État final - Le fauteuil roulant

Image I

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Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à recevoir le colis qui leur serait livré, au passage, V par la voie des airs. Gros et encombrant comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos d'homme à travers la toundra raboteuse et coupée partout de petits lacs, V un pour ainsi dire dans chaque creux de terrain.

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L'avion ne se poserait pas. Il survolerait le village en cherchant V du coin de l'œil un endroit propice où laisser choir le colis avec le plus de ménagements possibles. Aux gens de le recueillir V et d'en prendre bien soin, car il est peu probable qu'un de ses pareils viendrait jamais le rejoindre dans l' Arctique .

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C'est ainsi, par un beau soir d'été n'en finissant plus de durer, qu'aboutit, par le ciel, à Iguvik 1 , petite communauté esquimaude non loin de la baie de l'Ungava, le grand fauteuil roulant envoyé par une société philanthropique à Isaac qui, depuis son accident à la chasse V au phoque, l'hiver précédent, était changé pour ainsi dire en roc V de la tête aux pieds.

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Peut-être, s'il avait pu s'exprimer V avec une parcelle de la vivacité de jadis, Isaac aurait-il d'abord demandé à savoir comment il se faisait qu'il était maintenant assez connu pour qu'on lui envoie une chaise V du bout du monde.

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Retirée de sa caisse et exposée tout contre le grand ciel nu de là-bas, V elle fit en tout cas un effet extraordinaire avec ses accoudoirs chromés, son dossier, son siège rembourré, ses deux grandes roues garnies de caoutchouc, en bref une attention au confort comme on n'aurait pu supposer ici qu'il y en eût de par le monde. V

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Les bien-portants eurent l'idée de l'essayer pour voir ce que l'on peut ressentir à être devenu invalide. Ils se prirent V à rire et se passèrent le fauteuil et eurent un plaisir fou à s'imaginer être désormais incapables V de mettre un pied devant l'autre et n'avoir plus qu'à se laisser promener pour le reste de leurs jours.

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À la fin pourtant on songea à venir montrer son fauteuil à Isaac. Évidemment Isaac était un homme bien changé depuis le temps où il avait soutenu sur tous les tons que mourir n'est pas difficile, qu'il n'y a qu'à s'y laisser aller, le moment venu, que rien V n'est plus facile en vérité, qu'il n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau jour de son plein gré vers la mort. Lui-même n'y parvenait point pourtant, ne pensant sans doute qu'à cela, V laissé seul dans ce coin précisément de la hutte d'où une autre femme de sa famille, sa propre fille Deborah 2 , avait pu, elle aussi, se tirer. V Tandis que lui!

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De son œil valide, il parut examiner le fauteuil. À quelqu'un qui ne s'était jamais de toute sa vie assis que par terre ou, à la rigueur, sur un banc dur V à l'église, ce curieux fauteuil faisait peut-être l'effet d'un trône. S'il demeurait un peu de malice d'autrefois dans la vieille tête, il en était peut-être à rire en lui-même de voir tout le dérangement qu'il avait réussi à occasionner V à lui seul. Mais avec un côté du visage inerte et l'autre à peine plus vivant, Isaac, de physionomie jadis si vive, était réduit à avoir l'air terriblement éloigné de tout, alors qu'il ne l'était peut-être pas encore tout à fait. V Les quelques sons qu'il parvenait à se sortir de la gorge ne lui étaient guère plus utiles. Ou on ne les comprenait pas ou on faisait semblant pour ne pas avoir à renouveler l'effort de toujours l'écouter attentivement. V Il est vrai que les gens ici étaient V bien changés depuis la disparition de Deborah et l'enquête qui avait suivi, des envoyés du gouvernement arrivant V à plein avion pour poser, à n'en plus finir, des questions sans rime ni bon sens : — « Avait-elle l'air découragée? Était-elle encore saine d'esprit? Pourquoi, selon vous, a-t-elle agi de la sorte? » V

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Après cette histoire, on n'avait pas envie, en tout cas, d'avoir encore par ici sur les bras V des décès qui eussent pu avoir l'air librement consentis et de se singulariser ainsi à la face du monde. V

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On en était donc venu, ici comme un peu partout, à tâcher V de « garder » les gens en vie le plus longtemps possible, de gré V ou de force. La mort s'éloignait des Esquimaux presque autant que des Blancs. V

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Isaac aurait évidemment pu refuser d'avaler les bouchées que sa bru Esmeralda lui mettait V sur la langue et qui étaient d'ailleurs loin d'être toujours les meilleures. Il semble qu'il avait essayé une fois. Mais était-ce dégoût de cette nourriture-là? V Ou de lui-même? Ou de vivre encore? Toujours est-il qu'Esmeralda lui avait remis le morceau de viande dans la bouche et qu'il l'avait avalé cette fois, soit que l'appétit en fin de compte eût été plus fort que la tristesse, ou bien encore parce qu'il n'avait pas pu faire autrement.

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Et peut-être aussi se serait-il fait malgré tout à sa condition, enfin à moitié V engourdi, sur le point, comme V au bord du froid extrême, de s'en aller dans le grand sommeil, si ce fameux fauteuil, en parvenant jusqu'à eux, n'eût réussi à tout remettre encore une fois en cause : la vie, la mort, ce qu'il faut faire pour ou contre elle... et quand V s'en aller...

II

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La joyeuse surexcitation provoquée par la livraison du fauteuil à peine émoussée, d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.

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Sortie de sa tanière, Eleonora, une vieille cousine d'Isaac, s'en vint faire trois fois le tour du fauteuil et finit par offrir d'envieuses félicitations :
Hé! Hé! Quelqu'un était bien vu par ici! Il suffisait V apparemment de perdre l'usage de ses deux jambes pour tout recevoir en échange. Il y avait en ce monde des chanceux... V
...Chanceux! reprit plus ou moins distinctement Isaac du coin de la bouche, en guise de protestation, peut-être, et c'est ce que la plupart entendirent, à moins que ce fût seulement « euh, euh! » V

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Mais Alfreda, elle, un peu sourde, entendit « heureux, heureux », et se traînant sur ses vieilles jambes enflées approuva V avec mauvaise humeur :
— Je te crois bien que tu as des raisons de te dire heureux. Si tu ne l'étais pas encore!...Et elle commença V à laisser entendre qu'il n'y avait pas qu'Isaac ici à avoir besoin d'une bonne chaise, et que celle-ci pouvait bien ne pas avoir été envoyée rien qu'à lui. V

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Esmeralda les voyait venir ces deux-là et ne V perdit pas de temps à mettre les choses au point.
Ce siège-là, dit-elle à la ronde, est envoyé au Vieux V par ses amis de la Fédération des Infirmes, et moi ici présente, personne ne va le lui prendre et le lui user une heure par-ci, une heure par-là. V

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Des témoins, qui avaient étroitement surveillé le visage d'Isaac pendant qu'Esmeralda prenait sa défense, crurent voir qu'il en avait l'air content. V

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Alors la bonne humeur revint, et on s'empara d'Isaac.

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À quatre, à six, on le souleva, on réussit à lui faire plier les jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.

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À présent, à cause de la pose, les mains ridées à plat sur les accoudoirs, la tête se tenant raide, Isaac prit l'air d'un vieux roi encore régnant. Presque tous en furent frappés jusqu'à lui accorder une toute nouvelle considération.

V

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Sans plus tarder, on partit le promener à travers son rude pays.

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Aucun sol ne se prête moins à la promenade, cahoteux à l'extrême sous la mousse de caribou 3 qui V donne une fausse impression de l'uni. L'on ne pouvait aller vite, mais, même à petit train, le fauteuil tanguait. À chaque tour des roues butant contre le lichen rêche, le paralytique tressautait, la tête secouée. On voyait remuer ses lèvres. Essayait-il de protester? Demandait-il d'être laissé tranquille? Ou était-il au contraire tout éveillé par cette promenade et cherchait-il à obtenir des détails? On lui en avait fourni au départ comme à quelqu'un en visite. Maintenant, dans l'effervescence générale, on l'oubliait un peu. Lui, à faire tant d'efforts accrus et peut-être désespérés pour parler, la lèvre toute retroussée, en vint à avoir vraiment l'air de rire. V De lui voir cet air-là, assis dans son bon fauteuil déjà si drôle, porta les femmes au fou rire, l'une entraînant l'autre au fur et à mesure qu'elles s'apercevaient être nombreuses à trouver la situation comique. De tant rire leur enleva des forces pour pousser le fauteuil dans les petites remontées, ce qui V les amena à rire encore plus, si bien qu'arrêtées en pleine pente elle ne purent bientôt plus rien faire d'autre. V

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À quelque distance, les hommes, à voir les femmes tant s'esquinter pour si peu de résultat, partirent tout d'un coup eux aussi à rire de bon cœur.

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Longtemps après que le village eut perdu de vue le sentiment d'ailleurs assez confus qui l'avait tant porté à rire ce jour-là, il arrivait à l'un et à l'autre, soudainement, au milieu de ses souvenirs, de se mettre à pouffer, et les autres en devinaient aussitôt la raison et se prenaient aussi à rire, sachant que cette gaieté-là du moins, quoi qu'il arrive, jamais ne leur serait tout à fait enlevée. V

* * *

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Les femmes, toutefois, se lassèrent assez V vite de pousser le fauteuil. Nulle part il n'y avait de terrain propice. Ou bien c'était le lac autour duquel étaient assemblées les pauvres huttes, ou bien c'était le sol invariablement spongieux et bosselé. Sur la mousse de caribou d'une consistance assez proche de celle du caoutchouc, les belles grandes roues tournaient somme toute fort mal. Les femmes finirent V par céder le Vieux aux enfants qui n'attendaient que cela.

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De joie ils dansèrent autour du fauteuil. V

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L'œil en biais, inquiet à ce qu'il semblait, Isaac les examina autant qu'il lui était possible, se demandant sans doute ce que les petits méditaient et avaient l'intention de faire de lui maintenant qu'ils l'avaient en leur possession.

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En fait ce n'était rien de bien terrible. Seulement de le mener là où les femmes avaient échoué, au sommet du mamelon le plus proche.

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Ils s'y attelèrent à douze, l'entière population enfantine du village, à partir de six ans.

V

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L'un l'autre s'aidant à pousser, chacun les mains appuyées aux hanches de celui qui précédait, penchés tous dans le même sens et sans gaspiller de force à rire, graves et appliqués dans leur V effort, ils montaient pouce à pouce, le fauteuil en tête, en une mince procession serrée comme celle des fourmis accordées qui vont droit au but, et enfin ils V parvinrent sur la crête de la colline chauve devant le ciel répandu à l'infini. Alors seulement ils s'accordèrent de se reposer. V

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Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait apercevoir la ligne d'argent de l'océan Glacial qui aujourd'hui n'avait rien de dur dans sa rigueur. Le ciel, presque sans nuages, était rempli d'une douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant V de mourir avait le goût de revoir? Savaient-ils même déjà peut-être, dans leurs fins petits cerveaux, que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler? Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici? V

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Ils semblèrent en tout cas comprendre les quelques sons par lesquels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils calèrent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avait recommandé leur mère et, laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait sur ce versant aussi de la colline. V Longtemps ils s'amusèrent à tenter d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un grand bruit joyeux dont la gaieté parvenait au vieillard assis au cœur du ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui, dans sa pose attentive, les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer, de l'horizon et de l'air, une sorte V de grand sermon silencieux.

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Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui arrivait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible prolongement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain. V

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On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait goût à vivre. V

III

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Souvent encore, les enfants le menèrent là-haut, soit qu'ils eussent pressenti le bonheur qu'éprouvait le vieil homme lorsqu'on le portait en plein ciel, soit qu'ils eussent maintenant plus de plaisir à jouer V de ce côté-ci de la colline.

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Parfois cependant, V dans leur hâte de courir vers quelque découverte, ils abandonnèrent Isaac dans des creux mornes où il n'y avait à voir ni eau frémissante ni lointain mystérieux. V Alors le vieil Esquimau semblait vraiment las d'être encore de ce monde. Même ceux qui à cause de sa joue plissée avaient prétendu qu'il devait encore avoir envie de rire n'eussent jamais plus osé soutenir pareille version s'ils avaient seulement pu surprendre Isaac alors que les enfants l'oubliaient pendant des heures dans des dépressions de terrain que n'atteignaient ni V le vent ni le soleil.

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Les enfants, quand V ils s'avisaient enfin de venir le chercher, semblaient alors quelque peu conscients de la détresse d'Isaac et craignaient de le regarder du côté de son bon œil, par peur de l'intensité d'expression qu'il réussissait encore à y mettre. V

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Le lendemain, pour réparer, ils ne manquaient jamais de le mener, tout en chantant, sur le pic de la vieille petite colline. V

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De son côté, le Vieux faisait alors des efforts V accrus pour remuer les doigts, soulever la main, atteindre les joues rondes et fraîches des enfants. Il parvenait presque à esquisser ce qui pouvait avoir l'air d'une caresse... dans le vide. V

* * *

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Un jour pourtant ils l'oublièrent sur le haut du V mamelon. Les mères ne s'avisèrent pas immédiatement que les enfants V revenaient seuls. On était tellement habitué à les voir de compagnie, le Vieux avec V sa ribambelle d'enfants qui le trimbalaient à longueur de journée, que cette fois encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant de fois enregistrée, on se figura les avoir vus ensemble comme toujours. V

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Même Esmeralda, l'heure du souper venue, ne s'aperçut pas encore qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras croisés. Il y avait des moments V où l'atavisme renaissait très fort chez tous ces gens-là, pour essuyer ensuite, il est vrai, une autre terrible déroute, sous le vent du progrès. V

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Toujours est-il que vers minuit, tous rentrés se coucher, il devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir que le Vieux n'était pas là. V

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Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incertaines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant Isaac à la maison. C'était comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez grande pour lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et appelait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire de même, un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de la partie, couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce charivari, les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement. Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir V qu'elle était apparemment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle s'en plaignit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être entendue par ceux qui V V avaient encore assez peu de cœur pour dormir en une pareille extrémité. V

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Or, à ce moment même, comme elle se trouvait à regarder du côté du gros mamelon à droite, elle y perçut distinctement, cette fois, des nuages s'écartant, le Vieux, de profil, bien découpé contre le ciel de transparence obscure, en noir sur noir, les mains aux accoudoirs, un faible croissant de lune sur la tête, qui plus que jamais faisait penser à un vieux roi... mais maintenant dépossédé. V V

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Elle s'empressa d'aller le chercher. En le ramenant, la descente lui donnant beaucoup de mal avec ce lourd fauteuil difficile à retenir, qui semblait maintenant vouloir voler de son plein gré, elle ne put toutefois s'empêcher de maugréer un peu comme si c'était par sa faute qu'Isaac était resté dehors si tard. V

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En tout cas, lui signifia-t-elle, c'était fini pour V lui de se promener de tous côtés. Il allait maintenant rester sous ses yeux, à la maison, et si parfois elle permettait peut-être encore qu'il s'assoie dans le fauteuil, ce serait pour n'aller nulle part. V

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Mais sans suite et sans grande détermination dans les idées, un autre jour que les enfants étaient venus à trois ou quatre reprises lui demander s'ils ne pourraient pas « ravoir » le Vieux, elle finit par se laisser fléchir, ou se lasser, et dit, sans trop s'en rendre compte peut-être, fatiguée de les voir tourner autour d'elle :
— Prenez-le donc et laissez-moi tranquille à la fin.
V

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Et tout recommença comme avant. On alla en haut, en bas, autour du lac et par-delà ce versant-ci de la colline. V

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Dans toute sa vie d'adulte Isaac n'avait probablement pas vu autant de petits coins charmants de son pays que les enfants le menèrent en voir cet été-là. V

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Ils réussirent un matin à capturer un papillon des plus rares, venu au monde, par on ne sait quel caprice de la création, dans le désert de l' Arctique , pour exister une journée seulement, V dans son habit de bal. Ne sachant qu'en faire, ils le donnèrent au Vieux. V

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Ils lui mettaient souvent aussi entre les mains de petites fleurs. V

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Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes enfants insouciants, et ils « l'oublièrent » V encore une fois. Or, cette nuit-là, Esmeralda s'était endormie de bonne heure, abattue comme une souche. Elle ne se réveilla même pas au grondement subit de V l'orage. Ensuite tout se déchaîna.

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La pluie tomba à plein ciel sur le Vieux bien placé pour la recevoir, en haut du mamelon. Les vents le souffletèrent de tous côtés. La nature entière semblait lui en vouloir d'être encore de ce monde, à moins que ce ne fût le contraire et que, clémente à sa manière, elle travaillât à l'en soustraire. V

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Les éclairs révélaient de temps à autre, au sein de l'obscurité, son visage inscrutable. Il avait toujours été difficile de savoir à quoi pensait Isaac, même au temps où il se livrait encore un peu, à cause d'une manière de parler rien qu'à lui, caustique et déroutante. V V V

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Par exemple cette idée naguère exprimée par lui que l'on devrait mourir en faisant le moins d'histoires possible et à laquelle aujourd'hui il n'arrivait pourtant pas à se conformer, comme pour se donner à lui-même un démenti. V

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Son visage ruisselant apparaissait sur un fond de ciel tourmenté, s'effaçait en même temps que des tourbillons de nuages, revenait sur l'horizon. V

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Se réjouissait-il, comme d'une aide enfin secourable, des griffes du vent, des trombes d'eau, de l'amertume des éléments, les alliées, cette nuit-ci peut-être, de son âme lasse? Ou pensait-il plutôt V aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri? V

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La pluie cessa. Sur la butte chauve, Isaac, écrasé dans son fauteuil, ressemblait à quelque créature végétale abîmée par trop d'eau. Mais, l'orage passé et le vent aidant, une plante peut du moins se secouer quelque peu et commencer à se sécher. V Lui ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses membres. V

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Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par un clair matin de fin d'été. V

IV

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Pour quelles vraies raisons au fond Esmeralda se remit-elle à le soigner? Par compassion? Par remords? Ou peut-être plutôt par entêtement, par habitude? Celle-ci acquise, il est sûr qu'il n'est pas facile de savoir y renoncer, comme il faut bien pourtant en venir un jour ou l'autre à s'y résoudre. Esmeralda semblait s'être prise au jeu. Elle enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures. Elle le transporta d'un coin à l'autre, là où il y V avait un peu de soleil. Elle lui eut de la pénicilline d'une voisine à qui il en était resté de la dose laissée par l'infirmière à sa dernière visite. V

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Elle fit tant et si bien qu'elle réussit, comme elle put s'en vanter, à « sauver » Isaac, et en tira un curieux mélange de fierté, de fatigue et, tout compte fait, d'embarras, car « sauvé », Isaac ne valait pas cher. V

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Il était même à ce point fondu et rapetissé que sa bru pouvait aisément le porter à bras d'un coin à l'autre de la hutte quand elle se mettait en tête de nettoyer partout.

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Il y eut quelques beaux jours encore. Au cours de l'un d'eux, comme Esmeralda surprit le regard d'Isaac fixé sur le fauteuil, elle se laissa apitoyer. Pauvre Vieux, il avait donc à ce point pris goût à son trône!

V

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Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula au dehors de manière à ce qu'il pût avoir sous les yeux un petit aperçu encore du lac et du ciel, sans pour cela le perdre elle-même de vue, du fond de la hutte et des molles rêvasseries qu'elle y poursuivait. V V
C'est fini, lui expliqua-t-elle, de rôder de tous bords, de tous côtés. Vous allez rester devant la porte maintenant, le père. V

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Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance dans le vieux V regard si las? En tout cas, elle alla s'occuper de choses et d'autres et revint le réprimander un peu :
— Des peurs comme vous nous en avez faites, faudrait plus que ça recommence.
V

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Les enfants passaient sans plus jamais s'arrêter pour demander comme une grâce de promener le Vieux. Ils avaient d'autres jeux en tête, et puis, à la longue, s'était usé le bizarre attrait du grand fauteuil à roues. On ne sait d'ailleurs trop comment cela s'était fait, d'étape en étape, mais un jour on fut devant l'évidence : pas plus que les vieux pneus échoués ici, pas plus que les tonneaux à mazout amoncelés au rebut, le fauteuil faisait-il encore de l'effet. Il était entré dans le paysage. V

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En même temps que son fauteuil, Isaac avait aussi peu à peu perdu de l'importance. V

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Il n'y eut plus guère pour l'approcher en tout temps, avec une curiosité sympathique mêlée à de la crainte, qu'un pauvre chien boiteux que de jour en jour l'on remettait d'abattre parce que naguère il avait été si vaillant.

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Or la caresse à laquelle s'était longuement exercé Isaac pour le cas où les enfants reviendraient le chercher, quand enfin il put l'esquisser, ce fut le chien qui se trouva là pour la recevoir. C'était un pitoyable chien qui n'avait jamais pour ainsi dire senti la main de l'homme se poser sur lui uniquement par amitié. De surprise, il s'assit, tout tremblant, les yeux dans le regard de l'homme, et se prit à pleurer comme s'il était capable tout d'un coup de revoir sa vie de chien d'un bout à l'autre, de fil en aiguille. V

* * *

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Ç'avait été malgré tout un bien bel été... mais il s'achevait et rien ne pouvait faire qu'on n'entrerait V bientôt dans le cruel hiver tout claquemuré.

