État final - Le téléphone

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Assis au milieu V de sa tente qui était dressée dans le sable, au bord V de la rivière Koksoak 1 , Barnaby, le vieil homme esquimau, écoutait le timbre de son téléphone, souriant d'une oreille à l'autre. V Le vendeur avait dit vrai : cet objet était bien vivant. V

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Autour de lui c'était le désordre familier d'une tente esquimaude, l'été, quand la nature vous fournit passablement bien, et que, de surcroît, on n'est pas V loin d'un bon magasin où s'approvisionner. En vrac, à même V le sol, il y avait donc une grande quantité d'objets disparates. Dans ce qui aurait paru désordre à d'autres, Barnaby se retrouvait pourtant le plus aisément du monde, n'ayant d'habitude qu'à tendre le bras, sans autrement se déranger, pour attraper V ce qu'il lui fallait : son couteau pour la chasse, son poêlon à frire, de quoi fumer, ses crêpes de la veille, son livre de cantiques. Toutefois, à la place nette faite au téléphone en plein centre de la tente, tous autres objets ayant été repoussés contre les parois, on pouvait voir en quelle particulière estime Barnaby tenait cet instrument. À vrai dire, il avait eu quelque peine à l'obtenir, le règlement de la Compagnie 2 , pour accommodant qu'il fût, stipulant V tout de même une condition : pour être abonné il fallait avoir élu domicile. La question avait donc surgi : une tente est-elle un domicile? À quoi V un astucieux cerveau de la Compagnie avait dit oui, puisque Barnaby, qui approchait de la soixantaine, n'en avait jamais eu d'autre; il s'ensuivait donc que sa tente était autant son domicile à lui que le gratte-ciel était celui de la Compagnie. V V

V

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Pour l'instant, le récepteur à l'oreille, Barnaby était tout sourire. V Enfin il décida de passer V à l'occupation pour laquelle était fait le téléphone. V Si calme et si résolu qu'il fût, le cœur V lui cogna un peu à l'idée qu'il pouvait y faire venir V des gens à son gré. Jusque V du bout du monde, avait prétendu le vendeur. Comme on était déjà ici au « bout du monde », il s'arrêtait, d'un côté, à deux milles environ, avec la dernière hutte du village esquimau, celle de Thomas, et, de l'autre, au village des Blancs, à quelque distance de la rivière, mais en revanche près de la piste d'atterrissage qui était aussi en quelque sorte leur grand-route. V V

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Barnaby fit tous ses préparatifs avec le plus grand sérieux. Il mit ses lunettes, il essuya sur lui-même ses doigts au cas où ils auraient été un peu graisseux, il se nettoya les dents V avec le bout de l'ongle. Il était prêt pour mettre son téléphone à l'épreuve. Il introduisit un doigt dans un des trous du cadran, tourna, continua de même. V Il obtint alors un autre bruit très plaisant aussi et qu'il écouta avec le sourire. Soudain, sans que rien eût laissé prévoir une approche, ni bruit V de pas ni respiration, Barnaby V entendit clairement à son oreille :
Allô toi. V
V

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En dépit de ce qu'il s'attendait justement à entendre une voix, il sursauta. V En même temps il V jeta autour de lui un regard un peu inquiet comme V pour s'assurer que Thomas n'était pas entré en personne dans V la tente. V Mais non, il n'y V était que par la voix. Alors l'Esquimau rit V de tout son cœur, sans le moindre bruit. Il finit par répondre :
Allô toi-même. V
V

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Puis, s'étant gratté un peu partout, il songea à demander :
— Qui c'est-y qui est là qui parle?
V

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Sa question V posée, il recommença à se tordre, accrouptonné au milieu V de sa tente. C'est qu'il le savait parfaitement, lui, qui c'est-y-qui-était-là-qui-parlait. V V V Il avait V reconnu la voix de Thomas, même s'il ne l'avait pas entendue depuis les deux années que durait V leur brouille. Aussi bien ce n'était pas par amitié ni pour lui tendre le rameau de la paix qu'il appelait Thomas, V mais, celui-ci se trouvant à l'autre extrémité du village, uniquement pour V s'assurer que l'on pouvait véritablement par le téléphone V rejoindre quelqu'un au bout du monde.

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Alors Thomas retourna à Barnaby sa phrase :
— Qui c'est-y qui parle toi-même?

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Barnaby ne répondit rien. Il entendit la respiration V de Thomas qui ne devait pas savoir à qui il avait affaire et en être joliment agacé. Cela le fit se tordre encore un peu. C'était une situation dans laquelle il avait toujours voulu se trouver, ayant tous les avantages de son côté. En fait, tapi dans le silence à son V bout de la ligne, il se faisait l'effet d'être à l'affût, V prêt à se manifester quand bon lui semblerait. À la longue cependant le silence – ou plutôt la seule respiration à l'autre bout de la ligne – com- mença à le lasser. V Il perdit brusquement patience et demanda :
— T'es là?

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Du tac au tac, la voix demanda :
— T'es là toi-même?

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Barnaby fut pris tellement V au dépourvu qu'il tourna la tête en tous sens comme pour voir s'il y était en effet. V Au désordre qui l'entourait il n'y avait pas à en douter. Il se reprit à rire silencieusement de tout le corps.
— Je suis là, dit-il, et tout V amabilité soudain, comme il avait vu faire chez les Blancs, il se donna un air pieux et s'informa : Comment ça va?

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Même au temps où ils s'adressaient la parole, ni V l'un ni l'autre n'aurait songé V à se manifester pareil intérêt. D'ailleurs cela V allait de soi : ou l'on V vivait encore et par conséquent on était assez bien; ou le temps était passé de prendre des nouvelles des uns et des autres. V

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Barnaby riait tout bas et croyait entendre l'autre dissimuler à peine une envie de rire. V
— Ça va bien, dit enfin Thomas, au bout de plusieurs minutes, comme s'il avait d'abord eu besoin de retourner longuement la question et de s'assurer V qu'elle ne contenait pas d'attrape. V Puis il demanda : V Comment ça va toi-même... Barnaby?

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De s'entendre nommer causa une grosse surprise à Barnaby. V
— Comment sais-tu que c'est moi qui est là qui parle?
Hum! dit Thomas. V

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Tout d'un coup ils V s'entendirent rire l'un l'autre. Cela manquait de sérieux entre gens qui hier ne se seraient V même pas salués. Brusquement ils en revinrent au silence. Un silence étrange , comme une sorte de jeu de cache-cache – ou d'endurance V peut-être – où c'est à qui tiendrait le plus longtemps sans rien dire. V

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Pour passer le temps, Barnaby fit tomber un pou, d'une chiquenaude dans son épaisse frange de cheveux, droit V dans le couvercle d'une marmite, et s'amusa un moment à le faire tourner avant V de l'écraser sous l'ongle. Il ne tarda pas à s'énerver le premier. V
— Qu'est-ce que tu fais? demanda-t-il. V
— Je téléphone, dit Thomas.

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Ils rirent encore un bon coup, en oubliant leurs griefs anciens et récents.
— Et toi? fit Thomas.
— Je téléphone aussi, répliqua Barnaby.

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Après il ne trouva rien à dire pendant un long moment. Il contemplait V vaguement, par l'ouverture de sa tente, le sable doré de la grève et, plus loin, les eaux rapides de la rivière.
— Quel temps fait-il par chez vous?
— Même temps, répondit Thomas.
— Même temps qu'ici?
Est-ce que je sais le temps qu'il fait par chez toi! fit Thomas. V

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C'était de la mauvaise volonté pure et Barnaby eut bien envie de tout envoyer promener. V
Tu t'es aussi laissé attraper par leur vendeur de téléphone, gouailla-t-il. V
Toi aussi, fit V sèchement Thomas.
Oui, concéda Barnaby. V

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Puis il bâilla de fatigue et s'étira V les jambes. La conversation avec Thomas ne l'intéressait plus guère.
V Je t'ai assez parlé, dit-il. V
— Moi aussi, dit l'autre avec une promptitude des plus désobligeantes. J'étais sur le point de m'en aller à la chasse. V
— Ah! dit Barnaby, ravi d'avoir tout de même réussi à embêter un peu Thomas. V
— Arrête ton téléphone, le somma alors celui-ci.

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Du coup, Barnaby se sentit piqué. V
— Arrête ton téléphone toi-même, s'écria-t-il. V

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Il ne demandait pourtant qu'à en finir. Mais le vendeur ne lui avait pas montré comment. Seulement à engager la conversation. Barnaby cherchait une formule, une manière appropriée de quitter le téléphone, V V et ne trouvait pas.
— Je vais te fermer mon téléphone, annonça-t-il.
Ferme-le, dit l'autre. V

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L'en voyant V si ravi, Barnaby changea d'idée. La meilleure manière d'agacer Thomas, c'était encore de le garder captif. V Il attrapa par le manche son poêlon où il se trouvait des restes de fritures qu'il décolla du bout de l'ongle et mangea V distraitement. Un ennui vague, sans objet précis, l'avait surpris tout à coup.
— T'es encore là? fit-il avec un manque d'intérêt évident.

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C'était difficile de chasser quelqu'un qui n'était pas sur place. Sur place, il n'y aurait qu'à faire grise mine à l'importun. Mais avec V quelqu'un qui ne vous voyait même pas le visage! V

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Alors il entendit l'autre rire et cela le mit lui-même en gaieté. V

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Elle leur venait sans doute de la découverte qu'il n'y avait apparemment pas d'issue au jeu qu'ils avaient mis en marche. V Mais leur hilarité tomba. V L'ennui revint.
T'avais pensé aller à la chasse? V fit Barnaby.
J'y serais, dit Thomas. V

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V Barnaby, pour sa part, fut saisi à l'instant du désir d'aller à la pêche. V Tout à coup le jeu du téléphone ne l'amusait plus. V D'ailleurs il en était toujours ainsi avec les inventions des Blancs. Pendant quelque temps rien n'était plus distrayant, puis V , un bon matin, on s'éveillait déçu à tout jamais. Il s'imagina V le plaisir qu'il éprouverait à être plutôt sur la rivière à laisser filer derrière lui dans le sillage de sa barque son filet de pêche V tout en regardant au loin la ligne ocre des vieilles montagnes chauves. Il se décida sur-le-champ. Sans plus, il raccrocha. V C'était fait : maintenant il était chez lui, il avait la paix. V

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Il s'en frotta les mains de satisfaction, puis se mit à tirer V hors du fouillis ce qu'il lui fallait pour aller à la pêche.

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Soudain, dans la tente, à trois pas de lui, éclata une sonnerie à lui crever V les oreilles. La première impulsion de Barnaby fut de détaler. Il se ressaisit, se rappelant ce qu'avait dit le vendeur : avec V ça, tu peux sonner chez les gens; ils peuvent aussi sonner chez toi.

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V Sans perdre pour cela sa méfiance, Barnaby s'approcha pas à pas. Le téléphone sonnait, sonnait, mais sans révéler qui se permettait de déranger ainsi. V

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Barnaby fit le tour entier du téléphone avant de se décider à décrocher. V Il fallait pourtant en venir V à faire cesser ce bruit-là. D'ailleurs une vive curiosité maintenant le tenaillait. V Il lui semblait qu'il ne pourrait plus vivre s'il n'apprenait pas qui sonnait chez lui avec tant d'effronterie. V Il souleva le récepteur doucement, sans le moindre bruit, comme V pour surprendre l'autre, tout en restant lui-même caché. Il entendit néanmoins Thomas qui disait :
Allô Barnaby. V Ça va bien?

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Barnaby resta sans rien trouver à répondre. V
Comment sais-tu que c'est moi? dit-il à la longue. V
Je le sais, dit l'autre. V

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Le cerveau de Barnaby se remit à fonctionner vivement. V Son bon visage, tanné et recuit au soleil, se couvrit de rides en tous sens, semblable à un quadrillage au travers duquel les yeux troublés regardaient au loin. Allons V donc, voici qu'il entrevoyait que cette vieille teigne de Thomas, ayant maintenant découvert le moyen de l'embêter, n'allait plus s'en priver. Il l'avait dit au reste : le téléphone, qu'on s'en serve ou qu'on ne s'en serve pas, V c'est le même prix. Autant donc s'en servir et l'user. V

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Tout d'un coup, cependant, la physionomie de Barnaby se métamorphosa V de nouveau. Il se reprit à se tordre en silence. Il venait d'apercevoir la manière de faire enrager Thomas. V C'était simple : il n'y avait qu'à lui rendre la pareille. À l'instant V même où cette conversation – qui d'ailleurs n'en était pas une – prendrait fin, il sonnerait chez Thomas. Ou, mieux encore, il attendrait la nuit venue. Alors il sonnerait, il sonnerait, et, quand enfin il aurait tiré Thomas du sommeil, il s'informerait poliment : Dormais-tu donc, Thomas? V
À quoi penses-tu sans parler pendant si longtemps? s'informa justement V Thomas.

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Barnaby se prit à rire tout fort. V
— J'arrête mon téléphone, dit-il, et il le fit. V

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Il s'aperçut savoir maintenant tout à fait se servir du téléphone. On sonnait les gens quand on voulait, peu importe s'ils étaient libres ou non. Au piège, on leur débitait V ce qu'on avait à débiter. Ensuite on s'en allait à ses affaires. On n'avait jamais rien inventé de plus drôle. Barnaby décida que la pêche pouvait attendre. Auparavant, il allait s'amuser encore un peu à jouer au téléphone.

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Curieusement, après avoir appelé au plus loin, il eut maintenant l'idée d'appeler au plus proche. Ce serait donc chez Gertrude. Jusqu'ici, V pour lui parler, il n'avait eu qu'à passer la tête par l'ouverture de sa tente et la héler. Elle habitait juste en face, dans cette belle grande hutte quonset dont elle V avait hérité au départ des troupes, en garnison ici pendant la guerre. Il y avait tout V là-dedans : un vrai poêle avec un tuyau, des vitres aux fenêtres, des rideaux en plastique, même un réveille-matin. Cela pour réveiller V le mari de Gertrude qui travaillait à l'hôtel des Blancs et devait s'y trouver « à l'heure », comme ils disaient. V

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De sa place, Barnaby, en étirant le cou, V pouvait voir la jeune femme présentement occupée à faire sa lessive au dehors devant V la hutte. Ses enfants jouaient autour d'elle avec de jeunes chiens. Elle-même avait l'air de bonne humeur. Elle chantonnait une chanson que les soldats lui avaient apprise : Roll out the barrel. 3 V Tout ce temps elle frottait son linge sur sa planche à laver. V À côté d'elle, par terre, il y avait une de ces grandes boîtes de savon qui, en fait, sont plutôt remplies d'un torchon ou de quelque immense serviette à ramages. Gertrude fumait une cigarette V tout en lavant. Il semblait aussi qu'elle mastiquait V de la gomme à mâcher. Si encore avec tout cela elle n'avait V pas les nerfs apaisés, c'est qu'ils ne le seraient jamais, se dit Barnaby, et il se prit V à rire des épaules.

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Il tira le numéro de Gertrude du cahier des abonnés. Il sonna chez elle. V Tout de suite après, il allongea le cou pour la suivre des yeux. V Gertrude venait de s'arrêter de frotter, tout en prêtant l'oreille, la tête un peu tournée du côté de sa maison. D'ailleurs Barnaby s'entendait lui-même sonner chez sa voisine. V

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Elle s'égoutta les mains d'un petit coup V sec sur le bord de sa cuvette, se les essuya le long des hanches V et partit au trot pour disparaître dans la hutte. Cette précipitation à lui répondre mit Barnaby V en gaieté. Presque aussitôt il entendit une voix tout essoufflée, plaisante encore cependant. V
Allô. V
Allô, dit-il lui-même le plus aimablement qu'il put, et il demanda V avec beaucoup de civilité : Qui c'est-y qui est là qui parle?

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Il y eut un bref silence, puis éclata à l'oreille de Barnaby un glapissement tel que pour en entendre un pareil il aurait fallu réunir tous les chiens des alentours. V
Je m'en vas t'en faire, V moi, des qui-c'est-y-qui-est-là-qui-parle! Espèce de vieux fainéant! Allongé toute sa vie par terre à téléphoner! Y a V pas cinq minutes c'était chez Thomas. Y a pas dix minutes qu'il était ici même, en personne, chez moi, pour m'emprunter encore une fois une tasse de farine. V
Voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnaby, tâchant de la calmer V , mais il n'y avait rien à faire, elle était trop emportée, elle menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

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Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas une personne V avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les Blancs, à qui elle avait pris un peu de leurs curieuses manières, pas mieux disposée qu'eux maintenant à se laisser faire de bonnes farces. V Il ne fallait pourtant pas se la mettre à dos, à cause V de la farine de temps à autre justement, V et d'autres petits services aussi quelquefois. Ainsi, voyant qu'elle avait une mousse V abondante, il avait pensé lui demander d'y passer ses hardes, en dernier lieu, après qu'elle en aurait fini avec son linge à elle, éclatant de fraîcheur, tel que le promettait la publicité. Maintenant V il n'osait plus. Il fit tout de même un effort pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher, dit-il aimablement.
— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou, va voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. Puis elle glapit : « Bye-bye » V V , et ce fut tout, elle n'était plus là.

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Peu après, Barnaby, avançant la tête, la revit, de retour à sa lessive, qui frottait et mastiquait V avec une vigueur donnant à entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

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Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le « bye-bye ». V Enfin il connaissait la manière V polie de clore un entretien au téléphone. V Il y prenait un tel goût à la fin que maintenant saurait-il jamais s'en passer? V C'était loin toutefois d'être pour la raison évoquée par le vendeur, V qu'advenant une grosse tempête ou blessé dangereusement, il pourrait là-dedans appeler au secours. V V Barnaby avait comme l'idée qu'en pareil cas il se soucierait de son téléphone autant que de ses bottes trouées. V

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Il chercha de nouveau V dans le cahier des abonnés. Il y en avait une page pleine. De quoi s'amuser longtemps. V Quand il en arriva à déchiffrer le nom de la puissante Compagnie de la V Baie d'Hudson, sa gaieté déborda. Cette Compagnie-là, V 4 il y avait assez longtemps qu'elle les forçait à marcher à travers la toundra vers V ses comptoirs, vieux, jeunes, enfants, la tribu entière, même les nouveau-nés, si on peut dire, sur le dos de leur mère. C'était V bien son tour d'être un peu dérangée. Il sonna longuement. La Compagnie ne se V pressait pas. Naturellement! Depuis V le temps que les gens allaient vers elle!

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Tout d'un coup, il entendit une voix polie à sa manière, excédée pourtant :
Allô, ici Nicholson. V

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Histoire de partir d'un bon pied, si l'on veut, dans la conversation, Barnaby s'informa avec un curieux mélange de sentiments où la révérence côtoyait l'effronterie la plus naïve :
C'est la Compagnie? V Elle-même? En personne? Elle va bien?
— Comment ça, en personne? lui fut-il demandé sur un ton où perçait franchement l'irritation.

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Barnaby pensa à l'explication que donnait le pasteur anglican de Dieu en trois personnes, et il faillit pouffer. V Savoir en combien de personnes la Compagnie, elle, V se résumait!
— Qui est à l'appareil? demanda Nicholson, de moins en moins patient. V

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Barnaby imagina la scène V avec plaisir : trois ou quatre Blancs, deux fois plus d'Esquimaux sans doute, tous entassés comme des mouches autour du comptoir à attendre d'être V servis et impatients déjà – ils l'étaient tous dès qu'ils avaient le pied dans le magasin, Dieu sait pourquoi. Que faisaient-ils ensuite de leur précieux temps! V Or de les voir s'impatienter devait être dur à supporter pour le gros Nicholson lui-même peu endurant. V
— Qui est là? fit-il encore une fois.

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Et comme justement Barnaby V ne disait mot depuis un assez bon moment, il s'entendit demander :
Qui parle? V

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Ce fut plus fort que lui. Il ne put se retenir de faire quelques « hi hi ». V
— Qui parle? redemanda Nicholson, presque menaçant.
— C'est personne, dit Barnaby, voulant peut-être faire entendre qu'il se considérait lui-même sans importance. V Ou encore qu'il se désolait, malgré tout, de tant V déranger. Au vrai, il ne savait pas ce qui l'avait poussé aujourd'hui et fait agir V de la sorte. Peut-être un certain V énervement à se voir avec cet instrument chez lui. Tout d'un coup il se rappela la manière polie, la formule pour en finir : V Bye-bye, dit gentiment V Barnaby, et il raccrocha, ou plutôt, tel il se représenta à lui-même la chose, il s'enfuit à toutes jambes et juste V à temps.

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Seul dans sa tente, bien tranquille chez lui à l'abri V de tout le monde, il s'esclaffa. Il avait eu un peu peur pendant un instant. Mais V V apparemment il s'était sauvé au bon moment. Nicholson ne pouvait l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un d'éveillé comme V la Gertrude, habituée à sa voix, et qui de surcroît n'arrêtait V pour ainsi dire pas de le surveiller du coin de l'œil. C'était là le fin du fin du téléphone; on y V pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas de moyen pour savoir qui c'est-y-qui-était-là-qui-parlait. V Barnaby se tapa allégrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des abonnés. V En importance, V à Fort Chimo V , tout de suite après la Baie d'Hudson venait la Wheeler 5 . Cette compagnie louait des petits hydravions V à des groupes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui venaient parfois se rendre compte par eux-mêmes du genre de vie que menaient les Esquimaux. Barnaby sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie d'Hudson. En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir Gertrude qui mettait son linge V à sécher sur une corde tendue entre deux V piquets. Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait d'eau encore un peu mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait pas l'air suffisamment revenue à la bonne humeur pour consentir à lui passer son eau de lessive. V

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À force d'attendre, Barnaby avait V peut-être oublié qu'il était en train de téléphoner. Il tressaillit quand il entendit droit dans son oreille :
— Allô.
V
V
Allô, dit-il V lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda V gentiment : C'est la Wheeler?
— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnaby pris de court et ne sachant trop que solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne. V
— Deux places? Trois places?
— Trois peut-être, dit Barnaby.
— C'est pour quand? demanda la Wheeler imperturbable.
Pour tout de suite, fit Barnaby. V
V — Je regrette, continua la Wheeler, nous n'avons V rien de disponible d'ici trois semaines. C'est notre saison la plus occupée. Seriez-vous assez bon pour nous laisser votre nom et votre adresse?... V

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Pour la première fois depuis qu'il s'était pris au jeu du téléphone, Barnaby commença à se demander si on ne riait pas de lui autant, pour le moins, qu'il V avait ri des autres. Tant de politesse ne lui disait V rien qui vaille. Il décida de prendre le parti d'avoir l'air mécontent, ce qui avec les Blancs V amenait généralement de bons effets.
— C'est tout de suite qu'il me faut mon avion. V

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Il crut entendre rire au loin et de nouveau on lui demandait :
— Qui parle?
V V
— Un homme, dit Barnaby, ne sachant peut-être trop comment se présenter sans ruiner toute sa stratégie. V

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Puis, en oubliant son « bye-bye », il raccrocha et demeura V assis à rire encore un bon coup tout de même.

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Gertrude, passant par là, avait dû V s'attarder à écouter, dissimulée derrière les hardes suspendues à la corde V à linge de Barnaby. Elle le menaça :
Si tu ne cesses pas de sonner V tout le temps comme ça chez les Blancs, des gens occupés et sérieux, je m'en vais te dénoncer à la police. V

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La police! V Parlons-en! Peut-être qu'en d'autres parties du monde il y avait V lieu de la craindre, de se tenir vis-à-vis d'elle sur ses gardes. Mais ici! Elle était représentée par l'homme le plus serviable, V V le plus obligeant du monde, attaché comme pas un à ses Esquimaux qui le lui rendaient bien d'ailleurs! Dix fois par jour ils trouvaient le moyen, sous un prétexte ou sous un autre, d'aller V lui rendre visite, pour manger ses provisions, fumer son tabac, feuilleter ses vieux magazines. V

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Barnaby rit à s'en décrocher les mâchoires. Tout de même, dans le fond, il ressentait une petite inquiétude enfin. Surtout il était enragé contre la Gertrude.
— Va-t'en chez le diable, lui lança-t-il, et il eut l'idée de téléphoner maintenant V à la Mission catholique.

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Lui, appartenant au rite anglican, relevait du révérend Hugh Paterson, un nomme sévère; jamais Barnaby V n'aurait pu se laisser aller à lui jouer des tours. D'ailleurs le pasteur était toujours en tournée, vire de ce côté-ci, vire de ce côté-là, à la recherche tout le temps de gens à convertir : un saint V homme, il n'y avait pas à dire! De son côté, le Père Eugène, lui, était plutôt du genre à attendre les hommes dans le besoin. V Chacun donc avait sa manière, la meilleure peut-être à sa façon, celui-là avec l'Évangile, V la parole austère, le cadeau rare, celui-ci avec sa salle de cinéma, ses cadeaux de vieilles revues et surtout sa salle de loisirs mise à la portée de tous. Deux hommes V de première qualité, cela ne faisait pas de doute. Il n'y avait donc V qu'à suivre l'un... et prendre ce que l'autre offrait... puisque de cette façon on leur faisait plaisir à tous deux. V

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Barnaby écoutait sonner chez le Père Eugène depuis un bon moment déjà et se demandait si celui-ci n'avait pas aussi tout d'un coup V pris le goût de la trotte, ce qui aurait été triste tout de même, un village où il ne resterait plus personne pour représenter le bon Dieu. V Mais alors il pensa au jardin du Père et se dit que celui-ci devait s'y trouver à cette minute. Casqué V de son casque contre les moustiques, il pouvait être long à entendre son téléphone. Barnaby se mit à songer V à ce petit jardin du Père.

