour le
pousser dans les petites remontées,
a q
ce qui les amena à rire
encore plus, si bien qu'elles ne
pouvaient
presque
plus rien faire d'autre
.
finalement.
un mot
A quelque distance, les hommes,
à voir les femmes essouflées
s'esquinter à pousser le fauteuil,
partirent
à rire
eux aussi
de tout leur coeur.
En fin de compte, cette première
promenade d'Isaac dans son fauteuil
eut tout l'air d'être un
grand
succès.
X X X Image
Les femmes se lassèrent
malgré
quand
même
tout
assez vite de pousser le
fauteuil. Nulle part il n'y avait
de terrain propice. Ou bien c'était le
lac autour duquel était bâti le
village, ou bien c'était le sol
tout autour
invariablement
boss
bosselé et spongieux. Sur
son
le
lichen
à la fois
presque
partout
répandu,
en fin de compte
les
belles roues
chromées avec bord
à bord
un ou deux mots
protégées
garnies
de
caoutchouc
tournaient non sans beaucoup de mal.
en fin de compte
refusaient de tourner.
Les femmes finirent par céder
le Vieux aux enfants qui n'atten-
daient que cela.
Ils en dansèrent de joie
autour du fauteuil.
Image
L'oeil
inquiet
agité
en coin
,
ne pouvant d'aucune façon tourner sa tête raidie
il les examina
autant qu'il pouvait, en se demandant
peut-être avec
inquiétude
ce qu'ils
méditaient et pourquoi ils étaient
si contents de l'avoir enfin
à
e
n leur
possession.
En fait, ce n'était rien de bien
terrible. Seulement de le mener
jusqu'au sommet du mamelon
le plus proche.
Ils s'y attelèrent à dix, en somme
presque toute la petite population
enfantine à partir de six ans.
L'un derrière l'autre et s'aidant
à pousser, chacun les mains appuyés
aux hanches de celui qui précédait,
penchés
tous dans le même sens et
sans perde de temps à rire, ils
montaient
montèrent
peu à peu, le fauteuil en tête, en
Image
le fauteuil en tête, en
une petite procession appliquée
et studieuse
qui parvint enfin
parvenue enfin sur la crête
de la colline nue,
comme celle
de
s
fourmis
bien accordées
et parvinrent
enfin sur la crête de la colline
nue
devant le
en plein
ciel
et l'infini.
répandu à l'infini.
Alors seulement ils se reposèrent.
D'ici,
A
a
u loin, on pouvait voir l'océan.
Avaient-ils vaguement deviné
que
le vieil Isaac avait
c'était
précisément ce que le vieil Isaac
avant de mourir avait le
plus désiré revoir.
o
O
u avaient-ils
simplement eu envie de venir
jouer par ici.
Ici le souffle du vent était large
et pur. Au loin on pouvait apercevoir
l'océan glacial qui ce jour-ci
,
ressem-
Image
en sa parfaite placidité, n'avait rien à envier aux mers des pays tempérés.
blait à une mer de
s
pays tempéré
s
.
Le ciel était également d'un bleu
tendre. Le Vieux eut l'air en repos.
ici.
Les enfants avaient-ils
vraiment devinés que c'était précisé-
ment l'endroit qu'Isaac, avant
de mourir, avait eu le goût de
revoir ?
Ou avaient-ils simplement
eu envie de venir jouer par ici ?
Savaient-ils même déjà peut-être
dans leurs fins petits cerveaux que
c'est
c'était
ce que
, avant de mourir, la
plupart des Esquimaux aimaient
venir regarder.
presque tous avant
de mourir avait le désir de contempler?
O
u avaient-ils tout simplement eu
envie de venir jouer par ici ?
Ils semblèrent comprendre en tout
cas les quelques
sons
par lesquels
Image
Isaac fit savoir qu'il désirait
demeurer en cet endroit. Ils
calèrent
donc
le fauteu
les roues
du fauteuil avec des bouts de
pierre, comme le leur
avait
avaient recommandé leurs
mères, et le laissa
n
t là bien
en évidence au milieu du
ciel, sur l'extrême pointe de
la crête, ils descendirent à la
course jouer autour
d'un
de
l'
autre petit lac qu'il y avait en
bas sur ce versant aussi
du mamelon. Longtemps ils
s'amusèrent à tenter de saisir
des poissons avec leurs mains
nues, et ils menaient un
grand bruit joyeux qui parvenait
au vieillard en haut de la colline
,
Image
dont les cheveux s'agitaient au
vent et qui, immobile tel il était,
paraissait écouter
,
venu du ciel et de partout à la fois,
une sorte de
grand sermon silencieux.