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De jour en jour, se décidant à la toute dernière minute seulement à sortir encore une fois le Vieux, Esmeralda l'avertissait charitablement :
— C'est peut-être la dernière fois.

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De l'endroit où Esmeralda installait le fauteuil jusqu'au bord du lac, il n'y avait pas loin, en fait une trentaine de pieds seulement, et le terrain était en pente assez bien battue.

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Sans cesse Isaac gardait l'œil fixé sur l'eau à ses pieds. À l'approche du gel, elle était lourde déjà, un peu figée sur les bords. Presque sans mouvements, elle reflétait à merveille la chaude couleur des lichens avant leur mort. Ils ourlaient le tour entier du lac d'un bel ourlet régulier et minutieux. C'était presque le plus beau temps de l'année, à bien y penser, vivifiant, court, poignant. Sous la couverture qu'on avait mise sur les genoux du Vieux, on ne s'apercevait pas que sans arrêt sa main tentait de faire tourner la roue droite du fauteuil.

V * * *

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Un jour il y parvint. Esmeralda leva la tête juste à temps pour le voir filer. Elle ne fit qu'un saut, attrapa le fauteuil à deux doigts du bord du lac. Elle était toute tremblante de crainte, d'énervement, de dépit, et sans doute en son agitation entrait-il bien d'autres sentiments encore qui se contredisaient tous les uns les autres.
— En voilà des choses à faire! reprocha-t-elle.
V

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Elle cherchait de l'œil une bonne grosse pierre pour caler le fauteuil et se fâchait de ne pas en trouver. Elle l'aurait bien rentré V et remisé une fois pour toutes, mais, pour lui faire place dans la cabane, il fallait d'abord en sortir des tas d'objets pour lesquels il eût fallu auparavant trouver aussi de la place, ailleurs. On était V toujours, dans ce grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin, d'un bout de bois elle cala le fauteuil. En se relevant, tout essoufflée, à moitié V triomphante d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir encore avec tout cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de ce visage mort un regard toujours étonnamment vivant, doué d'une volonté bien personnelle, qui lui criait silencieusement : — « Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin? » V

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Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intelligiblement c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui pourquoi elle cherchait à le garder. De l'œil, elle fit le tour du tragique horizon nu et crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire comprendre. Partout dans le monde.

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Elle frissonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des déserts nordiques.
— Il n'y a plus rien qui reste chez nous, dit-elle, avec une sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah. Ils sont arrivés avec toutes leurs questions; ils ont demandé pourquoi. Ils nous ont fait honte.

V

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Elle se pencha sur lui, arrangea sa couverture, le menaça, comme impuissante, sans méchanceté : — « Il faut vivre à présent... » et courut vivement se mettre au chaud dans la cabane. V

État 6 - Le fauteuil roulant

Image LE FAUTEUIL ROULANT Image I

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Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à recevoir le
colis qui leur serait livrés, au passage, par la voie des airs. Gros et
encombrant comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos d'homme à
travers la toundra raboteuse et coupée partout de petits lacs, un pour
ainsi dire dans chaque creux de terrain.

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L'avion ne se poserait pas. Il survolerait le village en
cherchant du coin de l'oeil un endroit propice où laisser choir le colis
avec le plus de ménagements possibles. Aux gens de le recueillir et d'en
prendre bien soin, car il est peu probable qu'un de ses pareils viendrait
jamais le rejoindre dans l' Arctique .

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C'est ainsi, par un beau soir d'été n'en finissant plus de
durer, qu'aboutit, par le ciel, à Igu gwik vik , petite communauté esquimaude
non loin de la Baie de l'Ungava , le grand fauteuil roulant envoyé par une
société philanthropique à Isaac qui, depuis son accident à la chasse au
phoque, l'hiver précédent, était changé pour ainsi dire en roc de la tête
aux pieds.

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Peut-être, s'il avait encore pu s'exprimer avec une parcelle de
la vivacité de jadis, Isaac aurait-il d'abord demandé à savoir comment il
se faisait qu'il était maintenant assez connu pour qu'on lui envoie une
chaise du bout du monde.

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Retirée de sa caisse et exposée tout contre tout le grand ciel nu
qu'il y a de là-bas,
elle fit en tout cas un effet extraordinaire avec ses
accoudoirs chromés, son dossier, son siège rembourré, ses deux grandes
roues garnies de caoutchouc, en bref une attention au confort comme on
n'aurait su pu supposer ici qu'il y en eût de par le monde.

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Les bien-portants eurent l'idée de l'essayer pour voir ce que l'on

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peut ressentir à être devenu invalide , . et Ils se prirent à rire et se
passèrent le fauteuil et eurent un plaisir fou à s'imaginer être
désormais incapables de mettre un pied devant l'autre et n'avoir plus
qu'à se laisser promener pour le reste de leurs jours.

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A la fin pourtant on songea à venir montrer son fauteuil à
Isaac. Evidemment Isaac était un homme bien changé depuis le temps où
il avait soutenu sur tous les tons que mourir n'est pas difficile, qu'il
n'y a qu'à s'y laisser aller, le moment venu, que rien n'est plus facile
en vérité, qu'il n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau jour de son
plein gré vers la mort. Lui-même n'y parvenait point pourtant, ne pensant
sans doute qu'à cela, laissé seul dans ce coin précisément de la hutte d'où
une autre femme de sa famille, sa propre fille Deborah , avait pu, elle
aussi, se tirer. Tandis que lui!

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De son oeil valide, il parut examiner le fauteuil. A quelqu'un
qui ne s'était jamais de toute sa vie assis que par terre ou, à la rigueur,
sur un banc dur à l'église, ce curieux fauteuil faisait peut-être
l'effet d'un trône. S'il demeurait un peu de malice d'autrefois dans la
vieille tête, il en était peut-être à rire en lui-même de voir tout le
dérangement qu'il avait réussi à occasionner à lui seul. Mais avec un
côté du visage inerte et l'autre à peine plus vivant, Isaac, de physiono-
mie jadis si vive, était réduit à avoir l'air terriblement éloigné de tout,
alors qu'il ne l'était peut-être pas encore tout à fait. Les quelques sons qu'il
parvenait à se sortir de la gorge ne lui étai t ent guère plus utiles. Ou on
ne les comprenait pas ou on faisait semblant pour ne pas avoir à renouveler
l'effort de toujours l'écouter attentivement. Il est vrai que les gens ici
étaient bien changés depuis la disparition de Deborah et l'enquête qui avait
suivi, des envoyés du gouvernement arrivant à plein avion pour poser, à n'en

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plus finir, des questions sans rime ni bon sens : — « Avait-elle l'air
découragée? Était-elle encore saine d'esprit? Pourquoi, selon vous,
a-t-elle agi de la sorte? »

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Après cette histoire, on n'avait pas envie, en tout cas,
d'avoir encore par ici sur les bras des décès qui eussent pu avoir l'air
librement consentis et de se singulariser ainsi à la face du monde.

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On en était donc venu, ici comme un peu partout, à tâcher
de "garder" les gens en vie le plus longtemps possible, de gré ou
de force. La mort s'éloignait des Esquimaux presque autant que des
Blancs.

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Isaac aurait évidemment pu refuser d'avaler les bouchées
que sa bru Esmeralda lui mettait sur la langue et qui étaient d'ailleurs
loin d'être toujours les meilleures. Il semble qu'il avait essayé une
fois. Mais était-ce dégoût de cette nourriture-là? Ou de lui-même?
Ou de vivre encore? Toujours est-il qu'Esmeralda lui avait remis le
morceau de viande dans la bouche et qu'il l'avait avalé cette fois,
soit que l'appétit en fin de compte eût été plus fort que la tristesse,
ou bien encore parce qu'il n'avait pas pu faire autrement.

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Et peut-être aussi se faisait-il malgré tout à sa condition,
enfin à moitié engourdi, sur le point, comme au bord du froid extrême, de
s'en aller dans le grand sommeil, si ce fameux fauteuil, en parvenant jus-
qu'à eux, n'eût réussi à tout remettre encore une fois en cause : la vie, la
mort, ce qu'il faut faire pour ou contre elle... et quand s'en aller...

Image II

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La joyeuse surexcitation provoquée par la livraison du fau-
teuil à peine émoussée, d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.

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Sortie de sa tanière, Eleonora, une vieille cousine d'Isaac,
s'en vint faire trois fois le tour du fauteuil et finit par offrir d'en-
vieuses félicitations :
— « Hé! Hé! Quelqu'un était bien vu par ici! Il suffisait
apparemment de perdre l'usage de ses deux jambes pour tout recevoir
en échange. Il y avait en ce monde des chanceux ... »

... chanceux! reprit plus ou moins distinctement Isaac du
coin de sa la bouche , tordue en guise peut-être de protestation , et c'est ce
que
la plupart entendirent, à moins que ce fût seulement "euh, euh!"

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Mais Alfreda, elle, un peu sourde, entendit "heureux, heureux",
et se traînant sur ses vieilles jambes enflées approuva avec mauvaise humeur :
— Je te crois bien que tu as des raisons de te dire heureux.
Si tu ne l'étais pas encore ! ...
et commença à laisser entendre qu'il n'y
avait pas qu'Isaac ici à avoir besoin d'une bonne chaise, et que celle-ci
pouvait bien ne pas avoir été envoyée rien qu'à lui.

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Esmeralda les voyait venir ces deux-là et ne perdit pas de temps
à mettre les choses au point.
— Ce siège-là, dit-elle, à la ronde, est envoyé au Vieux par ses
amis de la Fédération des Infirmes, et moi ici présente, personne ne va le
lui prendre et le lui user une heure par-ci, une heure par-là.

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Des témoins qui avaient étroitement surveillé le visage d'Isaac
pendant qu'Esmeralda prenait sa défense, crurent voir qu'il en avait l'air
content.

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Alors la bonne humeur revint, et on s'empara d'Isaac.

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A quatre, à six, on le souleva, on réussit à lui faire
plier les jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.

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A présent, à cause de la pose? les deux vieilles mains
ridées posées à plat sur les accoudoirs, la tête se tenant raide, Isaac
prit l'air d'un vieux roi encore régnant. Presque tous en furent
frappés jusqu'à lui accorder une toute nouvelle considération.

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Sans plus tarder, on partit le promener à travers son
rude pays.

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Aucun sol ne se prête moins à la promenade, cahoteux à
l'extrême sous la mousse de caribou qui
donne une fausse impression
de l'uni. L'on ne pouvait aller vite, mais, même à petit train, le
fauteuil tanguait. A chaque tour des roues butant contre le lichen
rêche , le paralytique tressautait, la tête portée en arrière secouée . On
voyait remuer ses lèvres. Essayait-il de protester? Demandait-il
d'être laissé tranquille? Ou était-il au contraire tout réveillé
par cette promenade et cherchait-il à obtenir des détails? On lui en
avait fourni au départ comme à quelqu'un en visite. Maintenant, dans
l'effervescence générale, on l'oubliait un peu. Lui, à faire tant
d'efforts accrus et peut-être désespérés pour parler, la lèvre toute
retroussée, en vint à avoir vraiment l'air de rire.
De lui voir cet
air-là, assis dans son bon fauteuil déjà si drôle, porta les femmes
au fou rire, l'une entraînant l'autre au fur et à mesure qu'elles
s'apercevaient être nombreuses à trouver la situation comique. De tant
rire leur enleva des forces pour pousser le fauteuil dans les petites
remontées, ce qui les amena à rire encore plus, si bien, qu'arrêtées
en pleine pente, elle ne purent bientôt plus rien faire d'autre.

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À quelque distance, les hommes, à voir les femmes tant s'esquinter
pour si peu de résultat, partirent tout d'un coup eux aussi à rire de bon cœur.

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Longtemps après que le village eut perdu de vue le sentiment
d'ailleurs assez confus qui l'avait tant porté à rire ce jour-là, il
arrivait à l'un et à l'autre, soudainement, au milieu de ses souvenirs,
de se mettre à pouffer, et les autres en devinaient aussitôt la raison
et se prenaient aussi à rire, sachant que cette gaieté-là du moins, quoi
qu'il arrive, ne leur serait jamais tout à fait enlevée.

X X X

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Les femmes, toutefois, se lassèrent assez vite de pousser le
fauteuil. Nulle part il n'y avait de terrain propice. Ou bien c'était
le lac autour duquel étaient assemblées les pauvres huttes, ou bien c'était
le sol invariablement spongieux et bosselé. Sur la mousse de caribou
d'une consistance assez proche de celle du caoutchouc, les belles grandes
roues somme toute tournaient fort mal. Les femmes finirent
par céder le
Vieux aux enfants qui n'attendaient que cela.

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De joie ils dansèrent autour du fauteuil.

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L'œil en biais, inquiet à ce qu'il semblait, Isaac les examina
autant qu'il lui était possible, se demandant sans doute ce que les petits
méditaient et avaient l'intention de faire de lui maintenant qu'ils
l'avaient en leur possession.

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En fait ce n'était rien de bien terrible. Seulement de le
mener là où les femmes avaient échoué, au sommet du mamelon le plus proche.

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Ils s'y attelèrent à douze, l'entière population enfantine
du village, à partir de six ans.

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L'un l'autre s'aidant à pousser, chacun les mains appuyées aux
hanches de celui qui précédait, penchés tous dans le même sens et sans gas-
piller de force à rire, graves et appliqués dans leur
effort, ils montaient
pouce à pouce, le fauteuil en tête, en une mince petite procession serrée
comme celle des four n m is accordées qui vont droit au but, et enfin ils

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parvinrent sur la crête de la colline nue chauve devant ce le ciel répandu à l'in-
fini. Alors seulement ils s'accordèrent pour de se reposer.

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Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait
apercevoir la ligne d'argent de l'océan glacial qui aujourd'hui n'avait
rien de dur dans sa rigueur. Le ciel, presque sans nuages, était rempli
d'une douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné
que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant
de mourir avait le goût de
revoir? Savaient-ils même déjà peut-être , dans leurs fins petits cerveaux ,
que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler?
Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici?

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Ils semblèrent en tout cas comprendre les quelques sons par les-
quels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils cal l è-
rent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avait
recommandé leur mère, et laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu
de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute
hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait
sur ce versant aussi de la colline. Longtemps ils s'amusèrent à tenter
d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un
grand bruit joyeux dont en parvenait la gaieté au vieillard assis au milieu
du ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui, dans sa pose atten-
tive, les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer, de
l'horizon et de l'air, une sorte
de grand sermon quelques mots silencieux.

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Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui arri-
vait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible prolon-
gement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain.

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On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait goût
à vivre.

Image III

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Souvent encore, les enfants le m a e nèrent là-haut, soit qu'ils
eussent pressenti le bonheur qu'éprouvait le vieil homme lorsqu'on le
portait en plein ciel, soit qu'ils eussent maintenant plus de plaisir
à jouer de ce côté-ci de la colline.

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Quelquefois Parfois cependant, dans leur hâte de courir à la vers quelque découverte ,
de quelque chose de neuf, ils abandonnèrent Isaac dans des creux mornes
où il n'y avait à voir ni eau frémissante ni lointain mystérieux.
Alors
le vieil Esquimau semblait vraiment las d'être encore de ce monde. Même
ceux qui à cause de sa joue plissée avaient prétendu qu'il devait encore
avoir parfois envie de rire, n'eussent jamais plus osé soutenir pareille
version s'ils avaient seulement pu voir surprendre Isaac alors que les enfants l'ou-
bliaient pendant des heures dans des dépressions de terrain que n'attei-
gnaient ni
le vent ni le soleil.

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Les enfants, quand ils s'avisaient enfin de venir le chercher,
semblaient alors quelque peu conscients de la détresse d'Isaac et craignaient
de le regarder du côté de son bon œil, par peur de l'intensité d'expression
qu'il réussissait encore à y mettre.

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Le lendemain, pour réparer, ils ne manquaient jamais de le
mener, tout en chantant, sur le pic de la vieille petite colline.

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De son côté, le Vieux faisait alors des efforts accrus pour
remuer les doigts, soulever la main, atteindre les petites joue rondes et fraîches
et heureuses des enfants. Il parvenait presque à esquisser parfois ce qui
pouvait avoir l'air d'une caresse...dans le vide.

X X X

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Un jour pourtant ils l'oublièrent sur le haut du mamelon.
Les mères ne s'avisèrent pas immédiatement que les enfants revenaient
seuls. On était tellement habitués à les voir de compagnie, le Vieux avec

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sa ribambelle d'enfants qui le trimbalait à longueur de journée, que
cette fois encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle
avant tant de fois enregistrée, on se figura les avoir vus ensemble
comme toujours.

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Même Esmeralda, l'heure du souper venu e , ne s'aperçut pas en-
core qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et
avait averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se dé-
brouiller chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les
bras croisés. Il y avait des moments
où l'atavisme renaissait très fort
chez tous ces gens-là, pour essuyer ensuite, il est vrai, une autre terri-
ble déroute, sous le vent du progrès.

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Toujours est-il que vers minuit, tout le monde étant tous rentré s se
coucher, il devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir que le
Vieux n'était pas là.

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Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant Isaac à la maison. C'était
comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez grande pour
lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et appe-
lait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire de même,
un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de la partie,
couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce charivari,
les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement. Peut-
être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir
qu'elle était apparemment la
seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle s'en plaignit, face
au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être entendue par ceux
qui
avaient encore assez peu de cœur pour dormir en une pareille extrémité.

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Or, à ce moment même, comme elle se trouvait à regarder du côté
du gros mamelon à droite, elle y perçut distinctement, cette fois, des
nuages s'écartant, le Vieux, de profil, bien découpé contre le ciel de
transparence obscure, en noir sur noir, les mains aux accoudoirs, un
faible croissant de lune sur la tête, qui plus que jamais faisait penser
à un vieux roi... mais maintenant dépossédé.

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Elle s'empressa d'aller le chercher. En le ramenant, la des-
cente lui donnant beaucoup de mal avec ce lourd fauteuil difficile à rete-
nir, qui semblait maintenant vouloir voler de son plein gré, elle ne put
toutefois s'empêcher de maugréer un peu comme si c'était par sa faute
qu'Isaac était resté dehors si tard.

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En tout cas, lui signifia-t-elle, c'était fini pour lui de se
promener de tous côtés. Il allait maintenant rester sous ses yeux, à la
maison, et si parfois elle permettait peut-être encore qu'il s'assoie dans
le fauteuil, ce serait pour n'aller nulle part.

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Mais sans suite et sans grande détermination dans les idées,
un autre jour que les enfants étaient venus à trois ou quatre reprises lui
demander s'ils ne pourraient pas " ravoir " le Vieux, elle finit par se
laisser fléchir, ou se lasser, et dit, sans trop s'en rendre compte peut-
être, fatiguée de les voir tourner autour d'elle :
— Prenez-le donc et laissez-moi tranquille à la fin.

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Et tout recommenca comme avant. On alla en haut, en bas,
autour du lac et par-delà ce versant-ci de la colline.

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Dans toute sa vie d'adulte Isaac n'avait probablement pas vu
autant de petits coins charmants de son pays que les enfants le menèrent
en voir cet été-là.

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Ils réussirent un matin à capturer un papillon des plus rares,
venu au monde, par on ne sait quel caprice de la création, dans le désert
de l' Arctique , pour exister une journée seulement,
dans son habit de bal.
Ne sachant qu'en faire, ils le donnèrent au Vieux.

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Ils lui mettaient souvent aussi entre les mains de petites
fleurs.

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Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes enfants insouciants, et
ils " l'oublièrent " encore une fois. Or, cette nuit-là, Esmeralda s'était
endormie de bonne heure, abattue comme une souche. Elle ne se réveilla
même pas au grondement subit de
l'orage. Ensuite tout se déchaîna.

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La pluie tomba à plein ciel sur le Vieux bien placé pour la
recevoir, en haut du mamelon. Les vents le souffletèrent de tous côtés.
La nature entière semblait lui en vouloir d'être encore de ce monde, à
moins que ce ne fût le contraire et que, clémente à sa manière, elle
travaillât à l'en soustraire.

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Les éclairs révélaient de temps à autre, au sein de l'obscurité,
son visage inscrutable. Il avait toujours été difficile de savoir à quoi
pensait Isaac , même au temps où il se livrait encore un peu, à cause d'une
manière de parler rien qu'à lui, caustique et déroutante.

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Par exemple cette idée naguère exprimée par lui que l'on devrait
mourir en faisant le moins d'histoires possible et à laquelle aujourd'hui
il n'arrivait pourtant pas à se conformer, comme pour se donner à lui-même
un démenti.

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Son visage ruisselant apparaissait sur un fond de ciel tourmenté,
s'effaçait en même temps que des tourbillons de nuage, revenait sur l'horizon.

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Se réjouissait-il, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau, de l'amertume des éléments, les
alliées, cette nuit-ci peut-être , de son âme lasse? Ou pensait-il
plutôt
aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri?

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La pluie cessa. Sur la butte chauve, Isaac, écrasé dans
son fauteuil, ressemblait à quelque créature végétale abi ^ mée par trop
d'eau. Mais, l'orage passé et le vent aidant, une plante peut du moins
se se secouer quelque peu et commencer à se sécher.
Lui ne pouvait
même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses membres.

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Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla
par un clair matin de fin d'été.