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C'était le seul à Fort Chimo , et même dans tout V le pays esquimau. La terre en était venue d'un peu partout, une poignée par ici, une poignée par là. La première poignée, le Père V Eugène l'avait apportée de son village de France. Les gens avaient été la regarder, V quelque chose d'inerte, V et pourtant, selon le Père, vie et beauté y étaient V contenues en puissance. Il en était arrivé ensuite par avion deux ou trois sacs V – on peut s'imaginer le prix qu'avait alors atteint le terreau! V Le Père avait fait construire un toit V pour protéger son jardin, puis enfin une sorte de cabane en polyéthylène pour l'enserrer en entier et le protéger contre les mauvais temps. V Finalement il y avait fait installer le chauffage. Tout le monde V maintenant avait pris de l'intérêt V pour le jardin. Quand, au cours de leurs chasses lointaines, il arrivait aux Esquimaux V de trouver un peu plus de terre en des creux bien abrités, le long de petits lacs, ils se chargeaient d'en apporter sur leur dos, soigneusement enveloppée, parmi leurs paquets indispensables. V Ainsi s'était constituée la merveille de Fort Chimo , comme V autrefois il y avait eu, à ce que disait le grand Livre pieux, V les jardins suspendus V de Babylone. De jour V en jour on allait voir pousser les tomates, les radis, la laitue. V

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Pensant à tout ce qu'avait accompli le Père Eugène et qui valait V bien le miracle de l'eau changée en vin, Barnaby se sentit quelque peu honteux de ses tours, de ses farces et de cette vie V oisive qu'il menait depuis quelque temps. Il eut la velléité d'en changer tout de suite. Mais à ce moment retentit V à son oreille une bonne voix cordiale qui le saluait sans façon : V
Allô allô. V

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Cette fois encore, Barnaby ne put s'empêcher de sursauter, V tout en jetant vers le seuil de la tente un regard agité. C'était cette soudaineté d'apparition de la voix, si l'on peut dire, à laquelle il ne s'habituait pas. Son calme retrouvé, il dit à son tour : « Allô allô », en tâchant V d'y mettre la curieuse désinvolture des Blancs qui lui avaient toujours paru avoir l'air au téléphone de ne parler V qu'à du bois. Point beaucoup d'animation. Presque pas de geste. Le sourire chiche. Il revint à sa bonne V manière à lui, affable, chantante et colorée : V
— Qui c'est-y donc qui est là qui parle?

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À l'instant même, rien ne paraissait moins mériter la rebuffade que le bon visage de Barnaby, ses grosses V V lèvres ouvertes en un sourire plein de confiance, ses yeux brillants d'amitié. Aussi bien, survenant comme un coup de fouet, elle l'abasourdit à lui faire perdre toute contenance. V

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Il avait pourtant déjà V perçu quelque chose de l'esprit coléreux du Père, lorsque, par les beaux dimanches d'été, passant à côté de la chapelle V catholique dont les fenêtres étaient grandes ouvertes, il s'était attardé à l'écouter s'en prendre durement à ses paroissiens pour avoir encore, à son dire, dans leur party de la veille, bu et agi pis que des païens, bel exemple V à donner aux Esquimaux, ces innocents enfants de la nature qui, à cause V même des mauvais chrétiens qu'ils avaient sous les yeux, pourraient être entraînés au mal, les mauvais chrétiens en portant éternellement la responsabilité devant le Seigneur. V V

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Même à Barnaby cela avait paru un peu fort. Mais qu'était-ce que cette colère du dimanche auprès de ce qu'il attrapait lui- même. V
Barnaby de Barnaby! Je vais te la faire passer ta démangeaison V du téléphone. Depuis ce matin que les plaintes arrivent de tous côtés : la Baie d'Hudson, le Bureau d'observations météorologiques, les Affaires indiennes, V la Ungava Ore... la faculté de géologie de l'Université... V

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Tout de même! Barnaby essaya de glisser deux mots pour se soustraire au moins à quelques V chefs d'accusation. Il commençait à percevoir qu'il était loin d'être le seul à avoir joué au téléphone. V Mais il n'y avait pas à arrêter le Père emporté dans une sorte de grand « sermon » furieux.
— Un homme de ton âge! Quelle pitié! Depuis le temps que tu occupes la ligne, V sais-tu bien qu'on aurait pu en avoir besoin pour un cas grave : un enfant, V par exemple, qui serait tombé dans un piège à ours... Tu devrais avoir honte.
V

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C'était bien inutilement enfoncer le fer dans la plaie. Barnaby avait honte. V Même au téléphone il courbait la tête et se faisait petit. Ce qui l'atterrait cependant, ce n'était V pas l'histoire d'un enfant tombé dans un piège à ours – chose assez invraisemblable – mais d'avoir V été découvert. Il n'aurait pas cru cela du téléphone. Pas plus, V en effet, qu'il ne reconnaissait facilement les Blancs V à leurs voix qui lui paraissaient la même – plate et sans musique, comme, au reste, leurs visages aussi V lui avaient toujours V paru identiques – pas plus il n'imaginait les Blancs V V capables d'identifier un Esquimau à sa voix seulement. Il n'y aurait donc plus jamais maintenant à accorder confiance au téléphone. V
— Te voilà bien avancé, renchérit le Père. Ton argent dépensé, et qu'as-tu en retour? Veux-tu que je te le dise? La servitude. C'est ça, le téléphone. Il sonne : tu accours. Ou bien, V tu n'accours pas, mais alors tu te ronges les sangs de regret ou de curiosité insatisfaite.
V

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Barnaby acquiesçait à petits coups de tête tristes et convaincus. V V C'était bien ainsi que cela se passait. En fait, personne plus que lui à l'heure actuelle n'était autant retourné V contre le téléphone, contre tout, du reste : la Wheeler, la Baie d'Hudson, même la police, et, s'il fallait aller au fond des choses, contre lui-même surtout. V V Encore un peu, et il mettrait le téléphone V en pièces.
— Attention, dit le Père, comme s'il lisait sans difficulté dans les pensées de Barnaby. Ne va surtout pas te venger du téléphone. Ils te feraient payer les dégâts.

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Comment! au bout du compte le téléphone n'était même pas à lui!

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L'instrument restait toujours la propriété de la Compagnie, V lui apprit le Père.

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Il s'était pourtant considérablement radouci. V Il finit par se montrer du meilleur conseil possible pour le pauvre Barnaby. V
Va donc plutôt, mon pauvre vieux, faire un tour V sur la rivière. Cela te changera les idées. V

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Justement Barnaby fixait les yeux sur la Koksoak qui passait pour ainsi dire à sa porte. Il la regardait depuis V V un bon moment sans trop savoir encore qu'elle l'appelait. Il se souvint du temps point si éloigné pourtant où les V Esquimaux vivaient entre eux dans le vieux Fort Chimo de l'autre V côté de la rivière, paisibles et presque inconnus du reste de l'humanité. Mais la guerre était survenue quelque part dans le monde et voici qu'en face, sur V la rive opposée de la Koksoak , avait surgi un petit poste militaire, une sorte V de village des Blancs poussant tout alentour. Un à un, la plupart des Esquimaux avaient franchi la rivière pour venir de ce côté-ci jouir, V comme on disait, des commodités.

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Barnaby ne quittait toujours pas des yeux le flot rapide de la Koksoak . V Chez ce bavard – qui V l'aurait cru – demeurait V intact l'amour du silence et de la liberté! Là-bas, sur l'autre rive, étaient V restés quelques rares irréductibles. Barnaby eut tout à coup envie d'être de leur nombre. V En un instant sa décision fut prise.
Bye-bye, dit-il V gentiment à son téléphone. Je m'en retourne.

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Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Ce ne pouvait être long; il laissait sur place les trois quarts de ses effets, des tas de choses qu'il accumulait avec l'idée qu'un jour elles pourraient lui être utiles : des pneus crevés, des bidons vides, des bouts V de tuyau. Il revenait à ce qui avait été longtemps le maximum de ses possessions : sa tente, sa carabine, ses engins de pêche, de quoi manger et fumer pendant quelques semaines.

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Il transporta le tout dans son canot. Il s'embarqua. Bientôt V il atteignit le courant. Toutes choses dès lors prirent leurs justes V proportions. Contre l'immense ciel nu et la ligne lointaine des vieilles montagnes rondes, les maisons basses du village esquimau, en bordure de la rivière, ne se voyaient presque plus. Dans l'ampleur V soudain découverte du pays, le village des Blancs situé V un peu plus haut, le long de la piste d'atterrissage, n'avait guère plus d'importance.

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Barnaby rama encore un bon coup. Au milieu de la rivière, un air plus fort l'accueillit. Il prit le temps de le respirer avec un vif soulagement. V Un vieux fond de tristesse chez cet être rieur, qui l'avait poussé à cent folies, que n'étaient pas parvenues à vaincre les meilleures distractions, enfin lui était enlevé.

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Peut-être pas pour toujours. Barnaby n'était plus assez simple pour V croire que l'homme sur terre arrive à secouer pour de bon sa vieille tristesse. Sans quoi inventerait-il encore tant d'objets drôles ou faits pour réjouir V le regard? Mais quelque chose était retrouvé que Barnaby avait cru perdu. Son ancien visage en recouvra une certaine beauté. De même le sol de son pays aride que l'on pourrait croire de roc seulement. Mais qu'une pluie survienne, et le voilà qui reverdit!

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Au loin, sur la grève, parmi la ferraille tordue et les détritus du campement abandonné, le téléphone, déjà à moitié enfoncé dans le sable, sonnait, sonnait.

État 5 - Le téléphone

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LE TELEPHONE

Image I

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Assis par terre au milieu de sa tente qui était dressée dans le
sable , au bord de la rivière Koksoak , Barnab y , le vieil homme esquimau, le- écoutait
va le récepteur de son téléphone. Il écouta le timbre , de son téléphone, souriant
d'une o-
reille à l'autre. Il était bien vrai, comme l'avait soutenu l L e vendeur , avait dit
vrai: que cet objet était bien vivant.

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Autour de lui c'était le désordre familier d'une tente esquimau-
de, l'été, quand la nature est aimable et vous fournit d'un peu de tout, passablement bien,
et que, de surcroît,
on n'est pas loin d'un bon magasin où s'approvisionner.
En vrac, à même le sol, il y avait donc une grande quantité d'objets dispa-
rates. Dans ce qui aurait paru désordre à d'autres, Barnab y se retrouvait
pourtant le plus aisément du monde, n'ayant d'habitude qu'à tendre le bras ,
sans autrement
se déranger, pour attraper ce qu'il lui fallait : son couteau
pour la chasse, son poêlon à frire, de quoi fumer, ses crèpes de la veille,
son livre de cantiques. Toutefois, à la place nette faite au téléphone en
plein centre de la tente, tous autres objets ayant été repoussés contre les
parois, on pouvait voir en quelle particulière estime Barnab y tenait cet
instrument. A vrai dire, il avait eu quelque peine à l'obtenir, le règlement
de la Compagnie, pour accommodant qu'il fût, stipulant tout de même une con-
dition : pour être abonné il fallait avoir élu domicile. La question avait
donc surgi : une tente est-elle un domicile? A quoi un astucieux cerveau de
la Compagnie avait dit oui, puisque Barnab y , qui approchait de la soixantaine ,
n'en avait
jamais eu d'autre; il s'ensuivait donc q ue sa tente était autant
son domicile à lui que le gratte-ciel était celui de la Compagnie.

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Pour l'instant, le récepteur à l'oreille, Barnabé était tou s t sourires.
Enfin il décida de passer à l'occupation pour laquelle était fait le téléphone.

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Pour Si calme et si résolu qu'il était fut , le coeur lui cogna un peu à l'idée qu'il
pouvait y faire venir des gens à son gré. Jusque du bout du monde, avait
prétendu le vendeur. Comme on était déjà ici au "bout du monde" , il s'arrê-
tait d'un côté, à deux milles environ, avec la dernière hutte du village
esquimau, celle de Thomas, et, de l'autre, au village des Blancs, à quelque
distance de la rivière, mais en revanche près de la piste d'atterrissage
qui était aussi en quelque sorte la leur grand' route.

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Barnab y fit tous ses préparatifs avec le plus grand sérieux.
Il mit ses lunettes, il essuya sur lui-même ses doigts au cas où ils auraient
été un peu graisseux, il se nettoya les dents avec le bout de l'ongle. Il
était prêt pour mettre son téléphone à l'épreuve. Il introduisit un doigt
dans un des trous du cadran, tourna, recommença avec un autre trou continua de même . Il
obtint alors un autre bruit très plaisant aussi et qu'il écouta avec le
sourire. Soudain, sans que rien n' eût laissé prévoir une approche, ni bruit
de pas ni rien respiration , Barnab y entendit clairement à son oreille . :
Allo ^ toi.

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En dépit de ce qu'il s'attendait justement à entendre là-dedans
une voix,
il sursauta. En même temps , il jeta autour de lui un rega rd un
peu inquiet comme pour s'assurer que Thomas n'était pas entré en personne dans
la tente. Mais non, il n'y était que par la voix. Alors l'Esquimau rit de
tout son coeur, sans le moindre bruit. Il finit par répondre :
— Allo ^ toi-même.

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Puis, s'étant gratté un peu partout, il songea à demander :
— Qui c'est-y qui est là qui parle?

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Aussitôt s S a question posée, il recommença à se tordre, accroupetonné
au milieu de sa tente. C'est qu'il le savait parfaitement, lui qui c'est-y- qui-
était-là-qui-parlait.

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Il avait reconnu la voix de Thomas, même s'il ne l'avait pas entendue
depuis les deux années que durait leur brouille. Aussi bien ce n'était
pas par amitié ni pour lui tendre le rameau de la paix qu'il appelait
Thomas, mais, ce c lui-ci se trouvant à l'autre extrémité du village,
uniquement pour s'assurer que l'on pouvait véritablement par le télé-
phone rejoindre quelqu'un au bout du monde.

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Alors Thomas retourna à Barnab y sa phrase :
— Qui c'est-y qui parle toi-même?

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Barnab y ne répondit rien. Il entendit la respiration de
Thomas qui ne devait pas savoir à qui il avait affaire et en être
joliment agacé. Cela le fit se tordre encore un peu. C'était une
situation dans laquelle il avait toujours voulu se trouver, ayant
tous les avantages de son côté. En fait, tapi dans le silence à son
bout de la ligne, il se faisait l'effet d'être à l'affût, prêt à se
manifester quand bon lui semblerait. A la longue cependant le si-
lence - ou plutôt la seule respiration à l'autre bout de la ligne -
commença à se le lasser. Il perdit brusquement patience et demanda :
— T'es là?

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Du tac au tac, la voix demanda :
— T'es là toi-même?

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Barnab y fut pris tellement au dépourvu qu'il tourna la
tête en tous sens comme pour voir s'il y était en effet. Au désordre
qui l'entourait il n'y avait pas à en douter. Il se reprit à rire
silencieusement de tout le corps.
— Je suis là, dit-il, et , tout amabilité soudain, comme
il avait vu faire chez les Blancs, il se donna un air pieux et s'in-
forma : Comment ça va?

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Même au temps où ils s'adressaient la parole, ni l'un ni
l'autre n'aurait songé à se manifester pareil intérêt. D'ailleurs
cela allait de soi : ou l'on vivait encore et par conséquent on était
assez bien ; ou et le temps était passé de prendre des nouvelles des
uns et des autres.

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Barnab y riait tout bas et croyait entendre l'autre dissi-
muler à peine une envie de rire.
C Ç a va bien, dit enfin Thomas, au bout de plusieurs
minutes , comme s'il avait d'abord eu besoin de retourner longuement
la question et de s'assurer qu'elle ne contenait pas d'attrape.

Puis il demanda:
— Comment ça va toi-même...Barnab y ?

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De s'entendre nommer causa une grosse surprise à Barnab y .
Du dépit aussi.

— Comment sais-tu que c'est moi qui est là qui parle?
— Hum! dit l'autre Thomas .

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Tout d'un coup ils s'entendirent rire l'un l'autre. Cela
manquait de sérieux entre gens qui hier ne se seraient même pas sa-
lués. Brusquement ils en revinrent au silence. Un silence étrange
comme une sorte de jeu de cache-cache -- ou d'endurance peut-être --
ou c'est à qui tiendrait le plus longtemps sans rien dire.

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Pour passer le temps, Barnab y fit tomber un pou de son pou, d'une chiquenaude dans son
épaisse frange de cheveux , droit
dans le couvercle d'une marmite, et
s'amusa un moment à le faire tourner en rond avant de l'écraser sous
l'ongle. Il ne tarda pas à s'énerver le premier.
— Qu'est-ce que tu fais? demanda-t-il.
— Je téléphone, dit Thomas.

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Ils rirent encore un bon coup, en oubliant leurs griefs
anciens et récents.

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— Et toi? fit Thomas.
— Je téléphone aussi, répliqua Barnab y .

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Après il ne trouva rien à dire pendant un long moment. Il
contemplait vaguement, par l'ouverture de sa tente, le sable doré de
la grève et, plus loin, les eaux rapides de la rivière.
— Quel temps fait-il par chez vous?
— Même temps, répondit Thomas.
— Même temps qu'ici?
— Est-ce que je sais le temps qu'il fait par chez toi!
fit Thomas.

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C'était de la mauvaise volonté pure et Barnab y eut bien
envie de tout envoyer promener.
— Tu t'es aussi laissé attraper par leur vendeur de
téléphone, gouailla-t-il.

— Toi aussi, fit sèchement Thomas.
— Oui, concéda Barnab y .

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Puis il bâilla de fatigue et s'étira les jambes. La con-
versation avec Thomas ne l'intéressait plus guère.
— Je t'ai assez parlé, dit-il.
— Moi aussi, dit l'autre avec une promptitude des plus
désobligeantes. J'étais sur le point de m'en aller à la chasse.

— Ah ! dit Barnab y , ravi d'avoir tout de même réussi à
embêter un peu Thomas.

— Arrête ton téléphone, le somma alors celui-ci.

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Du coup, Barnab y se sentit piqué.
— Arrête ton téléphone toi-même, s'écria-t-il.

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Il ne demandait pourtant qu'à en finir. Mais le vendeur ne
le lui avait
pas montré comment. Seulement à engager la conversation.
Barnab y cherchait une formule, une manière appropriée de quitter le
téléphone, et ne trouvait pas.
— Je vais te fermer mon téléphone, annonça-t-il.
— Ferme-le, dit l'autre.

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L'en voyant si ravi, Barnab y changea d'idée. La meilleure
manière d'agacer Thomas, c'était encore de le garder captif. Il
attrapa par le manche son poêlon où il se trouvait des restes de fri-
tures qu'il décolla du bout de l'ongle et mangea distraitement. Un
ennui vague, sans objet précis, l'avait surpris tout à coup.
— T'es encore là? fit-il avec un manque d'intérêt évident.

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C'était difficile de chasser quelqu'un qui n'était pas
sur place. Sur place, il n'y aurait eu qu'à lui faire grise mine à
l'importun. Mais avec quelqu'un qui ne vous voyait même pas le visage!

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Alors il entendit l'autre rire et cela le mit lui-même en
gaieté.

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Elle leur venait sans doute de la découverte qu'il n'y
avait apparemment pas d'issue au jeu qu'ils avaient mis en marche.
Mais leur hilarité tomba. L'ennui revint.
T'avais pensé aller à la chasse? fit Barnab y .
— J'y serais, dit Thomas.

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Barnab y , pour sa part, fut saisi à l'instant du désir d'aller à la
pêche. Le Tout à coup le jeu du téléphone deux mots ne l'amusait plus . du tout pour l'instant.
D'ailleurs il en était toujours ainsi avec les inventions des Blancs.
Pendant quelque temps rien n'était plus distrayant, puis, un bon matin,
on s'éveillait déçu à tout jamais. Il imagina le plaisir qu'il éprou-
verait à être plutôt sur la rivière à laisser filer derrière lui dans
le sillage d e sa barque sa longue corde son filet de pêche tout en regardant au
loin la ligne ocre des vieilles montagnes chauves. Il se décida sur-
le-champ. Sans plus, il raccrocha. C'était fait : maintenant il était
chez lui, il avait la paix.

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Il s'en frotta les mains de satisfaction, puis se mit à
tirer hors du fouillis ce qu'il lui fallait pour aller à la pêche.

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Soudain, dans la tente, à trois pas de lui, éclata une
sonnerie à lui crever les oreilles. La première impulsion de Barnab y
fut de détaler. Il se ressaisit, se rappelant ce qu'avait dit le
vendeur : — avec ça, tu peux sonner chez les gens; ils peuvent aussi
sonner chez toi.

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Sans perdre pour cela sa méfiance, Barnab y s'approcha
pas à pas. Le téléphone sonnait, sonnait, mais sans révéler qui
se permettait de déranger ainsi.

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Barnab y fit le tour entier du téléphone avant de se décider
à le décrocher.
Il fallait pourtant en venir à faire cesser ce bruit-
là. D'ailleurs une vive curiosité maintenant le tenaillait. Il lui
semblait qu'il ne pourrait plus vivre s'il n'apprenait pas qui

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sonnait chez lui avec tant d'effronterie. Il leva souleva le récepteur
doucement, sans le moindre bruit, comme pour surprendre l'autre, tout
en restant lui-même caché. Il entendit néanmoins Thomas qui disait :
Allo ^ Barnab y . Ça va bien?

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Barnab y resta sans rien trouver à répondre.
— Comment sais-tu que c'est moi? dit-il à la longue.
— Je le sais, dit l'autre.

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Le cerveau de Barnab y se remit à fonctionner vivement.
Son bon visage, tanné et recuit au soleil, se couvrit de rides en
tous sens, semblable à un quadrillage au travers duquel les yeux
troublés regardaient au loin. Allons donc, voici qu'il entrevoyait
que cette vieille teigne de Thomas, ayant maintenant découvert le
moyen de l'embêter, n'allait plus s'en priver. Il l'avait dit au
reste : le téléphone, qu'on s'en serve ou qu'on ne s'en serve pas,
c'est le même prix. Autant donc s'en servir et l'user.

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Tout d'un coup, cependant, la physionomie de Barnab y
se métamorphosa de nouveau. Il se reprit à se tordre en silence.
Il venait d'apercevoir la manière de faire enrager Thomas. C'était
simple : il n'y avait qu'à lui rendre la pareille : . à A l'instant même
où cette conversation -- qui d'ailleurs n'en était pas une -- prendrait
fin, il sonnerait chez Thomas. Ou, mieux encore, il attendrait la nuit
venue. Alors il sonnerait, il sonnerait, et, quand enfin il aurait
tiré Thomas du sommeil, il s'informerait poliment : — Dormais-tu donc,
Thomas?

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— A quoi penses-tu sans parler pendant si longtemps? s'in-
forma justement Thomas.

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Barnab y se prit à rire tout fort.
— J'arrête mon téléphone, dit-il et il le fit.

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Il s'aperçut savoir maintenant tout à fait se servir du
téléphone. On sonnait les gens quand on voulait, peu importe s'ils
étaient libres ou non. Au piège, on leur débitait ce qu'on avait à
débiter. Ensuite on s'en allait à ses affaires. On n'avait jamais
rien inventé de plus drôle. Barnab y décida que la pêche pouvait atten-
dre. Auparavant, il allait s'amuser encore un peu à jouer au téléphone.

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Curieusement, après avoir appelé au plus loin, il eut mainte-
nant l'idée d'appeler au plus proche. Ce serait donc chez Gertrude.
Jusqu'ici, pour lui parler, il n'avait eu qu'à passer la tête par l'ou-
verture de sa tente et la héler. Elle habitait juste en face, dans
cette belle grande hutte Quonset dont elle avait hérité au départ des
troupes, en garnison ici pendant la guerre. Il y avait tout là-dedans :
un vrai poêle avec un tuyau, des vitres aux fenêtres, des rideaux en
plastique, même un réveille-matin. Cela pour réveiller le mari de
Gertrude qui travaillait à l'hôtel des Blancs et devait s'y trouver
" à l'heure " comme ils disaient.

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De sa place, Barnab y , en étirant le cou, pouvait voir la jeune
femme présentement occupée à faire sa lessive au dehors devant la hutte.
Ses enfants jouaient autour d'elle avec de jeunes chiens. Elle-même avait
l'air de bonne humeur. Elle chantonnait une chanson que les soldats lui
avaient apprise : Roll out the barrel .
Tout ce temps elle frottait son

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linge sur sa planche à laver. A côté d'elle, par terre, il y avait une
de ces grandes boîtes de savon qui, en fait, sont plutôt remplies d'un
torchon ou de quelque immense serviette à ramages. Gertrude fumait une
cigarette tout en lavant. Il semblait aussi qu'elle mastiquait de la
gomme à mâcher. Si encore avec tout cela elle n'avait pas les nerfs
apaisés, c'est qu'ils ne le seraient jamais, se dit Barnab y et il se
prit à rire des épaules.

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Il tira le numéro de Gertrude du cahier des abonnés. Il
sonna chez elle. Tout de suite après, il allongea le cou pour la
suivre des yeux. Gertrude venait de s'arrêter de frotter, tout en
prêtant l'oreille, la tête un peu tournée du côté de sa maison. D'ailleurs
Barnab y s'entendait lui-même sonner chez sa voisine.

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Elle s'égoutta les mains d'un petit coup sec sur le bord de
sa cuvette, se les essuya le long des hanches et partit au trot pour dis-
paraître dans la hutte. Cette précipitation à lui répondre mit Barnab é y
en gaieté. Presque aussitôt il entendit une voix tout e essoufflée,
plaisante encore cependant.
— Allô.
— Allô, dit-il lui-même le plus aimablement qu'il put et
demanda
avec beaucoup de civilité : Qui c'est-y qui est là qui parle?

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Il y eut un bref silence, puis éclata à l'oreille de Barnab é y
un glapissement tel que pour en entendre un pareil il aurait fallu réunir tous les chiens des alentours. qu'ensemble auraient pu en faire en entendre les
chiens des alentours.

— Je m'en va t'en faire, moi, des qui-c'est-y-qui-est-là-
qui-parle! Espèce de vieux fainéant! Allongé toute sa vie par terre à
téléphoner! Y a pas cinq minutes c'était chez Thomas. Y a pas dix
minutes qu'il était ici même, en personne, chez moi, pour m'emprunter
encore une fois une tasse de farine.