Le vent propre le nettoyait des
odeurs et des hideurs de la maladie.
Il lui arrivait même à l'oreille,
quand les enfants se taisaient un
moment, un faible prolongement,
jusqu'ici
du ressac là-bas
,
au
bout de l'horizon.
Il parut donc que le pauvre
Isaac qui ne désirait plus que
la
mourir
mort
depuis assez longtemps,
malgré
lui,
à cause de cette belle journée
sur le tard
,
reprit goût
malgré lui
à
vivre
encore un peu.
rester encore un
peu sur cette terre.
à vivre encore un peu.
semble reprendre malgré lui le goût
Image III
Souvent les enfants le
menèrent encore là-haut, soit
qu'ils eussent
ressenti quelque
saisi
quelque peu compris le bienheureux
répit qu'éprouvait
Isaac
le
vieillard paralysé quand il était
soustrait à la présence humain
e
et
laissé
porté
en plein ciel, soit
qu'ils eussent maintenant plus
de plaisir à jouer autour de
ce lac-ci qu'autour de celui
du village.
Quelques fois cependant,
dans leur hâte de courir à
la découverte
d'un
de quelque
attrait tout
e
neuf pour eux du
pays, ils l'abandonnèrent
Image
dans des creux mornes où il
n'y avait absolument rien à voir,
ni eau frémissante, ni lointain
,
à scruter indéfiniment.
ni horizon captivant.
Alors
le vieil Esquimau semblait vraiment
las d'en être encore à vivre.
Même ceux qui
,
à cause de son rictus
,
prétendai
t
ent
qu'il riait
encore
tout seul
,
encore
n'auraient
plus
jamais
encore
un mot
eu le front de
soutenir pareille chose s'ils l'avaient
v
p
u
voir
dans les moments où les
enfants l'oubliaient trop longtemps
dans des dépressions de terrain que
n
'atteignaient
un mot
pas ni le vent
ni le soleil.
Même
aux
les
enfants alors, quand
ils s'avisaient enfin de venir le
chercher, semblaient conscients de
la détresse d'Isaac et évitaient de
Image
regarder du côté de son bon oeil,
par peur d'y voir luire
parfois
effrayés
quelque peu effrayés
par l'intensité
d'
expression qui
cherchait
alors
à certains moments
à s'y manifester.
Alors, le lendemain,
pour rejouer,
ils
ne manquaient pas de remonter
le Vieux sur le pic de la crête.
Et le vieillard faisait de
grands efforts pour a
ll
onger la
main, chercher à tapoter les
petites joues rondes. Depuis
que les enfants étaient devenus
ses amis, en vérité il s'exerçait
les doigts,
long
tous les jours
,
un peu plus, avec l'idée de
leur faire une petite caresse
à eux qui étaient bons pour
Image
lui.
X X X
Un jour pourtant ils l'oublièrent
au sommet du mamelon. Les mères
ne s'avisèrent pas non plus tout
de suite que leurs enfants revenaient
seuls. On était tellement habitué
à les voir maintenant toujours
ensemble, eux et le Vieux qu'ils
trimbalaient en haut, en bas
, et
tout autour du lac, que cette
fois
encore
aussi
, par un
e
effet
illusion
de
la mémoire,
on les crut encore
et de l'image qu'elle
proposait
avait enregistrée
, on
crut les avoir vus ensemble
encore,
comme toujours.
Même Esmeralda, l'heure du
souper venu, ne s'aperçut pas encore
Image
qu'Isaac manquait. Elle était
en veine de fainéantise
ces
ce
jour
s
-là et avait annonc
é
à tout son monde d'avoir
à se chercher à manger
,à faire
chacun
pour soi,
comme chacun pouvait,
un mot
car
pour sa part
elle ne se fatiguerait pas
aujourd'hui à préparer un
repas. Donc à chacun de
fourrager.
se
trouver quelque chose à se
mettre sous la dent.
A près de minuit, quand
tout le monde fut rentré se
coucher, il n'y eut pas moyen
de ne pas s'apercevoir alors que
le Vieux n'y était pas
.
tout
de même.