Image IV

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Pour quelles vraies raison au fond Esmeralda se remit-elle
à le soigner? Par compassion? Par remords? Ou peut-être plutôt par
entêtement, par habitude? Celle-là prise acquise , il est sûr qu'il n'est pas
facile de savoir y renoncer, comme il faut bien pourtant en venir un jour ou l'autre à
s'y résoudre . un jour. Esmeralda semblait s'être prise au jeu. Elle
enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures. Elle le transporta d'un
coin à l'autre, là où il y
avait un peu de soleil. Elle lui eut de la
péniciline d'une voisine à qui il en était resté de la dose laissée par
l'infirmière à sa dernière visite.

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Elle fit tant et si bien qu'elle réussit, comme elle pu t s'en
vanter, à "sauver" Isaac, et en tira un curieux mélange de fierté, de
fatigue et, tout compte fait, d'embarras, car "sauvé", Isaac ne valait
pas cher.

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Il était même à ce point fondu et rapetissé que sa bru pou-
vait aisément le porter à bras d'un coin à l'autre de la hutte quand
elle se mettait en tête de nettoyer partout.

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Il y eut quelques beaux jours encore. Au cours de l'un d'eux,
comme Esmeralda surprit le regard d'Isaac fixé sur le fauteuil, elle se
laissa apitoyer. Pauvre Vieux, il avait donc à ce point pris goût à son
trône!

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Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula au dehors de manière à
ce qu'il pût avoir sous les yeux un petit aperçu encore du lac et du
ciel, sans pour cela le perdre elle-même de vue, du fond de la hutte et des
molles rêvasseries qu'elle y poursuivait.

— C'est fini, lui expliqua-t-elle, de rôder de tous bords, de
tous côtés. Vous allez rester devant la porte maintenant, le père.

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Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance dans le vieux

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regard si las? En tout cas, elle alla s'occuper de choses et d' autres
et revint le disputer réprimander un peu:
— Des peurs comme vous nous en avez faites, faudrait plus
que ça recommence.

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Les enfants passaient sans plus jamais s'arrêter pour demander
comme une grâce de promener le Vieux. Ils avaient d'autres jeux en tête,
et puis, à la longue, s'était usé le bizarre attrait du grand fauteuil
à roues. On ne sait d'ailleurs trop comment cela s'était fait, d'étape
en étape, mais un jour on fut devant l'évidence: pas plus que les vieux
pneus échoués ici, pas plus que les bidons tonneaux à mazout amoncelés au rebut, le
fauteuil faisait-il encore de l'effet. Il était entré dans le paysage.

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En même temps que son fauteuil, Isaac avait aussi peu à peu
perdu de l'importance.

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Il n'y eut plus guère pour l'approcher en tout temps, avec une
curiosité sympathique mêlée à de la crainte, qu'un pauvre chien boiteux
que de jour en jour l'on remettait d'abattre parce que naguère il avait
été si vaillant.

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Or la caresse à laquelle s'était longuement exercé Isaac pour le
cas où les enfants reviendraient le chercher, quand enfin il put l'esquisser,
ce fut le chien qui se trouva là pour la recevoir. C'était un pauvre chien
q ui n'avait jamais pour ainsi dire senti la main de l'homme se poser sur lui
uniquement par amitié. De surprise, il s'assit, tout tremblant, les yeux
dans le regard de l'homme, et se prit à pleurer comme s'il était capable tout
d'un coup de revoir sa vie de chien d'un bout à l'autre, de fil en aiguille.

X X X

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Ç'avait été malgré tout un bien bel été... mais il s'achevait et
rien ne pouvait faire qu'on n'entrerait
bientôt dans le cruel hiver tout
claquemuré.

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De jour en jour, se décidant à la toute dernière minute seule-
ment à sortir encore une fois le Vieux, Esmeralda l'avertissait charita-
blement:
— C'est peut-être la dernière fois.

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De l'endroit où Esmeralda installait le fauteuil jusqu'au
bord du lac , il n'y avait pas loin, en fait une trentaine de pieds seule-
ment, et le terrain était en pente assez bien battue.

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Sans cesse Isaac gardait l'oeil fixé sur l'eau à ses pieds.
A l'approche du gel, elle était lourde déjà, un peu figée sur les bords.
Presque sans mouvements, elle r é e flétait à merveille la chaude couleur des
lichens avant leur mort. Ils ourlaient le tour entier du lac d'un bel
ourlet régulier et minutieux. C'était presque le plus beau temps de
l'année, à bien y penser, vivifiant, court, poignant. Sous la couver-
ture qu'on avait mis sur les genoux du Vieux , on ne s'apercevait pas que
sans arrêt sa main tentait de faire tourner la roue droite du fauteuil.

X X X

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Un jour il y parvint. Esmeralda leva la tête juste à temps pour
le voir filer. Elle ne fit qu'un saut, attrapa le fauteuil à deux doigts
du bord du lac. Elle était toute tremblante de crainte, d'énervement, de
dépit, et sans doute en son agitation entraient-ils bien d'autres senti-
ments encore qui se contredisaient tous les uns les autres.
— En voilà des choses à faire! reprocha-t-elle.

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Elle cherchait de l'oeil une bonne grosse pierre pour caler le
fauteuil et se fâchait de n'en point voir ne pas en trouver . Elle l'aurait bien rentré

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et remisé une bonne fois pour toutes, mais, pour lui faire place dans la
cabane, il fallait d'abord en sortir des tas d'objets pour lesquels il eût
fallu auparavant trouver aussi de la place, ailleurs. On était
toujours,
dans ce grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin, d'un bout de bois ,
elle cala le fauteuil. En se relevant, tout essouflée, à moitié
triomphante
d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir encore avec tout
cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de ce visage mort un regard
toujours étonnamment vivant, doué d'une volonté bien personnelle, qui lui
criait silencieusement
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?

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Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler
intelligiblement c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune
réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui pourquoi elle cherchait
à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon nu et crut
voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
comprendre. Partout dans le monde.

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Elle frissonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
— Il n'y a plus rien qui reste chez nous, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah.
" Ils " sont arrivés avec toutes leurs questions; " ils " ont demandé pourquoi.
" Ils " nous ont fait honte.

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Elle se pencha sur lui, arrangea sa couverture, le menaça,
comme impuissante, sans méchanceté : — « Il faut vivre à présent... » et
courut vivement se mettre au chaud dans la cabane.

État 5 - Le fauteuil roulant

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parvinrent sur la crête de la colline nue en plein devant ce ciel répandu à l'in-
fini. Alors seulement ils s'accordèrent de pour se reposer.

Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait
apercevoir la ligne d'argent de l'océan glacial qui n'avait rien aujourd'hui
dans sa rigueur de dur . Le ciel, presque sans nuages était rempli d'une
douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné
que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant de mourir avait le goût
de revoir? Savaient-ils même déjà peut-être dans leurs fins petits cerveaux
que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler?
Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici?

Ils semblèrent en tous cas comprendre les quelques sons par les-
quels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils collè
rent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avaient
recommandé leur mère, et laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu
de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute
hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait
sur ce versant aussi de la colline. Longtemps ils s'amusèrent à tenter
d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un
grand bruit joyeux dont en parvenait la gaieté en vieillard assis en plein au milieu
du ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui , dans sa pose attentive,
les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer, du ciel de l'horizon
et de l'air, une sorte de grand sermon silencieux.

Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui ar-
rivait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible pro-
longement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain.

On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait
goût à vivre.

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sa petite troupe qui le trimbalait à longueur de jour née , que cette fois
encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant
de fois enregistrée , on se figura les avoir vus ensemble comme toujours.

Même Esmeralda, l'heure du souper venu, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait
averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller
chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras
croisés. Il y avait des moments où l'atavisme renaissait très fort
chez tous ces gens-là, pour recevoir essuyer ensuite, il est vrai, une autre
terrible mise en déroute.

Toujours est-il , qu'à près de que vers minuit, tout le monde était rentré se
coucher, il n'y eut pas moyen pour devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir enfin
que le Vieux n'y n' était pas . là.

Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant à la maison Isaac.
C'était comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez
grande pour lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et
et appelait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire
de même, un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de
la partie, couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce
charivari, les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement
dans les huttes. Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir qu'elle
était apparemment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle
s'en plaignit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être
entendu par ceux qui avaient encore assez peu de coeur pour dormir en une
pareille extrémité.

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Etait-il content, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau et de la grande amertume des élé-
ments en toute sympathie peut-être liée unies cette nuit -là avec dans une immense compassion pour tout ce qui souffre,
tout ce qui attend, tout ce qui espère? Ou pensait-il plutôt aux autres, à cette
heure , bien au chaud, à l'abri?

La pluie cessa. Sur la butte chauve, dans ce pays sans arbre,
Isaac, écrasé dans son fauteuil, aurait pu faire penser à quelque créature
végétale abimée par trop d'eau. Mais, l'orage passé, l'arbre du moins
peut se secouer, le vent aidant, et commencer à se sécher. Pour lui, il
ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses mem-
bres.

Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par
une claire et brillante matinée de fin d'été.

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et remisé une bonne fois pour toutes mais , pour lui faire place dans la
cabane , il fallait d'abord en sortir des tas d'objets auxquels il fallait
auparavant trouver de la place ailleurs. On était toujours, dans ce
grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin elle trouva un bout de
bois pour caler le fauteuil. En se relevant, tout essoufflée, à moitié
triomphante d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir
encore avec tout cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de
ce visage mort un regard étonnamment vivant encore , doué d'une volonté
bien personnelle, et qui lui criait silencieusement :
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?

Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intel-
ligiblement ce serait c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune
réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui, au fond, pourquoi elle
cherchait à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon
nu et crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
voir. Tout se sait. On est des civilisés maintenant.

Elle frisonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
— Les choses se savent loin, loin, loin, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avec vu avec Deborah ! .
« i I ls » sont arrivés avec toutes leurs questions ; « ils ont demandé pourquoi.
« Ils » ne nous ont pas laissés en paix. Il faut vivre jusqu'au bout à présent.

Elle se pencha sur lui, lui arrangea sa couverture, le menaça ,
comme impuissante, sans méchanceté. — « Les choses se savent » ... » et elle cou-
rut vivement se mettre au chaud dans la cabane.

État 4 - Le fauteuil roulant

Image

Roy
La Rivière sans repos "Le
Fauteuil roulant" M dacty-
lographié p.63-
Pages un ou deux mots p.79-

Image I

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Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à recevoir le
colis qui leur serait descendu livré , au passage, par la voie des airs. Gros
et encombrant comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos d'homme à
travers la toundra raboteuse et partout coupée de petits lacs, un pour ain-
si dire dans chaque creux de terrain.

Sync

L'avion ne se poserait pas. Il survolerait le village en cher-
chant du coin de l'oeil un endroit propice où laisser choir le colis avec
le plus de ménagements possibles. A eux Aux gens de le recueillir et d'en prendre
bien soin, car il est peu probable qu'un de ses pareils viendrait jamais
le rejoindre dans l' Arctique .

Sync

C'est ainsi, par le ciel, par un beau soir d'été n'en finissant plus de durer,
qu'aboutit, par le ciel, à Igugwik , petite communauté esquimaude non loin
de la Baie de l'Ungava , le grand fauteuil roulant envoyé par une société
philanthropique à Isaac qui, depuis son accident à la chasse au phoque,
l'hiver précédent, était changé pour ainsi dire en roc de la tête aux pieds.

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Peut-être, s'il avait encore pu s'exprimer avec une parcelle de la
vivacité de jadis, Isaac aurait-il d'abord demandé à savoir comment il se
faisait qu'il était maintenant assez connu pour qu'on lui envoie une chaise
du bout du monde.

Sync

Retirée de sa caisse et exposée contre tout le grand ciel nu qu'il
y a par là-bas,
elle fit en tout cas un effet extraordinaire avec ses accou-
doirs ch o r omés, son dossier, son siège rembourré, ses deux grandes roues
garnies de caoutchouc, enfin en bref une attention au confort comme on n'avait jamais n'aurait même
pas même pu supposer par su quelques mots ici qu'il pût y en avoir eût de par le monde.

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Les bien-portants eurent l'idée de l'essayer pour voir ce que l'on

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Sync

peut ressentir à être devenu invalide, et se prirent à rire et se passè-
rent le fauteuil et eurent un plaisir fou à s'imaginer être désormais in-
capables de mettre un pied devant l'autre et n'avoir plus qu'à se laisser
promener pour le reste de leurs jours.

Sync

A la fin pourtant on songea à venir montrer son fauteuil à
Isaac. Evidemment Isaac était un homme bien changé depuis le temps où il
avait soutenu sur tous les tons que mourir n'est pas difficile, qu'il n'y
a qu'à s'y laisser aller, le moment venu, que rien n'est plus facile en
vérité, qu'il n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau jour de son
plein gré vers la mort. Lui-même n'y parvenait point pourtant, ne pensant
sans doute qu'à cela, laissé seul dans ce coin précisément de la hutte d'où
une autre femme de sa famille, sa propre fille Deborah, avait pu , elle aussi ,
se tirer.
Tandis que lui!

Sync

De son oeil valide, il parut examiner le fauteuil. A quelqu'un
qui ne s'était jamais de toute sa vie assis que par terre ou, à la rigueur,
sur un petit banc dur à l'église, ce curieux fauteuil faisait peut-être l'ef-
fet d'un trône. S'il demeurait en peu de malice d'autrefois dans la vieille
tête, peut-être même deux ou trois mots il en en était -il en ce moment peut-être à rire en lui-même de voir
tout le dérangement qu'il avait réussi à occasionner à lui seul. Mais , avec un
côté du visage inerte , et l'autre pas beaucoup à peine plus vivant, Isaac, de physiono-
mie jadis si vive, en était réduit à avoir l'air terriblement éloigné de tout ,
alors qu'il ne l'était peut-être pas complètement encore sait un mot encore, au fond tout à fait .
Les quelques sons
qu'il parvenait encore à se sortir de la gorge ne lui étaient un mot guère plus
utiles. Ou on ne les comprenait pas ou on le feignait, faisait semblant pour ne pas avoir à renouveler
quelques mots trois mots l'effort de à toujours l'écouter attentivement.
Il est vrai aussi que les gens d'ici ici
étaient
bien changés depuis la disparition de Deborah et l'enquête qui avait
suivi, des envoyés du G g ouvernement, arrivant à plein avion pour poser, à n'en

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plus finir, des questions sans rime ni bon sens: — « Avait-elle l'air décou-
ragée? Etait-elle encore saine d'esprit? Pourquoi, selon vous ? » , a-t-elle agi de la sorte? »

Sync

Après cette histoire, on n'avait pas envie, en tout cas, d'avoir
encore par ici sur les bras des décès qui eussent pu avoir l'air librement
consentis et de se singulariser ainsi à la face pour ainsi dire du monde.

Sync

On en était donc venu, ici comme un peu partout , sur la terre,
à tâcher
de "garder" les gens en vie le plus longtemps possible, de gré
ou de force. La mort s'éloignait des Esquimaux presque autant qu'elle s'é- tait
loignait éloigné que des Blancs.

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Isaac aurait évidemment pu refuser d'avaler les bouchées que sa
bru , Esmeralda , lui mettait sur la langue et qui étaient d'ailleurs loin
d'être toujours les meilleures. Il semble qu'il avait essayé une fois.
Mais était-ce dégoût de cette nourriture-là? Ou de lui-même? Ou de vivre
encore? Toujours est-il qu'Esmeralda lui avait remis le morceau de viande
dans la bouche et qu'il l'avait avalé cette fois, soit que l'appétit en
fin de compte eût été plus fort que la tristesse, ou bien encore parce
qu'il n'avait pas pu faire autrement.

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Et peut-être aussi se faisait-il malgré tout à sa condition, enfin à
moitié
engourdi , déjà, sur le point , comme au bord du froid extrême, de s'en
aller dans le grand sommeil, si ce fameux fauteuil, en parvenant jusqu'à
eux, n'eût réussi à tout remettre encore une fois en cause: la vie, la
mort, ce qu'il faut faire pour elle ou contre elle... et quand s'en aller...

Image II

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La joyeuse surexcitation provoquée par la livraison du fauteuil
à peine émoussée, d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.

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Sortie de sa tanière, Eleonora, une vieille cousine d'Isaac,
s'en vint faire trois fois le tour du fauteuil et finit par offrir d'en-
vieuses félicitations:
« Hé! Hé! Quelqu'un était bien vu par ici! Hé! Hé! Il suffi-
sait
apparemment de perdre l'usage de ses deux jambes pour tout recevoir
en échange. Il y avait en ce monde des chanceux...

...chanceux! reprit plus ou moins distinctement Isaac du coin de
sa bouche tordue en guise peut-être de protestation, et c'est ce que la plu-
part entendirent ! , à moins que ce fût seulement " huh euh , euh! "

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Mais Alfreda, elle, un peu sourde, entendit "heureux, heureux",
et se traînant sur ses vieilles jambes enflées approuva avec mauvaise humeur:
— Je te crois bien que tu as des raisons de te dire heureux. Si
tu ne l'étais pas encore! ...
et commença à laisser entend r e qu'il n'y avait
pas qu'Isaac ici à avoir besoin d'une bonne chaise, et que celle-ci pouvait
bien ne pas avoir été envoyée rien qu'à lui.

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Esmeralda les voyait venir ces deux-là et ne perdit pas de temps à
mettre les choses au point.
— Ce siège-là, dit-elle, à la ronde, est envoyé au Vieux par ses
amis de la Fédération des Infirmes, et moi ici présente, personne ne va le
lui prendre et le lui user une heure par-ci , une heure par-là.

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Des témoins qui avaient étroitement surveillé le visage d'Isaac
pendant qu'Esmeralda prenait sa défense, crurent voir qu'il en avait l'air
content.

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Sync

Alors la bonne humeur revint, et on s'empara d'Isaac.

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A quatre, à six, on le souleva, on réussit à lui faire plier
les jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.

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Alors, était-ce à cause de la pose, les deux vieilles mains ridées
posées sur les accoudoirs, la tête se tenant raide, mais Isaac prit aussitôt
l'air d'un vieux roi encore régnant. Presque tous en furent frappés jusqu'à à lui
accorder une toute nouvelle considération.

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Sans plus tarder, on partit le promener à travers son rude pays.

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Tout le sol est cahoteux là-bas, en bosses par ici, en un mot bosses par
là, abrupt es et traîtres sous la mousse de caribou qui
donne bien à tort
l'impression de l'uni, l'on ne pouvait aller vite, mais , même à petit train ,
le fauteuil tanguait et à chaque tour de roues butant contre la mousse le lichen rê-
che projetait le paralytique tête en avant. On voyait remuer ses lèvres.
Essayait-il de protester? Demandait-il d'être laissé tranquille? Ou était-
il au contraire tout réveillé par cette promenade et cherchait-il à obtenir
des détails? On lui en avait fourni au départ comme à quelqu'un en visite .
Maintenant, dans l'effervescence générale, on l'oubliait un peu. Lui, à faire
tant d'efforts accrus, et peut-être désespérés , pour parler, la lèvre toute re-
troussée, en vint à avoir vraiment l'air de rire.
De lui voir cet air-là, assis
dans son bon fauteuil déjà si drôle, porta les femmes au fou rire, l'une en-
traînant l'autre au fur et à mesure qu'elles s'apercevaient être nombreuses
à trouver la situation comique. De tant rire leur enleva des forces pour
pousser le fauteuil dans les petites remontées, ce qui les amena a rire en-
core plus, si bien , qu'arrêtées en pleine pente, elles ne pouvaient purent bientôt plus
rien faire d'autre.

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A quelque distance, les hommes, à voir les femmes tant s'esquinter
pour si peu de résultat, partirent tout d'un coup eux aussi à rire de bon coeur.

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Longtemps après que le village eut perdu de vue le sentiment
d'ailleurs assez confus qui les l' avait tant porté s à rire ce jour-là, il
arrivait à l'un et à l'autre, soudainement, au milieu de ses souvenirs,
de se mettre à pouffer, et les autres en devinaient aussitôt la raison
et se prenaient aussi à rire, sachant que cette gaieté-là du moins, quoi
qu'il arrive, jamais elle ne leur serait tout à fait enlevée.

X X X

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Les femmes, toutefois, se lassèrent assez vite de pousser le
fauteuil. Nulle part il n'y avait de terrain propice. Ou bien c'était
le lac autour duquel étaient assemblées les pauvres huttes, ou bien c'était
le sol invariablement spongieux et bosselé. Sur la mousse de caribou d'une
consistance non très loin assez proche de celle du caoutchouc, les belles grandes roues
somme toute tournaient fort mal. Les femmes finirent
par céder le v V ieux
aux enfants qui n'attendaient que cela.

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De joie ils dansèrent autour du fauteuil.

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L'oeil en biais, inquiet à ce qu'il semblait, Isaac les examina
autant que qu'il lui était possible, se demandant sans doute ce qu'ils que les petits méditaient et pouvaient avaient
bien entendre l'intention de faire de lui maintenant qu'ils l'avaient en leur possession.

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En fait ce n'était rien de bien terrible. Seulement de le mener
là où les femmes avaient échoué , au sommet du mamelon le plus proche.

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Ils s'y attelèrent à douze, l'entière petite population enfantine
du village, à partir de six ans.