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— Voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnab y , tâchant de la
calmer, mais il n'y avait rien à faire, elle était trop emportée, elle
menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

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Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les
Blancs, à qui elle avait pris un peu de leurs curieuses manières, pas
mieux disposée qu'eux maintenant à se laisser faire de bonnes farces.
Il ne fallait pourtant pas se la mettre à dos à cause de la farine de
temps à autre justement, et d'autres petits services aussi quelquefois.
Ainsi, voyant qu'elle avait une mousse abondante, il avait pensé lui
demander d'y passer ses hardes, en dernier lieu, après qu'elle en aurait
fini avec son linge à elle, éclatant de fraîcheur, tel que le promettait
la publicité. Maintenant il n'osait plus. Il fit tout de même un effort
pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher,
dit-il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou,
va voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. -- Puis elle glapit :
bye-bye,
et ce fut tout, elle n'était plus là.

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Peu après, Barnab y , avançant la tête, la revit, de retour à
sa lessive, qui frottait et mastiquait avec une vigueur donnant à en-
tendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

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Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le bye-bye.
Enfin il connaissait la manière polie de clore un entretien au téléphone.
Il y prenait un tel goût à la fin que maintenant saurait-il jamais s'en
passer? C'était loin toutefois d'être pour la raison évoquée par le vendeur,

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qu'advenant une grosse tempête ou blessé dangereusement, il pourrait là-
dedans appeler au secours. Barnab y avait comme l'idée qu'en pareil cas
il se soucierait de son téléphone autant que de ses bottes trouées.

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Il chercha de nouveau dans le cahier des abonnés. Il y en
avait une page pleine. De quoi s'amuser longtemps. Quand il en arriva
à déchiffrer le nom de la puissante Compagnie de la Baie d'Hudson, sa
gaieté déborda. Cette Compagnie-là, il y avait assez longtemps qu'elle
les forçait à marcher à travers la toundra vers ses comptoirs, vieux,
jeunes, enfants, la tribu entière, même les nouveaux-nés, si on peut
dire, sur le dos de leur mère. C'était bien son tour d'être un peu dé-
rangée. Il sonna longuement. La Compagnie ne se pressait pas. Naturelle-
ment! Depuis le temps que les gens allaient vers elle!

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Tout d'un coup, il entendit une voix polie à sa manière, excédée
pourtant :
— Allô, ici Nicholson.

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Histoire de partir d'un bon pied, si l'on veut, dans la conver-
sation, Barnab y s'informa avec un curieux mélange de sentiments où la
révérence côtoyait l'effronterie la plus naïve:
— C'est la Compagnie? Elle-même? En personne? Elle va bien?
— Comment ça, en personne? lui fut-il demandé sur un ton où
perçait franchement l'irritation.

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Barnab y pensa à l'explication que donnait le pasteur anglican
de Dieu en trois personnes, et il faillit pouffer. Savoir en combien
de personnes la Compagnie, elle, se résumait!
— Qui est à l'appareil? demanda Nicholson, de moins en moins
patient.

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Barnab y imagina la scène avec plaisir; trois ou quatre
Blancs, deux fois plus d'Esquimaux sans doute, tous entassés comme
des mouches autour du comptoir à attendre d'être servis et impatients
déjà -- ils l'étaient tous dès qu'ils avaient le pied dans le magasin,
Dieu sait pourquoi. Que faisaient-ils ensuite de leur précieux temps!
Or de les voir s'impatienter devait être dur à supporter pour le gros
Nicholson lui-même peu endurant.
— Qui est là? fit-il encore une fois.

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Et comme justement Barnab é y ne disait mot depuis un assez
bon moment, il s'entendit demander :
— Qui parle?

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Ce fut plus fort que lui. Il ne put se retenir de faire
quelques hi, hi. hi hi.
— Qui parle? redemanda Nicholson, presque menaçant.
— C'est personne, dit Barnab y , voulant peut-être faire
entendre qu'il se considérait lui-même sans importance.
Ou encore
qu'il se désolait, malgré tout, de tant déranger. Au vrai, il ne
savait pas ce qui l'avait poussé aujourd'hui et fait agir de la sorte.
Peut-être un certain énervement à se voir avec cet instrument chez
lui. Tout d'un coup il se rappela la manière polie, la formule pour
en finir.

Bye-Bye Bye-bye , dit gentiment Barnab y , et il raccrocha, ou plu-
tôt, tel il se représenta à lui-même la chose, il s'enfuit à toutes
jambes et juste à temps.

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Seul dans sa tente, bien tranquille chez lui à l'abri de
tout le monde, il s'esclaffa. Il avait eu un peu peur pendant un instant.
Mais apparemment il s'était sauvé au bon moment. Nicholson ne pouvait

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l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un d'éveillé comme la Gertrude, ha-
bituée à sa voix, et qui plus est n'arrêtait pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était là le fin du fin du téléphone ; on
y pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas
de moyen pour savoir qui c'est-y-qui-était-là-qui-parlait. Barnab y se
tapa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des
abonnés. En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hudson
venait la Wheeler. Cette Compagnie louait des petits hydravions à des grou-
pes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui ve-
naient parfois se rendre compte par eux-même du genre de vie que menaient
les Esquimaux. Barnab y sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie
d'Hudson. En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir
Gertrude qui mettait son linge à sécher sur une corde tendue entre deux
piquets. Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait d'eau
encore un peu mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait
pas l'air suffisamment revenue à la bonne humeur pour consentir à lui passer
son eau de lessive.

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A force d'attendre, Barnab y avait peut-être oublié qu'il était
en train de téléphoner. Il tressaillit quand il entendit droit dans son
oreille.
— Allo ^ .

Allo ^ , dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnab y pris de court et ne sachant trop que
solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places? Trois places?

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— Trois peut-être, dit Barnab y .
— C'est pour quand? demanda la Wheeler imperturbable.
— Pour tout de suite, fit Barnab y .
— Je regrette, continua la Wheeler, nous n'avons rien de
disponible d'ici trois semaines. C'est notre saison la plus occupée.
Seriez-vous assez bon pour nous laisser votre nom et votre adresse?...

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Pour la première fois depuis qu'il s'était pris au jeu du
téléphone, Barnab y commença à se demander si on ne riait pas de lui
autant, pour le moins, qu'il avait ri des autres. Tant de politesse
ne lui disait rien qui vaille. Il décida de prendre le parti d'avoir
l'air mécontent, ce qui avec les Blancs amenait généralement de bons
effets.
— C'est tout de suite qu'il me faut mon avion.

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Il crut entendre rire au loin et de nouveau on lui demandait :
— Qui parle?
— Un homme, dit Barnab y , ne sachant peut-être trop comment se
présenter sans ruiner toute sa stratégie.

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Puis, en oubliant son Bye-Bye bye-bye , il raccrocha et demeura assis
à rire encore un bon coup tout de même.

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Gertrude, passant par là, avait dû s'attarder à écouter, dissi-
mulée derrière les hardes suspendues à la corde à linge de Barnab y .

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Elle le menaça :
— Si tu ne cesse pas de sonner tout le temps comme ça chez
les Blancs, des gens occupés et sérieux, je m'en vais te dénoncer à la
police.

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La police! Parlons-en! Peut-être qu'en d'autres parties du
monde il y avait lieu de la craindre, de se tenir vis-à-vis d'elle sur
ses gardes. Mais ici! Elle était représentée par l'homme le plus ser-
viable, le plus obligeant du monde, attaché comme pas un à ses Esquimaux
qui le lui rendaient bien d'ailleurs! Dix fois par jour ils trouvaient
le moyen, sous un prétexte , ou sous un autre, d'aller lui rendre visite, pour manger ses pro-
visions, fumer son tabac, feuilleter ses vieux magazines.

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Barnab y rit à s'en décrocher les mâchoires. Tout de même,
dans le fond, il ressentait une petite inquiétude enfin. Surtout il
était enragé contre la Gertrude.
— Va-t'en chez le diable, lui dit-il, lança-t-il, et eut l'idée de
téléphoner maintenant à la Mission catholique.

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Lui, appartenant au rite anglican, relevait du révérend Hugh
Paterson, un homme sévère; jamais Barnab y n'aurait pu se laisser aller à
lui jouer des tours. D'ailleurs le pasteur était toujours en tournée,
vire de ce côté-ci, vire de ce côté-là, à la recherche tout le temps de gens
à convertir: un saint homme, il n'y avait pas à dire! De son côté, le Père
Eugène, lui, était plutôt du genre à rester chez lui à attendre les hommes
dans le besoin. Chacun donc avait sa manière, la meilleure peut-être à
sa façon, celui-là avec l'Evangile, la parole austère, le cadeau rare,

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celui-ci avec sa salle de cinéma, ses cadeaux de vieilles revues et surtout
sa salle de loisirs mise à la portée de tous. Deux hommes de première qua-
lité, cela ne faisait pas de doute. Il n'y avait donc qu'à suivre l'un...
et prendre ce que l'autre offrait... puisque de cette façon on leur faisait plaisir à tous deux.

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Barnab y écoutait sonner chez le Père Eugène depuis un bon
moment déjà et se demandait si celui-ci n'avait pas aussi tout d'un coup
pris le goût de la trotte, ce qui aurait été triste tout de même, un
village où il ne resterait plus personne pour représenter le bon Dieu.
Mais alors il pensa au jardin du Père et se dit que celui-ci devait s'y
trouver à cette minute. Casqué de son casque contre les moustiques, il
pouvait être long à entendre son téléphone. Barnab y se mit à songer à
ce petit jardin du Père.

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C'était le seul à Fort-Chimo , et même dans tout le pays
esquimau. La terre en était venue d'un peu partout, une poignée par
ici, une poignée par là. La première poignée, le Père Eugène l'avait
apportée de son village de France . Les gens avaient été la voir regarder , quel-
que chose de noir, d'inerte,
et pourtant, selon le Père, toute vie , et
toute beauté y étaient
contenues en puissance. Il en était arrivé
ensuite par avion deux ou trois sacs -- on peut s'imaginer le prix
qu'avait alors atteint le terreau! Le Père avait fait construire un toit
pour protéger son jardin, puis enfin une sorte de cabane en polythyelène
pour l'enserrer en entier et le protéger contre les mauvais temps. Finale-
ment il y avait fait installer le chauffage. Tout le monde maintenant avait
pris de l'intérêt pour le jardin. Quand, au cours de leurs chasses lointaines,
il arrivait aux Esquimaux de trouver un peu plus de terre en des creux

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bien abrité e s , le long de petits lacs, ils se chargeaient d'en apporter
sur leur dos, soigneusement enveloppée, parmi leurs paquets indispensa-
bles. Ainsi s'était constituée la merveille de Fort-Chimo , comme autre-
fois il y avait eu, à ce que disait le grand Livre pieux, les J j ardins
suspendus
de Babylone. De jour en jour, on allait voir pousser les
tomates, les radis, la laitue.

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Pensant à tout ce qu'avait accompli le Père Eugène et qui
valait bien le miracle de l'eau changée en vin, Barnab y se sentit quel-
que peu honteux de ses tours, de ses farces et de cette vie oisive qu'il
menait depuis quelque temps. Il eut la velléité d'en changer tout de
suite. Mais à ce moment justement retentit à son oreille une bonne voix
cordiale qui le saluait sans façon :
Allo ^ Allo ^ .

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Cette fois encore, Barnab y ne fut pas maître put s'empêcher de ne pas sursau-
ter,
tout en jetant vers le seuil de la tente un regard agité. C'était
cette soudaineté d'apparition de la voix, si l'on peut dire, à laquelle il
ne s'habituait pas. Son calme retrouvé, il dit à son tour : — Allo ^ allo ^ , en
tâchant
d'y mettre la curieuse désinvolture des Blancs qui lui avaient
toujours paru avoir l'air au téléphone de ne parler qu'à du bois. Point
beaucoup d'animation. Presque pas de geste. Le sourire chiche. Il
revint à sa bonne manière à lui, affable, chantante et colorée :
— Qui c'est-y donc qui est là qui parle?

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A l'instant même, rien ne paraissait moins mériter la rebuffade
que le bon visage de Barnab y , ses grosses lèvres ouvertes en un sourire
plein de confiance, ses yeux brillants d'amitié. Aussi bien, survenant
comme un coup de fouet, elle l'abasourdit à lui faire perdre toute
contenance.

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Il avait pourtant déjà perçu quelque chose de l'esprit colé-
reux du Père, lorsque, par les beaux dimanches d'été, passant à côté de
la petite chapelle catholique dont les fenêtres étaient grandes ouvertes,
il s'était attardé à l'écouter s'en prendre durement à ses paroissiens
pour avoir encore, à son dire, dans leur party de la veille, bu et agi
pis que des païens, bel exemple à donner aux Esquimaux, ces innocents
enfants de la nature, qui, à cause même des mauvais chrétiens qu'ils
avaient sous les yeux, pourraient être entraînés au mal, en quel cas
les mauvais chrétiens en porteraient portant éternellement
la responsabilité
devant le Seigneur.

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Même à Barnab y cela avait paru un peu fort. Mais qu'était-ce
que cette colère du dimanche auprès de ce qu'il attrapait maintenant lui-même .
— Barnab y de Barnab y ! Je vais te la faire passer ta déman-
geaison du téléphone. Depuis ce matin que les plaintes arrivent de tous
côtés : la Baie d'Hudson, le Bureau d'Observations météorologiques, les
Affaires I i ndiennes
, la Ungava Ore.. la faculté de Géologie de l'Univer-
sité...

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Tout de même! Barnab y essaya de glisser deux mots pour se
soustraire au moins à quelques chefs d'accusation. Il commençait à
percevoir qu'il était loin d'être le seul à avoir joué au téléphone.
Mais il n'y avait pas à arrêter le Père emporté dans une sorte de grand
"sermon" furieux.
— Un homme de ton âge! Quelle pitié! Depuis le temps que
tu gardes occupes la ligne,
sais-tu bien qu'on aurait pu en avoir besoin pour
un cas grave ; : un enfant, par exemple, qui serait tombé dans un piège
à ours... Tu devrais avoir honte.

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C'était bien inutilement enfoncer le fer dans la plaie. Barnab y
avait honte. Même au téléphone il courbait la tête et se faisait petit.
Ce qui l'atterrait cependant, ce n'était pas l'histoire d'un enfant tombé
dans un piège à ours -- chose assez invraisemblable -- mais d'avoir été
découvert. Il n'aurait pas cru cela du téléphone. Pas plus, en effet,
qu'il ne reconna i ssait facilement les Blancs à leurs voix qui lui pa-
raissaient la même -- plate et sans musique, comme, au reste, leurs
visages aussi lui avaient toujours paru identiques -- pas plus il n'ima-
ginait les Blancs capables d'identifier un Esquimau à sa voix seulement.
Il n'y aurait donc plus jamais maintenant à accorder confiance au télé-
phone.
— Te voilà bien avancé, renchérit le Père. Ton argent dé-
pensé, et qu'as-tu en retour? Veux-tu que je te le dise? La servitude.
C'est ça, le téléphone. Il sonne : tu accours ; . o O u bien, tu n'accours
pas, mais alors tu te ronges les sangs de regret ou de curiosité insatis-
faite.

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Barnab y acquiesçait à petits coups de tête tristes et con-
vaincus. C'était bien ainsi que cela se passait. En fait, personne
plus que lui à l'heure actuelle n'était autant retourné contre le télé-
phone, contre tout, du reste: la Wheeler, la Baie d'Hudson, même la police,
et, s'il fallait aller au fond des choses, contre lui-même surtout. peut-être plus
que tout.
Encore un peu, et il mettrait le téléphone en pièces.
— Attention, dit le Père, comme s'il lisait sans difficulté
dans les pensées de Barnab y . Ne va surtout pas te venger du téléphone.
Ils te ferait payer les dégâts.

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Comment! au bout du compte le téléphone n'était même pas à lui!

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— L'instrument restait toujours la propriété de la Compagnie,
lui apprit le Père.

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Il s'était pourtant considérablement radouci. Il finit par se
montrer du meilleur conseil possible pour le pauvre Barnab y .
— Va donc plutôt, mon pauvre vieux, faire un tour sur la
rivière. Cela te changera les idées.

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Justement Barnab y en était à fixer fixait les yeux sur la Koksoak qui passait
pour ainsi dire à sa porte. Il la regardait depuis un bon moment sans
trop savoir encore qu'elle l'appelait. Il se souvint du temps point si
éloigné pourtant où les Esquimaux vivaient entre eux dans le vieux Fort-
Chimo
de l'autre côté de la rivière, paisibles et presque inconnus du
reste de l'humanité. Mais la guerre était survenue quelque part dans
le monde et voici qu'en face, sur la rive opposée de la Koksoak , avait
surgi un petit poste militaire, une sorte de village des Blancs poussant
tout alentour. Un à un, la plupart des Esquimaux avaient franchi la
rivière pour venir de ce côté-ci jouir, comme on disait, des commodités.

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Barnab y ne quittait toujours pas des yeux le flot rapide de la
Koksoak . Chez ce bavard , -- qui l'aurait cru , -- demeurait intact l'amour du
silence et de la liberté! Là-bas, sur l'autre rive, étaient restés quel-
ques rares irréductibles. Barnab y eut tout à coup envie d'être de leur
nombre. En un instant sa décision fut prise.
Bye-Bye Bye-bye , dit-il gentiment à son téléphone. Je m'en retourne.

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Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Ce ne pouvait être long;
il laissait sur place les trois - quarts de ses effets, des tas de choses
qu'il accumulait avec l'idée qu'un jour elles pourraient lui être utiles:
des pneux crevés, des bidons vides, des bouts de tuyau. Il revenait à ce
qui avait été longtemps le maximum de ses possessions : sa tente, sa cara-
bine, ses engins de pêche, de quoi manger et fumer pendant quelques semaines.

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Il transporta le tout dans son canot. Il s'embarqua. Bientôt
il atteignit le courant. Toutes choses dès lors prirent leurs justes
proportions. Contre l'immense ciel nu et la ligne lointaine des vieilles
montagnes rondes, les petites maison basses du village esquimau, en
bordure de la rivière, ne se voyaient presque plus. Dans l'ampleur sou-
dain découverte du pays, le village des Blancs situé un peu plus haut,
le long de la piste d'atterrisage, n'avait guère plus d'importance.

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Barnab y rama encore un bon coup. Au milieu de la rivière,
un air plus fort l'accueillit. Il prit le temps de le respirer avec
un vif soulagement. Un vieux fond de tristesse chez cet être rieur,
qui l'avait poussé à cent folies, que n'étaient pas parvenues à vaincre
les meilleures distractions, enfin lui était enlevé.

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Peut-être pas pour toujours. Barnab y n'était plus assez
simple pour croire que l'homme sur terre arrive à secouer pour de bon
sa vieille tristesse. Sans quoi inventerait-il encore tant de choses d'objets
drôles , ou fait e s pour réjouir
le regard? Mais quelque chose était
retrouvé que Barnab y avait cru perdu. Son ancien visage en recouvra une
certaine beauté. De même le sol de son pays aride que l'on pourrait
croire de roc seulement. Mais qu'une pluie survienne, et le voilà qui
reverdit!

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Au loin, sur la grève, parmi la ferraille tordue et les
détritus du campement abandonné, le téléphone, déjà à moitié enfoncé
dans le sable, sonnait, sonnait.

État 4 - Le téléphone

Image I

Assis par terre au milieu de sa tente qui était dressée dans le
sable au bord de la rivière Koksoak , Barnabé, le vieil homme esquimau, le-
va l'écouteur le récepteur de son téléphone. Il écouta dedans le timbre , souriant d'une oreille
à l'autre. Cela Il était bien trop vrai, comme le lui l' avait dit soutenu le vendeur,
que cet te chose-là vivait. objet était vivant.

Autour de lui c'était le désordre familier d'une tente esquimau-
de, l'été, quand la nature est aimable et vous fournit d'un peu de tout,
et que de , surcroît , on n'est pas loin d'un bon magasin où s'approvisionner.
En vrac, à même le sol, il y avait donc une grande quantité d'objets dispa-
rates. Dans ce qui aurait paru désordre à d'autres, Barnabé se retrouvait
pourtant le plus aisément du monde, n'ayant d'habitude qu'à tendre son long
le bras, là où il se trouvait sans autrement se déranger , pour attraper ce qu'il lui fallait : son couteau
pour la chasse, son poêlon à frire, de quoi fumer, ses crèpes de la veille,
son livre de cantiques. Toutefois, à la place nette faite au téléphone en
plein centre de la tente, tous autres objets ayant été repoussés contre les
parois, on pouvait voir en quelle particulière estime Barnabé tenait cet
instrument. A vrai dire, il avait eu quelque peine à l'obtenir, le s règlement lois de
la Compagnie, pour accommodant es qu' elles étaient il fût , stipulant tout de même
une condition : pour être abonné il fallait avoir élu domicile? La question avait donc surgi : une tente est-elle un domicile ? A quoi un
astucieux cerveau au service de la Compagnie avait démontré que dit oui, puisque
Barnabé, à près de soixante ans maintenant qui approchait de la soixantaine , n'en ayant avait jamais eu d'autre , ; il
s'ensuivait donc que sa tente était autant son domicile à lui que le gratte-ciel , était celui
à la Compagnie.

Pour l'instant, l'écouteur le récepteur à l'oreille, Barnabé était tou t s sourire s .
Enfin il décida de passer à l'occupation pour laquelle le téléphone était fait .

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Pour calme et résolu qu'il était, le coeur lui cogna un peu à l'idée que qu'il
dans son téléphone il pouvait y faire venir des gens à son gré. Jusque du
bout du monde, avait prétendu le vendeur. En l'occurence, c C omme c' on était
déjà ici le au " bout du monde " , il ne s'étendait guère plus loin, il s'arrêtant ait , d'un côté,
d'un côté, à trois deux milles environ, avec la dernière hutte du village esqui-
mau, la hutte celle de Thomas, et , de l'autre , côté, à un mille de la rivière, au
village des Blancs , à quelque distance de la rivière, mais en revanche près établi à proximité et au long de leur la piste d'atterris-
sage qui était leur chemin à eux pour se déplacer. aussi en quelque sorte la grand' route.

Barnabé fit tous ses préparatifs avec le plus grand sérieux. Il
mit ses lunettes, il essuya sur lui-même ses doigts au cas ou ils auraient
été un peu graisseux, il se nettoya les dents avec le bout de l'ongle. Il
était prêt pour mettre son téléphone à l'épreuve. Il introduisit son un doigt
le plus commode dans un des trous du cadran, tourna, recommença avec un autre
trou. Il obtint alors un autre bruit très plaisant aussi et qu'il écouta avec
le sourire. Soudain, sans que rien n' eût laissé prévoir une approche, ni
bruit de pas ni rien, Barnabé entendit clairement à son oreille :
— Allo toi.

En dépit de ce qu'il s'attendait justement à entendre là-dedans
une voix, il fit un petit saut de côté sursauta . En même temps, il jeta autour de lui
un regard un peu inquiet comme pour s'assurer que la personne Thomas n'était pas en-
trée en personne dans la tente. Mais non, elle il n'y était que par la voix.
Alors l'Esquimau rit de tout son coeur, sans le moindre bruit. Il finit par
répondre :
— Allo toi-même.

Puis, s'étant gratté un peu partout, il songea à demander :
— Qui c'est-y qui est là qui parle ?

Aussitôt sa question posée, il recommença à se tordre, accroupetonné
au milieu de sa tente. C'est qu'il le savait parfaitement, lui qui c'est-y-

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La réponse réjouit Barnabé, mais pour peu de temps pas pour longtemps . Il était
pris , quant à lui maintenant d'une irrésistible envie d'aller à la pêche. Toute
cette histoire
Ce jeu du de téléphone r aux gens tout d'un coup le lassait profondé-
ment. D'ailleurs il en était toujours ainsi avec les inventions des
Blancs. Pendant quelque temps rien n'était plus amusant, puis, un bon
matin, on s'éveillait dégoûté déçu à tout jamais. Il imagina le plaisir qu'il
éprouverait à être plutôt sur la rivière à laisser filer derrière lui dans
le sillage de sa barque sa longue corde de pêche tout en regardant au loin
la ligne ocre des vieilles montagnes chauves. Il se décida sur-le-champ.
Sans plus, il mit ensemble d'un coup sec les deux pièces du téléphone. raccrocha.
C'était fait : maintenant il était chez lui ; maintenant il avait la paix.

Il s'en frotta les mains de satisfaction , puis se mit en frais de
à tirer hors du fouillis ce qu'il lui fallait pour aller à la pêche.

Soudain, dans la tente, à trois pas de lui, éclata une sonnerie
à vous lui crever les oreilles. La première impulsion de Barnabé fut de déta-
ler en vitesse. Il se ressaisit juste à temps, se rappelant ce qu'avait
dit le vendeur du téléphone : — avec ça, tu peux sonner chez les gens ; ils
peuvent aussi sonner chez toi.
Donc, ça devait être quelqu'un qui sonnait
ici.

Avec méfiance encore tout de même, Sans perdre pour cela de sa méfiance, Barnabé s'approcha , un pas à pas.
la fois. Ça Le téléphone sonnait, ça sonnait, mais on n'avait aucune idée de sans révéler qui ça
pouvait être qui se permett ait re de sonner ainsi.

Barnabé fit le tour entier du téléphone avant de se décider à
le décrocher. Il fallait pourtant en venir à faire cesser ce bruit-là.
D'ailleurs une vive curiosité le tenaillait . maintenant Barnabé. Il lui sem-
blait qu'il ne pourrait plus vivre s'il n'apprenait pas qui c'était qui

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le sonnait chez lui avec tant d'effronterie. comme ça. Enfin il ne put tarder davantage. Mais i I l leva
le récepteur l'écouteur tout doucement, doucement, sans aucun le moindre bruit, comme pour sur-
prendre l'autre, tout en restant lui-même caché. Il entendit néanmoins
Thomas qui disait :
— Allo Barnabé. Ça va bien ?

De Dans son dépit, Barnabé en resta longuement sans pouvoir de réplique. rien trouver à répondre.
— Comment c'est-y que tu sais que c'est moi ? fit-il à la lon-
gue. Tu ne me vois pas.