Esmeralda sortit sous les
étoiles pa
^
les et incertaines encore
Image
dans un ciel à peine assombri, et elle
poussa de tous côtés des cris aigus,
rappelant à la maison Isaac.
Peut-être avait-elle oublié
,
qu'il
ne pouvait revenir seul
dans sa
mauvaise humeur
,
qu'il ne
pouvait revenir seul. Elle
l'accusait à hauts cris, elle
accusait aussi les voisins,
les siens, tout le monde. A
l'entendre crier cette nuit-là,
on eût dit qu'il n'y avait
qu'Esmeralda à se faire du
souci pour le paralytique.
Toutefois, au moment où elle
s'en prenait encore à tous, elle se
distingua
trouva à regarder du
co
^
té du gros mamelon à droite
,
et distingua alors parfaitement le
Image
Vieux en son fauteuil qui se
découpait en plus sombre
sur le ciel d'une transparence
obscure.
Elle s'en fut le chercher,
n'ayant réussi au bout de
tous ses cris à réveiller
personne
que tous les chiens
[]
[illis.]
,
et, le ramenant de peine et
de misère, elle n'arre
^
ta pas
tout au long de la descente de
le
dispu
morig
é
ner comme
si c'était par sa faute qu'il
était resté dehors si tard.
— Désormais, annonça-t-elle,
le Vieux
il
ne voyagerait plus.
Elle
permettrait peut-être qu'il
s'assoit encore
de temps
dans
son fauteuil, mais pour aller
Image
nulle part,
et
pour rester strictement
devant la maison. Elle en avait
assez de l'alerte de cette nuit et
de se faire
pareil
tant de
mauvais sang.
Molle toutefois et sans
idée jamais bien arrêtée, Esmeralda
finit par céder quand les enfants
revinrent demander s'ils ne
pourraient pas
encore
" avoir "
le Vieux.
Et tout recommença comme
avant. On alla en haut, en
bas, autour du lac
s
ur l'autre
versant. Il est probable qu'Isaac
cet été-là put entrevoir des petits
coins de la région qu'il
n'avait
n'aurait jamais connus n'eût
été l'ardente curiosité des enfants
et leur vif désir de tout connaître.
Image
Mais, hélas, ce n'étaient que
des enfants, et une fois encore
ils l'oublièrent. O
r
, cette
nuit-là, Esmeralda s'était
endormie de bonne heure,
abattue comme une souche,
et ne se réveilla
pas une
seule fois
, même
pas
au grondement
subit
de l'orage. Ensuite tout se
déchaîna.
La pluie
2 lettres
ruissela sur le
Vieux bien placé pour la recevoir
sur le haut du mamelon. Les
vents le
soufflèrent
souffletèrent
des deux
de tous
côtés. Toute la n
a
ture
en fait avait
eut
l'air de lui en
vouloir de vivre encore, inutile
comme il était. A moins que
ce ne fu
^
t le contraire et que,
Image
clémente à sa manière, elle eût
travaillé cette nuit à l'achever,
à le soustraire aux
brutalités
brutalités pires encore de la vie.
Les éclairs
de l'orage révélaient
un instant au
milieu
sein
de l'obscurité
son visage
impassible
inscrutable
. Il avait
toujours
déjà
été difficile de savoir à
quoi il pensait même au temps
où il essayait de communiquer
avec d'autres hommes, à cause
de l'originalité de son esprit et d'une
tour
manière de voir quelque peu
insolite en cette époque moderne.
Maintenant comment le savoir!
Son visage inondé apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté puis
disparaissait, puis
repassar
reparessait.
Il était impossible d'y lire s'il
Image
était content à chaque gifle
du vent qui l'acheminait
vers sa délivrance. Ou s'il
ne pensait pas plutôt aux
autres bien à l'abri dans
les huttes contre le gros mauvais
temps.
Enfin la pluie cessa. Il était
comme un arbre trempé qui
a reçu sur lui sans possibilité
de s'y dérober des cataractes
d'eau glacée. Mais
,
du
moins,
l'or
la trombe passée,
l'arbre peut se secouer et
commencer, le vent aidant, à
se sécher.
Pour Isaac, il ne pouvait
que demeurer immobile, mouillé
de la tête aux pieds, dans le
Image
froid glacé qui succe ` da à l'orage.
Malheureusement pour lui peut-
être, le village vint à son secours
juste " à temps ".
Il était pris d'une
grosse
forte
fièvre.