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L'un l'autre s'aidant à pousser, chacun les mains appuyées aux
hanches de celui qui précédait, penchés tous dans le même sens et sans gas-
piller de force à rire, graves et appliqués dans leur
effort, ils montaient
pouce à pouce, le fauteuil en tête, en une mince petite procession serrée
comme celle des fourmis accordées qui vont droit au but, et enfin ils

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refaire parvinrent sur la crête de la colline nue en plein devant ce ciel répandu à l'in-
fini. Alors seulement ils s'arrêtèrent s'accordèrent de pour se reposer.

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Ici le souffle du vent était large et pur. Au loin on pouvait
apercevoir la ligne d'argent de l'océan glacial qui n'avait rien aujourd'hui
dans sa rigueur de dur . Le ciel, presque sans nuages , était rempli d'une
douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les enfants avaient-ils deviné
que c'était l'endroit précisément qu'Isaac avant
de mourir avait le goût
de revoir? Savaient-ils même déjà peut-être dans leurs fins petits cerveaux
que la mer est ce que tout bon Esquimau, avant de mourir, désire contempler?
Ou avaient-ils tout simplement eu envie de venir jouer par ici?

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Ils semblèrent en tout cas comprendre les quelques sons par les-
quels Isaac fit savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit. Ils c o a llè-
rent les roues du fauteuil avec des mottes de mousse, comme le leur avaient
recommandé leur mère, et laissant le Vieux bien en évidence au beau milieu
de l'horizon, sur le plus haut point des alentours, ils coururent en toute
hâte se mettre à jouer, en bas, autour d'un autre petit lac qu'il y avait
sur ce versant aussi de la colline.
Longtemps ils s'amusèrent à tenter
d'attraper des poissons avec leurs mains nues et ils menaient là-bas un
grand bruit joyeux dont en parvenait la gaieté en vieillard assis en plein au milieu du
ciel, cheveux au vent, par ailleurs immobile, et qui , dans sa pose attentive,
les yeux fixés dans l'infini, paraissait écouter, venu de la mer, du ciel de l'horizon lointain
et de l'air, une sorte
de grand sermon silencieux.

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Le vent propre le nettoyait des odeurs de la maladie. Il lui ar-
rivait même à l'oreille, quand les enfants se taisaient, quelque faible pro-
longement de la rumeur de la mer qui battait le rivage lointain.

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On eut comme le sentiment qu'Isaac, ces jours-là, reprenait
goût à vivre.

Image III

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Souvent encore, les enfants le menèrent là-haut, soit qu'ils
eussent pressenti le bonheur qu'éprouvait le vieil homme lorsqu'on le
portait en plein ciel, soit qu'ils eussent maintenant plus de plaisir à
jouer de ce côté-ci de la colline.

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Quelquefois cependant, dans leur hâte de courir à la découverte
de quelque chose de neuf , pour eux, ils abandonnèrent Isaac dans des creux
mornes où il n'y avait à voir ni eau frémissante ni lointain mystérieux.

Alors le vieil Esquimau semblait vraiment las d'en d' être encore à attendre. de ce monde.
Même ceux qui à cause de sa joue plissée , avaient prétendu qu'il riait encore, devait encore avoir parfois envie de rire,
tout seul, un mot n'eussent jamais plus osé soutenir pareille chose version s'ils avaient
seulement pu le voir Isaac alors que les enfants l'oubliaient pendant des heures
dans des dépressions de terrain que n'atteignaient ni
le vent ni le soleil.

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Même l L es enfants, quand ils s'avisaient enfin de venir le chercher,
semblaient alors quelque peu conscients de la détresse d'Isaac et craignaient de le re-
garder du côté de son bon oeil, par peur de l'intensité d'expression qu'il
réussissait encore à y mettre.

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Le un mot lendemain, pour réparer, ils ne manquaient jamais de le mener,
tout en chantant, sur le pic de la vieille petite colline.

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De son côté, le Vieux faisait alors des efforts accrus pour remuer
les doigts, soulever la main, atteindre les petites joues fraîches et heureu-
ses des enfants. Il réussissait parvenait presque à esquisser parfois ce qui avait pouvait
avoir l'air ... dans l'air... d'une caresse... dans le vide.

X X X

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Un jour pourtant ils l'oublièrent sur le haut du mamelon. Les mè-
res ne s'avisèrent pas non plus immédiatement que les enfants revenaient
seuls. On était tellement habitués à les voir de compagnie, le Vieux avec

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sa petite troupe ribambelle d'enfants qui le trimbalait à longueur de journée, que cette fois
encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant
de fois enregistrée, on se figura les avoir vus ensemble comme toujours.

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Même Esmeralda, l'heure du souper venu, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait
averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller
chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras croi-
sés. Il y avait des moments
où l'atavisme renaissait très fort chez tous
ces gens-là, pour essuyer ensuite, il est vrai, une autre terrible déroute . , sous le vent du progrès.

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Toujours est-il que vers minuit, tout le monde étant rentré se
coucher, il devint impossible à Esmeralda de ne pas s'apercevoir que le
Vieux n'était pas là.

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Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant à la maison Isaac . C'était
comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez grande pour
lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et appe-
lait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côté et faire de même,
un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de la partie,
couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce charivari,
les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement . dans les
huttes.
Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir
qu'elle était appa-
remment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle s'en plai-
gnit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être entendu e
par ceux qui
avaient encore assez peu de coeur pour dormir en une pareille
extrémité.

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refaire sa petite troupe qui le trimbalait a longueur de jour née , que cette fois
encore, par une illusion de la mémoire et de l'image qu'elle avait tant
de fois enregistrée , on se figura les avoir vus ensemble comme toujours.

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Même Esmeralda, l'heure du souper venu, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce jour-là en veine de fainéantise et avait
averti tout son monde d'avoir à se chercher à manger et à se débrouiller
chacun pour soi, car elle-même entendait rester aujourd'hui les bras
croisés. Il y avait des moments où l'atavisme renaissait très fort
chez tous ces gens-là, pour recevoir essuyer ensuite, il est vrai, une autre
terrible mise en déroute.

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Toujours est-il ,qu'à près de que vers minuit, tout le monde étant rentré se
coucher, il n'y eut pas moyen pour devint impossible à Esmeralda de ne ne un mot pas un mot pas s'apercevoir enfin
que le Vieux n'y n' était pas . là.

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Elle sortit de la hutte. Les étoiles étaient pâles et incer-
taines encore dans un ciel lui-même à peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous côtés, rappelant à la maison Isaac.
C'était comme si elle eût oublié qu'il ne pouvait ouvrir la bouche assez
grande pour lui répondre. Elle se tournait vers un point du vaste pays désert et
et appelait, la tête levée haut, pour se retourner de l'autre côte et faire
de même, un peu à la manière des chiens qui d'ailleurs se mirent aussi de
la partie, couvrant bientôt complètement la voix d'Esmeralda. Malgré ce
charivari, les autres avaient tout l'air de continuer à dormir paisiblement
dans les huttes. Peut-être Esmeralda fut-elle vexée de découvrir qu'elle
était apparemment la seule à se faire encore du souci pour le Vieux. Elle
s'en plaignit, face au ciel nocturne, haussant la voix pour tâcher d'être
entendu par ceux qui avaient encore assez peu de coeur pour dormir en une
pareille extrémité.

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Or, à ce moment même, comme elle se trouvait à regarder du côté
du gros mamelon à droite, elle y perçut distinctement , cette fois, des nua-
ges s'écartant, le Vieux, de profi l , bien découpé contre le ciel de trans-
parence obscure, en noir sur noir, les mains aux accoudoirs, un faible
croissant de lune sur la tête, qui plus que jamais faisait penser à un
vieux roi... mais un roi maintenant dépossédé.

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Elle s'empressa d'aller le chercher. En le ramenant, toutefois,
la descente lui donnant beaucoup de mal avec ce lourd fauteuil difficile à
retenir, qui semblait maintenant vouloir voler de son plein gré, elle ne
put toutefois s'empêcher de maugréer un peu Isaac comme si c'était par sa faute qu'Isaac
qu'il était resté dehors si tard.

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En tout cas, lui signifia-t-elle, dès en arrivant en bas, un mot c'était
fini pour lui de se promener de tous côtés. Il allait maintenant rester
sous ses yeux, à la maison, et si , parfois , elle permett r ait peut-être
encore qu'il s'assoie dans le fauteuil, ce serait pour n' aller nulle part.

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Mais sans suite et sans grande détermination dans les idées,
un autre jour que les enfants étaient venus à trois ou quatre reprises lui
demander s'ils ne pourraient pas "ravoir" le Vieux, elle finit par se lais-
ser fléchir, ou se lasser, et dit, sans trop s'en rendre compte peut-être,
fatiguée de les voir tourner autour d'elle:
— Prenez-le donc et laissez-moi tranquille à la fin.

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Et tout recommença comme avant. On alla en haut, en bas, autour
du lac et par-delà ce versant-ci de la colline.

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Dans toute sa vie d'adulte Isaac n'avait probablement pas vu
autant de petits coins charmants de son pays comme que les enfants le menèrent
en voir au cours de cet été-là.

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73 Ils réussirent un matin
à capturer un papillon
des plus rares, venu
au monde, par on
ne sait quel caprice de
la création, dans le
désert de l' Arctique ,
pour exister une
journée seulement, dans
son habit de bal. Ne
sachant qu'en faire,
ils le donnèrent au Vieux.

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Ils réussirent à capturer un jour un spécimen d' un papillon des plus rares , brillante créature revêtue comme pour un bal dans le désert de l' Arctique , où elle vient au monde pour une existence d'un jour seulement.
papillons qui soient, qui, on ne sait par quel caprice de la création,
vient au monde pour vivre une seule journée d'existence,
paré portant d'une
beauté inouie de couleur, au fin fond de l' Arctique , là ou presque aucun
regard ne l'a jamais pu voir.
[] [illis.] [écriture sténographique] tournure de noces, Ne sachant qu'en faire, ils le donnèrent
au Vieux.

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Ils lui mettaient souvent aussi des petites fleurs dans entre les
mains . de petites fleurs.

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Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes enfants insouciants, et
ils "l'oublièrent" encore une fois. Or, cette nuit-là, Esmeralda s'était
endormie de bonne heure, abattue comme une souche , . et Elle ne se réveilla même
pas au grondement subit de
l'orage. Ensuite tout se déchaîna.

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La pluie tomba à plein ciel sur le Vieux bien placé pour la re-
cevoir , en haut du mamelon. Les vents le souffletèrent de tous côtés. La
nature entière semblait lui en vouloir d'être encore de ce monde, à moins
que ce ne fût le contraire et que, clémente à sa manière qu' elle travaillât
à l'en soustraire. , clémente à sa manière.

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Les éclair s révélaient de temps à autre, au sein de l'obscurité, son
visage inscrutable. Il avait toujours été difficile de savoir à quoi il pen-
sait Isaac , même au temps où il se livrait encore un peu, à cause d'une manière de
parler rien qu'à lui, caustique et déroutante.

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Par exemple cette idée naguère exprimée par lui que l'on devrait
mourir en faisant le moins d'histoire s possible et à laquelle aujourd'hui
il n'arrivait pourtant pas à se conformer, comme pour se donner à lui-même
un démenti.

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Son visage ruisselant apparaissait sur un fond de ciel tourmenté,
s'effaçait en même temps que des tourbillons de nuage, revenait sur l'horizon.

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Se réjouissait-il, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau, de l'amertume des éléments, les
alliées, cette nuit-ci peut-être, de son âme lasse? Ou pensait-il
plutôt aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri?

Sync

La pluie cessa. Sur la butte chauve, Isaac, écrasé dans
son fauteuil, ressemblait à quelque créature végétale abimée par trop
d'eau. Mais, l'orage passé , et le vent aidant, une plante peut du moins se secouer un quelque peu
peu, le vent aidant, et commencer à se sécher. Pour l L ui , il ne pou- parvenait
vait même pas à grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses mem-
bres.

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Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla
par un e clair e et brillante étincelante matin ée de fin d'été.

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Se réjouissait-il, comme
d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes
d'eau, de l'amertume des
éléments, les alliées, cette
nuit-ci peut-être, de son âme trop
lasse?

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Était-il content heureux , comme d'une aide enfin secourable, des grif-
fes du vent, des trombes d'eau et de la grande amertume des éléments
un mot peut-être unies , cette nuit-là , dans une immense par compassion , pour tout ce à
qui souffre, tout à ce qui et n' attend, tout ce qui espère? le jour Ou pensait-il plu-
tôt
aux autres, à cette heure, bien au chaud, à l'abri?

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La pluie cessa. Sur la butte chauve, dans ce pays sans arbre,
Isaac, écrasé dans son fauteuil, aurait pu faire penser ressemblait à quelque créature un mot
végétale abimée par trop d'eau. Mais, l'orage passé, même un une plante peut du moins se secouer un peu, le vent aidant, l'arbre du moins
peut se secouer, le vent aidant,
et commencer à se sécher.
Pour lui, il
ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses
membres.

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Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par
une claire et brillante matinée de fin d'été.

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refaire Était-il content, comme d'une aide enfin secourable, des
griffes du vent, des trombes d'eau et de la grande amertume des élé-
ments en toute sympathie compassion peut-être un mot unies cette nuit -là dans une immense compassion pour tout ce qui souffre, avec ce qui souffre,
tout ce qui attend, tout ce qui espère? Ou pensait-il plutôt aux autres, à cette
heure , bien au chaud, à l'abri?

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La pluie cessa. Sur la butte chauve, dans ce pays sans arbre,
Isaac, écrasé dans son fauteuil, aurait pu faire penser à quelque créature
végétale abimée par trop d'eau. Mais, l'orage passé, l'arbre du moins
peut se secouer, le vent aidant, et commencer à se sécher. Pour lui, il
ne pouvait même pas grelotter pour s'aider à chasser le froid de ses mem-
bres.

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Il vivait encore pourtant quand le village en bas s'éveilla par
une claire et brillante matinée de fin d'été.

Image IV

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Pour quelles vraies raisons , Esmeralda , au fond , se re mit-elle en
frais de à le soigner ? encore? Par compassion? Par remorde s ? Ou peut-être
un mot surtout plutôt par entêtement, par habitude? Il est sûr que, c C elle-là cette habitude prise, il est sûr
qu' il n'est pas facile de savoir quand y renoncer, comme il faut bien pour-
tant arriver en venir à s'y faire un jour résoudre un jour . Esmeralda semblait s'être prise au jeu.
plusieurs mots Elle enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures. Elle le transporta
d'un coin à l'autre , là où il
avait un peu de soleil. Elle lui eut de la
péniciline d'une voisine à qui il en était resté de la dose laissée par
l'infirmière à sa dernière visite.

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Elle fit tant et si bien qu'elle réussit, comme elle put s'en
vanter, à "sauver" Isaac, et en tira un curieux mélange de fierté, de fa-
tigue et, tout compte fait, d'embarras, car "sauvé" , Isaac ne valait pas
cher.

Sync

Il était même à ce point fondu et rapetissé que sa bru pouvait
aisément le porter à bras d'un coin à l'autre de la hutte quand elle se
mettait en tête de nettoyer partout.

Sync

Il y eut quelques beaux jours encore. Au cours de l'un d'eux,
comme Esmeralda surprit le regard d'Isaac fixé sur le fauteuil, il elle se lais-
sa apitoyer. Pauvre Vieux, il avait donc à ce point pris goût à son trône!

Sync

Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula au dehors de manière à ce
qu'il pût contempler avoir sous les yeux un petit aperçu encore du lac et du ciel, sans pour cela
le perdre elle-même de vue , du fond de la hutte et des molles rêvasseries
qu'elle y poursuivait.

— C'est fini, lui expliqua-t-elle, de rôder de tous bords, de
tous côtés. Vous allez rester devant la porte maintenant, le père.

Sync

Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance dans le vieux

Image

Sync

et remisé une bonne fois pour toute , mais, pour lui faire place dans la
cabane , il fallait d'abord en sortir des tas d'objets auxquels il fallait pour lesquels il eût fallu
auparavant fallu aussi trouver aussi de la place , ailleurs. On était
toujours, dans ce grand
pays sans limites, à court d'abri. Enfin , elle trouva d' un bout de bois pour elle
cal er a le fauteuil. En se relevant, tout essouflée, à moitié
triomphante
d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir encore avec tout
cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de ce visage mort un
regard toujours éton n amment vivant encore , doué d'une volonté bien personnelle, et
qui lui criait silencieusement :
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?

Sync

Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intel-
ligiblement c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune ré-
ponse prête. Elle ne savait pas plus que lui , au fond, pourquoi elle cher-
chait à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon nu et
crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
voir. comprendre. Tout se sait. On est des civilisés maintenant. Partout dans le monde.
plusieurs mots

Sync

Elle frissonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
Les choses se savent loin, loin, loin, Il n'y a plus rien qui reste chez nous, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah.
« Ils » sont arrivés avec toutes leurs questions ; « ils » ont demandé pourquoi.
« Ils » ne nous ont pas laissés en paix. fait honte. Il faut vivre jusqu'au bout à présent...

Sync

Elle se pencha sur lui, arrangea sa couverture, le menaça, com-
me impuissante, sans méchanceté : — « Les choses se savent « Il faut vivre ... à présent ... » plusieurs mots et elle courut
vivement se mettre au chaud dans la cabane.

Image

Sync

refaire et remisé une bonne fois pour toutes mais , pour lui faire place dans la
cabane , il fallait d'abord en sortir des tas d'objets auxquels il fallait
auparavant trouver de la place ailleurs. On était toujours, dans ce
grand pays sans limites, à court d'abri. Enfin elle trouva un bout de
bois pour caler le fauteuil. En se relevant, tout essoufflée, à moitié
triomphante d'avoir encore une fois réussi, à moitié abattue d'avoir
encore avec tout cela le Vieux sur les bras, elle rencontra au fond de
ce visage mort un regard étonnamment vivant encore , doué d'une volonté
bien personnelle, et qui lui criait silencieusement :
— Pourquoi? Mais pourquoi, à la fin?

Sync

Elle avait toujours su que s'il parvenait jamais à parler intel-
ligiblement ce serait c'est ce qu'il lui demanderait, mais elle n'avait aucune
réponse prête. Elle ne savait pas plus que lui, au fond, pourquoi elle
cherchait à le garder. De l'oeil, elle fit le tour du tragique horizon
nu et crut voir que c'était peut-être en partie à cause de l'opinion.
— Les choses se savent aujourd'hui, essaya-t-elle de lui faire
voir. Tout se sait. On est des civilisés maintenant.

Sync

Elle frisonna sous un coup de vent plus rude venu du fond des
déserts nordiques.
— Les choses se savent loin, loin, loin, dit-elle, avec une
sorte d'amertume mêlée à de l'émerveillement. Vous avez vu avec Deborah ! . « i I ls » sont arrivés avec toutes leurs questions ; « ils » ont demandé pourquoi.
« Ils » ne nous ont pas laissés en paix. Il faut vivre jusqu'au bout à présent.

Sync

Elle se pencha sur lui, lui arrangea sa couverture, le menaça ,
comme impuissante, sans méchanceté. — « Les choses se savent » ... » et elle cou-
rut vivement se mettre au chaud dans la cabane.

État 3 - Le fauteuil roulant

Image page couverture Image Image Image Le fauteuil roulant page titre

Sync

Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à
recevoir le colis qui leur serait descendu, au
passage,
par la voie des airs. Gros et encombrant
comme il était, on se l'imaginait mal porté à dos
d'homme à travers la toundra raboteuse et
coupée presque partout coupée de petits lacs,
un
pour ainsi dire dans chaque creux de
terrain.

Sync

L'avion ne se poserait pas. Il survolerait
le village au ralenti en cherchant du
coin de l'oeil un endroit propice où
laisser choir le colis avec le plus de
ménagements possibles. A eux de le recueillir
et d'en prendre bien soin, car il est peu
probable qu'un de ses pareils viendrait
jamais le rejoindre dans l' Arctique .

Sync

C'est ainsi, par un beau soir d'été
n'en finissant plus de durer, qu'aboutit,
par le ciel, à Igugivik , petite communauté
esquimaude non loin de la Baie de l'Ungava, de un mot d'Ungava , le
beau grand fauteuil roulant , envoyé
cadeau d'une s ociété philantrophique

envoyé par une société philant h rop h ique à
Isaac qui, depuis son accident l'hiver
précédent,
à la chasse
au phoque l'hiver précédent, était resté
changé pour ainsi dire un mot un mot en roc
de la tête aux
pieds.

Sync

Peut-e ^ tre, s'il avait encore pu s'exprimer

Image

Sync

avec au moins une parcelle de la vivacité
de jadis, Isaac aurait-il d'abord
demandé à savoir comment il se faisait qu'il
était maintenant assez connu pour
recevoir qu'on lui envoie une chaise
du bout du monde.

Sync

Retirée de sa caisse et exposée
contre tout le grand ciel nu qu'il y a par
là-bas,
elle fit en tout cas un effet
extraordinaire avec ses accoudoirs
chromés, son dossier, son siège rembourré,
ses deux grandes roues garnie s de
caoutchouc, enfin une attention
au confort comme on n'avait jamais même
jamais
pu supposer par ici qu'il pût y en
eut avoir de par le monde.