— C'est bien toi, va, dit l'autre.
— Je partais justement pour la pêche, dit Barnabé.
— Ah, comme ça, tu pensais aller à la pêche.

L'esprit de Barnabé s'était mis à travailler vite. Son bon visa-
ge carré, tanné et recuit au soleil, s'était couvert de rides en tous sens
comme un quadrillage à travers lequel les yeux troublés regardaient la vie
et les choses. Allons donc, voici qu'il entrevoyait que cette vieille tei-
gne de Thomas, ayant maintenant découvert le moyen de l'embêter, n'allait
plus s'en priver. Il l'avait dit au reste : le téléphone, qu'on s'en serve
ou qu'on ne s'en serve pas, c'est le même prix. Autant donc s'en servir et l'user.

Tout d'un coup, cependant, la physionomie de Barnabé se métamor-
phosa de nouveau. Il se reprit à se tordre en silence. Il venait d'aperce-
voir la manière de faire payer enrager Thomas. C'était simple : il n'y avait qu'à
lui rendre la pareille : à l'instant même où cette conversation - qui d'ail-
leurs n'en était pas une - prendrait fin, il sonnerait chez Thomas. Ou,
mieux encore, il attendrait la nuit venue. Alors il sonnerait, il sonnerait,
et, quand enfin il aurait tiré Thomas du sommeil, il s'informerait poliment :
— Dormais-tu donc, Thomas ?

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linge sur sa planche à frotter laver . A côté d'elle, par terre, il y avait
une de ce grandes boites de savon en poudre qui, en plus de savon, con-
tiennent une serviette ou un torchon. Gertrude fumait aussi une ciga-
rette tout en lavant. Il semblait aussi qu'elle mastiquait de la gomme
à mâcher. Si , encore avec tout ça cela , elle n'avait pas les nerfs apaisés, c'est
qu' elle ils ne le s aurait seraient jamais , tranquilles , pensa se dit Barnabé . , Il et il se prit à
rire des épaules.

Il tira le numéro de Gertrude du cahier des abonnés. Il la son-
na . chez elle. Tout de suite après, il allongea le cou pour la voir, elle. Elle ve-
nait de s'arrêter de frotter, tout en prêtant l'oreille, la tête un peu
tournée du côté de sa maison. D'ailleurs Barnabé s'entendait lui-même son-
ner chez Gertrude.

Elle s'égoutta les mains d'un petit coup sec sur le bord de sa
cuvette, se les essuya le long des hanches et partit au trot pour disparaî-
tre dans la hutte. De la voir trotter ainsi mit Barnabé en gaieté. Presque
aussitôt il l'entendit, tout essoufflée : , dire :
— Allo.
— Allo, fit-il lui-même le plus aimablement qu'il put et demanda
avec beaucoup de civilité : Qui c'est-y qui est là qui parle?

Il y eut un bref silence, puis à l'oreille de Barnabé éclata un
glapissement tel que tous les chiens réunis à Fort-Chimo n'en auraient pu
faire entendre de plus criard :
— Je m'en va t'en faire, moi, des qui-c'est-y-qui-est-là-qui-
parle ! Espèce de vieux fainéant ! Allongé toute sa vie par terre à télé-
phoner ! Y a pas cinq minutes c'était chez Thomas. Y a pas dix minutes qu'il
était ici même, en personne, chez moi, pour m'emprunter encore une fois une
tasse de farine.

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— Voyons donc, voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnabé essaya- pour
t-il de la calmer, mais il n'y avait rien à faire, elle était trop empor-
tée, elle menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas la une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les Blancs,
de qui elle avait maintenant un peu les curieuses manières, pas plus encli- peu disposée
non plus ne qu'eux à aimer à ce qu'on lui se faire joue r des tours. Il ne fallait pourtant pas se
la mettre à dos à cause de la farine de temps à autre , justement, et d'autres
petits services aussi quelquefois. Ainsi, voyant qu'elle avait une si bel-
le mousse abondante, il avait pensé lui demander d'y passer ses hardes , en
même temps que ses affaires à elle, dernier lieu, après qu'elle en aurait fini avec toutes ses affaires à elle, mais il n'osa plus maintenant, surtout devant
que la lessive de Gertrude était presque entièrement du blanc bien blanc. la voix irritée qu'elle lui opposait. Il fit tout de
même un effort pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher, dit-
il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou, va
voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. - Puis elle glapit : Bye
Bye
, et ce fut tout, elle n'était plus là.

Elle était même si peu là que Barnabé, en remontant la guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente, put la voir de retour à
sa lessive et qui frottait et qui mastiquait avec une vigueur donnant à
entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le Bye Bye . Enfin,
il connaissait la manière polie de clore un entretien au téléphone. On
criait : Bye bye ; on se sauvait, le tour était joué. Il eut l'impression
qu'il ne pourrait plus jamais se passer du téléphone tellement il y trouvait ,
en fin de compte , d'agrément. C'était loin toutefois, s'il s'y attachait
à ce point , d'être pour les raisons évoquées par le vendeur ; à savoir que,

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l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un de fin d'éveillé comme la Gertrude, habi-
tuée à sa voix, et qui, de plus, n'arrêtait pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était là la merveille le fin du fin du téléphone : on
y pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas
de moyen pour savoir qui c'est-y qui-était-là-qui-parlait. Barnabé se ta-
pa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des
abonnés.

En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hudson
venait la Wheeler. Cette Compagnie louait des petits hydravions à des grou-
pes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui ve-
naient parfois se rendre compte par eux-mêmes du genre de vie que menaient
les Esquimaux. Barnabé sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie d'Hudson.
En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir Gertrude qui met-
tait maintenant son linge à sécher sur une corde tendue entre deux piquets.
Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait d'eau encore un peu
mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait pas l'air
d'être d' assez revenue à la bonne humeur encore pour consentir à lui passer son eau de lessive . à un
bon voisin pourtant.

A force d'attendre, Barnabé avait peut-être oublié qu'il était en train de téléphoner,
à force d'attendre. Toujours est-il qu'il fit encore une fois le saut quand Il tressaillit
quand il entendit droit dans son oreille.
— Allo.
— Allo, dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler ?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnabé pris de court et ne sachant trop que
solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places? Trois places?

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l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un de fin d'éveillé comme la Gertrude, habi-
tuée à sa voix, et qui, de plus, n'arrêtait pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était là la merveille le fin du fin du téléphone : on
y pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas
de moyen pour savoir qui c'est-y qui-était-là-qui-parlait. Barnabé se ta-
pa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des
abonnés.

En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hudson
venait la Wheeler. Cette Compagnie louait des petits hydravions à des grou-
pes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui ve-
naient parfois se rendre compte par eux-mêmes du genre de vie que menaient
les Esquimaux. Barnabé sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie d'Hudson.
En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir Gertrude qui met-
tait maintenant son linge à sécher sur une corde tendue entre deux piquets.
Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait d'eau encore un peu
mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait pas l'air
d'être d' assez revenue à la bonne humeur encore pour consentir à lui passer son eau de lessive . à un
bon voisin pourtant.

A force d'attendre, Barnabé avait peut-être oublié qu'il était en train de téléphoner,
à force d'attendre. Toujours est-il qu'il fit encore une fois le saut quand Il tressaillit
quand il entendit droit dans son oreille.
— Allo.
— Allo, dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler ?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnabé pris de court et ne sachant trop que
solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places? Trois places?

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celui-ci avec sa salle de cinéma, ses cadeaux de vieilles revues et surtout
sa salle de loisirs mise à la portée de tous les hommes , ; " n'étaient-ils pas
frères ? ". Deux hommes de première qualité, cela ne faisait pas de doute .
comme l'avait toujours soutenu Barnabé. Il n'y avait donc qu'à suivre l'un...
et prendre ce que l'autre offrait... puisque ça de cette façon on leur faisait plaisir à tous ainsi deux .

Il y avait un bon moment déjà que cela sonnait Barnabé écoutait sonner chez le Père Eugène
et Barnabé en était à depuis un bon moment déjà et se demand er ait si celui-ci aussi n'avait pas tout d'un
coup pris aussi le goût de la trotte, ce qui aurait été triste tout de même, un
village sans où il ne resterait plus personne pour représenter le bon Dieu. Mais alors il pen-
sa au jardin du Père et se dit que le Père celui-ci devait s'y trouver à cette minute . Casqué de son casque
contre les moustiques, il pouvait être long à entendre son téléphone. — Son-
nons toujours, se dit Barnabé,
et il se mit à songer à ce petit jardin du
Père.

C'était le seul à Fort-Chimo . Il parait même que c'était le seul
dans tout le pays esquimau. La terre en était venue d'un peu partout, une
poignée par ici, une poignée par là. La première poignée , de tout, le Père
Eugène l'avait apportée de son village de France . Tout le monde avait été la
voir ça , quelque chose de noir, d'inerte, et pourtant, selon le Père, toute
vie, toute beauté y étaient contenues en puissance. Il en était arrivé en-
suite deux ou trois sacs pleins par avion - on peut s'imaginer le prix
qu'avait alors atteint le terreau ! Le Père avait fait construire un toit
pour protéger son jardin, puis enfin une sorte de cabane transparente tout en polythyelène
autour pour l'enserrer en entier et l e garder a protéger contre les mauvais temps. Fi-
nalement il y avait fait installer le chauffage . là-dedans. Pour aucune créa-
ture vivante jusqu'ici on n'en avait encore fait autant par ici . Tout le monde maintenant
avait pris de l'intérêt pour le jardin. Quand, au cours de leurs chasses

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lointaines, il arrivait aux Esquimaux de trouver un peu plus de terre en
des creux bien abrités, le long de petits lacs, ils se chargeaient d'en
apporter sur leur dos, soigneusement enveloppée, parmi leurs paquets indis-
pensables. Ainsi s'était constituée la merveille de Fort-Chimo , comme au-
trefois il y avait eu, à ce que disait le grand Livre pieux, les Jardins
suspendus de Babylone, chaque chose en son temps donc! De jour en jour,
on allait voir pousser les tomates, les radis, une laitue.

Pensant à tout cela ce qu'avait accompli le Père Eugène et qui va-
lait bien le miracle de l'eau changée en vin, Barnabé se sentit quelque
peu honteux de ses tours, de ses farces et de cette vie oisive qu'il menait
depuis quelque temps. Il eut la velléité d'en changer tout de suite. Mais
à ce moment justement retentit à son oreille une bonne voix cordiale qui
le saluait sans façon :
— Allo Allo.

Cette fois encore, Barnabé ne fut pas maître de ne pas sursauter,
tout en jetant vers le seuil de la tente un regard agité. C'était cette
soudaineté d'apparition de la voix, si l'on peut dire, à laquelle il ne
s'habituait pas. Son calme retrouvé, il dit à son tour: — Allo allo, en tâ-
chant d'y mettre la curieuse désinvolture des Blancs qui lui avaient toujours
fait l'effet paru , au téléphone, d' avoir l'air de ne parler qu'à du bois.
Point
beaucoup d'animation. Presque pas de geste. Le sourire chiche. Il revint
vite à sa bonne manière à lui, affable, chantante et colorée:
— Qui c'est-y donc qui est là qui parle?

Rien A l'instant même, rien ne paraissait moins mériter la rebuffade que la bonne face
de Barnabé , à l'instant même, ses grosses lèvres ouvertes en un sourire plein
de confiance, les yeux brillants d'amitié. Aussi bien, quand elle survint, survenant
rapide comme un coup de fouet, en fut-il elle l' abasourdi t à ne plus savoir quelle
contenance prendre.
lui faire perdre toute contenance.

État 3 - Le téléphone

Image I

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Le Téléphone - tapuscrit de G Roy refaire Assis par terre au milieu de sa tente qui était dressée dans le
sable au bord de la rivière Koksoak , Barnabé, le vieil homme esquimau, le-
va l'écouteur le récepteur de son téléphone. Il écouta dedans le timbre , souriant
d'une oreille
à l'autre. Cela Il était bien trop vrai, comme le lui l' avait dit soutenu le vendeur,
que cette chose-là vivait. cet objet était vivant.

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Autour de lui c'était le désordre familier d'une tente esquimau-
de, l'été, quand la nature est aimable et vous fournit d'un peu de tout,
et que , de surcroît , on n'est pas
loin d'un bon magasin où s'approvisionner.
En vrac, à même le sol, il y avait donc une grande quantité d'objets dispa-
rates. Dans ce qui aurait paru désordre à d'autres, Barnabé se retrouvait
pourtant le plus aisément du monde, n'ayant d'habitude qu'à tendre son long
le bras, sans autrement se déranger, là où il se trouvait, , pour attraper
ce qu'il lui fallait : son couteau
pour la chasse, son poêlon à frire, de quoi fumer, ses crèpes de la veille,
son livre de cantiques. Toutefois, à la place nette faite au téléphone en
plein centre de la tente, tous autres objets ayant été repoussés contre les
parois, on pouvait voir en quelle particulière estime Barnabé tenait cet
instrument. A vrai dire, il avait eu quelque peine à l'obtenir, les lois le règlement de
la Compagnie, pour accommodant es qu' elles étaient il fût , stipulant
tout de même
une condition : pour être abonné il fallait avoir élu domicile ? . La question avait donc surgi : une tente est-elle un domicile ? A quoi un
astucieux cerveau au service de la Compagnie avait démontré que dit oui, puisque
Barnabé, à près de soixante ans maintenant qui approchait de la soixantaine , n'en ayant avait jamais eu d'autre , ; il
s'ensuivait donc que sa tente était autant son domicile à lui que le gratte-ciel , était celui
à de la Compagnie.

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Pour l'instant, l'écouteur le récepteur à l'oreille, Barnabé était tou t s sourire s .
Enfin il décida de passer à l'occupation pour laquelle le téléphone était fait .

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refaire Pour calme et résolu qu'il était, le coeur lui cogna un peu à l'idée qu e 'il
dans son téléphone il pouvait y faire venir
des gens à son gré. Jusque du
bout du monde, avait prétendu le vendeur. En l'occurence, c C omme c' on était
déjà ici le au " bout du monde " , il ne s'étendait guère plus loin, il s'arrêt ant ait , d'un côté,
d'un côté d'un côté, à trois deux milles environ, avec la dernière hutte du villages esqui-
mau, la hutte celle de Thomas, et , de l'autre , côté, à un mille de la rivière, au
village des Blancs , à quelque distance de la rivière, mais en revanche près établi à proximité et au long de leur la piste d'atterris-
sage qui était leur chemin à eux pour se déplacer. était aussi en quelque sorte la grand' route.

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Barnabé fit tous ses préparatifs avec le plus grand sérieux. Il
mit ses lunettes, il essuya sur lui-même ses doigts au cas ou ils auraient
été un peu graisseux, il se nettoya les dents avec le bout de l'ongle. Il
était prêt pour mettre son téléphone à l'épreuve. Il introduisit son un doigt
le plus commode dans un des trous du cadran, tourna, recommença avec un autre
trou.
Il obtint alors un autre bruit très plaisant aussi et qu'il écouta avec
le sourire. Soudain, sans que rien n' eût laissé prévoir une approche, ni
bruit de pas ni rien, Barnabé entendit clairement à son oreille : — - Allo toi.

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En dépit de ce qu'il s'attendait à entendre là-dedans
une voix, il fit un petit saut de côté sursauta .
En même temps, il jeta autour de lui
un regard un peu inquiet comme pour s'assurer que la personne Thomas n'était pas en-
trée en personne
dans la tente. Mais non, elle il n'y était que par la voix.
Alors l'Esquimau rit de tout son coeur, sans le moindre bruit. Il finit par
répondre :
Allo toi-même.

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Puis, s'étant gratté un peu partout, il songea à demander :
— Qui c'est-y qui est là qui parle ?

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Aussitôt sa question posée, il recommença à se tordre, accroupetonné
au milieu de sa tente. C'est qu'il le savait parfaitement, lui qui c'est-y -

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qui - était - - qui - parlait. Ce ne pouvait être que celui qu'il avait appe-
lé. D'ailleurs
i I l avait
reconnu la voix de Thomas, même s'il ne l'avait
pas entendue depuis les deux ans nées que durait leur brouille. Aussi bien ce n'é-
tait pas par amitié ni pour lui tendre le rameau de la paix qu'il sonnait appelait
Thomas,
mais, celui-ci se trouvant deux mots illisibles être au bout de la ligne , sur la grève,
tout
à l'autre extrémité du village, c'était uniquement pour
s'assurer qu'il était
vrai
que l'on pouvait véritablement par le téléphone
rejoindre quelqu'un au bout du monde.

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Alors Thomas retourna à Barnabé sa phrase :
— Qui c'est-y qui parle toi-même?

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Barnabé ne répondit rien. Il entendit la grosse respiration de
Thomas qui ne devait pas savoir à qui il avait affaire et en être joliment
agacé. Cela le fit se tordre encore un peu. C'était une situation dans
laquelle il avait toujours voulu se trouver, ayant tous les avantages de
son côté. En fait, tapi dans son le silence , à son bout de la ligne, il se
faisait l'effet d'être à la chasse, à l'affût, prêt à se manifester quand
bon lui semblerait. A la longue cependant le silence - ou plutôt la seule
respiration à l'autre bout de la ligne - commença à se lasser. Il perdit
brusquement patience et demanda :
— T'es là ?

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Du tac au tac, la voix demanda :
— T'es là toi-même ?

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Cela prit Barnabé fut pris tellement pris au dépourvu qu'il tourna la tête en
tous sens comme pour voir s'il y était en effet. Au désordre qui l'entourait
il n'y avait pas à en douter. Il se reprit à rire silencieusement de tout
le corps.
— Je suis là, dit-il, et, tout amabilité soudain, comme il avait
vu faire chez les Blancs, il se donna un air pieux et s'informa : Comment
ça va ?

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- 43 - Même au temps où ils s'adressaient la parole , ni l'un ni l'au-
tre n'aurait songé à se manifester pareil intérêt. D'ailleurs chez les
Esquimaux
cela
allait de soi : ou l'on vivait encore et par conséquent on
était assez bien ; ou l'on était mort . , et le temps était passé de prendre des nouvelles des uns et des autres.

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Barnabé riait tout bas et croyait entendre l'autre dissimuler
à peine une envie de rire . derrière sa main .
— Ça va bien, dit enfin Thomas, au bout de plusieurs minutes,
comme s'il avait d'abord eu besoin de retourner longuement la question et de
s'assurer
qu'elle ne contenait pas d'attrape.
Puis il demanda exactement
sur le même ton qu'avait pris Barnabé
:

— Comment ça va toi-même... Barnabé ?

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De s'entendre nommer causa une grosse surprise à Barnabé. Un
grand
Du dépit aussi.

— Comment sais-tu que c'est moi qui est là qui parle ?
— Hum ! dit l'autre.

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Puis, t T out d'un coup , ils s'entendirent rire l'un l'autre. Cela
manquait de sérieux entre gens qui hier ne se seraient même pas salués.
Brusquement ils en revinrent au silence. Un silence étrange comme une sorte
de jeu de cache-cache - ou d'endurance peut-être - ou c'est à qui tiendrait
le plus longtemps sans rien dire.

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Pour passer le temps, Barnabé fit tomber un pou de son épaisse fran-
ge de cheveux droit dans le couvercle d'une marmite, et s'amusa un moment à
le faire tourner en rond avant de l'écraser sous l'ongle. Bientôt i I l s'énerva ne tarda
pas à s'énerver le premier.

— Qu'est-ce que tu fais ? interrogea demanda-t-il -t-il.
— Je téléphone, dit Thomas.

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Ils rirent encore un bon coup, en oubliant leurs griefs anciens
et récents.

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— Et toi ? fit Thomas.
— Je téléphone aussi, répliqua Barnabé.

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Après il ne trouva rien à dire pendant un long moment. Le té-
léphone, dès qu'on ne s'en servait pas plus pour se parler, ce n'était plus
drôle.
Il contemplait
vaguement, par l'ouverture de sa tente, le sable
doré de la grève et, plus loin, les eaux rapides de la rivière.
— Quel temps fait-il par chez vous ?
— Même temps, répondit Thomas
— Même temps qu'ici ?
Je sais pas Est-ce que je sais le temps qu'il fait par chez toi , ! fit Thomas.

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C'était de la mauvaise volonté pure et Barnabé songea de lui eut bien envie de
lancer quelque bonne injure. tout envoyer promener.

Comme ça, fit-il, t T u t'es aussi laissé attraper , toi aussi par leur
vendeur de téléphone ? gouailla-t-il. ( Au reste, presque tous les Esquimaux de Fort-Chimo
y avaient passé. ) T'as le téléphone ?

J'ai le téléphone, Toi aussi, fit sèchement Thomas.
Moi aussi - Oui , concéda Barnabé.

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Puis il bai ^ lla de fatigue et s'étira les jambes. La conversation
avec Thomas ne l'intéressait plus guère.
C'est assez , dit-il soudainement. Je t'ai assez parlé . , dit-il.
— Moi aussi, dit l'autre avec une promptitude des plus désobli-
geantes. J'étais sur le point de m'en aller à la chasse , quand tu m'as sonné .

— Ah! dit Barnabé, ravi d'avoir tout de même réussi à embêter
un peu Thomas.

— Arrête ton téléphone, le somma alors celui-ci.

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Du coup, Barnabé se sentit piqué au vif .
— Arrête ton téléphone toi-même, s'écria-t-il.

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Il ne demandait pourtant qu'à en finir. Mais comment s'y pren-
dre ? Le
le vendeur ne le lui avait pas montré comment . commencer. Il ne lui avait pas Seulement à engager la conversation.
enseigné comment terminer. La démonstration faite, il avait tout simple-
ment remis ensemble les deux pièces du téléphone, disant : — Et voilà, c'est
aussi simple que cela, un jeu d'enfant !
A Barnabé cela ne paraissait pas
une vraie fin. Il
Barnabé cherchait une formule, une manière particulièrement ap-
propriée de quitter le téléphone,
et ne trouvait pas.
— Je vais te fermer mon téléphone, annonça-t-il.
C'est ça, Ferme-le, dit l'autre , . ferme-moi ton téléphone.

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L'en voyant si ravi, Barnabé changea d'idée. La meilleure manière
d'agacer Thomas, c'était encore de le garder au téléphone. captif. Il attrapa par
le manche son poêlon où il se trouvait des restes de fritures qu'il décolla
du bout de l'ongle et mangea distraitement. Un ennui vague, sans objet
précis, l'avait surpris tout à coup.
— T'es encore là ? fit-il avec un manque d'intérêt évident.

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C'était difficile de chasser quelqu'un qui n'était pas sur place.
Avec quelqu'un qui était s S ur place, il n'y avait aurait eu qu'à lui faire grise mine . à l'importun.
Entre Esquimaux on n'était pas long , d'habitude , à comprendre! Mais avec

quelqu'un qui ne vous voyait même pas la face! le visage!
— Va-t'en, dit-il, n'en pouvant plus.

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Alors il entendit l'autre rire qui semblait rire à se tordre et qui
à la fin parvint à parler :
et cela le mit lui-même en gaité.
Va-t'en toi-même, dit-il doucement.

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Alors les voilà repartis à rire de plus belle de ce Elle leur venait sans doute de la découverte qu'il n'y
avait apparemment pas d'issue à ce au jeu qu'ils avaient mis en marche.

Mais leur gaieté hilarité tomba vite . L'ennui revint.
Tu iras peut-être T'avais pensé aller à la chasse ? fit Barnabé .
J'y serais, dit Thomas , si j'avais pas été dérangé .

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La réponse réjouit Barnabé, mais pas pour peu de temps longtemps. Il était un mot
pris plusieurs mots maintenant d'une irrésistible un mot envie d'aller à la pêche.
Barnabé, pour sa part, fut saisi du désir d'aller à la pêche. c L e jeu du
téléphone le lassait tout d'un coup profondément. [ne l'amusait même plus beaucoup.] ne l'amusait plus du tout pour l'instant.
D'ailleurs il en était
toujours ainsi avec les inventions des Blancs. Pendant quelque temps rien
n'était plus amusant distrayant , puis, un bon matin, on s'éveillait déçu à tout jamais.
Il imagina
le plaisir qu'il éprouverait à être plutôt sur la rivière à lais-
ser filer derrière lui dans le sillage de sa barque sa longue corde de pêche
tout en regardant au loin la ligne ocre des vieilles montagnes chauves. Il se
décida sur-le-champ. Sans plus, il raccroch e a . C'était fait : maintenant il
était chez lui ; , maintenant il avait la paix.

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Il s'en frotta les mains de satisfaction, puis se mit à tirer
hors du fouillis ce qu'il lui fallait pour aller à la pêche.

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Soudain, dans la tente, à trois pas de lui, éclata une sonnerie
à lui crever les oreilles. La première impulsion de Barnabé fut de détaler .
en vitesse. Il se ressaisit , juste à temps, se rappelant ce qu'avait dit le
vendeur du téléphone :
— avec ça, tu peux sonner chez les gens; ils peuvent
aussi sonner chez toi.
Donc, ça devait être quelqu'un qui sonnait ici.

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Sans perdre pour cela sa méfiance, Barnabé s'approcha pas à
pas. Le téléphone sonnait, sonnait, mais sans révéler qui pouvait se per-
mett re ait de sonner déranger ainsi.

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Barnabé fit le tour entier du téléphone avant de se décider à
le décrocher.
Il fallait pourtant en venir à faire cesser ce bruit-là.
D'ailleurs une vive curiosité maintenant le tenaillait. Il lui semblait
qu'il ne pourrait plus vivre s'il n'apprenait pas qui c'était qui

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refaire La réponse réjouit Barnabé, mais pour peu de mais pas pour longtemps. temps. Il était
pris , quant à lui maintenant d'une irrésistible envie d'aller à la pêche. Toute
cette histoire
Ce jeu du de téléphone r aux gens tout d'un coup le lassait profondé-
ment. D'ailleurs il en était toujours ainsi avec les inventions des
Blancs. Pendant quelque temps rien n'était plus amusant, puis, un bon
matin, on s'éveillait dégoûté déçu à tout jamais. Il imagina le plaisir qu'il
éprouverait à être plutôt sur la rivière à laisser filer derrière lui dans
le sillage de sa barque sa longue corde de pêche tout en regardant au loin
la ligne ocre des vieilles montagnes chauves. Il se décida sur-le-champ.
Sans plus, il mit ensemble d'un coup sec les deux pièces du téléphone. raccrocha.
C'était fait : maintenant il était chez lui ; maintenant il avait la paix.