Il aurait sans doute pu s'en aller
ainsi
tout doucement. Mais, soit remords,
soit compassion même, voici
qu'Esmeralda se mit en frais de
le soigner. Elle le tint au chaud
pendant plusieurs jours, enveloppé
des meilleures couvertures. Elle
le soigna avec de l'aspirine mêlé
e
à son manger. Ainsi put-elle
dire qu'elle l'avait " sauvé " .
Lui, à présent, était devenu
si maigre qu'elle pouvait le porter
seul comme un paquet pas
tellement encombrant. Elle prenait
Image
encore quelquefois la peine
de l'installer dans le fauteuil
quand elle surprenait jeté
sur elle le regard suppliant
et qu'elle n'avait pas pu
faire autrement,
que
car
d'habitude elle s'ingéniait
quand
elle
était
rencontrait
par malchance
le regard
suppliant d'Isaac, car d'habitude
elle
l'évit
s'arrangeait pour
l'éviter, tant ça lui faisait
encore quelque chose tout de
même
de voir cet oeil vivant dans un être quasi mort.
Puis elle poussait
le fauteuil dehors, tout juste
passé la porte, là où elle
pouvait l'avoir à l'oeil
sans pour cela être
empêchée
contrariée dans la poursuite de
Image
ses rêvasseries
molles et
coutumières. Des
émotions comme elle en avait
eue
s
, elle n'en voulait plus,
lui avait-elle
expliqué
dit
, car
elle prenait tout de même aussi
la peine de
lwi
lui expliquer
de temps en temps
le pourquoi de sa conduite.
Elle précisait:
— Pas plus loin qu'ici, vous
entendez, grand-père. Vous n'irez
pas plus loin maintenant. C'est fini de rôder.
Etait-ce illusion? A ces
propos
,
il lui semblait qu'une lueur
de défiance ou d'ironie encore
s'allumait au fond de l'oeil d'Isaac.
Les enfants passaient sans
plus
d'intérêt
jamais d'ailleurs
s'arrêter ni
demander comme une grâce de
promener le Vieux. Ils avaient
Image
d'autres jeux en tête, et puis,
en fin de compte, le bizarre
attrait du fauteuil s'était usé.
On ne sait trop comment cela
s'était fait de jour en jour,
d'étape en étape, mais enfin
on s'était trouvé devant
l'évidence: pas plus que les
vieux pneux échoués ici ou les
bidons de mazout, le fauteuil
ne faisait encore d'effet.
En même temps que son
fauteuil, Isaac
perdit
avait perdu
de
l'importance. Il n'y eut plus
guère, pour l'approcher avec une
curiosité sympathique mêlée à
beaucoup de crainte, qu'un
pauvre chien galeux que
l'on remettait d'abattre de jour
Image
en jour, parce qu'autrefois il
avait été si
brave
vaillant.
Or un jour on vit une chose
extraordinaire. Le paralytique, à
force d'exerci
ces
, avait réussi
à
lever
étirer un peu les doigts
et c'était, à ce qu'il parut, pour
faire à ce pauvre chien malheureux
la première et seule caresse qu'il
eût jamais reçue d'un être humain.
Alors Esmeralda décida
et fit savoir qu'on n'abattrait
pas le chien tant que le Vieux
vivrait.
dim="horizontal"
De l'endroit où Esmeralda
installait le fauteuil jusqu'au
bord du lac il n'y avait pas loin,
Image
une trentaine de pieds seulement,
et le terrain était en pente et
assez bien battu.
On arrivait aux derniers
beaux jours de l'automne, et
bientôt il allait faire trop
froid pour sortir Isaac même
sur le seuil. Il regardait
sans arrêt l'eau
comme
déjà figée à l'approche
du gel. Elle reflétait à merveille
la chaude couleur des lichens
avant leur mort. C'était un
beau temps de l'année, court, fugitif,
poignant. Sous la couverture
qu'on avait mis sur les genoux
du Vieux, on ne s'apercevait
pas que sans arrêt sa main
s'exerçait à faire tourner la
roue droite du fauteuil.
Image
Un jour il y parvint. Esmeralda
leva la tête juste à temps pour le
voir filer. Elle ne fit qu'un
saut, attrapa le fauteuil à
deux doigts du
bord du
lac. Elle était
toute troublée par la crainte, le
dépit, d'autres sentiments encore
qu'elle n'aurait pu parvenir à
s'expliquer. Elle apostropha durement
le Vieux :
— En voilà des choses à faire!