Sync

Les bien-portants eurent l'idée
de l'essayer pour voir ce que l'on
peut ressentir à être devenu invalide,
et se prirent
à rire et se passèrent
le fauteuil et eurent un plaisir
fou à s'imaginer être devenus désormais
incapables
de mettre un pied devant
l'autre et n'avoir plus qu'à se
laisser promener pour le reste de leurs jours.

Sync

A la fin pourtant on songea
à venir m ontrer son fauteuil à Isaac.
Evidemment Isaac était un homme
bien changé depuis le temps où
il avait soutenu sur tous les tons que

Image

Sync

mourir n'est pas difficile, qu'il n'y a qu'à
s'y laisser aller, le moment venu, sans
que rien
n'est plus facile en vérité, qu'il
n'y avait qu'à imiter l'aïeule partie un beau
jour de son plein gré vers la mort. Lui-même
avec tout
un mot Lui-même n'y parvenait
point pourtant, ne pensant sans doute pourtant
qu'à cela ,
laissé seul dans ce coin
précisément de la hutte d'où une autre
femme de sa famille, sa propre fille
Deborah, avait pu elle aussi se en tirer . elle.
Tandis que lui !

Sync

De son oeil valide, il parut examiner
le fauteuil. A quelqu'un qui ne s'était
jamais de toute sa vie assis que par
terre ou, à la rigueur, sur un petit
banc dur
à l'église, ce curieux
fauteuil faisait peut-être l'effet
d'un trône. S'il demeurait un peu de
malice d'autrefois dans la vieille tête,
peut-être même en était-il en ce
moment à rire en lui-même de voir
tout le branle-bas qui était dérangement
qu'il avait réussi un ou deux mots à occasionner à lui seul.
Mais,
un côté du visage inerte, l'autre pas beaucoup
plus vivant, Isaac, de physionomie jadis si
vive, en était réduit à avoir l'air de son
penser à rien,
terriblement éloigné de tout,
alors qu'il ne l'était peut-être pas encore , au fond.

Image

Sync

Les quelques sons qu'il parvenait encore
à se sortir de la gorge ne lui étaient
guère plus utiles. Ou on ne les comprenait pas
ou on le feignait, pour s'épargner d' ne pas avoir
à l'écouter toujours à l'écouter attentivement
à l'écouter toujours attentivement.
Il
est vrai aussi que les gens d'ici étaient
bien changés depuis la disparition de
Deborah et l'enquête qui avait
suivi, des envoyés du Gouvernement
arrivant
à plein avion pour poser, à
n'en plus finir, des questions sans
rime ni bon sens : — « Avait-elle
l'air découragée? Était-elle encore
saine d'esprit? alors p P ourquoi, selon
vous ? » a-t-elle fait cela ? »

Sync

Après cette histoire, on n'avait
pas envie, en tout cas, d'avoir encore
par ici des décès sur les bras sur
les bras
des décès qui eussent pu avoir
l'air librement consentis et de se
singulariser ainsi à la face pour
ainsi dire du monde.

Sync

On en était donc venu, ici comme
un peu partout sur la terre, à tâcher de
" garder " les gens en vie le plus longtemps
possible, de bon gré ou de force. La
mort s'éloignait des Esquimaux
presque autant qu'elle s'éloignait des Blancs.

Image

Sync

Isaac aurait évidemment pu refuser
d'avaler les bouchées que sa bru, Esmeralda,
lui mettait
sur la langue et qui étaient
d'ailleurs loin d'être toujours les meilleures.
Il semble qu'il avait essayé une fois. Mais
était-ce dégoût de un mot cette nourriture-là ? Ou
de lui-même ? Ou de vivre encore ? Toujours
est-il qu'Esmeralda lui avait remis
le morceau de viande dans la bouche
et qu'il l'avait avalé cette fois, soit
que l'appétit en fin de compte eût été
plus fort que la tristesse, ou bien encore
parce qu'il n'avait pas pu faire autrement.

Sync

Et peut-être aussi se faisait-il
malgré tout à sa condition, à moitié
engourdi
déjà, sur le point,
comme au bord du froid
extrême , de s'en aller dans le grand
sommeil, si ce fameux fauteuil, en
parvenant jusqu'à eux, n'eût réussi à
tout remettre en cause encore une fois :
la vie, la mort, ce qu'il faut faire pour
et ne pas faire elle ou contre elle ... et quand
s'en aller ...

II

Sync

La joyeuse surexcitation provoquée
par la livraison du fauteuil à peine émoussée,
d'autres sentiments commencèrent à se faire jour.

Image

Sync

Sortie de sa tanière, Eleonora, une
vieille cousine d'Isaac, s'en vint
faire trois fois le tour du fauteuil
et finit par offrir d'envieuses félicitations :
« Hé ! hé ! Quelqu'un était
bien vu par ici ! Hé ! hé ! Il suffisait

apparemment de perdre l'usage de ses
deux jambes pour tout recevoir en
échange. Il y avait en ce monde des
chanceux ...

...chanceux , ! reprit plus ou moins
bien distinctement Isaac du coin de sa bouche tordue avec
l'idée peut-être de protester ou de se
disculper,
en guise peut-être de
protestation, et c'est ce que la plupart
entendirent, à moins que ce fût
seulement « e uh ! euh ! »

Sync

Mais Alfreda, elle, un peu sourde,
entendit « heureux, heureux » et se
traînant sur ses vieilles jambes enflées
et approuva
avec mauvaise humeur :
— Je te crois bien que tu as des raisons
de te dire heureux. Si tu ne l'étais pas
encore ! ...
et commença à laisser entendre
qu'il n'y avait pas qu'Isaac ici à
avoir besoin d'un e fauteuil bonne chaise , et
que celui-ci celle-ci d'ailleurs pouvait bien ne
pas lui avoir été envoyé e rien que pour
lui
qu'à lui.

Image

Sync

Esmeralda les voyait venir ces deux-là toutes les
deux
et ne
perdit pas de temps à mettre
les choses au point.
Ce fauteuil-là, fit-elle observer, est siège-là, dit-elle, à la ronde,
est envoyé au Vieux
par ses amis de la Fédération
des Infirmes, et, moi ici présente, personne
ne va le lui prendre et le lui user une
heure par-ci une heure par-là.

Sync

Des témoins qui avaient étroitement
surveillé le visage d'Isaac pendant qu'Esme-
ralda prenait sa défense, crurent voir
qu'il en avait l'air content.

Sync

Alors la bonne humeur revint,
et on s'empara d'Isaac.

Sync

A quatre, à six, on le souleva on le
hissa
, on réussit à lui faire plier les
jambes et à l'asseoir dans le fauteuil.

Sync

Alors, était-ce à cause de la pose,
des deux les deux vieilles mains ridées posées
sur les accoudoirs, de la tête qui se
tenait tenant raide, mais Isaac prit aussitôt
l'air d'un vieux roi encore régnant.
Presque tous en furent frappés à lui
accorder une toute nouvelle considération.

Sync

Sans plus tarder, on partit alors le
promener à travers son r ude pays.

Sync

Tout le sol est cahoteux là-bas, en
bosses par ici, en bosses par là, abruptes et
traîtres sous la mousse de caribou qui

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Sync

donne bien à tort l'impression de l ' uni, le fau l'on ne
pouvait pas aller vite, mais même à
petit train le fauteuil tanguait et
à chaque tour de roues butant contre
la mousse rêche projetait le paralytique
tête en avant. On voyait remuer ses
lèvres. Essayait-il de protester ? Demandait-
il d'être laissé tranquille ? Ou était-
il égayé au contraire par cette promenade
malgré tout un mot
au contraire tout réveillé par cette promenade
et cherchait-il à obtenir des détails ? On
lui en avait fourni au départ comme
à quelqu'un en visite. Maintenant,
dans l'effervescence générale, on
l' oubliait un peu. le Vieux. Lui, à
faire tant d'efforts accrus, et peut-être
désespérés pour parler, la lèvre toute retroussée,
en vint à avoir vraiment l'air de
rire.
De lui voir cet air-là , assis
dans son bon fauteuil déjà si drôle,
porta les femmes au fou rire, l'une
entrainant l'autre au fur et à
mesure qu'elles s'apercevaient du être nombreuse à trouver la situation comique. être du même avis à propos de cette situation comique.
comique de la situation. De tant
rire leur enleva des forces pour
pousser le fauteuil dans les petites
remontées , ce qui
les amena à
rire encore plus , si bien, qu'elles
finirent
qu' arrêtées en pleine pente, elles ne
pouvaient ne plus pouvoir pouvaient rien faire d'autre.

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Sync

A quelque distance, les hommes, à
voir les femmes tant s'esquinter pour
si peu de résultat, partirent tout d'un
coup eux aussi à rire de bon coeur.

Sync

Longtemps après que le village eut perdu
de vue le sentiment d'ailleurs assez confus un mot
qui les avait tant portés à rire ce jour-là,
il arrivait à l'un et à l'autre, soudaine-
ment, au milieu de ses pensées souvenirs , de se
mettre à pouffer, et les autres en
devinaient aussitôt la raison et
se prenaient aussi à rire, sachant
que cette gaieté-là du moins,
quoi qu'il arrive, jamais ell e ne leur
serait tout à fait enlevée.

- - -

Sync

Les femmes, toutefois, se lassèrent
assez
vite de pousser le fauteuil. Nulle
part il y n'y avait de terrain propice. Ou
bien c'était le lac autour duquel
étaient assemblées les pauvres huttes,
ou bien c'était le sol invariablement
spongieux et bosselé. Sur la mousse
de caribou d'une consistance non très
loin du de celle du caoutchouc, les belles grandes
roues somme toute tournaient fort mal. en fin de
compte.
Les femmes finirent
par céder

Image

Sync

le Vieux aux enfants qui n'attendaient
que cela.

Sync

De joie, ils dansèrent autour du
fauteuil.

Sync

L'oeil en biais, et inquiet à ce qu'il
semblait, Isaac les examina tant
qu'il pouvait
autant que possible , se demandant sans doute ce
qu'ils pouvaient méditer et méditaient et pouvaient bien entendre
faire de lui maintenant qu'ils
l'avaient en leur possession.

Sync

En fait ce n'était rien de bien
terrible. Seulement de le mener là
où les femmes n' avaient pas réussi échoué :
au sommet du mamelon le plus proche.

Sync

Ils s'y attelèrent à douze, l'entière
petite population enfantine du village, à
partir de six ans.

Sync

L'un l'autre s'aidant à pousser,
chacun les mains appuyés aux han ch es de
celui qui précédait, penchés tou s dans le
même sens et sans gaspiller de force
à rire, graves et appliqués dans leur

effort, ils montèrent montaient pouce
à pouce, le fauteuil en tête, en
une mince petite procession serrée
comme celle des fourmis accordées qui vont
droit au but, et enfin ils
parvinrent
sur la crête de la colline nue en
plein ciel répandu à l'infini, alors
seulement ils s'accordèrent de se reposer.

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Sync

Ici le souffle du vent était large et
pur. Au loin on pouvait apercevoir la
ligne d'argent de l'océan glacial qui n'avait
rien aujourd'hui dans sa rigueur de dur.
Le ciel, presque sans nuage, était rempli d'une
douce clarté. Le Vieux eut l'air content. Les
enfants avaient-ils deviné que c'était
ici l'endroit précisément qu'Isaac
avant
de mourir avait eu le goût de
revoir? Savaient-ils même déjà
peut-être dans leurs fins petits cerveaux
que c'est la la mer est ce que tout bon
Esquimau, avant de mourir, désire contempler ?
Ou avaient-ils tout simplement eu
envie de venir jouer par ici ?

Sync

Ils semblèrent en tout cas comprendre
les quelques sons par lesquels Isaac fit
savoir qu'il désirait demeurer en cet endroit.
Ils calèrent les roues du fauteuil avec
des mottes de mousse, comme le leur avaient
recommandé leur s mère, et laissant le
Vieux bien en évidence au beau milieu de
l'horizon, sur le plus haut du mamel point des
la petite colline alentours , ils coururent en
toute hâte se mettre à jouer, en
bas, autour d'un autre petit lac
qu'il y avait sur ce versant aussi de
la colline.
Longtemps ils s'amusèrent à tenter

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Sync

Longtemps ils
d'attraper des poissons avec leurs mains nues
et ils menaient là-bas un grand bruit
joyeux dont en parvenait la gaieté au
vieillard assis en pl ein ciel, cheveux
au vent, par ailleurs immobile, et
qui dans sa pose attentive, les yeux fixés
dans l'infini, paraissait écouter,
venu de partout à la fois, de la mer,
du ciel et de l'air, une sorte
de
grand sermon silencieux.

Sync

Le vent propre le nettoyait des
odeurs de la maladie. Il lui arrivait
même à l'oreille, quand les enfants
se taisaient, quelque faible prolongement
du grand bruit de la rumeur de la mer qui battait
le rivage lointain.

Sync

On eut comme le sentiment qu'Isaac,
ces jours-là, reprenait goût à vivre.

III

Sync

Souvent encore les enfants le
menèrent là-haut, soit qu'ils eussent
pressenti le bonheur qu'éprouvait
le vieil homme lorsqu'on le portait
en plein ciel, soit qu'ils eussent
maintenant plus de plaisir à jouer

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Sync

de ce côté-ci de la colline.

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Quelquefois cependant, dans leur hâte
de courir à la découverte de quelque
chose de neuf pour eux, ils abandonnèrent
Isaac dans des creux mornes où il n'y
avait à voir ni eau frémissante ni
lointain mystérieux.
Alors le vieil Esquimau
semblait vraiment las d'en être encore à
attendre. Même ceux qui à cause de s on a
rictus joue plissée avaient prétendu qu'il
riait encore , tout seul, n'eussent jamais
plus oser soutenir pareille chose s'ils
avaient seulement pu le voir Isaac
alors que les enfants l'oubliaient pendant
des heures dans des dépressions de
terrain que n'atteignaient ni
le vent
ni le soleil.

Sync

Même les enfants, quand ils s'avisaient
enfin de venir le chercher, semblaient
alors c o nscients de la détresse d'Isaac et
c raignaient de le regarder du côté
de son bon oeil, par peur de l'expression
intens
l'intensité d'expression qu'il réussissait
encore à y mettre.

Sync

Le lendemain, pour réparer, ils ne
manquaient jamais de le mener, tout
en chantant, sur le pic de la vieille
petite colline.

Sync

De son côté, le Vieux faisait alors des efforts

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accrus pour remuer les doigts, soulever
la main, atteindre les petites joues fraîches
et heureuses des enfants. Il réussissait
presque à esquisser parfois une ce
qui avait l'air d'une caresse ... dans
l'air ... d'une caresse ...

Sync

Un jour pourtant ils l'oublièrent
en sur le haut du
mamelon. Les mères ne
s'avisèrent pas non plus immédiate-
ment que les enfants
revenaient seuls.
On était tellement habitués à les
voir ensemble de compagnie , le Vieux et avec sa
petite troupe qui le trimbalait à longueur
de journée jour , que cette fois encore, par
une illusion de la mémoire et de
l'image qu'elle avait tant de fois enregistrée,
on s'imagina se figura les avoir vus ensemble comme
d'habitude. toujours.

Sync

Même Esmeralda, l'heure du souper
venu, ne s'aperçut pas encore qu'Isaac
manquait. Elle était ce jour-là en veine
de fainéantise et avait averti tout son monde
d'avoir à se chercher à manger et à
se débrouiller chacun pour soi, car
elle-même entendait rester aujourd'hui
les bras croisés. Il y avait des moments

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Sync

où l'atavisme renaissait très fort chez
tous ces gens-là, pour recevoir ensuite,
il est vrai, une autre terrible mis e en déroute.

Sync

Toujours est-il, qu'à près de minuit,
tout le monde rentré se coucher, il
n'y eut pas moyen pour Esmeralda
de ne pas s'apercevoir enfin que le
Vieux n'y était pas.

Sync

Elle sortit de la hutte. Les étoiles
étaient pâles et toutes incertaines
encore dans un ciel lui-même à
peine assombri. Esmeralda se prit
à lancer des cris aigus de tous
côtés, rappelant à la maison Isaac.
C'était comme si elle eût oublié qu'il
ne pouvait ouvrir la bouche assez
grande pour lui répondre. Elle se
tournait vers un point du vaste pays
désert et appelait , un peu la tête
levée haut, pour se retourner
de l'autre côté et faire de même, un
peu à la manière des chiens qui
d'ailleurs commençaient à s'agiter
et à s'énerver aussi
se mirent
aussi de la partie, couvrant bientôt complètement la
voix d'Esmeralda. Presq Malgré ce
charivari, les autres avaient tout l'air de
continuer à dormir paisiblement . dans les huttes. Peut-être
Esmeralda en fut-elle vexée un mot de découvrir

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Sync

qu'elle était apparemment la seule à
se faire encore du souci pour le Vieux. Cela
lui parut sans doute injuste.
Elle
s'en plaignit, face au ciel nocturne,
accusant aussi ha à voix aussi
haute que possible tous ceux qui dormaient.

Sync

A ce moment même, comme elle
se trouvait à regarder du côté du gros
mamelon à droite, elle perçut distincte-
ment cette fois, des nuages s'écartant,
en noir sur noir, bien découpé en noir sur noir,
contre le ciel de transparence obscure, le
le Vieux qui, les mains sur les accoudoirs,
de profil sous un faible croissant de
lune, faisait penser plus que jamais
ce soir à un vieux roi ... ce soir mais un
maintenant roi maintenant dépossédé...

Sync

Elle s'empressa d'aller le chercher.

Image

Sync

qu'elle était apparemment la seule à se faire
encore du souci pour le Vieux. Elle s'en
plaignit, face au ciel nocturne, haussant
la voix pour tâcher d'être entendue par
ceux qui
avaient encore assez peu de coeur
pour dormir en une pareille extrémité.

Sync

Or, à ce moment même, comme elle se
trouvait à regarder du côté du gros mamelon
à droite, elle y perçut distinctement, cette
fois, des nuages s'écartant, le Vieux,
de profil, bien découpé contre le ciel de
transparence obscure, en noir sur noir,
les mains aux accoudoirs, un faible
croissant de lune sur la tête, qui plus
que jamais faisait penser à un vieux
roi... mais un peu un roi maintenant dépossédé.

Sync

Elle s'empressa d'aller le chercher.
En le ramenant , toutefois, la descente lui
donnant beaucoup de mal, avec ce
lourd fauteuil difficile à retenir, et
qui semblait maintenant vouloir voler
de son plein gré , elle ne put se retenir s'empêcher
de se plaindre un peu à Isaac de
tout le mal qu'il lui donnait.

de morigéner un peu Isaac comme
si c'était par sa faute qu' il était resté
dehors si tard.

Sync

En tout cas, lui signifia-t-elle dès
en arrivant en bas, c'était fini pour

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Sync

lui de rôder se promener de tous les côtés. Il allait
maintenant rester sous ses yeux, à
la maison, et si, parfois, elle permettrait
peut-être encore qu'il s'assoie dans le
fauteuil, ce serait pour aller nulle part.

Sync

Mais sans suite et sans grande détermination
dans les idées , un autre jour que les
enfants étaient venus à tr ois ou
quatre reprises lui demander s'ils
ne pourraient pas " ravoir " le Vieux,
elle finit par se laisser fléchir, ou
se lasser, et dit, sans trop s'en rendre
compte peut-être, fatiguée de les voir
tourner autour d'elle :
— Prenez-le donc à la fin et
laissez-moi tranquille à la fin.

Sync

Et tout recommença comme
avant. On alla en haut, en bas,
autour du lac et par-delà le ce versant -ci
de la colline.

Sync

Dans toute sa vie d'adulte , Isaac
n'avait sûrement probablement pas vu autant de
petits coins charmants de son pays que comme les enfants ,
avides de tout connaître, l'amenèrent
le menèrent en voir au cours de cet été-là.

Sync

Ils réussirent à capturer un spécimen
d'un des plus rares papillons du monde qui soient ,
qui, par on ne sait par quel caprice de la
c réation, vient au monde à la vie au monde pour vivre une

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Sync

seule journée d'existence, p arée d'une beauté
inouïe de couleur, au fin une lettre fond de l' Arctique . ,
là où presque aucun regard ne l'a jamais pu voir. Ne sachant qu'en faire, il le donnèrent au Vieux.

Sync alinéa [ Ils lui mettaient souvent aussi des petites
fleurs dans les mains.

Sync

Mais, hélas, ce n'étaient que de jeunes
enfants insouciants, et ils l' "oublièrent"

encore une fois. Or, cette nuit-là,
Esmeralda s'était endormie de
bonne heure, abattue comme une souche,
et ne se réveilla même pas au
grondement subit de
l'orage. Ensuite
tout se déchaîna.

Sync

La pluie tomba à plein ciel sur
le Vieux bien placé pour la recevoir
sur le en haut du mamelon. Les vents le
soufflet aient èrent de tous les côtés. La nature
entière semblait lui en vouloir d'être
encore de ce monde, à moins que ce
ne fût le contraire et que, clémente
à sa manière, elle travaillât cette un mot
nuit nuit à l'en le libérer l'en soustraire.

Sync

Les éclairs révélaient de temps à
autre, au sein de l'obscurité, son
visage inscrutable. Il avait toujours
été difficile de savoir à quoi il pensait,
même au temps où il se livrait encore un
peu, à cause d'une manière de parler

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Sync

rien qu'à lui, caustique et déroutante.
Mais, à présent, qu'en savoir ?