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Il s'en frotta les mains de satisfaction , puis se mit en frais de à
tirer
hors du fouillis ce qu'il lui fallait pour aller à la pêche.

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Soudain, dans la tente, à trois pas de lui, éclata une sonnerie
à vous lui crever
les oreilles. La première impulsion de Barnabé fut de déta-
ler en vitesse. Il se ressaisit juste à temps, se rappelant ce qu'avait
dit le vendeur du téléphone : — avec ça, tu peux sonner chez les gens ; ils
peuvent aussi sonner chez toi.
Donc, ça devait être quelqu'un qui sonnait
ici.

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Avec méfiance encore tout de même, Sans perdre pour cela de sa méfiance, Barnabé s'approcha , un pas à pas.
la fois. Ça Le téléphone sonnait, ça sonnait, mais on n'avait aucune idée de sans révéler qui ça
pouvait être qui se permett ait re de sonner ainsi.

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Barnabé fit le tour entier du téléphone avant de se décider à
le décrocher. Il fallait pourtant en venir à faire cesser ce bruit-là.
D'ailleurs une vive curiosité le tenaillait . maintenant Barnabé. Il lui sem-
blait qu'il ne pourrait plus vivre s'il n'apprenait pas qui c'était qui

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sonnait chez lui avec tant d'effronterie. Il leva le récepteur doucement,
sans le moindre bruit, comme pour surprendre l'autre, tout en restant
lui-même caché. Il entendit néanmoins Thomas qui disait :
Allo Barnabé. Ça va bien ?

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Dans son dépit, Barnabé resta sans rien trouver à répondre.
— Comment c'est-y que tu sais sais-tu que c'est moi ? dit-il à la
longue. Tu ne me vois pas.

C'est bien toi, va, Je le sais, dit l'autre.
— Je partais justement pour la pêche, dit Barnabé.
— Ah, comme ça, tu pensais aller à la pêche.

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L'esprit Le cerveau de Barnabé s'était mis à travailler vite se remit à fonctionner vivement. Son bon vi-
sage , carré, tanné et recuit au soleil, s'était couvert se couvrit de rides en tous
sens , comme semblable à semblable à un quadrillage à au travers lequel duquel les yeux troublés regardaient la au loin.
vie et les choses. Allons
donc, voici qu'il entrevoyait que cette vieille
teigne de Thomas, ayant maintenant découvert le moyen de l'embêter, n'al-
lait plus s'en priver. Il l'avait dit au reste : le téléphone, qu'on s'en
serve ou qu'on ne s'en serve pas, c'est le même prix. Autant donc s'en
servir et l'user.

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Tout d'un coup, cependant, la physionomie de Barnabé se métamor-
phosa de nouveau. Il se reprit à se tordre en silence. Il venait d'aper-
cevoir la manière de faire enrager Thomas. C'était simple : il n'y avait
qu'à lui rendre la pareille : à l'instant même où cette conversation -
qui d'ailleurs n'en était pas une - prendrait fin, il sonnerait chez
Thomas. Ou, mieux encore, il attendrait la nuit venue. Alors il sonnerait,
il sonnerait, et, quand enfin il aurait tiré Thomas du sommeil, il s'infor-
merait poliment : — Dormais-tu donc, Thomas ?

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refaire le sonnait chez lui avec tant d'effronterie. comme ça. Enfin il ne put tarder davantage. Mais i I l leva le
l'écouteur tout doucement récepteur doucement, sans aucun le moindre bruit, comme pour sur-
prendre l'autre, tout en restant lui-même caché. Il entendit néanmoins
Thomas qui disait :
— Allo Barnabé. Ça va bien ?

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De Dans son dépit, Barnabé en resta longuement sans pouvoir de réplique. rien trouver à répondre.
— Comment c'est-y que tu sais que c'est moi ? fit-il à la lon-
gue. Tu ne me vois pas.

— C'est bien toi, va, dit l'autre.
— Je partais justement pour la pêche, dit Barnabé.
— Ah, comme ça, tu pensais aller à la pêche.

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L'esprit de Barnabé s'était mis à travailler vite. Son bon visa-
ge carré, tanné et recuit au soleil, s'était couvert de rides en tous sens
comme un quadrillage à travers lequel les yeux troublés regardaient la vie
et les choses. Allons donc, voici qu'il entrevoyait que cette vieille tei-
gne de Thomas, ayant maintenant découvert le moyen de l'embêter, n'allait
plus s'en priver. Il l'avait dit au reste : le téléphone, qu'on s'en serve
ou qu'on ne s'en serve pas, c'est le même prix. Autant donc s'en servir et l'user.

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Tout d'un coup, cependant, la physionomie de Barnabé se métamor-
phosa de nouveau. Il se reprit à se tordre en silence. Il venait d'aperce-
voir la manière de faire payer enrager Thomas. C'était simple : il n'y avait qu'à
lui rendre la pareille : à l'instant même où cette conversation - qui d'ail-
leurs n'en était pas une - prendrait fin, il sonnerait chez Thomas. Ou,
mieux encore, il attendrait la nuit venue. Alors il sonnerait, il sonnerait,
et, quand enfin il aurait tiré Thomas du sommeil, il s'informerait poliment :
— Dormais-tu donc, Thomas?

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— A quoi penses-tu sans parler pendant si longtemps ?
s'informa justement Thomas.

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Barnabé se prit à rire tout fort.
— J'arrête mon téléphone, dit-il et il le fit.

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Il s'aperçut savoir maintenant tout à fait se servir
du téléphne. On sonnait les gens quand on voulait, peu importe
s'ils étaient libres ou non. Au piège, on leur débitait ce qu'on
avait à débiter. Ensuite on s'en allait à ses affaires. On n'avait
jamais rien inventé de plus drôle. Barnabé décida que la pêche pou-
vait attendre. Auparavant, il allait s'amuser encore un peu à jouer
au téléphone.

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Curieusement, après avoir appelé au plus loin, il eut
maintenant l'idée d'appeler au plus proche. Ce serait donc chez
Gertrude. Jusqu'ici, pour lui parler, il n'avait eu qu'à passer la
tête par l'ouverture de sa tente et la héler. Elle habitait juste
en face, dans cette belle grande hutte Quonset dont elle avait hérité
au départ des troupes , qui avaient été ici envoyées en garnison ici pendant la
guerre.
Il y avait tout là-dedans : un vrai poêle avec un tuyau,
des vitres aux fenêtres, des rideaux en plastique, même un réveille-
matin. Cela pour réveiller le mari de Gertrude qui travaillait à
l'hôtel des Blancs et devait s'y trouver " à l'heure " comme ils
disaient.

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De sa tente place , Barnabé, en étirant un peu le cou, pouvait voir la
jeune femme occupée présentement à faire sa lessive au dehors devant la hutte.
Ses enfants jouaient autour d'elle avec de jeunes chiens. Elle-même avait l'air
de bonne humeur. Elle chantonnait une chanson que les soldats lui avaient
apprise : Roll out the barrel .
Tout ce temps elle frottait son

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— A quoi c'est que tu penses? penses-tu sans parler pendant si longtemps ? demanda s'informa justement Thomas.

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Ah ça, par exemple ! Barnabé n'était pas pour s'en laisser ar- se prit à rire tout fort.
racher le secret !

— J'arrête mon téléphone, dit-il, et il le fit . comme il avait dit.

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La chose faite, il s'aperçut alors qu'il savait savoir Il s'aperçut savoir maintenant tout à fait comment se ser-
vir du téléphone. On sonnait le monde les gens quand on voulait, peu importe si s'ils
le monde était étaient libres libre ou non. Quand on avait sa victime a A u piège, on lui leur
débitait
ce qu'on avait à débiter. Ensuite on s'en allait à ses affaires.
On n'avait jamais rien inventé de plus drôle. Barnabé décida que la pê-
che pouvait attendre. Auparavant, il allait s'amuser encore un peu à
jouer au téléphone.

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Curieusement, après avoir appelé au plus loin, il eut maintenant
l'idée d'appeler au plus proche. Ce serait donc chez Gertrude, Jusqu'ici,
pour lui parler, il n'avait eu qu'à passer la tête par l'ouverture de sa
tente et la héler. Elle habitait juste en face, dans cette belle grande
hutte Quonset - un vrai palais ! - dont elle avait hérité au départ des
troupes qui avaient été ici en garnison au temps de pendant la guerre. Il y avait
tout là-dedans : un vrai poêle avec un tuyau, des vitres aux fenêtres, des
rideaux en plastique, même un réveille-matin. Cela pour réveiller le mari
de Gertrude qui travaillait à l'hôtel des Blancs et devait s'y trouver " à
l'heure " comme ils disaient. Des riches et des civilisés, Gertrude et son
mari!

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De sa place, dans la tente, Barnabé, en étirant un peu le cou,
pouvait voir la jeune femme occupée présentement à faire sa lessive au dehors
devant la hutte. Ses enfants jouaient autour d'elle avec de jeunes chiens.
Elle-même avait l'air de bonne humeur. Elle chantonnait une chanson apprise
des gars de l'armée:
que les soldats lui avaient apprise : Roll out the barrel . Tout ce temps elle frottait son

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refaire linge sur sa planche à frotter laver . A côté d'elle, par terre, il y avait
une de ce grandes boites de savon en poudre qui, en plus de savon, con-
tiennent une serviette ou un torchon. Gertrude fumait aussi une ciga-
rette tout en lavant. Il semblait aussi qu'elle mastiquait de la gomme
à mâcher. Si encore avec tout cela , avec tout ça, elle n'avait pas les nerfs apaisés, c'est
qu' elle ils ne les aurait le seraient jamais , tranquilles, pensa se dit Barnabé . , et il Il se prit
à
rire des épaules.

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Il tira le numéro de Gertrude du cahier des abonnés. Il la son-
na . chez elle.
Tout de suite après, il allongea le cou pour la voir, elle. Elle ve-
nait de s'arrêter de frotter, tout en prêtant l'oreille, la tête un peu
tournée du côté de sa maison. D'ailleurs Barnabé s'entendait lui-même son-
ner chez Gertrude.

Sync

Elle s'égoutta les mains d'un petit coup sec sur le bord de sa
cuvette, se les essuya le long des hanches et partit au trot pour disparaî-
tre dans la hutte. De la voir trotter ainsi mit Barnabé en gaieté. Presque
aussitôt il l'entendit, tout essoufflée : , dire :
— Allo.
— Allo, fit-il lui-même le plus aimablement qu'il put et demanda
avec beaucoup de civilité : Qui c'est-y qui est là qui parle?

Sync

Il y eut un bref silence, puis à l'oreille de Barnabé éclata un
glapissement tel que tous les chiens réunis à Fort-Chimo n'en auraient pu
faire entendre de plus criard :

— Je m'en va t'en faire, moi, des qui-c'est-y-qui-est-là-qui-
parle ! Espèce de vieux fainéant ! Allongé toute sa vie par terre à télé-
phoner ! Y a pas cinq minutes c'était chez Thomas. Y a pas dix minutes qu'il
était ici même, en personne, chez moi, pour m'emprunter encore une fois une
tasse de farine.

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Sync

— Voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnabé, tâchant de la
calmer, mais il n'y avait rien à faire, elle était trop emportée, elle
menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

Sync

Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les
Blancs, à qui elle avait pris un peu de leurs curieuses manières, pas
mieux disposée qu'eux maintenant à se laisser faire de bonnes farces.
Il ne fallait pourtant pas se la mettre à dos à cause de la farine de
temps à autre justement, et d'autres petits services aussi quelquefois.
Ainsi, voyant qu'elle avait une mousse abondante, il avait pensé lui
demander d'y passer ses hardes, en dernier lieu, après qu'elle en aurait
fini avec son linge à elle, éclatant de fraîcheur, tel que le promettait
la publicité. Maintenant il n'osait plus. Il fit tout de même un effort
pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher,
dit-il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou,
va voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. - Puis elle glapit :
bye-bye,
et ce fut tout, elle n'était plus là.

Sync

Peu après, Barnabé, avançant la tête, la revit, de retour
à sa lessive, qui frottait et mastiquait avec une vigueur donnant à
entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

Sync

Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le bye-bye. Enfin
il connaissait la manière polie de clore un entretien au téléphone. Tellement
i I l y prenait un tel goût à la fin , il ne pourrait peut-être jamais plus que maintenant saurait-il jamais s'en passer . ?

C'était loin toutefois d'être pour l es a raison s évoquée s par le vendeur ; , à savoir
que,

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50 Peu après, en effet,
Barnabé,
écartant la
guenille
pendante à
l'entrée
de la tente en
guise de porte,
vit Gertrude,
de retour déjà
à sa lessive,
qui frottait
et mastiquait

avec une
vigueur
donnant à
entendre que
sa mauvaise
humeur était
loin d'être épuisée.

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— Voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnabé, tâchant de la
calmer, mais il n'y avait rien à faire, elle était trop emportée, elle
menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

Sync

Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les
Blancs, de à qui elle avait maintenant pris un peu les de leurs curieuses manières, pas
plus mieux disposée qu'eux au fond maintenant à se laisser faire des de bonnes farces.
Il ne fallait
pourtant pas se la mettre à dos à cause de la farine de temps à autre
justement, et d'autres petits services aussi quelquefois. Ainsi, voyant
qu'elle avait une mousse abondante, il avait pensé lui demander d'y passer
ses hardes , en dernier lieu, après qu'elle en aurait fini avec son beau
linge à elle , éclatant de fraîcheur, tel que le promettait la publicité. d'une blancheur éclatante, comme disait l'annonce. Mainte-
nant
il n'osait plus. Il fit tout de même un effort pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher,
dit-il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou,
va voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. - Puis elle glapit :
B b ye- B b ye , et ce fut tout, elle n'était plus là.

Sync

Elle était même si peu là que Barnabé, en remontant la guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente, put la voir de retour à
sa lessive, qui frottait et mastiquait avec une vigueur Peu après, Barnabé écartant la guenille, à l'entrée de sa tente, qui lui servait plus ou moins de porte, vit Gertrude, de retour déjà à sa lessive. Elle frottait et mastiquait avec une vigueur donnant à entendre
que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

Sync

Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le B b ye- B b ye .
Enfin il connaissait la manière polie de clore un entretien au télé-
phone. Il eut l'impression qu'il ne pourrait peut-être plus jamais plus se passer à présent du
téléphone , tellement, en fin de compte, il y trouvait d'agrément. C'était
loin toutefois d'être pour les raisons évoquées par le vendeur ; à savoir que,

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— Voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnabé, tâchant de la
calmer, mais il n'y avait rien à faire, elle était trop emportée, elle
menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

Sync

Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les
Blancs, de qui elle avait maintenant un peu les curieuses manières, pas
plus disposée qu'eux au fond à se laisser faire des farces. Il ne fallait
pourtant pas se la mettre à dos à cause de la farine de temps à autre
justement, et d'autres petits services aussi quelquefois. Ainsi, voyant
qu'elle avait une si belle mousse abondante, il avait pensé lui demander
d'y passer ses hardes en dernier lieu, après qu'elle en aurait fini avec
son beau linge à elle , d'une blancheur éclatante, comme disait l'annonce. bien blanc, mais il n'osa plus m M aintenant , devant il n'osait plus.
la voix irritée qu'elle lui opposait. Il fit tout de même un effort
pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher,
dit-il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou,
va voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. - Puis elle glapit :
Bye Bye , et ce fut tout, elle n'était plus là.

Sync

Elle était même si peu là que Barnabé, en remontant la guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente, put la voir de retour à
sa lessive , et qui frottait et qui mastiquait avec une vigueur donnant à
entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

Sync

Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le Bye Bye .
Enfin , il connaissait la manière polie de clore un entretien au télé-
phone. Il eut l'impression qu'il ne pourrait peut-être plus se passer
du téléphone tellement, en fin de compte, il y trouvait d'agrément. C'était
loin toutefois d'être pour les raison évoquées par le vendeur ; à savoir que,

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Voyons donc, voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnabé , tâchant
pour de la calmer,
mais il n'y avait rien à faire, elle était trop empor-
tée, elle menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

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Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les Blancs, de qui elle avait maintenant un peu les curieuses manières, peu pas plus disposée qu'eux
non plus à ce qu'on lui joue des tours. au fond à se laisser faire des farces. Il ne fallait pourtant pas se la
mettre à dos à cause de la farine de temps à autre justement, et d'autres
petits services aussi quelquefois. Ainsi, voyant qu'elle avait une si belle
mousse abondante, il avait pensé lui demander d'y passer ses hardes , en der-
nier lieu, après qu'elle en aurait fini avec son beau linge à elle bien
blanc, mais il n'osa plus maintenant, devant la voix irritée qu'elle lui
opposait. Il fit tout de même un effort pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher, dit-
il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou,
va voir si tu n'es pas à l'autre bou t de la grève. - Puis elle glapit :
Bye Bye , et ce fut tout, elle n'était plus là.

Sync

Elle était même si peu là que Barnabé, en remontant le guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente, put la voir de retour à
sa lessive et qui frottait et qui mastiquait avec une vigueur donnant à
entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

Sync

Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le Bye Bye . Enfin,
il connaissait la manière polie de clore un entretien au téléphone. On
criait : Bye bye ; on se sauvait, le tour était joué.
Il eut l'impression
qu'il ne pourrait plus jamais peut-être plus se passer du téléphone tellement , il y trouvait,
en fin de compte, il y trouvait d'agrément. C'était loin toutefois , s'il s'y attachait
à ce point,
d'être pour les raisons évoquées par le vendeur; à savoir que,

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refaire — Voyons donc, voyons donc, la belle Gertrude, dit Barnabé essaya- pour
t-il de la calmer, mais il n'y avait rien à faire, elle était trop empor-
tée, elle menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

Sync

Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas la une personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les Blancs,
de qui elle avait maintenant un peu les curieuses manières, pas plus encli- peu disposée
non plus ne qu'eux à aimer se faire jouer à ce qu'on lui joue des tours. Il ne fallait pourtant pas se
la mettre à dos à cause de la farine de temps à autre , justement, et d'autres
petits services aussi quelquefois. Ainsi, voyant qu'elle avait une si bel-
le mousse abondante, il avait pensé lui demander d'y passer ses hardes , en
même temps que ses affaires à elle, dernier lieu, après qu'elle en aurait fini avec son beau linge à elle bien blanc, mais il n'osa plus maintenant, surtout devant
que la lessive de Gertrude était presque entièrement du blanc bien blanc.
la voix irritée qu'elle lui opposait. Il fit tout de même un effort pour la dérider.
— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher, dit-
il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou, va
voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. - Puis elle glapit : Bye
Bye
, et ce fut tout, elle n'était plus là.

Sync

Elle était même si peu là que Barnabé, en remontant le guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente, put la voir de retour à
sa lessive et qui frottait et qui mastiquait avec une vigueur donnant à
entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

Sync

Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le Bye Bye . Enfin,
il connaissait la manière polie de clore un entretien au téléphone. On
criait : Bye bye ; on se sauvait, le tour était joué. Il eut l'impression
qu'il ne pourrait plus jamais se passer du téléphone tellement il y trouvait ,
en fin de compte , d'agrément. C'était loin toutefois, s'il s'y attachait
à ce point , d'être pour les raisons évoquées par le vendeur ; à savoir que,

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2 ou blessé ou dangeureusement , malade, il pourrait là-dedans appeler au secours ; .
1 ou, qu' advenant une grosse tempête , apprendre s'il y avait du danger .
Barnabé
avait comme l'idée qu'en pareil cas il se soucierait de son téléphone autant
que de ses bottes trouées.

Sync

Il cherch e a de nouveau dans le cahier des abonnés. Il y en
avait une page pleine. De quoi s'amuser longtemps. Quand il en arriva
à déchiffrer le nom de la puissante Compagnie de la Baie d'Hudson, sa gaieté
déborda. Cette Compagnie-là, il y avait assez longtemps qu'elle les
forçait à marcher à travers la toundra vers ses comptoirs, vieux, jeunes,
enfants, la tribu entière, même les nouveaux-nés, si on peut dire, sur
le dos de leur mère. C'était bien son tour d'être un peu dérangée. Il
sonna longuement. La Compagnie ne se pressait pas. Naturellement !
Depuis le temps que les gens allaient vers elle !

Sync

Tout d'un coup, il entendit une voix polie à sa manière,
excédée pourtant :
— Allo ^ . , Ici Nicholson.

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Histoire de partir d'un bon pied, si l'on veut, dans la conver-
sation, Barnabé s'informa avec un curieux mélange de sentiments où la
révérence côtoyait l'effronterie la plus naïve :
— C'est la Compagnie? Elle-même? En personne? Elle va bien?
— Comment ça, en personne? lui fut-il demandé sur un ton où
perçait franchement l'irritation.

Sync

Barnabé pensa à l'explication que donnait le pasteur anglican
de Dieu en trois personnes, et il faillit pouffer. Savoir en combien de
personnes la Compagnie, elle, se résumait !
— Qui est à l'appareil ? demanda Nicholson , avec de moins en
moins de patien ce t .

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blessé ou dangereusement malade, il pourrait là-dedans appeler au secours ;
à savoir que ou , advenant une grosse tempête, il pourrait apprendre s'il y
avait péril du danger . En pareil cas Barnabé avait comme l'idée qu' qu'en pareil cas il se soucierait
de son téléphone autant que de ses bottes trouées.

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Il chercha de nouveau dans le cahier des abonnés. Il y en avait
une page pleine. De quoi se tordre s'amuser longtemps. Quand il en arriva à dé-
chiffrer le nom de la puissante Compagnie de la Baie d'Hudson, sa joie fut gaieté déborda.
à son comble. Ses yeux pétillèrent. Cette Compagnie-là,
il y avait assez
longtemps qu'elle les forçait à marcher à travers la toundra vers ses
comptoirs, vieux, jeunes, enfants, la tribu entière, même les nouveaux-nés,
si on peut dire, sur le dos de leur mère , . c C 'était bien son tour d'être un
peu dérangée. Il sonna longuement. La Compagnie ne se pressait pas. On Naturellement! Naturellement !
sait bien! Depuis
le temps que les gens allaient vers elle !

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Tout d'un coup, il entendit une voix polie à sa manière, excédée
pourtant:
— Allo. Ici Nicholson.

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Histoire de partir d'un bon pied, si l'on veut, dans la conver-
sation, Barnabé s'informa avec un curieux mélange de sentiments où la révé-
rence côtoyait l'effronterie la plus naïve :
— C'est la Compagnie? Elle-même? En personne? Elle va bien?
— Comment ça, en personne? lui fut-il demandé sur un ton où
perçait franchement l'irritation.

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Barnabé pensa à l'explication que donnait le pasteur anglican
de Dieu en trois personnes, et il faillit pouffer. Savoir en combien de
personnes la Compagnie, elle, se résumait !
— Qui est à l'appareil? demanda Nicholson avec de moins en
moins de patience.

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Barnabé s' imagina la scène avec plaisir : trois ou quatre
Blancs, deux fois plus d'Esquimaux sans doute, tous entassés comme des
mouches autour du comptoir à attendre d'être servis et impatients déjà -
ils l'étaient tous dès qu'ils avaient le pied dans le magasin, Dieu
sait pourquoi , . q Q ue faisaient-ils ensuite de leur précieux temps ! Or de
les voir s'impatienter devait être dur à supporter pour le gros Nicholson
qui était lui-même de peu d'équanimité endurant .

— Qui est là ? fit-il encore une fois.

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Et comme justement Barnabé ne disait mot depuis un assez bon
moment, il s'entendit demander :
— Qui parle ?

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Ce fut plus fort que lui. Il ne put se retenir de faire quel-
ques hi, hi. Puis il se contint.

— Qui parle? redemanda Nicholson, presque menaçant.
— C'est personne, dit Barnabé, voulant peut-être faire entendre
par là qu'il se considérait lui-même de très peu d' d'aucune sans importance.
Ou encore
qu'il se désolait , quelque quand même un peu, malgré tout, de tant déranger. Au
vrai, il ne savait pas ce qui l'avait pris tout d'un coup poussé aujourd'hui et fait agir
de la sorte. Peut-être un certain énervement à se voir avec cet instru-
ment chez lui. Tout d'un coup il se rappela la manière polie, la formule
pour en finir.

Bye bye , dit gentiment Barnabé, et il raccrocha, ou plutôt,
tel il se représenta à lui-même la chose, il s'enfuit à toutes jambes et
juste à temps.

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Seul dans sa tente, bien tranquille chez lui à l'abri de tout
le monde, il s'esclaffa. Il avait eu un peu peur pendant un instant.
Mais apparemment il s'était sauvé un au bon moment. Nicholson ne pouvait

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l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un d'éveillé comme la Gertrude, ha-
bituée à sa voix, et qui , de plus plus est n'arrêtait pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était là le fin du fin du téléphone: on
y pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas
de moyen pour savoir qui c'est-y-qui-était-là-qui-parlait. Barnabé se
tapa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des
abonnés. En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hudson
venait la Wheeler. Cette Compagnie louait des petits hydravions à des grou-
pes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui ve-
naient parfois se rendre compte par eux-mêmes du genre de vie que menaient
les Esquimaux. Barnabé sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie
d' h H udson. En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir
Gertrude qui mettait maintenant son linge à sécher sur une corde tendue
entre deux piquets. Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait
d'eau encore un peu mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude
n'avait pas l'air d'assez suffisamment revenue à la bonne humeur encore pour consentir à lui passer
son eau de lessive.