Moi qui ai vous ai sorti de si
mauvais pas! Vieil ingrat, va !
En même temps, elle cherchait
une bo
de l'oeil une bonne
grosse pierre pour caler les roues
du fauteuil. Elle l'aurait bien
tout de suite rentré et remisé
une bonne fois pour toutes, mais
Image
la place manquait pour
aujourd'hui -- et peut-être
pour longtemps -- dans la
cabane.
— Vieil ingrat! continuait-
elle à se lamenter, et trouva
enfin la pierre qu'il fallait.
Le fauteuil
une fois
calé,
elle
en se redressant
,
elle rencontr
a
en plein le regard de l'oeil
intact d'Isaac dans lequel
brillai
t
ent
l'intelligence encore et
aussi sa volonté bien à lui.
Or, sa pauvre volonté encore
vivante, de toutes ses pauvres
dernières forces, semblaient
demander:
— Pourquoi ? Mais
pourquoi donc ?..
Image
Elle dut comprendre cette fois
sans aucun doute, et peut-être
avait-elle toujours compris, mais elle
était
aussi à sa manière
était
entêtée.
— Je voudrais bien fit-elle avec
une sorte de bonté ... Je voudrais
bien vous laissez faire à votre goût.
Mais, vous savez bien pourtant, que
ça ne se fait plus. On
n'
a plus le droit.
" Ils " viennent
Car " ils " viennent
ensuite
chercher à savoir pourquoi.
demander : " Pourquoi ?
Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'y a-t-il
eu au juste ? "
Elle le
regarda
considéra avec
une curieuse expression où il y avait
du mécontentement de l'avoir
encore
avec
tout ça
encore
sur les bras,
un brin
de la
la
compassion
aussi
aussi
,
et sans doute
aussi
un peu d'amitié née de l'habitude.
Image
Tout cela et plus encore
,
: le commence-
ment en cette femme comme
en toute âme humaine, de
l'étrange voie de faiblesse et
de dépendance les uns vis-à-
vis les autres par laquelle
avancent et s'humanisent
peu à peu les gens sur la terre.
— On est des civilisés
maintenant, lui rappela-t-elle,
et les choses se savent. Elles
se savent loin, loin, loin ...
Elle leva le regard
un instant
sur
l'immensité désolée, nue et
déserte, puis le ramenant sur
le Vieux en son fauteuil le
menaça:
— « les
choses
se
savent ... »
et tout aussitôt,
d'un bon pas, s'en fut se
Image
mettre au chaud dans la cabane.
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Ajout en interligne | lorem ipsum dolor |
Ajout en surchage, en haut de l'ensemble du texte | lorem ipsum dolor |
Ajout en surchage, en bas de l'ensemble du texte | lorem ipsum dolor |
Ajout au crayon à la mine | lorem ipsum dolor |
Ajout au stylo bleu | lorem ipsum dolor |
Ajout avec un autre stylo bleu | lorem ipsum dolor |
Ajout avec un stylo noir | lorem ipsum dolor |
Ajout d'un accent | lorem ipsum dolor |
Ajout en marge de gauche | lorem ipsum dolor |
Ajout en marge de droite | lorem ipsum dolor |
Ajout en marge du haut | lorem ipsum dolor |
Ajout en marge du bas | lorem ipsum dolor |
Retrace par dessus une lettre | lorem ipsum dolor |
Suppression déchiffrable | lorem ipsum dolor |
Suppression indéchiffrable | lorem ipsum dolor |
Suppression d'un élément en marge | lorem ipsum dolor |
Suppression de tout le paragraphe | lorem ipsum dolor |
Effacé | lorem ipsum dolor |
Raturé ou biffé | lorem ipsum dolor |
Suppression réécrite | lorem ipsum dolor |
Réécrit sur la même ligne | lorem ipsum dolor |
Transcription confecturée | lorem ipsum dolor |
Mot ou passage illisible | lorem [] dolor |
Inversion | lorem ipsum dolor |
Dialogue | lorem ipsum dolor |
Passage souligné | lorem ipsum dolor |
Passage encerclé | lorem ipsum dolor |
Personnes citées | lorem ipsum dolor |
Lieux cités | lorem ipsum dolor |
Thèmes | lorem ipsum dolor |
Oeuvres de Gabrielle Roy | lorem ipsum dolor |
Autres oeuvres citées | lorem ipsum dolor |