Sync

Son visage ruisselant a
Par exemple cette idée, soutenue exprimée par de lui, que
l'on devrait mourir sans faire d'histoire,
alors que maintenant, comme mis au
démenti, il n'y arrivait pas...

Sync

Son visage ruisselant apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté,

Sync

rien qu'à lui, caustique et déroutante.

Sync

Par exemple cette idée naguère
exprimée par lui que l'on devrait mourir
en faisant le moins d'histoire possible
et à laquelle aujourd'hui il n'arrivait
pourtant pas à se conformer, comme pour se donner
à lui-même un démenti.

Sync

Son visage ruisselant apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté, s'effaçait
en même temps que des tourbillons de
nuage, revenait sur l'horizon.

Sync

Était-il content, comme d'une aide
enfin secourable, enfin, des gifles du vent, des
trombes d'eau et de la grande amertume
des éléments en toute sympathie peut-être [] [illis.]
cette nuit [] [illis.] à ce qui souffre, ce qui
attend, ce qui espère ? un mot ? Ou pensait-il plutôt

Image

Sync

aux autres, à cette heure, au bien au chaud,
à l'abri ?

aux autres, à cette heure à l'abri, bien au chaud?
bien au chaud, à l'abri ?

Sync

La pluie cessa. Sur le haut de la butte
chauve, dans ce pays sans arbre , Isaac,
é c rasé dans son fauteuil , faisait aurait pu
faire penser à quelque créature végétale toute
abîmée par trop d'eau. Mais, l'orage
passé, l'arbre du moins peut se
secouer, le vent aidant, et commencer
à se sécher.
Pour lui, il ne pouvait
même pas grelotter et pour s'aider à
chasser le froid de ses membres.

Sync

Il vivait encore pourtant quand le
village en bas s'éveilla par une claire et brillante
claire matinée de fin d'été.

IV

Sync

Pour quelles vraies raisons , au fond Esmeralda ,
au fond, se mit-elle en frais de le soigner encore ?
Par compassion ? Par remords ? Ou surtout peut-être surtout
par entêtement, par habitude ? Il est sûr que,
celle-là prise, il n'est pas facile de savoir
quand y renoncer, comme il faut bien pourtant
y arriver à s'y faire un jour. . Esmeralda semblait
s'être un mot au jeu prise au jeu. Elle
enveloppa Isaac des plus chaudes couvertures.
Elle le transporta d'un coin à l'autre là où il

Image

Sync

avait le plus un peu de soleil. Elle lui eut de la
péniciline d'une voisine qui à qui il en
était resté de la dose laissée chez elle
p ar l'infirmière à sa dernière visite.

Sync

Elle fit t an t et si bien qu'elle
réussit, comme elle put s'en vanter, à
« sauver » Isaac, et en tira un
curieux mélange de fierté, et de
fatigue et, tout compte fait ,
d'embarras, car « sauvé » Isaac
ne valait pas cher.

Sync

Il était même à ce point fondu
et rapetissé que sa bru pouvait
aisément le porter à bras d'un
coin à l'autre de la hutte quand
elle se mettait en tête de donner
nettoyer partout.

Sync

Il y eut quelques beaux jours
encore. Au cours de l'un d'eux,
comme Esmeralda surprit le regard
d'Isaac fixé sur le fauteuil, elle
se laissa apitoyer. Pauvre Vieux, il
avait donc à ce point pris goût à
son trône !

Sync

Elle l'y porta, l'enveloppa, le roula
au dehors de manière à ce qu'il
pût avoir un e petit aperçu encore du lac
et du ciel, sans pour cela le perdre
elle-même de vue du fond de la hutte

Image

Sync

et des molles rêvasseries qu'elle y poursuivait.
— C'est fini, lui expliqua-t-elle, de nouveau, de
rôder de tous les bords bords, de tous les côtés.
Vous allez rester devant la porte maintenant,
le père.

Sync

Crut-elle voir s'allumer une lueur de défiance
dans le vieux
regard si las ? En tout cas,
elle alla s'occuper de choses et d'autres et
revint le disputer un peu :
— Des peurs comme vous nous en
avez faites, faudrait plus que ça recommence.

Sync

Les enfants passaient sans plus
s'arrêter pour demander comme une gra ^ ce
de promener le Vieux. Ils avaient d'autres
jeux en tête, et puis, à la longue, s'était
usé le bizarre attrait du grand fauteuil
a ` dossier roues . On ne sait d'ailleurs trop
comment cela s'était fait, d'étape en
étape, mais un jour on fut devant
l'évidence : pas plus que les vieux pneus
échoués par ici, pas plus que les bidons à
vides de mazout s enta s sés en colline , au rebut,
le fauteuil faisait-il encore de l'effet.
Il était enfin entré dans le paysage . un point c'est
tout.

Sync

En même temps que son fauteuil,
Isaac avait aussi , peu à peu , perdu
de l'importance.

Sync

Il n'y eut plus guère pour l'approcher

Image

en tout temps, avec une curiosité sympathique
mêlée à de la crainte, qu'un pauvre
chien boiteux que de jour en jour
l'on remettait d'abattre parce que
naguère il avait été si vaillant.

Sync

Or la caresse à laquelle s'était
longuement exercé Isaac , à l'usage des
enfants, quand enfin il fut capable
de l'esquisser, il

Sync

Or la caresse à laquelle
s'était longuement exercé Isaac
pour le cas où les enfants reviendraient
le chercher, quand enfin il put
l'esquisser, il ce fut le chien
qui se trouva là pour la recevoir.
C'était un pauvre chien qui n'avait
jamais pour ainsi dire senti la main de
l'homme se poser sur lui uniquement
par amitié. De surprise, il s'assit,
tout tremblant, les yeux dans
le regard de l'homme, et il se prit
à pleurer comme s'il était capable
tout d'un coup de penser à revoir toute sa vie de chien d'un bout
à l'autre, de fil en aiguille.

Sync

C'avait été malgré tout un
bien bel été... mais il s'achevait
et rien ne pouvait faire qu'on n'entrât n'entrerait

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Sync

bientôt dans le cruel hiver tout claquemuré.

Sync

De jour en jour, se décidant à la toute
dernière minute seulement à sortir encore
une fois le Vieux, Esmeralda l'avertissait
charitablement :
— C'est peut-être la dernière fois , . le père.

Était-ce donc pour cela qu'il
regardait si intensément à chaque jour le ciel et le lac?

Sync

De l'endroit où Esmeralda
installait le fauteuil jusqu'au bord
du lac il n'y avait pas loin , en fait ,
une trentaine de pieds seulement, et
le terrain était en pente assez bien battue.

Sync

Sans cesse donc Isaac gardait l'oeil
fixé sur l'eau à ses pieds. A l'approche
du gel elle était lourde déjà, un peu
figée sur les bords. Presque s ans mouvements,
presque, elle reflétait à merveille
la chaude couleur des lichens qui
ourlait
avant leur mort. Ils ourlaient
le tour entier du lac d'un bel ourlet
régulier et magnifique minutieux . C'était presque
le plus beau temps de l'année, à bien
y penser, vivifiant, court, et poignant.
Sous la couverture qu'on avait mis
sur les genoux du Vieux , on ne s'apercevait
pas que sans arrêt , sans arrêt, sa
main s'exerçait à tentait de faire
tourner la rou e droite du fauteuil.

Image

Sync

Un jour il y parvint. Esmeralda
leva la tête juste à temps pour le voir
filer. Elle ne fit qu'un saut, attrapa
le fauteuil à deux doigts du bord du
lac. Elle était toute tremblante de
crainte, d'énervement, de dépit, et
sans doute , en son agitation , entraient
-ils bien d'autres sentiments encore
bien moins compréhensibles. qui se contredisaient tous les uns les autres.
— En voilà des choses à faire !
reprocha-t-elle. à Isaac.

Sync

Elle cherchait de l'oeil une bonne
grosse pierre pour caler le fauteuil et se
fâchait de ne n'en point en voir. Elle
l'aurait bien remisé tout de suite
rentré
et remisé une bonne fois
pour toutes mais pour lui faire place
dans la cabane il fallait d'abord en
sortir des tas d'objets à qui il fa
auxquels il fallait auparavant trouver de la place
ailleurs. On en était
toujours, dans ce
grand pays à peu près vide sans limites , à court d'abri.
Enfin elle trouva un bout de bois
pour caler le fauteuil. En se relevant,
toute essouff essoufflée, à moitié

Image

Sync

triomphante d'avoir encore une fois réussi, à
moitié étonnée abattue d'avoir encore avec tout
cela le Vieux sur les bras, elle recontra , au
fond de ce visage mort , un regard
étonnamment vivant encore, doué
d'une volonté bien personnelle, et qui lui
criait dans le silence silencieusement :
— Pourquoi ? Mais pourquoi, à la fin ?

Sync

Elle avait toujours su au fond
que s'il parvenait jamais à parler
intelligiblement , ce serait ce qu'il
lui demanderait, m ais elle n'avait
aucune réponse prête. Elle ne savait
pas plus que lui, au fond, pourquoi elle cherchait
à le garder . De l'oeil, elle fit le tour
du tragique horizon nu et crut voir
que c'était peut-être en partie à
cause de l'opinion. des autres.
— Les choses se savent aujourd'hui,
essaya-t-elle de lui faire voir. Tout
se sait. On est de s civilisés maintenant.

Sync

Elle frissonna sous un coup de vent plus
rude venu du fond des déserts nordiques.
— Les choses se savent loin, loin, loin,
dit-elle avec une sorte d'amertume
mêlée à de l'émerveillement. tout de même. Vous avez vu avec Deborah : « ils » sont
arrivés avec toutes leurs questions « ils » ont

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Sync

— demandé pourquoi. « Ils » ne nous ont pas
laissés tranquilles laissés en paix. Il
faut vivre jusqu'au bout à présent.
... quand on peut.

Sync

Elle se pencha sur lui, le couvrit
un peu mieux
lui arrangea sa
couverture, le menaça, comme impuissante, sans méchanceté :
— « Les choses se savent ... » et elle
courut vivement se mettre au
chaud dans la cabane , . car, décidément,
l'air tournait à l'hiver aujourd'hui.
aujourd'hui, l'air tournait à l'hiver.

Image Image

État 2-Le fauteuil roulant

Image Image Image Le fauteuil roulant

Sync

Les gens avaient été avisés de se tenir prêts à
recevoir le colis qui leur serait livré par les
airs. Gros et encombrant comme il était, on se
l'imaginait mal porté à dos d'homme à
travers la toundra raboteuse avec ses
petits lacs à l'infini, un pour ainsi dire
pour chaque creux de terrain.

Sync

L'avion toutefois ne se poserait pas.
Il survolerait le village tout en cherchant
du coin de l'oeil l'endroit le plus propice
pour y laisser choir le colis avec les plus
grands ménagements. possibles. Aux Esquimaux à eux
du village de le recueillir et d'en
prendre grand bien soin car , il est peu probable
qu'on recevrait jamais un autre
cadeau de ce genre dans l'Arti l'Arctique .

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C'est ainsi, par un beau soir que par

Image

Sync

C'est ainsi, par un beau soir
d'été qui n'en finissait plus de durer , qu'arriva
à Igu Ivugivik le fauteuil roulant
pour destiné à Isaac qui depuis son
accident à la chasse au phoque,
l'hiver précédent, était resté pour
ainsi de changé en roc de la tête aux pieds. La
chose nouvelle avait dû se savoir et
même se répandre, en dépit de
ce que Isaac ne se connaissait
personne en dehors de son village,
puisque car était étaient arrivé s d'abord
une lettre d'une Société philantrophique annonçant le fauteuil l'arrivée
du fauteuil et puis
et puis
peu après, ce soir-ci, le fauteuil
lui-même.

Sync

Retiré de sa caisse, il fit dans
le désert un mot du Nord un effet
extraordinaire avec ses appuis chromés,

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Sync

son siège rembourré et ses hautes roues
garnies de caoutchouc, que l'on pouvait
actionner de la main.

Sync

Les bien-portants eurent l'idée
de l'essayer pour voir ce que cela pourrait
donner d'être devenus des des un mot invalides,
et se mirent à rire et eurent un
plaisir fou à s'imaginer n'avoir plus
jamais à présent à mettre un pas
devant l'autre, seulement à se laisser
promener là-dedans pour le reste de leurs
jours.

Sync

A la fin on songea pourtant à venir
le montrer au vieil Isaac.

Sync

Le Vieux était bien changé depuis
le temps où il avait soutenu avec tant de [] [illis.] si allègrement
que, le temps venu de mourir, on y
passait, un point c'est tout. A tout
venant alors il proposait l'exemple de

Image

Sync

son aïeule ayant demandé d 'être
libérée de la vie et comment on
avait accédé à son souhait.
Peut-être était-il puni pour avoir
trop dit et redit qu'il était facile de
mourir. Lui-même n'y parvenait
point et n'avait pourtant pour ainsi dire
plus que cela pourtant à l'esprit,
laissé à lui-même dans ce coin
précisément de la hutte ou sa
fille Deborah avait attendu la
mort, et mais elle s'en était tirée elle,
tandis que lui ! ...

Sync

A la vue du fauteuil, qu'est-
ce qui pu bien encore remuer de pensées dans
la vieille tête endolorie ? Isaac
en tout cas parut examiner le
fauteuil de son oeil valide. Pour A
quelqu'un qui ne s'était jamais assis que

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Sync

par terre ou, à la rigueur, sur un petit banc
de bois dur à l'église, cette espèce de grand siège
à haut dossier devait paraître dut avoir l'air
comme d' un trône peut-être sans doute . Tout un
côté du visage inerte, l'autre guère
plus animé, la physionomie d'Isaac
ne démontrait à peu près rien. Quant
aux sons qu'il parvenait encore à émettre,
ou l' on ne les comprenait pas ou l'on
feignait ne pas les comprendre.
Depuis la disparition de Deborah et l'enquête
qui avait suivi, l'on n'avait plus envie
de revoir par ici la Police et des envoyés
du gouvernement avec leurs singulières
questions : — « Était-elle saine d'esprit ?
Parlait-elle d'en finir ? Qu'est-ce qui
a pu la pousser ?
Avait-elle l'air découragée ? »

Donc on ne voulait plus de décès
qui eussent pu avoir l'air librement

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Sync

consentis. Un peu comme partout
ailleurs dans le monde, on s'était
mis à " garder " les gens, de gré ou
de force. Appar La mort qu'autrefois
on avait pu choisir , les yeux encore
plus ou moins ouverts, reculait,
devenait inaccessible aux Esquimaux
autant qu'aux Blancs.

Sync

Evidemment Isaac aurait
pu refusé d'avaler les bouchées
qu'on lui mettait dans la bouche
et qui étaient d'ailleurs loin
d'avoir toujours bon goût. Il semble
qu'il avait essayé une fois, mais
était-ce par dégoût de la vie ? qu'il
menait ?
ou de la nourriture
seulement ? De toute façon, sa bru
Esmeralda la lui avait remise
sur la langue et en fin de

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Sync

compte Isaac avait avale r le bout de
viande.

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Peut-être malgré tout se faisait-il
à sa petite vie réduite à presque rien,
dans son coin de la hutte, et y
était-il déjà à moitié engourdi
comme tant de fois au cours de ses
cha sses il avait failli l'être par
le froid, qui sans trop y prendre garde.
Et voici qu'arrivait ce fauteuil pour
tout compliquer remettre en cause !

II

Sync

L'excitation joyeuse provoquée par
l'arrivée du fauteuil à peine émoussée,
d'autres sentiments commencèrent
à se faire jour.
— Faut-il être né pour la chance !
entendit-on de part et d'autre.
Ou encore :

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Sync

— Qu'a-t-il bien pu faire dans sa
vie, ce paresseux, pour mériter un
si beau fauteuil.

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Quant la vieille cousine
d'Isaac, Eleonora, surgi e t enfin
de sa tanière, ce fut pour ne
plus tarir d'envieuses éloges
congratulations : — Hé Hé ! Quelqu'un
était bien vu par ici ! Apparemment
il ne s'agissait de ne plus avoir
l'usage de ses jambes pour tout
obtenir en retour. Hé ! Hé ! le
cadeau était généreux ... généreux ...

— ... généreux ! .. généreux ! ..
essaya de répéter Isaac, peut-être
par protestation, ou avec malice,
mais cela ressembla plutôt à
" heureux ... heureux ... "

— Je te crois bien que tu as raison

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Sync

— de te dire heureux, renchérit sa vieille
tante Alfreda, passablement plus
âgée que lui, enflée des deux jambes,
et qui trouvait que ç'aurait été juste
d'avoir le fauteuil à pour elle -même au moins
pour au moins une au moins moitié de la journée.

Sync

Mais alors la bru d 'Isaac, Esmeralda,
s'avança pour défendre les prendre la parole au
nom
des droits de son beau-père, et
le bon oeil du paralytique parut
scintiller de satisfaction à la voir remis
à leur
tout de même prendre ses
intérêts à coeur.
— Ce fauteuil-là, fit observer
Esmeralda à la ronde, est adressé
au Vieux, c'est à lui, et personne
ne va le lui prendre, ni une heure
par-ci, ni une heure par là.

Sync

Cela aussitôt décidé, on s'empara

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Sync

d'Isaac. A quatre, à six, on le porta
au dehors, on réussit à le
caser hisser dans le fauteuil. Presque
sur-le-champ, c'est étrange, il
eut prit l'air d'un vieux roi encore
sur son trône régnant , et presque tous en
furent frappés, à le regarder
maintenant avec une toute nouvelle
considération.

Sync

Quant à lui, était-il plutôt
content ? Ou plus triste encore ? C'était
fort difficile à dire. Personne ne
s'en souciait au reste, tant ils
avaient l'air heureux et contents tous
de fêter Isaac. Sans plus, on
partit en foule le promener par
son pauvre petit coin de pays dont
il n'avait rien vu depuis assez
longtemps.

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Sync

Tant le sol est cahoteux par là, là-bas, en
bosses par ici en bosses par là,
abruptes et vilaines toutes sous
leur revêtement de mousse de
caribou, l'on ne pouvait aller vite,
mais même à petit train, presque
à chaque tour de roues butant
contre la mousse rêche, le Vieux
était quasi projeté hors de son du fauteuil.
On voyait remuer un peu les coins de
sa bouche. Sans doute essayait-il
de parler ? pour se plaindre peut-être
ou pour demander d'être laissé tranquille,
qui sait ! Mais ses protestations étaient
perdues dans la bonne humeur générale.
D'ailleurs ses efforts accrus et
peut-être désespérés pour avoir voix
au chapitre ne faisaient qu'accentuer
le pli au coin de sa bouche qui lui

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Sync

donnait l'air de rire. Lui
voyant plus que jamais
cet air-là aujourd'hui
porta les femmes à rire
au fou rire elles-mêmes, toute la bande
ensemble et de plus en plus.

l'une entrai ^ nant l'autre et de
plus en plus au fur et à
mesure qu'elles étaient nombreuses
à trouver la situation drôle comique à rire . De tant rire leur fit
perdre des forces pour pousser
le fauteuil dans les petites remontées,
ce qui les amena à rire encore
plus, si bien qu'elles ne pouvaient parvenaient
plus à rien faire d'autre en fin de compte.

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A quelque distance, les hommes,
à voir les femmes essoufflées tant s'esquinter
p our rien si peu de résultat partirent eux aussi à
rire tout d'un coup.

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On peut dire que cette première sortie
d'Isaac en son fauteuil fut marquée
par la une franche gaieté.

X X X

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Toutefois les femmes se lassèrent
assez vite de pousser le fauteuil. Nulle part
il n'y avait de terrain propice. Ou bien
c'était le lac autour duquel était assem
étaient assemblées les huttes, ou bien
c'était le sol invariablement bosselé
et spongieux. Sur la mousse de caribou,
de consistance assez semblable au
caoutchouc, les belles grandes roues
tournaient non sans beaucoup de mal.
Les femmes finirent par céder le Vieux aux
enfants qui n'attendaient que cela.

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De joie, ils dansèrent autour du
fauteuil.

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L'oeil en coin , et plein d'inquiétude,
peut-être, Isaac les examina
autant qu'il pouvait que possible , se demandant
sans doute ce qu'ils pouvaient bien
méditer et entendaient entendre faire de
lui lorsqu'ils maintenant qu'ils
l'avaient en leur possession.

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En fait ce n'était rien de terrible.
Seulement de le mener au sommet
du mamelon le plus proche.

Sync

Ils s'y attelèrent à dix , en somme
l'entière population enfantine du
village à partir de six ou sept ans.

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L'un l'autre s'aidant à pousser,
chacun les mains appuyées aux hanches
de celui qui précédait, penchés tous dans
le même sens et sans gaspiller leu de
force à rire, ils montèrent petit à petit,
le fauteuil en tête, en une mince

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procession serrée comme celle de
fourmis bien accordées et parvinrent
enfin sur la crête de la colline
nue en plein ciel répandu à
l'infini. Alors seulement ils
s'accordèrent de se reposer.

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Ici le souffle du vent était large
et pur. Au loin on pouvait apercevoir
la ligne bleue de l'océan glacial qui
n'avait rien aujourd'hui dans sa rigueur de dur. Le
ciel lui-même était rempli d'une
clarté douce et un mot . Le Vieux eut
l'air content. de Les enfants avaient-ils
donc deviné que c'était précisément
l'endroit qu'Isaac avait avant de mourir
avait eu le goût de revoir ? Savaient-ils
même déjà peut-être dans leurs
fins petits cerveaux que c'était
ce que presque chacun avant de

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mourir avait le désir de contempler ?
une ou deux lettres Ou avaient-ils tout simplement
eu envie de venir jouer par ici ?