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A force d'attendre, Barnabé avait peut-être oublié qu'il était
en train de téléphoner. Il tressaillit quand il entendit droit dans son
oreille.
— Allo.
— Allo, dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnabé pris de court et ne sachant trop que
solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places? Trois places?

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refaire l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un de fin d'éveillé comme la Gertrude, habi-
tuée à sa voix, et qui, de plus, n'arrêtait pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était là la merveille le fin du fin du téléphone : on
y
pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas
de moyen pour savoir qui c'est-y qui-était-là-qui-parlait. Barnabé se ta-
pa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des
abonnés.

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En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hudson
venait la Wheeler. Cette Compagnie louait des petits hydravions à des grou-
pes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui ve-
naient parfois se rendre compte par eux-mêmes du genre de vie que menaient
les Esquimaux. Barnabé sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie d'Hudson.
En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir Gertrude qui met-
tait maintenant son linge à sécher sur une corde tendue entre deux piquets.
Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait d'eau encore un peu
mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait pas l'air
d'être d' assez revenue à la bonne humeur encore pour consentir à lui passer son eau de lessive . à un
bon voisin pourtant.

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A force d'attendre, Barnabé avait peut-être oublié qu'il était en train de téléphoner , .
à force d'attendre. Toujours est-il qu'il fit encore une fois le saut quand Il tressaillit quand
il entendit droit dans son oreille.
— Allo.

Allo, dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler ?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnabé pris de court et ne sachant trop que
solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places? Trois places?

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l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un de fin d'éveillé comme la Gertrude, habi-
tuée à sa voix, et qui, de plus, n'arrêtait pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était là la merveille le fin du fin du téléphone : on
y pouvait impunément braver les gens jusque chez eux. Ils n'avaient pas
de moyen pour savoir qui c'est-y qui-était-là-qui-parlait. Barnabé se ta-
pa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à consulter la liste des
abonnés.

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En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hudson
venait la Wheeler. Cette Compagnie louait des petits hydravions à des grou-
pes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gouvernement qui ve-
naient parfois se rendre compte par eux-mêmes du genre de vie que menaient
les Esquimaux. Barnabé sonna là presque aussi longtemps qu'à la Baie d'Hudson.
En attendant qu'on lui réponde, il regardait aller et venir Gertrude qui met-
tait maintenant son linge à sécher sur une corde tendue entre deux piquets.
Puis elle alla déverser par terre ce qu'il lui restait d'eau encore un peu
mousseuse. C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait pas l'air
d'être d' assez revenue à la bonne humeur encore pour consentir à lui passer son eau de lessive . à un
bon voisin pourtant.

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Barnabé avait peut-être oublié qu'il était en train de téléphoner,
à À force d'attendre . , Toujours est-il qu'il fit encore une fois le saut Sursauta de nouveau Il tressaillit quand Il tressaillit quand
il entendit droit dans son oreille.
— Allo.
— Allo, dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler ?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnabé pris de court et ne sachant trop que
solliciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places? Trois places?

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— Trois peut-être, dit Barnabé.
— C'est pour quand? demanda la Wheeler imperturbable.
C'est p P our tout de suite, fit Barnabé.
— Où voulez-vous donc vous rendre ?

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— « Je ne sais pas », allait répondre Barnabé et se retint juste à
temps.

— Je regrette, continua la Wheeler, mais nous n'avons rien de dis-
ponible d'ici trois semaines. C'est notre saison la plus occupée. Seriez-
vous assez bon pour nous laisser vos votre nom et votre adresse?...

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Pour la première fois depuis qu'il s'était pris au jeu du télépho-
ne, Barnabé commença à se demander si on ne riait pas de lui autant , pour le
moins , qu'il
avait ri des autres. Tant de politesse ne lui disait rien qui
vaille. Il décida de prendre le parti d'avoir l'air mécontent, ce qui avec
les Blancs amenait généralement de bons effets.
— C'est tout de suite qu'il me faut mon avion , . dit-il, et pas
d'histoire!

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Il crut entendre rire au loin et de nouveau on lui demandait :
— Qui parle?
— C'est moi, dit Barnabé , le front plissé, tout étonné de la tour-
nure que prenaient les événements.

— Moi! Qui ça, moi?

— Un homme, dit Barnabé , ne sachant peut-être trop comment se pré-
senter sans ruiner toute sa stratégie.

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Puis, en oubliant son bye bye , il mit ensemble les deux pièces de raccrocha
son téléphone et demeura
assis à rire encore un bon coup tout de même.

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Gertrude , qui passa it nt par là , avait dû s'attarder à écouter, dissi-
mulée derrière les hardes qui pendaient de suspendues à la corde à linge de Barnabé.

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Elle le menaça :
Si tu ne cesses pas de sonner tout le temps comme ça chez
les Blancs, des gens occupés et sérieux, je m'en vais te dénoncer à la
P p olice.

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La P p olice! Parlons-en! Peut-être qu'en d'autres parties du
monde , il y avait lieu de la craindre, de se tenir vis-à-vis d'elle sur
ses gardes. Mais ici! Elle était représentée par l'homme le plus servia-
ble, le plus obligeant du monde, attaché comme pas un à ses Esquimaux qui le
lui rendaient bien d'ailleurs! Dix fois par jour ils trouvaient le moyen ,
sous un prétexte ou un autre , d'aller
lui rendre visite, manger son manger, ses provisions,
fumer son tabac, regarder son feuilleter ses vieux magazine s . Au contraire d'autres pays,
ici, quand on menaçait quelqu'un d'aller chercher le policier, c'était com-
me si on eût dit : Je m'en vais chercher le Père Noël.

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Barnabé rit à s'en décrocher les mâchoires. Tout de même, dans
le fond, il ressentait une petite inquiétude enfin. Surtout il était enra-
gé contre la Gertrude.
— Va-t'en chez le diable, lui dit-il, et se mit en frais eut l'idée téléphoner de son-
ner
maintenant
à la Mission catholique.

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Lui, appartenant au rite anglican, relevait du révérend Hugh
Paterson, un homme sévère; jamais Barnabé n'aurait pu se laisser aller à
lui jouer des tours. D'ailleurs le pasteur était toujours en tournée, vi-
re de ce côté-ci, vire de ce côté-là, à la recherche tout le temps de gens
à convertir , : un saint homme, il n'y avait pas à dire! De son côté, le Père
Eugène, lui, était plutôt du genre à rester chez lui à attendre les hommes
dans leurs le besoin s .
Chacun donc avait sa manière, la meilleure peut-être
toutes les deux à sa façon , celui-là
avec l'Evangile, la parole austère, le cadeau rare,

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celui-ci avec sa salle de cinéma, ses cadeaux de vieilles revues et surtout
sa salle de loisirs mise à la portée de tous . les hommes; " n'étaient-ils
pas frères ? ".
Deux hommes
de première qualité, cela ne faisait pas de doute,
Il n'y avait donc qu'à suivre l'un... et prendre ce que l'autre offrait...
puisque de cette façon on leur faisait plaisir à tous deux.

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Barnabé écoutait sonner chez le Père Eugène depuis un bon moment
déjà et se demandait si celui-ci n'avait pas aussi tout d'un coup re pris le
goût de la trotte, ce qui aurait été triste tout de même, un village où il
ne resterait plus personne pour représenter le bon Dieu. Mais alors il pen-
sa au jardin du Père et se dit que celui-ci devait s'y trouver à cette minute.
Casqué de son casque contre les moustiques, il pouvait être long à entendre
son téléphone. Sonnons toujours, se dit Barnabé , et il se mit à songer à
ce petit jardin du Père.

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C'était le seul à Fort-Chimo . , Il parai ^ t même que c'était le seul et même
dans tout
le pays esquimau. La terre en était venue d'un peu partout, une
poignée par ici, un poignée par là. La première poignée, le Père Eugène
l'avait apportée de son village de France . Tout le monde avait Les gens avaient été la voir,
quelque chose de noir, d'inerte, et pourtant, selon le Père, toute vie,
toute beauté y étaient
contenues en puissance. Il en était arrivé ensuite par avion deux
ou trois sacs pleins par avion
- on peut s'imaginer le prix qu'avait alors
atteint le terreau ! Le Père avait fait construire un toit pour protéger
son jardin, puis enfin une sorte de cabane en polythyelène pour l'enserrer
en entier et le protéger contre les mauvais temps. Finalement il y avait
fait installer le chauffage. Pour aucune créature vivante on n'en avait
encore fait autant par ici.
Tout le monde
maintenant avait pris de
l'intérêt pour le jardin. Quand, au cours de leurs chasses lointaines,
il arrivait aux Esquimaux de trouver un peu plus de terre en des creux

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refaire celui-ci avec sa salle de cinéma, ses cadeaux de vieilles revues et surtout
sa salle de loisirs mise à la portée de tous les hommes , ; " n'étaient-ils pas
frères ? ". Deux hommes de première qualité, cela ne faisait pas de doute , .
comme l'avait toujours soutenu Barnabé. Il n'y avait donc
qu'à suivre l'un...
et prendre ce que l'autre offrait... puisque ça de cette façon on leur faisait plaisir à tous ainsi deux .

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Il y avait un bon moment déjà que cela sonnait Barnabé écoutait sonner chez le Père Eugène depuis
et Barnabé en était à un bon moment déjà et se demand er ait si celui-ci aussi n'avait pas aussi tout d'un
coup
pris le goût de la trotte, ce qui aurait été triste tout de même, un
village sans où il ne resterait plus personne pour représenter le bon Dieu. Mais alors il pen-
sa au jardin du Père et se dit que le Père celui-ci devait s'y trouver à cette minute . Casqué de son casque
contre les moustiques, il pouvait être long à entendre son téléphone. — Son-
nons toujours, se dit Barnabé,
et il se mit à songer à ce petit jardin du
Père.

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C'était le seul à Fort-Chimo . Il parait même que c'était le seul
dans tout le pays esquimau. La terre en était venue d'un peu partout, une
poignée par ici, une poignée par là. La première poignée , de tout, le Père
Eugène
l'avait apportée de son village de France . Tout le monde avait été la
voir ça , quelque chose de noir, d'inerte, et pourtant, selon le Père, toute
vie, toute beauté y étaient contenues en puissance. Il en était arrivé en-
suite deux ou trois sacs pleins par avion - on peut s'imaginer le prix
qu'avait alors atteint le terreau ! Le Père avait fait construire un toit
pour protéger son jardin, puis enfin une sorte de cabane transparente tout en polythyelène
autour pour l'enserrer en entier et le garder protéger contre
les mauvais temps. Fi-
nalement il y avait fait installer le chauffage là-dedans . Pour aucune créa-
ture vivante jusqu'ici on n'en avait encore fait autant par ici . Tout le monde maintenant
avait pris de l'intérêt pour le jardin. Quand, au cours de leurs chasses

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bien abritée, le long de petits lacs, ils se chargeaient d'en apporter
sur leur dos, soigneusement enveloppée, parmi leurs paquets indispensa-
bles. Ainsi s'était constituée la merveille de Fort-Chimo , comme autre-
fois il y avait eu, à ce que disait le grand Livre pieux, les Jardins sus-
pendus
de Babylone ; . chaque chose en son temps donc ! De jour en jour,
on allait voir pousser les tomates, les radis, la laitue.

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Pensant à tout ce qu'avait accompli le Père Eugène et qui va-
lait bien le miracle de l'eau changée en vin, Barnabé se sentit quelque
peu honteux de ses tours, de ses farces et de cette vie oisive qu'il me-
nait depuis quelque temps. Il eut la velléité d'en changer tout de suite.
Mais à ce moment justement retentit à son oreille une bonne voix cordiale
qui le saluait sans façon :
— Allo Allo.

Sync

Cette fois encore, Barnabé ne fut pas maître de ne pas sursau-
v t er,
tout en jetant vers le seuil de la tente un regard agité. C'était cette
soudaineté d'apparition de la voix, si l'on peut dire, à laquelle il ne s'ha-
bituait pas. Son calme retrouvé, il dit à son tour : — Allo allo, en tâchant
d'y mettre la curieuse désinvolture des Blancs qui lui avaient toujours
paru avoir l'air au téléphone de ne parler qu'à du bois. Point beaucoup
d'animation. Presque pas de geste. Le sourire chiche. Il revint à sa
bonne manière à lui, af f able, chantante et colorée :
— Qui c'est-y donc qui est là qui parle ?

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A l'instant même, rien ne paraissait moins mériter la rebuffade
que la bonne face le bon visage de Barnabé,
ses grosses lèvres ouvertes en un sourire
plein de confiance, ses yeux brillants d'amitié. Aussi bien, survenant
comme un coup de fouet, elle l'abasourdit à lui faire perdre toute
contenance .

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refaire lointaines, il arrivait aux Esquimaux de trouver un peu plus de terre en
des creux bien abrités, le long de petits lacs, ils se chargeaient d'en
apporter sur leur dos, soigneusement enveloppée, parmi leurs paquets indis-
pensables. Ainsi s'était constituée la merveille de Fort-Chimo , comme au-
trefois il y avait eu, à ce que disait le grand Livre pieux, les Jardins
suspendus de Babylone , ; chaque chose en son temps donc! De jour en jour,
on allait voir pousser les tomates, les radis, une laitue.

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Pensant à tout cela ce qu'avait accompli le Père Eugène et qui va-
lait bien le miracle de l'eau changée en vin, Barnabé se sentit quelque
peu honteux de ses tours, de ses farces et de cette vie oisive qu'il menait
depuis quelque temps. Il eut la velléité d'en changer tout de suite. Mais
à ce moment justement retentit à son oreille une bonne voix cordiale qui
le saluait sans façon :
— Allo Allo.

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Cette fois encore, Barnabé ne fut pas maître de ne pas sursauter,
tout en jetant vers le seuil de la tente un regard agité. C'était cette
soudaineté d'apparition de la voix, si l'on peut dire, à laquelle il ne
s'habituait pas. Son calme retrouvé, il dit à son tour: — Allo allo, en tâ-
chant d'y mettre la curieuse désinvolture des Blancs qui lui avaient toujours
fait l'effet paru , au téléphone, d' avoir l'air de ne parler
qu'à du bois. Point
beaucoup d'animation. Presque pas de geste. Le sourire chiche. Il revint
vite à sa bonne
manière à lui, affable, chantante et colorée:
— Qui c'est-y donc qui est là qui parle?

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Rien A l'instant même, rien ne paraissait moins mériter la rebuffade que la bonne face
de Barnabé , à l'instant même, ses grosses lèvres ouvertes en un sourire plein
de confiance, les yeux brillants d'amitié. Aussi bien, quand elle survint, survenant
rapide comme un coup de fouet, en fut-il elle l' abasourdi t à ne plus savoir quelle
contenance prendre.
lui faire perdre toute contenance.

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Il avait pourtant déjà perçu quelque chose de l'esprit colé-
reux du Père, lorsque, par les beaux dimanches d'été, passant à côté de
la petite chapelle catholique dont les fenêtres étaient grandes ouvertes,
il s'était attardé à l'écouter s'en prendre durement à ses paroissiens
pour avoir encore, à son dire, dans leur party de la veille, bu et agi
pis que des païens, c'était là un bel exemple à donner aux Esquimaux, ces
innocents enfants de la natrue, qui, à cause même des mauvais chrétiens
qu'ils avaient sous les yeux, pourraient être entraînés au mal , en quel cas et, en
ce cas,
les mauvais chrétiens en porteraient éternellement
la responsabi-
lité devant le Seigneur.

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Même à Barnabé cela avait paru un peu fort. Mais qu'était-ce
que cette colère du dimanche auprès de ce que lui-même qu'il attrapait maintenant . lui-
même.

— Barnabé de Barnabé ! Je vais te la faire passer ta démangeai-
son
du téléphone. Depuis ce matin que les plaintes arrivent de tous côtés:
la Baie d' h H udson, le Bureau d'Observations météorologiques, les Affaires
i I ndiennes
, la Ungava Ore... la faculté de Géologie de l'Université...

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Tout de même ! Barnabé essaya de glisser deux mots pour se sous-
traire au moins à quelques chefs d'accusation. Il commençait à percevoir
qu'il était loin d'être le seul à avoir joué au jeu du au téléphone. Mais il
n'y avait pas à arrêter le Père emporté dans une sorte de grand "sermon"
furieux.
— Un homme de ton âge! Quelle pitié! Depuis le temps que tu
gardes la ligne, sais-tu bien qu'on aurait pu en avoir besoin pour un cas
grave; un enfant, par exemple, qui serait tombé dans un piège à ours...
Tu devrais avoir honte.

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C'était bien inutilement enfoncer le fer dans la plaie. Barna-
bé avait honte. Même au téléphone il courbait la tête et se faisait pe-
tit. Ce qui l'atterrait cependant, ce n'était pas l'histoire d'un enfant
t ombé dans un piège à ours - chose assez invraisemblable - mais d'avoir
été découvert. Cela i I l ne l' n' aurait pas cru cela du téléphone. Pas plus, en ef-
fet, qu'il ne reconnaissait facilement les Blancs à leurs voix qui lui pa-
raissaient la même - plate et sans musique, comme, au reste, leurs faces visages
aussi
lui avaient toujours paru identiques - pas plus n'imaginait-il les il ne n'imaginait
il n'imaginait les Blancs
capables d'identifier un Esquimau à sa voix seulement. Le téléphone
avait donc trahi.
Il n'y aurait donc plus jamais maintenant à lui accorder confiance au téléphone. après
ce coup -là.

— Te voilà bien avancé, renchérit le Père. Ton argent dépensé,
et qu'as-tu en retour? Veux-tu que je te le dise? La servitude. C'est ça ,
le téléphone. Il sonne : tu accours ; ou bien, tu n'accours pas, mais alors
tu te ronges les sangs de regret ou de curiosité insatisfaite.

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Barnabé acquiesçait à petits coups de tête tristes , d'un air et con-
vaincu s .
C'était bien ainsi que cela se passait. En fait, personne plus
que lui à l'heure actuelle n'était autant retourné contre le téléphone, con-
tre tout, du reste : la Wheeler, la Baie d'Hudson, même la police , et, s'il
fallait aller au fond des choses, contre lui-même peut-être plus que tout.

Encore un peu, et il mettrait le téléphone en pièces.
— Attention, dit le Père, comme s'il lisait sans difficulté dans
les pensées de Barnabé. Ne va surtout pas te venger du téléphone. Ils te
feraient payer les dégâts.

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Comment! au bout du compte le téléphone n'était même pas à lui!

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Cela Le téléphone L'instrument restait toujours la propriété de la Compagnie, lui apprit le
Père.

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Celui-ci Il s'était pourtant considérablement radouci. Il finit par se
montrer du meilleur conseil possible pour le pauvre Barnabé.
— Va donc plutôt, mon pauvre vieux, faire un tour sur la rivière.
Cela , mieux que tout, te changera les idées.

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Justement Barnabé en était à fixer la Koksoak qui passait pour
ainsi dire à sa porte. Il la regardait depuis un bon moment sans trop sa-
voir encore qu'elle l'appelait. Il se rappela le souvint du temps point si éloigné pour-
tant où les Esquimaux vivaient entre eux dans le vieux Fort-Chimo de l'autre
côté de la rivière, paisibles et presque inconnus du reste de l'humanité.
Mais la guerre était survenue quelque part dans le monde et voici qu'en
face, sur la rive opposée de la Koksoak , avait surgi un petit poste militaire, de l'ar-
mée,
une sorte
de village des Blancs poussant tout alentour. Un à un, la
plupart des Esquimaux avaient franchi la rivière pour venir , de ce côté-ci ,
jouir,
comme on disait, des commodités.

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Barnabé ne quittait toujours pas des yeux le flot rapide de la
Koksoak . Chez ce bavard, qui l'aurait cru, demeurait intact l'amour du si-
lence et de la liberté! Là-bas, sur l'autre rive , de la rivière, étaient
restés quelques rares irréductibles. Barnabé se mit à avoir eut tout à coup envie d'être
de leur nombre. En un instant sa décision fut prise.
Bye bye , dit-il gentiment à son téléphone. Je m'en retourne.

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Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Ce ne pouvait être long;
il laissait sur place les trois-quarts de ses effets, des tas de choses
qu'il accumulait avec l'idée qu'un jour elles pourraient lui être utiles:
des pneux crevés, des bidons vides, des bouts de tuyau. Il revenait à ce
qui avait été longtemps le maximum de ses possession: sa tente, sa cara-
bine, ses engins de pêche, de quoi manger et fumer pendant quelques semaines.

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Il transporta le tout dans son canoë canot . Il s'embarqua. Bientôt
il atteignit le courant. Toutes choses dès lors eurent pris prirent leurs justes
proportions. Contre l'immense ciel nu et la ligne lointaine des vieilles
montagnes rondes, les petites maisons basses du village esquimau , en bordure
de la rivière , ne se voyaient à peine presque plus.
Dans l'ampleur soudain découverte
du pays, le village des Blancs , situé un peu plus haut, le long de la piste
d'atterrissage, n'avait guère plus d'importance.

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Barnabé rama encore un bon coup. Au milieu de la rivière, un air
plus fort l'accueillit. Il prit le temps de le respirer avec un vif soula-
gement. Un vieux fond de tristesse chez cet être rieur, qui l'avait poussé
à cent folies, que n'étaient pas parvenues à vaincre les meilleures distrac-
tions, enfin lui était enlevé.

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Peut-être pas pour toujours. Barnabé n'était pas plus assez simple
maintenant pour
croire que l'homme sur terre arrive à secouer pour de bon
sa vieille tristesse. Sans quoi inventerait-il encore tant de choses drôles,
amusantes et même ou de celle qui sont ou faites pour réjouir
le regard? Mais un mot
quelque chose était retrouvé que Barnabé avait cru perdu. Son ancien visage
en recouvra une certaine beauté. De même le sol de son pays aride que l'on
pourrait croire de roc seulement. Mais qu'une pluie survienne, et le voilà
qui reverdit!

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Au loin, sur la grève, parmi la ferraille tordue et les détritus
du campement abandonné, le téléphone, déjà à moitié enfoncé dans le sable,
sonnait, sonnait.

État 2 - Le téléphone

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LE TÉLÉPHONE

Image - 33 -

Chacun, par la suite, bien entendu, eut son mot à dire sur cette
fin.

Jonathan pensa que Deborah, troublée par les médicaments qu'on
lui faisait prendre, avait pu se mettre en tête d'aller rechercher sur
la banquise quelque chose ou quelque objet qu'elle vait imaginé perdu
là.

Le pasteur, lorsqu'il eut reparu en ces lieux et appris la nou-
velle, n'eut rien de plus pressé que de se rendre sur place, à la li-
mite des glaces, où, dans l'ouragan qu'il faisait cette nuit-là, face
à l'eau mugissante, il leva la main comme pour bénir -- ou absoudre --
l'infini pays tourmenté.

Pour Isaac, cependant, il ne faisait pas de doute que Deborah
avait aidé la glace à partir. Ce ne pouvait avoir été bien difficile ;
la glace était mince encore et puis qu'on s'en souvienne : le vent,
cette nuit-là aussi, soufflait du bon côté. Elle a vait dû partir vive-
ment, aidée du vent, aidée du courant, aidée de toute la bonne nature
compatissante.

Il pensait qu'elle avait dû rester debout au centre de la pe-
tite pièce de glace. Ainsi la voyait-il dans ses rêveries : une pe-
tite statue bien droite sur son socle blanc emporté sur les vagues
d'eau noire.

Peut-être avait-elle serré un peu sur elle ses vêtements pour
avoir moins froid.

Mais à l'heure actuelle elle devait avoir depuis longtemps re-
joint la " vieille " qu'il continuait à se représenter toujours assise
sur son socle, toujours conservée par le gel, et qui tournait indéfi-
niment, comme ces satellites d'aujourd'hui au fond du ciel, dans les
dernières eaux libres du monde, très haut dans le Nord .

Image I

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Assis par terre au milieu de sa tente qui était dressée dans
le sable au bord de la rivière Kokso o a k , Barnabé, le vieil homme es-
quimau, leva l'écouteur de son téléphone. Il écouta dedans, l'air souriant
d'une oreille à l'autre. heureux.
Cela était bien trop vrai, comme le lui avait dit le vendeur,
que cette chose-là vivait.

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Autour de lui c'était le désordre familier d'une tente esqui-
maude, l'été ; , quand la nature est aimable et vous fournit , d'un peu de tout ,
et qu'en plus et que de surcroît on n'est pas
loin d'un bon magasin où s'approvisionner.
En vrac , à même le sol, il y avait donc une grande quantité d'objets dis-
parates. Dans ce qui aurait paru désordre à d'autres, Barnabé se re-
trouvait pourtant le plus aisément du monde, n'ayant d'habitude qu'à
tendre son long bras, là où il se trouvait, pour attraper ce qu'il
lui fallait : son couteau pour la chasse, son poêlon à frire, de quoi
fumer, ses crèpes de la veille, son livre de cantiques. Toutefois,
à la place nette faite au téléphone en plein centre de la tente, tous
autres objets ayant été repoussés contre les parois, on pouvait voir
en quelle particulière estime Barnabé tenait cet instrument. A vrai
dire, il avait eu quelque s peine s à l'obtenir, les lois de la Compa-
gnie, pour accommodantes qu'elles étaient, stipulant tout de même une
condition : pour être abonné il fallait avoir élu domicile. La ques-
tion avait donc surgi : une tente est-elle un domicile ? A quoi un
astucieux cerveau au service de la Compagnie avait démontré que oui,
? Société ? puisque Barnabé, à près de soixante ans maintenant, n'en ayant jamais
eu d'autre, il s'ensuivait que sa tente était autan s t son domicile à
lui que son le gratte-ciel , à la Compagnie.

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Pour l'instant, l'écouteur à l'oreille, Barnabé écoutait, tou- était tout sourire.
jours souriant.
Enfin il décida de passer à l'occupation pour laquelle
le téléphone était fait. Pour calme et résolu qu'il était, le coeur
lui cogna un peu à l'idée que dans son téléphone il pouvait faire venir
des gens à son gré. Jusque du bout du monde, avait prétendu le ven-
deur. En l'occurence, comme c'était déjà ici le " bout du monde " , il
ne s'étendait pas guère plus loin, s'arrêtant, d'un côté, à trois milles
environ, avec la dernière hutte du village esquimau, la hutte de Thomas,
et de l'autre côté, à un mille de la rivière, au village des Blancs

Image - 2 -

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établi à proximité et au long de leur piste d'atterissage qui était
leur chemin à eux pour se déplacer.

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Barnabé fit tous ses préparatifs avec le plus grand sérieux.
Il mit ses lunettes, il essuya sur lui-même ses doigts au cas ou ils
auraient été un peu graisseux, il se nettoya les dents avec le bout
de l'ongle. Il était prêt pour mettre son téléphone à l'épreuve.
Il introduisit son doigt le plus commode dans un des trous du cadran,
tourna, recommença avec un autre trou. Il o btint alors un autre bruit
très plaisant aussi et qu'il écouta avec le sourire. Soudain, sans
que rien n'eût laissé prévoir une approche, ni bruit de pas ni rien,
Barnabé entendit clairement à son oreille :
Allo toi.

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En dépit de ce qu'il s'attendait justement à entendre là-dedans
une voix, il fit un petit saut de côté. En même temps, il jeta au-
tour de lui un regard un peu inquiet comme pour s'assurer que la per-
sonne n'était pas entrée en personne dans
la tente. Mais non, elle n'y était que
par la voix. Alors l'Esquimau x rit de tout son coeur, sans le moindre
bruit. Il finit par répondre :
— Allo toi-même.

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Puis s'étant gratté un peu partout, il songea à demander :
[ Qui c'est-y qui est là qui parle ?

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Aussitôt sa question posée, il recommença à se tordre, accrou-
p e tonné au milieu de sa tente. C'est qu'il le savait parfaitement,
lui, qui c'est-y qui était là qui parlait. Ce ne pouvait être que
celui qu'il avait appelé. D'ailleurs il avait reconnu la voix de Tho-
mas, même s'il ne l'avait pas entendue depuis deux ans que durait leur
brouille. Aussi bien ce n'était pas par amitié ni pour lui tendre le
rameau de la paix qu'il sonnait Thomas, mais, celui-ci se trouvant
être au bout de la ligne sur la grève, tout à l'autre extrémité du vil-
lage, c'était pour
s'assurer qu'il était vrai que l'on pouvait par le
téléphone
rejoindre quelqu'un au bout du monde.

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Alors Thomas retourna à Barnabé sa phrase :
— Qui c'est-y qui parle toi-même ?

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Barnabé ne répondit rien. Il entendit la grosse respiration de
Thomas qui ne devait pas savoir à qui il avait affaire et en être jo-
liment agacé. Cela le fit se tordre encore un p a e u. C'était une situa-

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tion dans laquelle il avait toujours voulu se trouver, ayant tous les
avantages de son côté. En fait, tapi dans son silence, à son bout de
la ligne, il se faisait l'effet d'être à la chasse, à l'affût, prêt à
se manifester quand bon lui semblerait. A la longue cependant le si-
lence - ou plutôt la seule respiration à l'autre bout de la ligne -
commença à le lasser. Il perdit brusquement patience et demanda :
— T'es là ?

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Du tac au tac, la voix demanda :
— T'es là toi-même ?

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Cela prit Barnabé tellement au dépourvu qu'il tourna la tête
en tous sens comme pour voir s'il y était en effet. Au désordre
qui l'entourait il n'y avait pas à en douter. Il se reprit à rire
silencieusement de tout le corps.
— Je suis là, dit-il, et, tout e amabilité soudain, comme il avait
vu faire chez les Blancs, il se donna un air pieux et s'informa :
Comment ça va ?

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Même au temps où ils s'adressaient la parole ni l'un ni l'autre
n'aurait songé à se manifester pareil intérêt. D'ailleurs chez les
Esquimaux cela
allait de soi : ou l'on vivait encore et par conséquent
on était assez bien ; ou l'on était mort.

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Barnabé riait tout bas et croyait entendre l'autre dissimuler
à peine une envie de rire derrière sa main.
— Ça va bien , dit enfin Thomas, au bout de plusieurs minutes,
comme s'il avait d'abord eu besoin de retourner longuement la question
et s'assurer
qu'elle ne contenait pas d'attrape. Puis il demanda exac-
tement sur le même ton qu'avait pris Barnabé :
— Comment ça va toi-même... Barnabé ?

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De s'entendre nommer causa une grosse surprise à Barnabé. Un
grand dépit aussi.
— Comment sais-tu que c'est moi qui est là qui parle ?
Hum , ! dit l'autre.

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Puis, tout d'un coup, ils s'entendirent rire l'un l'autre. Cela
manquait de sérieux entre gens qui , hier , ne se seraient même pas
salués. Brusquement ils en revinrent au silence. Un silence étrange,

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- 4 - comme une sorte de jeu de cache-cache - ou d'endurance peut-être -
ou c'est à qui tiendra it le plus longtemps à ne sans rien dire.

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Pour passer le temps, Barnabé fit tomber un pou de son épaisse
frange de cheveux droit dans le couvercle d'une marmite, et s'amusa
un moment à le faire tourner en rond avant de l'écraser sous l'ongle.
Bientôt il s'énerva le premier.
— Qu'est-ce que tu fais? interrogea-t-il.
— Je téléphone, dit Thomas.

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Ils rirent encore un bon coup, en oubliant leurs griefs anciens
et récents.
— Et toi? fit Thomas.
— Je téléphone aussi, répliqua Barnabé.

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Après il ne trouva rien à dire pendant un long moment. Le
téléphone, dès qu'on ne s'en servait plus pour se parler, ce n'était
plus drôle. Il contemplait vaguement, par l'ouverture de sa tente,
le sable doré de la grève et, plus loin, les eaux rapides de la ri-
vière.
— Quel temps fait-il par chez vous ?
— Même temps, répondit Thomas.
— Même temps qu'ici ?
Je sais pas le temps qu'il fait par chez toi, fit Thomas.

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C'était de la mauvaise volonté pure et Barnabé songea de lui
lancer quelque bonne injure.
Comme ça, fit-il, tu t'es laissé attraper, toi aussi par leur
vendeur de téléphone ? ( Au reste, presque tous les Esquimaux de Fort-
Chimo
y avaient passé. ) T'as le téléphone ?

— J'ai le téléphone, fit sèchement Thomas.
Moi aussi, concéda Barnabé.

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Puis il baîlla de fatigue et s' étira les jambes. La conversation
avec Thomas ne l'intéressait plus guère.
C'est assez, dit-il soudainement. Je t'ai assez parlé.
— Moi aussi, dit l'autre avec une promptitude des plus désobli-
geantes. J'étais sur le point de m'en aller à la chasse quand tu
m'as sonné.

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- 5 - — Ah! dit Barnabé, ravi d'avoir tout de même réussi à embêter
un peu Thomas.

— Arrête ton téléphone, le somma alors celui-ci.

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Du coup, Barnabé se sentit piqué au vif.
— Arrête ton téléphone toi-même, s'écria-t-il , . indigné.

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Il ne demandait pourtant qu'à en finir. Mais comment s'y
prendre? Le vendeur lui avait montré comment commencer. Il ne lui
avait pas enseigné comment terminer. La démonstration faite, il
avait tout simplement remis ensemble les deux pièces du téléphone,
disant : — Et voilà : , c'est aussi simple que cela ; , un jeu d'enfant !
A Barnabé cela ne paraissait pas une vraie fin. Il cherchait une
formule, une manière particulièrement appropriée de quitter le télé-
phone,
et ne trouvait pas.
— Je vais te fermer mon téléphone, annonça-t-il.
- C'est ça, dit l'autre, ferme-moi ton téléphone.

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L'en voyant si ravi, Barnabé changea d'idée. La meilleure
manière d'agacer Thomas, c'était encore de le garder au téléphone.
Il attrapa par le manche son poêlon où il se trouvait des restes de
fritures qu'il décolla du bout de l'ongle et mangea distraitement.
Un ennui vague, sans objet précis, l'avait surpris tout à coup.
— T'es encore là? fit-il avec un manque d'intérêt évident.

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C'était difficile de chasser quelqu'un qui n'était pas sur
place. Avec quelqu'un qui était sur place, il n'y avait qu'à lui
faire grise mine. Entre Esquimaux on n'était pas long d'habitude à
comprendre ! Mais avec
quelqu'un qui ne vous voyait même pas la face !
— Va-t'en, dit-il, n'en pouvant plus.

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Alors il entendit l'autre qui semblait rire à se tordre et qui
à la fin parvint à parler :
— Va-t'en toi-même, dit-il doucement.

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Alors les voilà repartis à rire de plus belle de ce qu'il n'y
avait apparemment pas d'issue à ce jeu qu'ils avaient mis en marche.
Mais leur ga [ î ] i eté tomba vite. L'ennui revint.
— Tu iras peut-être à la chasse? fit Barnabé.
— J'y serais, dit Thomas, si j'avais pas été dérangé.

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La réponse réjouit Barnabé, mais pour peu de temps. Il était
pris, quant à
lui d'une irrésistible envie d'aller à la pêche. Toute
cette histoire de téléphoner aux gens tout d'un coup le lassait pro-
fondément. D'ailleurs il en était toujours ainsi avec les inventions
des Blancs. Pendant quelque temps rien n'était plus amusant, puis,
un bon matin, on s'éveillait dégoûté à tout jamais. Il imagina le plaisir
qu'il éprouverait à être plutôt sur la rivière à laisser filer der-
rière lui dans le sillage de sa barque sa longue corde de pêche tout
en regardant au loin la ligne ocre des vieilles montagnes chauves. Il
se décida sur-le-champ. Sans plus, il mit ensemble d'un coup sec les
deux pièces du téléphone. C'était fait : maintenant il était chez lui;
maintenant il avait la paix.

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Il s'en frotta les mains de satisfaction puis se mit en frais de
tirer
hors du fouillis ce qu'il lui fallait pour aller à la pêche.

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Soudain, dans la tente, à trois pas de lui, éclata une sonnerie
à vous crever les oreilles. La première impulsion de Barnabé fut de
détaler en vitesse. Il se ressaisit juste à temps, se rappelant ce
qu'avait dit le vendeur du téléphone :
— avec ça, tu peux sonner chez
les gens ; ils peuvent aussi sonner chez toi.
Donc, ça devait être
quelqu'un qui sonnait ici.

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Avec méfiance encore tout de même, Barnabé s'approcha, un pas
à la fois. Ç a sonnait, ça sonnait, mais on n'avait aucune idée de qui
ça pouvait être qui se permettait de sonner ainsi.

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Barnabé fit le tour entier du téléphone avant de se décider à le
décrocher.
Il fallait pourtant en venir à faire cesser ce bruit-là.
D'ailleurs une vive curiosité tenaillait maintenant Barnabé. Il lui
semblait qu'il ne pourrait plus vivre s'il n'apprenait pas qui c'était
qui le sonnait comme ça. Enfin il ne put tarder davantage.
Mais il
leva l'écouteur tout doucement, doucement, sans aucun bruit, comme

pour surprendre l'autre, tout en restant lui-même caché. Il entendit
néammoins Thomas qui disait :
— Allo Barnabé. Ç a va bien ?

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De dépit, Barnabé en resta longuement sans pouvoir de réplique.
— Comment c'est- [il] y que tu sais que c'est moi ? fit-il à la longue.
Tu ne me vois pas.

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— C'est bien toi, va, dit l'autre.
— Je partais justement pour la pêche, dit Barnabé.
— Ah, comme ça , tu pensais aller à la pêche . !

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L'esprit de Barnabé s'était mis à travailler vite. Son bon
visage carré, tanné et recuit au soleil, s'était couvert de rides en
tous sens comme un quadrillage à travers lequel les yeux troublés
regardaient la vie et les choses. Allons donc, voici qu'il entre-
voyait que cette vieille teigne de Thomas, ayant maintenant découvert
le moyen de l'embêter, n'allait plus s'en priver. Il l'avait dit au
reste : le téléphone, qu'on s'en serve ou qu'on ne s'en serve pas , c'est
le même r p ix. Autant donc l'user.

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Tout d'un coup, cependant, le physionomie de Barnabé se méta-
morphosa de nouveau. Il se reprit à se tordre en silence. Il venait
d'apercevoir la manière de faire payer Thomas. C'était simple : il
n'y avait qu'à lui rendre la pareille : à l'instant même où cette
conversation - qui d'ailleurs n'en était pas une - prendrait fin,
il sonnerait chez Thomas. Ou, mieux encore, il attendrait la nuit
venue. Alors il sonnerait, il sonnerait, et, quand enfin il aurait
tiré Thomas du sommeil, il s'informerait poliment : — Dormais-tu donc,
Thomas?

— A quoi c'est que tu pense ? demanda justement Thomas.

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Ah ça, par exemple ! Barnabé n'était pas pour s'en laisser ar-
racher le secret !

— J'arrête mon téléphone, dit-il, et fit comme il avait dit.

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La chose faite, il s'aperçut savoir maintenant comment se servir
du téléphone. On sonnait le monde quand on voulait, peu importe si le
monde était libre ou non. Quand on avait sa victime au piège, on lui
débitait
ce qu'on avait à débiter. Ensuite on s'en allait à ses af-
faires. On n'avait jamais rien inventé de plus drôle. Barnabé décida
que la pêche pouvait attendre. Auparavant, il allait s'amuser encore
un peu à jouer au téléphone.

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Curieusement, après avoir appelé au plus loin, il eut maintenant
l'idée d'appeler au plus proche. Ce serait donc chez Gertrude. Jus-
qu'ici, pour lui parler, il n'avait eu qu'à passer la tête par l'ou-

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- 8 - verture de sa tente et la héler. Elle habitait juste en face, dans
cette belle grande hutte Quonset - un vrai palais ! - dont elle
avait hérité au départ des troupes qui avaient été ici en garnison par
ici
au temps de la guerre.
Il y avait tout là-dedans: un vrai poêle
avec un tuyau, des vitres aux fenêtres, des rideaux en plastique, même
un réveille-matin. Cela pour réveiller le mari de Gertrude qui tra-
vaillait à l'hotel des Blancs et devait s'y trouver " à l'heure " comme
ils disaient. Des riches et des civilisés, Gertrude et son mari !

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De sa place, dans la tente, Barnabé, en étirant un peu le cou,
pouvait voir la jeune femme occupée présentement à faire sa lessive
au dehors , devant
la hutte. Ses enfants jouaient autour d'elle avec
de jeunes chiens. Elle-même avait l'air de bonne humeur. Elle chan-
tonnait une chanson apprise des gars de l'armée : Roll out the Barrel .
Tout ce temps elle frottait son linge sur sa planche à frotter. A
côté d'elle, par terre, il y avait une de ces grandes boites de savon
en poudre qui, en plus de savon, contiennent une serviette ou un tor-
chon. Gertrude fumait aussi une cigarette
tout en lavant. Il semblait
aussi qu'elle mastiquait de la gomme à mâcher. Si , avec tout ça, elle
n'avait pas les nerfs apaisés, c'est qu'elle ne les aurait jamais tran-
quilles, pensa Barnabé. Il se prit à rire des épaules.

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Il tira le numéro de Gertrude du cahier des abonnés. Il la
sonna. Tout de suite après, il allongea la cou pour la voir, elle,
Elle venait de s'arrêter de frotter, tout en prêtant l'oreille, la
tête un peu tournée du côté de sa maison. D'ailleurs Barnabé s'en-
tendait lui-même sonner chez Gertrude.

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Elle s'égoutta les mains d'un petit coup sec sur le bord de
sa cuvette, se les essuya le long des hanches et partit au trot pour
disparai ^ tre dans la hutte. De la voir trotter comme ça ainsi mit Barnabé
en gaieté. Presque aussitôt il l'entendit, tout essoufflée :
— Allo.
Allo, fit-il lui-même le plus aimablement qu'il put et demanda
avec beaucoup de civilité : Qui c'est-y qui est là qui parle ?

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Il y eut un bref silence, puis à l'oreille de Barnabé éclata un gla-
pissement tel que tous les chiens réunis de Fort-Chimo n'en auraient
pas pu faire entendre de plus criard :

Image - 9 -

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— Je m'en va t'en faire, moi, des qui-c'est-y-qui-est-là-qui-
parle ! Espèce de vieux fainéant ! Allongé toute sa vie par terre à
téléphoner . ! Y a
pas cinq minutes c'était chez Thomas. Y a pas dix
minutes qu'il était ici même, en personne, chez moi, pour m'emprunter encore une
fois une tasse de farine.

Voyons donc, voyons donc, la belle Gertrude, Barnabé essaya-
t-il de la calmer,
mais il n'y avait rien à faire, elle était trop
emportée, elle menaçait de ne plus jamais rien lui prêter.

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Il aurait dû se douter aussi qu'elle n'était pas la personne
avec qui jouer au téléphone, ayant trop longtemps travaillé chez les
Blancs, de qui elle avait maintenant un peu les curieuses manières,
pas plus encline qu'eux à aimer se faire jouer des tours.
Il ne
fallait pourtant pas se la mettre à dos à cause de la farine de temps
à autre, justement, et d'autres petits services aussi quelquefois.
Ainsi, voyant qu'elle avait une si belle mousse abondante, il avait
pensé lui demander d'y passer ses hardes en même temps que ses af-
faires à elle, mais il n'osa plus maintenant, surtout que la lessi-
ve de Gertrude était presque entièrement du blanc bien blanc.

— Tu as une bien belle journée pour laver et faire sécher, dit-
il aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges, espèce de vieux fou, va
voir si tu n'es pas à l'autre bout de la grève. - Puis elle glapit :
Bye bye ,
et ce fut tout, elle n'était plus là.

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Elle était même si peu là que Barnabé, en remontant la guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente, put la voir de retour
à sa lessive et qui frottait et qui mastiquait
avec une vigueur don-
nant à entendre que sa mauvaise humeur était loin d'être épuisée.

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Quelque chose cependant l'avait ravi. C'était le Bye bye . Enfin,
il
connaissait la manière polie de clore un entretien au téléphone.
On criait : Bye bye ; on se sauvait, le tour était joué.
Il eut l'im-
pression qu'il ne pourrait plus jamais se passer du téléphone tellement
il y trouvait en fin de compte d'agrément.
c C 'était loin toutefois , s'il s'y attachait à ce point
d'être pour les raisons évoquées par le vendeur : qu'il s'y attachait,
à savoir que, par exemple,
blessé , ou dangereusement malade, il pourrait

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- 10 - là-dedans appeler au secours . ; a savoir que, advenant une grosse tempête, il pourrait apprendre s'il y avait péril. En pareil cas Barnabé avait comme
I'idée qu'il se soucierait de son téléphone autant que de ses bottes
trouées.

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Il chercha de nouveau dans le cahier des abonnés. Il y en
avait une page pleine. De quoi se tordre longtemps. Quand il en
arriva à déchiffrer le nom de la puissante c C ompagnie de la Baie
d'Hudson, sa joie fut à son comble. Ses yeux en pétillèrent. Cette
c C ompagnie-là,
il y avait assez longtemps qu'elle les forçait à marcher
à travers la toundra vers ses comptoirs, vieux, jeunes, enfants, la
tribu entière, même les nouveaux-nés, si on peut dire , sur le dos de
leur mère, c'était bien son tour d'être un peu dérangée. Il sonna
longuement. La Compagnie ne se pressait pas. On sait bien ! Depuis
le temps que les gens allaient vers elle !

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Tout d'un coup, il entendit une voix polie à sa manière, excédée
pourtant :
— Allo. Ici Nicholson.

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Histoire de partir d'un bon pied, si l'on veut, dans la con-
versation, Barnabé s'informa avec un curieux mélange de sentiments où
la révérence côtoyait l'effronterie la plus nai ¨ ve :
C'est la c C ompagnie ? Elle-même ? En personne ? Elle va bien ?
— Comment ça, en personne ? lui fut-il demandé sur un ton où per-
çait franchement l'irritation.

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Barnabé pensa à l'explication que donnait le pasteur anglican de
Dieu en trois personnes, et il faillit pouffer. Savoir en combien de
personnes la c C ompagnie, elle, se résumait !
— Qui est à l'appareil ? demanda Nicholson avec de moins en moins
de patience.

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Barnabé s'imagina la scène avec plaisir : trois ou quatre Blancs,
deux fois plus d'Esquimaux sans doute, tous entassés comme des mouches
autour du s comptoir en attendant à attendre d'être servis et impatients déjà --
ils l'étaient tous dès qu'ils avaient le pied dans le magasin, Dieu
sait pourquoi, que faisaient-ils ensuite de leur précieux temps ! Or
de les voir s'impatienter devait être dur à supporter pour le gros
Nicholson qui était lui-même de peu d'équanimité.

Image - 11 -

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— Qui est- là ? fit-il encore une fois.

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Et comme justement , Barnabé ne disait mot depuis un assez bon
moment, il s'entendit demander :
— Qui parle ?

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Ce fut plus fort que lui. Il ne put se retenir de faire quel-
ques hi, hi. Puis il se contint.

— Qui parle? redemanda Nicholson, presque menaçant.
— C'est personne, dit Barnabé, voulant peut-être faire entendre
par là qu'il se considérait lui-même de très peu d'importance.
Ou
encore qu'il se désolait quand même un peu , malgré tout, de tout tant dé-
ranger. Au vrai, il ne savait pas ce qui l'avait pris tout d'un
coup et fait agir de la sorte. Peut-être un certain énervement à se
voir avec cet instrument chez lui. Tout d'un coup il se rappela la
manière polie, la formule , pour en finir.
Bye bye , dit gentiment Barnabé, et il raccrocha, ou plutôt, tel
il se représenta à lui-même la chose, il s'enfuit à toutes jambes et
juste à temps.

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Seul dans sa tente, bien tranquille chez lui , à l'abri de tout
le monde, il s'esclaffa. Il avait eu un peu t peur pendant un instant.
Mais apparemment il s'était sauvé au bon moment. Nicholson ne pou-
vait l'avoir reconnu. Cela prenait quelqu'un de fin comme la Gertru-
de, habituée à sa voix, et qui, de plus, n'arrêtait pour ainsi dire
pas de le surveiller c d u coin de l'oeil. C'était là la merveille du
téléphone : on y pouvait impunément braver les gens jusque chez eux.
Ils n'avaient pas de moyen pour savoir qui c'est-y qui-était-là-qui-par-
lait.
Barnabé se tapa allègrement les cuisses. Puis il se reprit à
consulter la liste des abonnés.

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En importance, à Fort-Chimo , tout de suite après la Baie d'Hud-
son venait la Wheeler. Cette c C ompagnie louait des petits hydravions
à des groupes de prospecteurs, de géologues, même à des gens du gou-
vernement qui venaient parfois se rendre compte par eux-mêmes du gen-
re de vie que menaient les Esquimaux. Barnabé sonna là presque aussi
longtemps qu'à la Baie d'Hudson. En attendant qu'on lui réponde, il
regardait aller et venir Gertrude qui mettait maintenant son linge à

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- 12 - sécher sur une corde tendue entre deux piquets. Puis elle alla dé-
verser par terre ce qu'il lui restait d'eau encore un peu mousseuse.
C'était dommage de la perdre, mais Gertrude n'avait pas l'air d'être
assez revenue à la bonne humeur pour passer son eau de lessive à un
bon voisin pour t ant.

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Barnabé avait peut-être oublié qu'il était en train de télé-
phoner, à force d'attendre. Toujours est-il qu'il fit encore une fois
le saut quand il entendit droit dans son oreille.
— Allo.

Allo, dit-il lui-même dès qu'il se fut ressaisi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler ?

— C'est bien ça, lui dit-on gentiment aussi. Que vous faut-il?
— Un avion, dit Barnabé pris de court et ne sachant trop que sol-
liciter d'autre d'une société de navigation aérienne.

— Deux places ? Trois places ?
— Trois peut-être, dit Barnabé.
— C'est pour quand? demanda la Wheeler imperturbable.
— C'est pour tout de suite, fit Barnabé.
— Où voulez-vous donc vous rendre ?

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— « Je ne sais pas », allait répondre Barnabé et se retint juste à
temps.

— Je regrette, continua la Wheeler, mais nous n'avons rien de
disponible d'ici trois semaines. C'est notre saison la plus occupée.
Seriez-vous assez bon pour nous laisser votre vos nom et adresse ? ...

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Pour la première fois depuis qu'il s'était pris au jeu du télé-
phone, Barnabé commença à se demander si on ne riait pas de lui autant
pour le moins qu'il avait ri des autres. Tant de politesse ne lui di-
sait rien qui vaille. Il décida de prendre le parti d'avoir l'air mé-
content, ce qui avec les Blancs amenait généralement de bons effets.
— C'est tout de suite qu'il me faut mon avion, dit-il, et pas
d'histoire !

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Il crut entendre rire au loin et de nouveau on lui demandait :
— Qui parle ?
— C'est moi, dit Barnabé, le front plissé, tout étonné de la tour-

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- 13 - nure que prenait les év é nements.
— Moi ! Qui ça, moi ?

— Un homme, dit Barnabé, ne sachant peut-être trop comment se
présenter sans ruiner toute sa stratégie.

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Puis, en oubliant son bye bye , il mit ensemble les deux pièces
de son téléphone et demeura assis à rire encore un bon coup tout de
même.

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Gertrude qui passait par lâ ` , avait dû s'attarder à écouter, dis-
simulée derrière les hardes qui pendaient de la corde à linge de Bar-
nabé. Elle le menaça:
— Si tu cesses pas de sonner tout le temps comme ça chez les Blancs,
des gens occupés et sérieux, je m'en vais te dénoncer à la p P olice.