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Ils semblèrent en tout cas
comprendre les quelques sons
par lesquels Isaac fit savoir
qu'il désirait demeurer en cet
endroit. Ils c a lèrent les roues du
fauteuil avec des bouts de
pierre et de mottes, comme le leur
avaient recommandé leurs
mères, et laissant là le Vieux
bien en évidence en plein milieu
du ciel, sur le pic de la crête
plus haut de la crête, ils coururent
en toute hâte se mettre à jouer
autour d'un autre petit lac
qu'il y avait sur ce versant-ci
de la colline. Longtemps ils s'amusèrent

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à tenter de saisir d'attraper des poissons avec leurs
mains nues, et ils menaient un
grand bruit joyeux qui parvenait au
vieillard en haut de la colline, dont
les cheveux s'agitaient au vent, un mot
qui, immobile mais qui, par
ailleurs, complètement immobile,
dans sa pose attentive paraissait
écouter, venu de de la mer et
du ciel, une sorte de grand sermon
silencieux.

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Le vent propre le nettoyait des odeurs
de la maladie. Il lui arrivait même
à l'oreille, quand les enfants se taisaient,
quelque faible prolongement du
grand bruit de la mer là-bas qui battait
le rivage lointain.

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Ainsi, le pauvre Isaac qui n'avait
désiré que la mort depuis assez longtemps,

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à cause de cette belle journée de
sa vie sur le tard , parut malgré
tout reprendre maintenant
quelque peu le goût de vivre encore
un peu.

III

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Souvent encore les enfants
le menèrent là-haut, soit qu'ils
eussent pressenti le bonheur
qu'en qu' éprouvait le vieil homme lorsque
soustrait à l'agitation humaine
et porté en plein ciel, soit qu'ils
eussent plus maintenant plus de
plaisir à jouer autour de ce lac-ci
qu'autour de celui du village.

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Quelque fois cependant, dans
leur hâte de courir à la découverte

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de quelque chose de neuf pour eux
chaque jour par ici, ils l'abandonnèrent
dans des creux mornes où il n'y
à voir ni eau frémissante ni lointain
captivant. Alors le vieil Esquimau
semblait vraiment las d'en être encore
à vivre. Même ceux qui à cause de
son rectus prétendaient qu'il riait
encore tout seul, n'auraient plus
jamais eu le front de soutenir pareille
chose s'i ls avaient seulement pu le voir
dans les moments où les enfants
l'oubliaient trop longtemps dans des
dépressions de terrain que n'atteignaient
ni le vent ni le soleil.

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Même les enfants, alors, quand ils
s'avisaient enfin de venir le chercher,
semblaient conscients de la détresse
d'Isaac et n'osaient pas trop le regarder

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du côté de son bon oeil, quelque peu
effrayés par l'intensité d'expression
qui cherchait encore à s'y exprimer.

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Alors, le lendemain, pour réparer,
ils ne manquaient pas de remonter
le Vieux sur le pic de la crête.

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Et le vieillard faisait de grands
efforts pour allonger la main et
chercher à tapoter les petites joues
rondes. Tous les jours il s'y exerçait.

Peut-être au fond, depuis que
les enfants lui donnaient tant de
plaisir, souffrait-il surtout de
ne pas parvenir à leur faire
de caresses

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Un jour pourtant ils l'oublièrent
au plus en haut du mamelon. Les

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mères ne s'avisèrent pas non plus tout
de suite que les enfants revenaient
seuls. On était maintenant tellement
habitué à les voir toujours ensemble,
eux et le Vieux qu'ils trimballaient
à la journée longue, que cette fois
aussi, par une illusion de la
mémoire et de l'image qu'elle
avait tant de fois enregistrée, on
se figura les avoir vus ensemble réunis aujourd'hui
encore comme d'habitude.

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Même Esmeralda, l'heure du
souper venue, ne s'aperçut pas encore
qu'Isaac manquait. Elle était ce
jour-là en veine de fainéantise
et avait averti tout son monde
d'avoir à se chercher à manger , chacun
pour soi, car elle-même entendait
rester les bras croisés et la tête libre.

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Il y avait des moments où l'atavisme
renaissait très fort c h ez tous ces
gens-là, pour subir ensuite
une terrible mise en déroute.

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Toutefois, à près de minuit,
quand tout le monde fut rentré
se coucher, il n'y eut pas moyen
de ne pas s'apercevoir que le Vieux
n'y était pas.

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Fort mécontente, Esmeralda
sortit de la hutte. Les étoiles
étaient pâles et comme incertaines
encore dans le ciel à peine
assombri. Esmeralda lança
des cris aigus de tous côtés,
rappelant à la maison Isaac.
Peut-être avait-elle oublié
dans sa mauvaise humeur
qu'il n'aurait guère pu ouvrir

Image

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la bouche assez grande pour lui répondre.

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Elle se tournait vers un côté
du pays et appelait, la tête levée
haut, puis se retournait de l'autre
côté et appelait encore de nouveau , un peu
comme à la manière des chiens qui d'ailleurs
avaient commencé à s'agiter et
à donner aussi de la voix. Malgré
tout,
En dépit de tout ce charivari,
les autres avaient toujours l'air de
continuer à dormir paisiblement.
Esmeralda en fut vexée peut-être
et se plaignit, face au ciel nocturne,
d'être pour ainsi dire la seule à
s'inquiéter au sujet du paralytique,
les autres n'étant ni plus ni
moins que des sans-coeur.

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A ce moment même, comme elle
se trouvait à regarder du côté du

Image

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gros mamelon à droite, elle perçut
cette fois distinctement le Vieux
en son fauteuil qui plus que
jamais avait l'air d'un roi, trôna
là-haut, dans sa pose hiératiqu

tout découpé en noir, comme une
image, sur un fond de ciel de
transparence obscure.

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Elle s'en fut le chercher, mau
gréant un peu, et, tout en le un mot
et, tout en le ramenant de peine et de misère
elle n'arrêta pas tout au long
de la descente
ne cessa pas
non plus de le morigéner comme
si c'était par sa faute qu'il était
resté dehors si tard.

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— En tout cas c'était fini, lui
signifia-t-elle, de se trimballer de
tous les côtés. Dès lors il resterait à

Image Image Image

Sync

gros mamelon à droite, elle perçut cette
fois distinctement le V ieux, les mains
aux accoudoirs, la tête dans les nuages,
une image noire sur noir, se
découpant bien dans la nuit de
transparence obscure et qui plus
que jamais faisait [] [illis.] penser à un vieux
[] [illis.] roi abandonné dépossédé ... roi dépossédé.

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Elle éprouva en eut comme des
remords et s'empressa d'aller le chercher,
mais ne put se retenir en le ramenant ,
tout au long de la descente qui lui
donna du mal, un mot de le morigéner un peu
Isaac comme si c'était par sa faute
[] [illis.] s'il était resté dehors si tard.

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— En tout cas c'était fini pour lui, lui
soulig signifia-t-elle, de rôder de tous les côtés.
Dès maintenant il resterait à la maison, et, si
parfois encore, elle permettrait qu'il s'asseoit encore dans

Image

Sync

la maison. Si elle permettrait encore
peut-être qu'il s'asseoit dans le

le fauteuil, ce serait pour y rester et
non
pour aller partout de cote nulle part.

Sync

Molle toutefois et sans persistance
dans les idées, Esmeralda, aux enfants
qui ne se lassaient pas de venir
lui demander jour après jour
s'ils pourraient ravoir le Vieux,
une bonne fois, sans trop s'en
rendre compte peut-être, et comme
joyeusement, accèda à leur demande.
— Prenez-le donc à la fin et
laissez-moi tranquille.

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Et tout recommença comme avant. On alla
en haut, en bas, autour du lac et
par-delà ce versant -ci du village. Il
est probable qu'Isaac, cet été-là,
put entrevit des aspects de son propre

Image

Sync

[] [illis.] pays et de la nature tels qu' dont il
n'en n' aurait jamais eu l' idée,
n'eût été l'ardente curiosité des
enfants et leur désir de tout
connaître.

Sync

Mais, hélas, ce n'étaient que des
enfants, et une fois encore ils
l' « oublièrent » . Or, cette nuit-là,
Esmeralda s'était endormie de
bonne heure, abattue comme
une souche, et ne se réveilla
même pas au grondement subit
de l'orage. Ensuite tout se déchai ^ na.

Sync

La pluie tomba à plein ciel
sur le Vieux bien placé pour la
recevoir sur le haut du mamelon.
Les vents le souffetèrent des deux de tous
les côtés à la fois. Toute l L a nature
[] [illis.] semblait le mépriser vouloir le

Image

Sync

punir d'être encore de ce monde,
impuissant comme il était. A moins
que ce ne fût le contraire et que,
clémente à sa manière, elle travaillat
cette nuit à l'en soustraire. Les
éclairs de l'orage révélaient un
instant, au sein de l'obscurité,
son visage inscrutable. (Il avait 2
déjà été difficile de savoir à
quoi il pensait,)( même au temps 1 où il se
livrait tout de même une petite part de
ses pensées, à cause d'un tour d'esprit
peu ordinaire assez original et d'une certaine
manière de voir rien qu'à lui
seul. Mais maintenant !

Sync

Son visage inondé

Sync

livrait quelque un peu , ) à cause 3 d'une manière
de voir rien qu'à lui, caustique et
déroutante ! Mais maintenant !

Image

Sync

Son visage ruisselant apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté,
sombrait dans la nuit, reparaissait
à la lueur d'un éclair qui sabrait déchirait
l'horizon. Il était impossible
d'y lire s'il était content à chaque
gifle du vent qui peut-être hâtait
sa fin. Ou s'il ne pensait pas
plutôt aux autres bien à l'abri
dans les huttes contre le mauvais temps.

Sync

Enfin la pluie cessa. Isaac
ressemblait à un vieil arbre, tout
inondé, un mot qui a survécu de
justesse. Mais, l'arbre du moins
l'orage passé, peut se secouer et,
le vent venant à son secours aidant ,
commencer à se sécher.

Sync

Pour Isaac, il ne pouvait
mouillé de la tête aux pieds, il grelotta

Image

Sync

dans le froid vif qui succéda à l'orage,
il ne pouvait même pas grelotter
dans le froid vif qui le saisit.

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Pour on ne sait quelle vraie
raison au fond, Esmeralda se
mit en frais de le soigner. Peut-être tout simplement parce qu'elle avait un jour commencé et [] [illis.] Elle
le garda plusieurs jours enveloppé
dans les ses plus chaudes couvertures. Elle
mêla à son manger de la peniciline
qu'elle avait eu eut d'une voisine
à qui il en était resté après la visite
de l'infirmière pour soigner
de la dose
laissée distribuée par l'infirmière du
Gouvernement. pour soigner les celle-là.
Elle le "sauva" et en ressentit une
étrange fierté, comme d'un véritable
tour de force accompli et ne cessa plus
de s'en vanter aux autres, laissait
donnant à entendre que cette fois-ci, sans

Image

Sync

elle, hein, le Vieux y aurait passé.

Sync

Il était red devenu si maigre
qu'elle pouvait le porter à bras
d'un coin à l'autre, pour
débarasser, quand elle se mettait en faisait
frais de temps [] [illis.] de faire du ménage le ménage. Quelquefois encore,
elle prenait la peine de l'installer
dans le fauteuil, lorsqu'elle
ne pouvait vraiment pas
faire autrement que de rencontrer
son bon oeil, vivant tenace encore,
tant ça lui faisait quelque chose
de voir dans le visage mort
ce regard si curieusement vivant insistant .
Elle poussait le fauteuil dehors,
mais pas loin, pour l'avoir sous
à l'oeil, et sans être pour cela contrariée pour cela dans
la poursuite des de ses molles et agréables rêveries
coutumières . Alors, parfois, elle

Image

Sync

prenait la peine de lui expliquer pourquoi
elle agissait comme elle le faisait.
— Vous nous avez fait une trop
grosse peur la nuit de l'orage.
Faudrait pas que ça recommence.

Elle ajoutait

Sync

Elle faisait un petit tour dans ses
propres rêveries puis et l'avertissait :
— Vous n'irez plus bien loin
maintenant. C'est fini, grand-père.

Sync

Était-ce illusion? Il lui [] [illis.] semblait
voir s'allumer une lueur de défiance
dans le vieux regard si las.

Sync

Les enfants passaient sans
plus s'arrêter ni demander comme
une grâce de promener le Vieux. Ils
avaient d'autres jeux en tête, et puis,
en fin de compte, s'était usé le
bizarre attrait du grand fauteuil à

Image

Sync

haut dossier. On ne sait trop comment
cela s'était fait, petit à petit,
d'étape en étape, mais enfin,
un jour, on s'était trouvé
devant l'évidence : pas plus que les
vieux pneus crevés échoués par
ici, pas plus que les bidons
de mazout entassés en colline, le
fauteuil ne faisait encore d'effet.

Sync

En même temps que son fauteuil,
Isaac avait perdu de l'importance.
Il n'y eut plus guère pour l'approcher
en tout temps, avec une curiosité
sympathique mêlée à de la crainte,
qu'un pauvre chien galeux que
l'on remettait de jour en jour d'abattre
parce que autrefois naguère une lettre ou virgule il avait été
si vaillant.

Sync

Or la caresse à laquelle Isaac

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Sync

s'était longuement exercé, à l'usages des
enfants, quand enfin, à bout d'efforts, il
réussit à l'esquisser, ce fut le chien qui
apparement se trouva là pour la recevoir. C'était bien
la première fois qu'une main humaine
flattait son petit pauvre front étroit où s'était logeait
sans doute logé aussi logé le souvenir de bien des
misères. [] [illis.] De surprise, il s'assit, tout tremblant,
et, les yeux dans le regard de l'homme,
il se prit à pleurer longuement.

Sync

Malgré tout ça avait été un bel été
mais il n' [] [illis.]

État 1-Le fauteuil roulant

Image page couverture Image Image Image Le fauteuil roulant.

Sync

Les gens avaient été avertis de se
tenir prêt à recevoir le " cadeau " qui
ne pourrait évidemment leur être
livré que par les airs, gros et
encombrant comme il était. On se
l'imaginait mal en effet porté par sur le
quelqu'un dos à travers la raboteuse
toundra. Donc il leur serait descendu
du ciel. L'avion toutefois ne se poserait
pas. Il survolerait le village en
cherchant de l'oeil l'endroit le plus
favorable où laisser choir doucement
le colis protégé autant que cela
se pouvait contre les heurts. A eux
de le recueillir et d'en prendre un
soin extrême, car, un mot de mémoire
d'homme, c'était la première fois que

Image

Sync

pareil objet allait parvenir dans
l' Arctique et sans doute peut-être bien aussi
cela la dernière. ne se reproduirait pas de sitôt.

Sync

C'est ainsi qu'arriva à
Ivugivik , par un beau soir d'été,
le fauteuil roulant

Sync

et ce serait sans doute la dernière fois qu'un objet de ce genre parviendrait était expédié dans l' Arctique .
C'est ainsi, que par un beau
soir d'été, tout doré et frémissant
de clarté, arriva à Ivugivik le
fauteuil roulant destiné à Isaac
lequel, à la suite de son accident
à la chasse au phoque l'hiver
précédent, était resté comme un
bloc de bois, presque entièrement
paralysé, sans mouvement. et a A pparemment la
chose s'était sue, même répandue ,
car en dépit de ce que Isaac ne
se connaissait pas d'amis en
dehord de son village, puisque, ce beau

Image

Sync

soir d'été d'abord il était venu arrivés
d'abord une cette une lettre d'une Société philantrophique
annonçant l'arrivée la livraison
du fauteuil, et puis, ce soir-là enfin,
le fauteuil lui-même.

Sync

Retiré aussitôt de sa caisse de
bois, il fit un effet extraordinaire
avec ses appuis chromés, son siège
rembourré et surtout ses deux belles
grandes roues garnies de caoutchouc que l'on pouvait
actionner de la main.

Sync

Tous les bien-portants eurent
l'idée de l'essayer et rirent et
eurent un plaisir fou à s'imaginer
être devenus invalides et se promenant
ne plus et n'avoir plus maintenant avoir à se promener maintenant toute
leur vie ne plus jamais maintenant jamais à marcher,
mais à seulement à se promener maintenant
là-dedans pour le reste de leurs jours.

Image

Sync

et n'avoir plus maintenant qu'à se laisser promener là-dedans pour le reste de leurs jours. Enfin pourtant on songea à l'amener le montrer
au vieil Isaac à qui il était bel et
bien adressé. destiné.

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Isaac était bien changé depuis
le temps où il avait tant raillé
ceux qui s'accrochaient tardaient
à s'en aller de cette vie, le
temps venu, y compris

Sync

Isaac était bien changé
depuis le temps où il avait soutenu
si allègrement que, le temps jour venu
de mourir, on y passait, un point
c'est tout, et que sans cesse
il avait alors proposait alors l'exemple de la Vieille
partie d'elle-même vers sa libération.
Peut-être était-il puni ayant

il avait alors proposé en exemple la Vieille ayant demandé elle-même sa libération à être libérée de la vie.
Peut-être était-il puni pour
avoir raillé ceux qui s'accrochent

Image

Sync

à l'existence et sont à la charge des autres. à la vie l'existence , ou pour manque de
sympathie humaine.
Toujours est-il
qu'il avait tout loisir maintenant de réfléchir
longuement à tout cela abondamment là-dessus , laissé à
lui-même précisément dans l c e même coin de la hutte
un mot précisément avait occupé sa un mot pauvre où avait tant souffert sa
fille pauvre Deborah , mais d'où elle
avait tout de même pu se tirer, elle, un beau
jour , . quand elle en Tandis que
lui! ...

Sync

A la vue du fauteuil , on peut qu'est-ce
toujours cherché à s' imaginer un peu ce qui se passa qui peut bien se passer
dans la vieille tête ! De son oeil
encore valide, Isaac l'examinait.
Pour quelqu'un qui ne s'était jamais
assis que par terre ou, à la rigueur,
à l'église, sur un petit banc dur,
cette sorte de grand thrône princier
pouvait lui faisait-il apparaissait-il

Image

Sync

comme un hommage? Ou
comme une dérision?
devait paraître bien impressionnant. Tout
un côté de son du visage raide, aux
comme rides figées, l'autre
guère plus vivant, il Isaac ne pouvait
guère démontrer ses sentiments.
Quant à ses aux paroles qui pouvaient parvenaient
encore à franchir s s a bouche tordue,
ou bien on ne les comprenait
pas, ou bien on feignait de
ne pas les comprendre. Depuis
la disparition de Deborah et
l'enquête qui avait suivi, on
n'avait pas envie, au village,
d'avoir encore ici la Police, puis
des envoyés du Gouvernement et avec
leurs des questions à n'en plus finir. Donc plus
de décès qui pouvaient avoir
l'air consentant. Aussi bien, on

Image

Sync

s'était mis à soigner plus ou moins
tout le monde, de gré ou de force.
La mort qui allège, que l'on pourrait pouvait
encore comme autrefois avait pu autrefois choisir de préférence à une la vie , maintenant trop
dure, cela
était devenu e apparemment
aussi inaccessible aux Esquimaux
qu'aux Blancs. Et c'est ainsi
qu'Isaac était gardé de force en
vie.

Sync

Evidemment, il aurait pu
refuser d'avaler les bouchées qu'on
lui mettait dans la bouche et
qui un mot étaient d'ailleurs loin d'avoir
toujours bon goût. Il semble qu'il
avait essayé une fois de les
cracher, mais était-ce parce à
cause du goût dégoût ou parce qu'il de
la nourriture ... ou de la vie
plutôt? En tout cas, on lui avait

Image

Sync

remis la bouchée sur la langue et il avait bien fallu qu'il l'avale.
Peut-être se faisait-il peu à
peu
malgré tout à cette vie
sa petite vie immobile, dans
son coin, réduite à presque rien,
hormi s ce qui pouvait encore se
passer dans sa tête, et
s'engourdissait-il doucement
à peu près comme si c'était au
froid. Et voici qu'arrivait
ce fauteuil pour tout remettre
en cause !

Image II

Sync

L'excitation provoquée par l'arrivée
du fauteuil à peine un peu émoussée,
d'autres sentiments commencèrent à
se faire jour.
— Faut-y être né pour la chance!
Recevoir pareil cadeau , ! s'exclama
sa dernière bru vivante qui n'était
guère venue près de lui depuis quelques
semaines.

Sync

Quant à la vieille cousine d'Isaac,
Eleonora, surgie enfin de sa tanière,
ce fut pour ne plus tarir d'envieuses
congratulations: — Hé Hé ! Quelqu'un
était bien vu ! On était drôlement
généreux envers un
était bien vu
par ici ! Apparemment, il ne s'agissait
que de ne plus avoir l'usage de ses jambes

Image

Sync

— pour tout avoir! Hé Hé ! on
était généreux ... généreux ...

— ... généreux ! .. généreux ! ...
... essaya de répéter Isaac en
guise de protestation peut-être
ou de commentaire m al icieux,
mais cela ressembla plutôt à
" heureux ... heureux ..."

— Je te crois bien que tu
as raison de te dire heureux,
l'appuya sa vieille tante Alfreda
passablement plus âgée que lui,
enflé e des deux jambes et qui
aurait bien tenu à avoir le
fauteuil pour une petite moitié
de la journée.

Sync

Mais alors, avec ce qui eut
l'air d'une certaine satisfaction
tout de même, un pétillement dans son

Image

Sync

oeil valide, Isaac vit que sa bru,
Esmeralda, point si méchante au
fond, entendait défendre ses se porter
à la défense de la stricte justice.
— Ce fauteuil-là, fit-elle observer
à la ronde, est adressé au Vieux, et,
qu'il moi vivante, personne ne
le lui prendra même pas pour une
heure par-ci, une heure par-là.

Sync

Ainsi fut -il décidé, et sur-le-
champs on s'empara d'Isaac. A
quatre, à six, on le traîna au dehors
et on réussit à le hisser dans le
fauteuil.

Sync

Le Vieux eut-il l'air un peu
content, ou plus triste, c'était difficile à dire.
Presque T t ous les autres cependant , à le voir
dans son grand fauteuil, en furent
dès ce moment prirent
prirent dès

Image

Sync

lors un visage heureux. On Sa ns plus
on partit sans plus promener
Isaac par son petit coin de
pays dont il n'avait rien vu
depuis assez longtemps.

Sync

Tant le sol est cahoteux par
là, fait un peu partout de bosses
à peine rondes comme des
termitières, traîtres sous leur mousse
de caribou, on ne pouvait pas
aller vite, mais même au ralenti en y
allant si peu vite,
ainsi, à chaque tour
des roues butant contre la mousse
rêche, le Vieux était quasi projeté
hors du fauteuil. On voyait qu'il
remuait un peu le coin de s l a bouche , remuer un
peu et qu'il
essayait de parler ,
peut-être pour se plaindre ou
demander de le laisser tranquille, qui

Image

Sync

sait ! Mais ses efforts accrus et peut-
être désespérés lui donnèrent comme
jamais encore aujourd'hui l'air de rire.
De lui voir cet air-là porta les
femmes à éclater de rire tout d'un coup. éclater de rire. rire un mot à grands éclats. Elles
en perdirent des forces pour le
pousser dans les petites remontées,
a q ce qui les amena à rire
encore plus, si bien qu'elles ne
pouvaient presque plus rien faire d'autre . finalement.

Sync

un mot A quelque distance, les hommes,
à voir les femmes essouflées
s'esquinter à pousser le fauteuil,
partirent à rire eux aussi de tout leur coeur.

En fin de compte, cette première
promenade d'Isaac dans son fauteuil
eut tout l'air d'être un grand succès.

X X X Image

Sync

Les femmes se lassèrent malgré quand
même
tout assez vite de pousser le
fauteuil. Nulle part il n'y avait
de terrain propice. Ou bien c'était le
lac autour duquel était bâti le
village, ou bien c'était le sol
tout autour invariablement
boss bosselé et spongieux. Sur
son le lichen à la fois presque partout
répandu, en fin de compte les
belles roues chromées avec bord
à bord un ou deux mots protégées
garnies de
caoutchouc tournaient non sans beaucoup de mal. en fin de compte refusaient de tourner.
Les femmes finirent par céder
le Vieux aux enfants qui n'atten-
daient que cela.

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Ils en dansèrent de joie
autour du fauteuil.

Image

Sync

L'oeil inquiet agité en coin , ne pouvant d'aucune façon tourner sa tête raidie il les examina
autant qu'il pouvait, en se demandant
peut-être avec inquiétude ce qu'ils
méditaient et pourquoi ils étaient
si contents de l'avoir enfin à e n leur
possession.

Sync

En fait, ce n'était rien de bien
terrible. Seulement de le mener
jusqu'au sommet du mamelon
le plus proche.

Sync

Ils s'y attelèrent à dix, en somme
presque toute la petite population
enfantine à partir de six ans.

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L'un derrière l'autre et s'aidant
à pousser, chacun les mains appuyés
aux hanches de celui qui précédait,
penchés tous dans le même sens et
sans perde de temps à rire, ils montaient montèrent
peu à peu, le fauteuil en tête, en

Image

Sync

le fauteuil en tête, en une petite procession appliquée
et studieuse qui parvint enfin
parvenue enfin sur la crête
de la colline nue,
comme celle
de s fourmis bien accordées et parvinrent
enfin sur la crête de la colline
nue devant le en plein ciel et l'infini. répandu à l'infini.
Alors seulement ils se reposèrent.
D'ici, A a u loin, on pouvait voir l'océan.
Avaient-ils vaguement deviné
que le vieil Isaac avait c'était
précisément ce que le vieil Isaac
avant de mourir avait le
plus désiré revoir. o O u avaient-ils
simplement eu envie de venir
jouer par ici.

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Ici le souffle du vent était large
et pur. Au loin on pouvait apercevoir
l'océan glacial qui ce jour-ci , ressem-

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en sa parfaite placidité, n'avait rien à envier aux mers des pays tempérés. blait à une mer de s pays tempéré s .
Le ciel était également d'un bleu
tendre. Le Vieux eut l'air en repos.
ici. Les enfants avaient-ils
vraiment devinés que c'était précisé-
ment l'endroit qu'Isaac, avant
de mourir, avait eu le goût de
revoir ? Ou avaient-ils simplement
eu envie de venir jouer par ici ?
Savaient-ils même déjà peut-être
dans leurs fins petits cerveaux que
c'est c'était ce que , avant de mourir, la
plupart des Esquimaux aimaient
venir regarder.
presque tous avant
de mourir avait le désir de contempler?
O u avaient-ils tout simplement eu
envie de venir jouer par ici ?

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Ils semblèrent comprendre en tout
cas les quelques sons par lesquels

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Sync

Isaac fit savoir qu'il désirait
demeurer en cet endroit. Ils
calèrent donc le fauteu les roues
du fauteuil avec des bouts de
pierre, comme le leur avait
avaient recommandé leurs
mères, et le laissa n t là bien
en évidence au milieu du
ciel, sur l'extrême pointe de
la crête, ils descendirent à la
course jouer autour d'un de
l' autre petit lac qu'il y avait en
bas sur ce versant aussi
du mamelon. Longtemps ils
s'amusèrent à tenter de saisir
des poissons avec leurs mains
nues, et ils menaient un
grand bruit joyeux qui parvenait
au vieillard en haut de la colline ,

Image

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dont les cheveux s'agitaient au
vent et qui, immobile tel il était,
paraissait écouter , venu du ciel et de partout à la fois, une sorte de
grand sermon silencieux.

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Le vent propre le nettoyait des
odeurs et des hideurs de la maladie.
Il lui arrivait même à l'oreille,
quand les enfants se taisaient un
moment, un faible prolongement,
jusqu'ici du ressac là-bas , au
bout de l'horizon.

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Il parut donc que le pauvre
Isaac qui ne désirait plus que la
mourir mort depuis assez longtemps, malgré
lui,
à cause de cette belle journée
sur le tard , reprit goût malgré lui à vivre
encore un peu.
rester encore un
peu sur cette terre.
à vivre encore un peu.

semble reprendre malgré lui le goût

Image III

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Souvent les enfants le
menèrent encore là-haut, soit
qu'ils eussent ressenti quelque saisi
quelque peu compris le bienheureux
répit qu'éprouvait Isaac le
vieillard paralysé quand il était
soustrait à la présence humain e
et laissé porté en plein ciel, soit
qu'ils eussent maintenant plus
de plaisir à jouer autour de
ce lac-ci qu'autour de celui
du village.

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Quelques fois cependant,
dans leur hâte de courir à
la découverte d'un de quelque
attrait tout e neuf pour eux du
pays, ils l'abandonnèrent

Image

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dans des creux mornes où il
n'y avait absolument rien à voir,
ni eau frémissante, ni lointain ,
à scruter indéfiniment. ni horizon captivant. Alors
le vieil Esquimau semblait vraiment
las d'en être encore à vivre.
Même ceux qui , à cause de son rictus ,
prétendai t ent qu'il riait encore tout seul , encore
n'auraient plus jamais encore un mot eu le front de
soutenir pareille chose s'ils l'avaient
v p u voir dans les moments où les
enfants l'oubliaient trop longtemps
dans des dépressions de terrain que
n 'atteignaient un mot pas ni le vent
ni le soleil.

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Même aux les enfants alors, quand
ils s'avisaient enfin de venir le
chercher, semblaient conscients de
la détresse d'Isaac et évitaient de

Image

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regarder du côté de son bon oeil,
par peur d'y voir luire
parfois effrayés
quelque peu effrayés
par l'intensité d' expression qui
cherchait alors à certains moments
à s'y manifester.

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Alors, le lendemain, pour rejouer, ils
ne manquaient pas de remonter
le Vieux sur le pic de la crête.

Sync

Et le vieillard faisait de
grands efforts pour a ll onger la
main, chercher à tapoter les
petites joues rondes. Depuis
que les enfants étaient devenus
ses amis, en vérité il s'exerçait
les doigts, long tous les jours ,
un peu plus, avec l'idée de
leur faire une petite caresse
à eux qui étaient bons pour

Image

Sync

lui.

X X X

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Un jour pourtant ils l'oublièrent
au sommet du mamelon. Les mères
ne s'avisèrent pas non plus tout
de suite que leurs enfants revenaient
seuls. On était tellement habitué
à les voir maintenant toujours
ensemble, eux et le Vieux qu'ils
trimbalaient en haut, en bas , et
tout autour du lac, que cette
fois encore aussi , par un e effet illusion de
la mémoire, on les crut encore
et de l'image qu'elle proposait avait enregistrée , on
crut les avoir vus ensemble
encore, comme toujours.

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Même Esmeralda, l'heure du
souper venu, ne s'aperçut pas encore

Image

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qu'Isaac manquait. Elle était
en veine de fainéantise ces ce
jour s -là et avait annonc é
à tout son monde d'avoir
à se chercher à manger ,à faire chacun
pour soi,
comme chacun pouvait, un mot car
pour sa part elle ne se fatiguerait pas
aujourd'hui à préparer un
repas. Donc à chacun de fourrager. se
trouver quelque chose à se
mettre sous la dent.

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A près de minuit, quand
tout le monde fut rentré se
coucher, il n'y eut pas moyen
de ne pas s'apercevoir alors que
le Vieux n'y était pas . tout
de même.

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Esmeralda sortit sous les
étoiles pa ^ les et incertaines encore

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dans un ciel à peine assombri, et elle
poussa de tous côtés des cris aigus,
rappelant à la maison Isaac.
Peut-être avait-elle oublié , qu'il
ne pouvait revenir seul
dans sa
mauvaise humeur , qu'il ne
pouvait revenir seul. Elle
l'accusait à hauts cris, elle
accusait aussi les voisins,
les siens, tout le monde. A
l'entendre crier cette nuit-là,
on eût dit qu'il n'y avait
qu'Esmeralda à se faire du
souci pour le paralytique.

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Toutefois, au moment où elle
s'en prenait encore à tous, elle se
distingua trouva à regarder du
co ^ té du gros mamelon à droite ,
et distingua alors parfaitement le

Image

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Vieux en son fauteuil qui se
découpait en plus sombre
sur le ciel d'une transparence
obscure.

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Elle s'en fut le chercher,
n'ayant réussi au bout de
tous ses cris à réveiller
personne que tous les chiens [] [illis.] ,
et, le ramenant de peine et
de misère, elle n'arre ^ ta pas
tout au long de la descente de
le dispu morig é ner comme
si c'était par sa faute qu'il
était resté dehors si tard.

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— Désormais, annonça-t-elle,
le Vieux il ne voyagerait plus.
Elle
permettrait peut-être qu'il
s'assoit encore de temps dans
son fauteuil, mais pour aller

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nulle part, et pour rester strictement
devant la maison. Elle en avait
assez de l'alerte de cette nuit et
de se faire pareil tant de mauvais sang.

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Molle toutefois et sans
idée jamais bien arrêtée, Esmeralda
finit par céder quand les enfants
revinrent demander s'ils ne
pourraient pas encore " avoir "
le Vieux.

Sync

Et tout recommença comme
avant. On alla en haut, en
bas, autour du lac s ur l'autre
versant. Il est probable qu'Isaac
cet été-là put entrevoir des petits
coins de la région qu'il n'avait
n'aurait jamais connus n'eût
été l'ardente curiosité des enfants
et leur vif désir de tout connaître.

Image

Sync

Mais, hélas, ce n'étaient que
des enfants, et une fois encore
ils l'oublièrent. O r , cette
nuit-là, Esmeralda s'était
endormie de bonne heure,
abattue comme une souche,
et ne se réveilla pas une
seule fois
, même pas au grondement
subit de l'orage. Ensuite tout se
déchaîna.

Sync

La pluie 2 lettres ruissela sur le
Vieux bien placé pour la recevoir
sur le haut du mamelon. Les
vents le soufflèrent souffletèrent
des deux de tous côtés. Toute la n a ture
en fait avait eut l'air de lui en
vouloir de vivre encore, inutile
comme il était. A moins que
ce ne fu ^ t le contraire et que,

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clémente à sa manière, elle eût
travaillé cette nuit à l'achever,
à le soustraire aux brutalités
brutalités pires encore de la vie.
Les éclairs de l'orage révélaient
un instant au milieu sein de l'obscurité
son visage impassible inscrutable . Il avait
toujours déjà été difficile de savoir à
quoi il pensait même au temps
où il essayait de communiquer
avec d'autres hommes, à cause
de l'originalité de son esprit et d'une
tour manière de voir quelque peu
insolite en cette époque moderne.
Maintenant comment le savoir!

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Son visage inondé apparaissait
sur un fond de ciel tourmenté puis
disparaissait, puis repassar reparessait.
Il était impossible d'y lire s'il

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était content à chaque gifle
du vent qui l'acheminait
vers sa délivrance. Ou s'il
ne pensait pas plutôt aux
autres bien à l'abri dans
les huttes contre le gros mauvais
temps.

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Enfin la pluie cessa. Il était
comme un arbre trempé qui
a reçu sur lui sans possibilité
de s'y dérober des cataractes
d'eau glacée. Mais , du
moins, l'or la trombe passée,
l'arbre peut se secouer et
commencer, le vent aidant, à
se sécher.

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Pour Isaac, il ne pouvait
que demeurer immobile, mouillé
de la tête aux pieds, dans le

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froid glacé qui succe ` da à l'orage.

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Malheureusement pour lui peut-
être, le village vint à son secours
juste " à temps ".

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Il était pris d'une grosse forte fièvre.
Il aurait sans doute pu s'en aller
ainsi tout doucement. Mais, soit remords,
soit compassion même, voici
qu'Esmeralda se mit en frais de
le soigner. Elle le tint au chaud
pendant plusieurs jours, enveloppé
des meilleures couvertures. Elle
le soigna avec de l'aspirine mêlé e
à son manger. Ainsi put-elle
dire qu'elle l'avait " sauvé " .

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Lui, à présent, était devenu
si maigre qu'elle pouvait le porter
seul comme un paquet pas
tellement encombrant. Elle prenait

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encore quelquefois la peine
de l'installer dans le fauteuil
quand elle surprenait jeté
sur elle le regard suppliant
et qu'elle n'avait pas pu
faire autrement, que car
d'habitude elle s'ingéniait

quand elle était rencontrait
par malchance le regard
suppliant d'Isaac, car d'habitude
elle l'évit s'arrangeait pour
l'éviter, tant ça lui faisait
encore quelque chose tout de
même de voir cet oeil vivant dans un être quasi mort. Puis elle poussait
le fauteuil dehors, tout juste
passé la porte, là où elle
pouvait l'avoir à l'oeil
sans pour cela être empêchée
contrariée dans la poursuite de

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ses rêvasseries molles et coutumières. Des
émotions comme elle en avait
eue s , elle n'en voulait plus,
lui avait-elle expliqué dit , car
elle prenait tout de même aussi
la peine de lwi lui expliquer
de temps en temps le pourquoi de sa conduite.
Elle précisait:
— Pas plus loin qu'ici, vous
entendez, grand-père. Vous n'irez
pas plus loin maintenant. C'est fini de rôder.

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Etait-ce illusion? A ces
propos , il lui semblait qu'une lueur
de défiance ou d'ironie encore
s'allumait au fond de l'oeil d'Isaac.

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Les enfants passaient sans
plus d'intérêt jamais d'ailleurs s'arrêter ni
demander comme une grâce de
promener le Vieux. Ils avaient

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d'autres jeux en tête, et puis,
en fin de compte, le bizarre
attrait du fauteuil s'était usé.
On ne sait trop comment cela
s'était fait de jour en jour,
d'étape en étape, mais enfin
on s'était trouvé devant
l'évidence: pas plus que les
vieux pneux échoués ici ou les
bidons de mazout, le fauteuil
ne faisait encore d'effet.

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En même temps que son
fauteuil, Isaac perdit avait perdu de
l'importance. Il n'y eut plus
guère, pour l'approcher avec une
curiosité sympathique mêlée à
beaucoup de crainte, qu'un
pauvre chien galeux que
l'on remettait d'abattre de jour

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en jour, parce qu'autrefois il
avait été si brave vaillant.

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Or un jour on vit une chose
extraordinaire. Le paralytique, à
force d'exerci ces , avait réussi
à lever étirer un peu les doigts
et c'était, à ce qu'il parut, pour
faire à ce pauvre chien malheureux
la première et seule caresse qu'il
eût jamais reçue d'un être humain.

Alors Esmeralda décida
et fit savoir qu'on n'abattrait
pas le chien tant que le Vieux
vivrait.

dim="horizontal"

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De l'endroit où Esmeralda
installait le fauteuil jusqu'au
bord du lac il n'y avait pas loin,

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une trentaine de pieds seulement,
et le terrain était en pente et
assez bien battu.

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On arrivait aux derniers
beaux jours de l'automne, et
bientôt il allait faire trop
froid pour sortir Isaac même
sur le seuil. Il regardait
sans arrêt l'eau comme
déjà figée à l'approche
du gel. Elle reflétait à merveille
la chaude couleur des lichens
avant leur mort. C'était un
beau temps de l'année, court, fugitif,
poignant. Sous la couverture
qu'on avait mis sur les genoux
du Vieux, on ne s'apercevait
pas que sans arrêt sa main
s'exerçait à faire tourner la
roue droite du fauteuil.

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Un jour il y parvint. Esmeralda
leva la tête juste à temps pour le
voir filer. Elle ne fit qu'un
saut, attrapa le fauteuil à
deux doigts du bord du lac. Elle était
toute troublée par la crainte, le
dépit, d'autres sentiments encore
qu'elle n'aurait pu parvenir à
s'expliquer. Elle apostropha durement
le Vieux :
— En voilà des choses à faire!
Moi qui ai vous ai sorti de si
mauvais pas! Vieil ingrat, va !

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En même temps, elle cherchait
une bo de l'oeil une bonne
grosse pierre pour caler les roues
du fauteuil. Elle l'aurait bien
tout de suite rentré et remisé
une bonne fois pour toutes, mais

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la place manquait pour
aujourd'hui -- et peut-être
pour longtemps -- dans la
cabane.
— Vieil ingrat! continuait-
elle à se lamenter, et trouva
enfin la pierre qu'il fallait.

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Le fauteuil une fois calé, elle
en se redressant , elle rencontr a
en plein le regard de l'oeil
intact d'Isaac dans lequel
brillai t ent l'intelligence encore et
aussi sa volonté bien à lui.
Or, sa pauvre volonté encore
vivante, de toutes ses pauvres
dernières forces, semblaient
demander:
— Pourquoi ? Mais
pourquoi donc ?..

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Elle dut comprendre cette fois
sans aucun doute, et peut-être
avait-elle toujours compris, mais elle
était aussi à sa manière était entêtée.
— Je voudrais bien fit-elle avec
une sorte de bonté ... Je voudrais
bien vous laissez faire à votre goût.
Mais, vous savez bien pourtant, que
ça ne se fait plus. On n' a plus le droit.
" Ils " viennent Car " ils " viennent
ensuite chercher à savoir pourquoi. demander : " Pourquoi ?
Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'y a-t-il
eu au juste ? "

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Elle le regarda considéra avec
une curieuse expression où il y avait
du mécontentement de l'avoir encore avec
tout ça encore sur les bras, un brin de la
la
compassion aussi aussi , et sans doute
aussi un peu d'amitié née de l'habitude.

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Tout cela et plus encore , : le commence-
ment en cette femme comme
en toute âme humaine, de
l'étrange voie de faiblesse et
de dépendance les uns vis-à-
vis les autres par laquelle
avancent et s'humanisent
peu à peu les gens sur la terre.
— On est des civilisés
maintenant, lui rappela-t-elle,
et les choses se savent. Elles
se savent loin, loin, loin ...

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Elle leva le regard un instant sur
l'immensité désolée, nue et
déserte, puis le ramenant sur
le Vieux en son fauteuil le
menaça: — « les choses se
savent ... »
et tout aussitôt,
d'un bon pas, s'en fut se

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mettre au chaud dans la cabane.

Légende

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Variante lorem ipsum dolor V
Ajout en interligne lorem ipsum dolor
Ajout en surchage, en haut de l'ensemble du texte lorem ipsum dolor
Ajout en surchage, en bas de l'ensemble du texte lorem ipsum dolor
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