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La p P olice ! Parlons-en ! Peut-être qu'en d'autres parties du mon-
de, il y avait lieu de la craindre, de se tenir vis-à-vis d'elle sur
ses gardes. Mais ici ! L'homme Elle était représentée par l'homme le plus serviable, le plus obligeant
du monde, attaché comme pas un à ses Esquimaux qui le lui rendaient
bien d'ailleurs ! Dix fois par jour , ils trouvaient le moyen sous un
prétexte ou un autre d'aller
lui rendre visite, manger son manger, fu-
mer son tabac, regarder ses vieux magazines. Au contraire d'autres pays,
ici, quand on menaçait quelqu'un d'aller chercher la police le policier , c'était
comme si on eût dit : Je m'en vais chercher le Père noël.

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Barnabé rit à s'en décrocher les mâchoires. Tout de même, dans
le fond, il ressentait une petite inquiétude enfin. Surtout il était
enragé contre la Gertrude.
— Va-t'en chez le diable, lui dit-il, et se mit en frais de sonner
maintenant à la Mission catholique.

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Lui, appartenant au rite anglican, relevait du révérend Hugh
Paterson, un homme sévère ; jamais Barnabé n'aurait pu se laisser aller
à lui jouer des tours. D'ailleurs le pasteur était toujours en tour-
née, vire de ce côté-ci, vire de ce côté-là, à la recherche tout le
temps d'homme de gens à convertir, un saint homme, il n'y avait pas à dire !
De son côté, le Père Eugène, lui, était plutôt du genre à rester chez
lui à attendre les hommes dans leurs besoins.
Chacun donc avait sa
manière, la meilleure peut-être toutes les deux, celui-là avec l'Evan-

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- 14 - gile, la parole austère, le cadeau rare, celui-ci avec sa salle de
cinéma, ses cadeaux de vieilles revues et surtout sa salle de loisirs
mise à la portée de tous les hommes, " n'étaient-ils pas frères ? " . ?
Deux hommes de première qualité, cela ne faisait pas de doute ; , comme
l'avait toujours soutenu Barnabé , . i I l n'y avait donc
qu'à suivre l'un...
et prendre ce que l'autre offrait... puisque ça lui faisait tant plai-
sir . à tous ainsi.

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Il y avait un bon moment déjà que cela sonnait chez le Père Eu-
gène et Barnabé en était à se demander si celui-ci aussi n'avait pas
tout d'un coup
pris le goût de la trotte, ce qui aurait été triste tout
de même, un village sans plus personne pour représenter le bon Dieu.
Mais alors il pensa au jardin , et se dit que le Père devait s'y trouver.
Casqué de son | casque contre les moustiques, il pouvait être long à en-
tendre son téléphone. — Sonnons toujours, se dit Barnabé, et il se mit
à songer à ce petit jardin du Père.

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C'était le seul à Fort-Chimo . Il paraît même que c'était le
seul dans tout le pays esquimau. La terre en était venue d'un peu par-
tout, une poignée par ici, une poignée par là. La première poignée de
tout, le Père Eugène l'avait apportée de son village de France . Tout
le monde avait été voir ça, quelque chose de noir, d'inerte, et pour-
tant, selon le Père, toute vie, toute beauté , y étaient contenues en
puissance. Il en était arrivé ensuite deux ou trois sacs pleins par
avion - on peut s'imaginer le prix qu'avait alors atteint le terreau!
Le Père avait fait construire un toit pour protéger son jardin, puis
enfin une sorte de cabane transparente tout autour pour l'enserrer en
entier et le garder contre
les mauvais temps. Finalement il avait fait
installer le chauffage là-dedans. Pour aucune créature vivante jus-
qu'ici on n'en avait fait autant. Tout le monde
maintenant avait pris
de l'intérêt pour le jardin. Quand, au cours de leurs chasses loin-
taines, il arrivait aux Esquimaux de trouver un peu plus de terre en
des creux bien abrités, le long de petits lacs, ils se chargeaient d'en
apporter sur leur dos, soigneusement enveloppée, parmi leurs paquets
indispensables. Ainsi s'était constituée la merveille de Fort-Chimo ,
comme autrefois il y avait eu, à ce que disait le grand l L ivre pieux,

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- 15 - les Jardins suspendus de Babylone ; , chaque chose en son temps . donc ! De
jour
en jour, on allait voir pousser les tomates, les radis, une
laitue.

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Pensant à tout cela , qu'avait accompli par le Père Eugène , et qui va-
lait
bien le miracle de l'eau changée en vin, Barnabé se sentit
quelque peu honteux de ses tours, de ses farces et de cette vie oi-
sive qu'il menait depuis quelque temps. Il eut la velléité d'en
changer tout de suite. Mais à ce moment une ou deux lettres justement retentit à son
oreille une bonne voix cordiale qui le salu â a t sans façon :
— Allo Allo.

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Cette fois encore, Barnabé ne fut pas maitre de ne pas sauter sur ? sursauter,
un peu
tout en jetant vers le seuil de la tente un regard agité.
C'était cette soudaineté d'apparition de la voix, si l'on peut dire,
à laquelle il ne s'habituait pas. Son calme retrouvé, il dit à son
tour: — Allo allo, en tâchant d'y mettre la curieuse désinvolture des
Blancs q ui lui avaient toujours fait l'effet, au téléphone, d'avoir
l'air de ne parler
qu'à du bois. Point beaucoup d'animation. Presque
pas de geste. Le sourire chiche. Il revint vite à sa bonne manière
à lui, affable, chantante et colorée.
— Qui c'est-y donc qui est là qui parle ?

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Rien ne paraissait moins mériter la rebuffade que la bonne face
de Barnabé à l'instant même, ses grosses lèvres ouvertes en un sourire
plein de confiance, les yeux brillants d'amitié. Aussi bien, quand
elle survint , rapide comme un coup de fouet, en fut-il abasourdi à ne
plus savoir quelle contenance prendre.

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Il avait pourtant déjà perçu quelque chose de l'esprit coléreux
du Père, lorsque, par les beaux dimanches d'été, passant à côté de la
petite chapelle catholique dont les fenêtres étaient grandes ouvertes,
il s'était attardé à l'écouter s'en prendre durement à ses paroissiens
pour avoir encore, à son dire, dans leur party de la veille, bu et
agi pis que des païens, c'était là un bel exemple à donner aux Esqui-
maux, ces innocents enfants de la nature, qui , à cause même des mauvais
chrétiens qu'ils avaient sous les yeux, pourraient être entraînés au
mal , et , en ce cas, les mauvais chrétiens en porteraient éternellement ,

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- 16 - devant le Seigneur , la responsabilité .

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Même à Barnabé cela avait paru un peu fort. Mais qu'était-ce
que cette colère du dimanche auprès de ce qu'il attrapait maintenant
lui-même.

— Barnabé de Barnabé . ! Je vais te la faire passer ta démangeaison
du téléphone. Depuis ce matin que les plaintes arrivent de tous côtés:
la Baie d'Hudson, le Bureau d' o O bservations météorologiques , les Affai-
res indiennes, la Ungava Ore... la faculté de g G éologie de l'Université...

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Tout de même ! Barnabé essaya de glisser deux mots pour se sous-
traire au moins à quelques chefs d'accusation. Il commençait à per-
cevoir qu'il était loin d'être le seul à avoir jouer au jeu du télé-
phone. Mais il n'y avait pas à arrêter le Père emporté dans une sorte
de grand " sermon " furieux.
— Un homme de ton âge ! Quelle pitié ! Depuis le temps que tu gar-
des la ligne, sais-tu bien qu'on aurait pu en avoir besoin pour un cas
grave ; un enfant, par exemple, qui serait tombé dans un piège à ours...
Tu devrais avoir honte.

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C'était bien inutilement enfoncer le fer dans la plaie. Barna-
bé avait honte. Même au téléphone il courbait la tête et se faisait
petit. Ce qui l'atterrait cependant, ce n'était pas l'histoire d'un
enfant tombé dans un piège à ours - chose assez invraisemblable -
mais d'avoir été découvert. Cela il ne l'aurait pas cru du téléphone.
Pas plus,
en effet, qu'il ne reconnaissait facilement les Blancs à
leurs voix qui lui paraissaient la même - plate et sans musique , comme,
au reste, leurs faces aussi lui avaient toujours paru identiques -
pas plus n'imaginait-il les Blancs capables d'identifier un Esquimau
à sa voix seulement. Le téléphone avait donc trahi. Il n'y avait aurait
plus jamais à lui accorder confiance après ce coup.

— Te voilà bien avancé, renchérit le Père. Ton argent dépensé, et
qu'as-tu en retour ? Veux-tu que je te le dise ? La servitude. C'est
ça le téléphone. Il sonne : tu accours , ; ou bien, tu n'accours pas,
mais alors tu te ronges les sangs de regret ou de curiosité insatisfaite.

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Barnabé acquiesçait à petits coups de tête tristes, d'un air con-
vaincu. C'était bien ainsi que cela se passait. En fait, personne
plus que lui à l'heure actuelle n'était autant retourné contre le télé-

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- 17 - phone, contre tout, du reste : la Wheeler, la Baie d'Hudson, même la
police , et, s'il fallait aller au fond des choses, contre lui-même
peut-être plus que tout.
Encore un peu, et il mettrait le téléphone
en pièces.
— Attention, dit le Père, comme s'il lisait sans difficulté
dans les pensées de Barnabé. Ne va surtout pas te venger du télé-
phone. Ils te feraient payer les dégâts.

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Comment ! au bout du compte le téléphone n'était même pas à
lui !

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Cela restait toujours la propriété de la c C ompagnie, lui apprit
le Père.

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Celui-ci >Il s'était pourtant considérablement radouci. Il finit par se
montrer du meilleur conseil possible pour le pauvre Barnabé.
Va donc plutôt, mon pauvre vieux, faire un tour sur la rivière. C'est c C ela ,
mieux que tout , qui te changera les idées.

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Justement Barnabé en était à fixer la Kokso o a k qui passait pour
ainsi dire à sa porte. Il la regardait depuis un bon moment sans
trop savoir encore qu'elle l'appelait. Il se rappela le temps tout
autre,
point si éloigné pourtant ,
les Esquimaux vivaient entre eux
dans le vieux Fort-Chimo de l'autre côté de la rivière, paisibles et
presque inconnus du reste de l'humanité. Mais la guerre était surve-
nue quelque part dans le monde et voici qu'en face, sur la rive oppo-
sée de la Kokso o a k , avait surgi un petit poste de l'armée , canadienne,
une sorte
de village des Blancs poussa i n t tout alentour. Un à un, la
plupart des Esquimaux avaient franchi la rivière pour venir, de ce
côté-ci, jouir , comme on disait , des commodités.

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Barnabé ne quittait toujours pas des yeux le flot rapide de la
Kokso o a k . Chez ce bavard, qui l'aurait cru, demeurait intact l'amour
du silence et de la liberté ! Là-bas , sur l'autre rive de la rivière,
étaient
restés quelques rares irréductibles. Barnabé se mit à avoir envie
(le désir?) d'être
de leur nombre. En un instant sa décision fut
prise.
Bye bye , dit-il gentiment à son téléphone. Je m'en retourne.

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Aussitôt dit, presque aussitôt fait. C e ne pouvait être long ;

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- 18 - il laissait sur place les trois-quarts de ses effets, des tas de choses
qu'il accumulait avec l'idée qu'un jour elles pourraient lui être utiles :
des pneux crevés, des bidons vides , des bouts de tuyau. Il revenait à ce
qui avait été longtemps le maximum de ses possessions: sa tente, sa
carabine, ses engins de pêche, de quoi manger et fumer pendant quelques
semaines.

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Il transporta le tout dans son canot canoë . Il s'embarqua. Bientôt
il atteignit le courant. Toutes choses eurent pris dès lors leurs
justes
proportions. Contre l'immense ciel nu et la ligne lointaine des
vieilles montagnes rondes, les petites maisons basses du village esqui-
mau en bordure de la rivière ne se voyaient à peine plus.
Dans l'am-
pleur soudain e découverte du pays, le village des Blancs, situé un peu
plus haut, le long de la piste d'atterrissage, n'avait guère plus
d'importance.

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Barnabé rama encore un bon coup. Au milieu de la rivière, un air
plus fort l'accueilli t . Il prit le temps de le respirer avec un vif sou-
lagement. Un vieux fond de tristesse chez cet être rieur, qui l'avait
poussé à cent folies, que n'étaient pas parvenues à vaincre les meil-
leures distractions, enfin lui était enlevé.

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alinéa [ Peut-être pas pour toujours. Barnabé n'était pas assez simple main-
tenant pour
croire que l'homme sur terre arrive à secouer pour de bon
sa vieille tristesse. Sans quoi inventerai ent t -il s encore tant de cho-
ses drôles, amusantes et même de celles qui sont faites pour réjouir

le regard ? Mais quelque chose était retrouvé que Barnabé avait cru
perdu. Son ancien visage en recouvra une certaine beauté, De même le
sol de son pays aride que l'on pourrait croire de roc seulement. Mais
qu'une pluie survienne, et le voilà qui reverdit !

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Au loin, sur la grève, parmi la ferraille tordue et les détritus
du campement abandonné, le téléphone, déjà à moitié enfoncé dans le
sable, sonnait, sonnait.

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[] [illis.] page 12 8 ième ligne du bas Elle aurait dû les reconnaître pourtant
ces petits lacs bouchés, presque tous
sans communication visible entre
eux, pour avoir elle et Jonathan
errer erré des journées entières, sac
au dos, dans leur dédale, y
cherchant un chemin à sec, contournant
celui-ci, revenant sur leurs pas,
cherchant ailleurs, mais toujours
encore devant eux il y avait creusée dans
le roc encore une autre cuvette
toute pleine d'eau. Et voici que
rien n'avait peut-être maintenant
plus d'attrait pour elle que ce singulier
pays qui lui avait été si dur.

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page 12 Nouvelles esquimaudes 8 ième ligne du bas ou bien : Ces petits lacs bouchés sans communication - etc. ou + ce lac, Elle aurait dû les reconnaître pourtant
ces petits lacs sans communication
visible entre eux, bouchés presque
tous, pour avoir elle et Jonathan,
sac au dos, peiné et erré des
journées entières dans leur dédale, y
cherchant un chemin à sec, contournant
celui-ci, revenant sur leur pas,
cherchant ailleurs, mais toujours,
devant eux, il y avait creusée
dans le roc encore une autre
cuvette toute pleine d'eau. Et
voici que rien n'avait peut-être
maintenant pour elle plus d'attrait
pour elle que ce singulier pays qui lui
avait été si dur.

État 1 - Le téléphone

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Le téléphone

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Assis par terre au milieu de sa
tente qui était dressée dans le sable au
bord
de la rivière Koksoak , Barnabé,
le vieil homme esquimau, leva l'écouteur
de son téléphone. [et] Il écouta dedans, l'air
heureux.
Cela était bien trop vrai,
comme le lui avait dit le vendeur,
que cette chose-là vivait.

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Autour de lui c'était le désordre
familier d'une tente esquimaude, l'été,
quand la nature est aimable et vous
fournit de tout et qu'en plus
on n'est pas
loin d'un bon magasin
où s'approvisionner. En vrac à
même
le sol, il y avait donc une
grande quantité d'objets disparates.
Dans ce qui aurait paru désordre à
d'autres, Barnabé se retrouvait pourtant
le plus aisément du monde, n'ayant
d'habitude qu'à tendre son long bras, là
où il se trouvait, pour attraper
ce qu'il
lui fallait : son couteau pour la
chasse, son poêlon à frire, de quoi
fumer, ses crèpes de la veille, son

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livre de cantiques. Toutefois, à la
place nette faite au téléphone en
plein centre de la tente, tous autres
objets ayant été repoussés contre
les parois, on pouvait voir en
quelle particulière estime Barnabé
tenait cet instrument. A vrai dire, il
avait eu quelques peines à l'obtenir, les
lois de la Compagnie, pour accommo-
dantes qu'elles étaient, stipulant
tout
de même une condition : pour être
abonné il fallait avoir élu domicile.
La question avait donc surgi : une
tente est-elle un domicile ? A quoi
un astucieux cerveau de la au service de
la c C ompagnie avait démontré que oui,
puisque Barnabé, à près de soixante
ans maintenant, n'en avait jamais
eu d'autre, et, avait ajouté cet
homme, si
n'en ayant jamais eu
d'autre, il s'ensuivait que sa tente
à lui était autant son domicile à
lui que son gratte-ciel à la Compagnie.
qui l'habitait de haut en bas.

Image

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Assis par terre au milieu de sa tente
qui était dressée dans le sable , au bord
de la rivière Koksoak , Barnabé, le
vieil homme esquimau, leva l'écouteur
de son téléphone. [et] Il écouta dedans
l'air heureux. Cela était bien vrai comme
le lui l' avait dit le vendeur, que cette chose-là
vivait.

Sync

Autour de lui, c'était le désordre
familier d'une tente esquimaude l'été,
quand la nature et le magasin vous
fournissent d'un peu de tout. Il y
avait donc, en vrac , à même le sol,
une grande quantité d'objets disparates.
Dans ce qui aurait paru désordre
à d'autres, Barnabé se retrouvait pourtant
aisément, n'ayant d'habitude qu'à
tendre la main, là où il se
trouvait assis, pour attraper ce qu'il
lui fallait : son couteau pour aller à
la chasse, son poêlon à frire, de
quoi fumer, ses cre ^ pes de la
veille, son livre de cantiques. Toutefois,
à la place nette faite au téléphone,

Image

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tous les autres objets ayant été repoussés
contre les parois de la tente, on
pouvait voir dans quelle particulière
estime Barnabé tenait cet instrument.
A vrai dire, il avait eu quelque peine une certaine difficulté
à l'obtenir, les lois de la compagnie,
pour accommodantes qu'elles
étaient, stipulant tout de même
une condition : pour être abonné, il
fallait avoir son élu domicile. La
question avait donc surgi : une
tente est-elle un domicile ? A quoi ,
un brillant cerveau de la compagnie
avait conclu démontré que oui,
puisque , Barnabé qui n'en ayant avait
jamais eu d'autre , , à près de soixante
ans maintenant, avait pourtant
toutes ces années-là vécu quelque
part... Donc, il avait droit comme
tout un chacun au Canada à son
téléphone.

Sync

Pour l'instant, l'air toujours attentif
et réjoui, Barnabé se bornait à
écouter avec plaisir le bruit du téléphone
vivant. A la fin, il décida de passer

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Sync

Pour l'instant, l'écouteur à l'oreille, il Barnabé écoutait,
toujours souriant.
Enfin il décida de
passer à l'occupation pour laquelle
le téléphone était fait.
Pour
calme et résolu qu'il était, le coeur

lui cogna un peu à l'idée que dans
son téléphone il pouvait faire
venir
des gens à son gré. Même
Jusque
du bout du monde, avait
prétendu le vendeur. En l'occurence,
comme c'était déjà ici justement le
"bout du monde" il n'allait ne s'étendait pas
beaucoup guère plus loin, s'arrêtant,
d'un côté, avec la dernière hutte
[En] à trois milles environ, avec la
dernière hutte du village esquimau,
la hutte de Thomas, et de l'autre
côté, à un mille de la rivière, au
village des Blancs établi à proximité
et au long de leur piste d'atterissage
qui était leur chemin à eux pour
se déplacer.

Sync

Barnabé fit tous ses préparatifs
avec le plus grand sérieux. Il mit ses
lunettes, il essuya sur lui-même ses

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Sync

doigts au cas où ils auraient été un peu graisseux, il se nettoya même les
dents
avec le bout de l'ongle. Il
était prêt pour mettre son téléphone à
l'épreuve. Il introduisit son doigt le
plus commode dans un des trous du
cadran, tourna, recommença avec
une autre trou.
Il obtint alors un
autre bruit très plaisant aussi
et qu'il écouta avec le sourire.
Tout d'un coup, sans avoir été annoncé
ni préparé par quoi que ce soit, mais comme
si elle venait du ciel, une voix
dit à l'oreille de Barnabé :
— Allo toi.

Sync

Il en faillit perdre la souffle.
Il fit un petit saut

Sync

En dépit de ce qu'il s'attendait bien
à entendre une voix dans le téléphone,
il fit un petit saut de côté. Il
jeta aussi tout autour de lui
un regard pour voir si son
interlocuteur ne serait pas
entré lui en personne dans la
tente. Quand il fut bien sûr

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Sync

(1) Soudain, sans que rien n'en n' eût laissé
prévoir l' une approche, sans ni bruit

de pas ni rien, Barnabé entendit
clairement à son oreille :
allo toi.

Sync

En dépit de ce qu'il s'attendait
justement à entendre là-dedans
une voix, il fit un petit saut de côté.

En même temps, il jeta autour de
lui un regard un peu inquiet comme pour s'assurer
que la personne n'était pas rentrée
aussi dans
la tente. Mais non,
elle n'y
était que par la voix. Alors
l'Esquimau rit de tout son coeur,
sans le moindre bruit. Il
finit par répondre :
— Allo , toi-même.

Sync

Puis, s'étant gratté un peu partout,
il songea à demander :
— Qui c'est-y qui est là qui parle?

Sync

Aussitôt sa question posée, il
recommenca à se tordre, accroupetonné
par terre au milieu
de sa tente. C'est
qu'il le savait parfaitement, lui, qui c'était
c'est-y qui était là qui parlait.

Image Image Image

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(2) qu'il n'y était que par la voix, il
se ra fut rassuré. Il interrogea
alors plaisamment :

— Qui c'est-y qui est là qui
parle ?

Sync

La question posée, il se tordit de
rire, en silence. Il le savait trop
bien qui c'est-y qui était là qui
parlait. Ce ne pouvait être que celui qu'il avait appelé.

Sync

Il se tordit un peu de rire, en
attendant la réponse, accroupetonné
par terre au milieu de la tente. Il
le savait trop bien qui c'est-y qui
était là qui parlait.
X Ce ne pouvait
être que celui qu'il avait appelé.
D'ailleurs
il avait reconnu la voix
de Thomas, même s'il ne l'avait
pas entendue depuis deux ans
que durait
leur brouille. Aussi
bien ce n'était pas par amitié ni
pour lui tendre le rameau de la paix
qu'il sonnait Thomas, mais, celui-ci
se trouvant être au bout de la ligne sur la grève,
tout à l'autre extremité du village, c'était pour

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Sync

s'assurer qu'il était vrai que
l'on pouvait par le téléphone

rejoindre quelqu'un au bout du
monde.

Sync

Alors Thomas retourna à Barnabé
sa phrase:
— Qui c'est-y qui parle toi-même?

Sync

Barnabé ne répondit rien. Il
entendit la grosse respiration de
Thomas qui ne devait pas savoir
à qui il avait affaire et en être
joliment agacé. Cela le fit se
tordre encore un peu. C'était une
situation dans laquelle il avait
toujours voulu se trouver, ayant
tous les avantages de son côté. En
fait, tapi dans son silence, à son
bout de la ligne, il se faisait
l'effet d'être à la chasse, à l'affût,
prêt à se manifester quand bon
lui semblerait. A la longue
cependant le silence - ou plutôt la
seule respiration à l'autre bout de
la ligne - commença à le
lasser. Il perdit brusquement patience

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Sync

et demanda :
— T'es là ?

Sync

Du tac au tac, la voix demanda :
— T'es là toi-même ?

Sync

Cela prit Barnabé tellement au
dépourvu qu'il tourna la tête en
tous sens comme pour voir
s'il était là en effet. Au désordre
qui l'entourait il n'y avait
pas à en douter. Il se reprit à
rire silencieusement de tout le
corps.
— Je suis là, dit-il, et, toute
amabilité soudain, comme il
avait vu faire chez les Blancs,
il se donna un air pieux et
s'informa : Comment ça va ?

Sync

Même au temps où ils
s'adressaient la parole ni l'un
ni l'autre n'aurait jamais songé
à se manifester pareil intérêt. D'ailleurs
chez les Esquimaux, cela
allait de
soi : ou bien l'on vivait encore
et par conséquent on était assez bien ;
ou l'on était mort.

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Sync

Barnabé riait tout bas et
croyait entendre l'autre rire aussi dissimuler
à peine un peu derrière sa main tendue. une envie de rire derrière sa main.

— Ça va bien, dit enfin Thomas,
au bout de plusieurs minutes,
comme s'il avait d'abord eu
besoin de retourner longuement
la question et s'assurer qu'elle
ne contenait pas quelque d' attrape.

Puis il demanda exactement sur
le même ton qu'avait pris Barnabé :

— Comment ça va toi-même...
Barnabé ?

Sync

De s'entendre nommer causa
une grosse surprise à Barnabé.
Un grand dépit aussi.

— Comment sais-tu que c'est
moi qui est là qui parle ?

Hum, dit l'autre.

Sync

Puis, tout d'un coup, ils s'entendirent
rire l'un lautre. Cela manquait
de sérieux entre gens qui, hier, ne
se seraient
même pas salués.
Brusquement ils en revinrent au
silence. Un silence étrange, comme

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Sync

une sorte de jeu de cache-cache -
ou de gageure d'endurance
peut-être -
ou c'est à qui tiendra le plus
longtemps à ne rien dire.

Sync

Pour passer le temps, Barnabé
fit tomber un pou de son épaisse
frange de cheveux droit
dans le
couvercle d'une marmite, et
s'amusa un moment à le faire
tourner en rond avant de
l'écraser sous l'ongle. Bientôt
il s'énerva, le premier.

— Qu'est-ce que tu fais?
interrogea-t-il.

— Je téléphone, dit Thomas.

Sync

Ils rirent encore un bon coup,
en oubliant leurs griefs anciens et
récents.
— Et toi ? fit Thomas
— Je téléphone aussi, répliqua Barnabé.

Sync

Après, il ne trouva rien à dire
pendant un long moment. Le téléphone,
dès qu'on ne s'en servait plus pour
se parler, ce n'était plus drôle. Il
contemplait
vaguement, par l'ouverture

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Sync

de sa tente, le sable doré de la grève
et, plus loin, les eaux rapides
de la rivière.
— Quel temps fait-il par
chez vous ?

— Même temps, répondit Thomas.
— Même temps qu'ici ?
— Je sais pas le temps qu'il fait
par chez toi, fit Thomas , .
de mauva

Sync

C'était de la mauvaise
volonté pure et Barnabé songea de lui
lancer quelque bonne injure.

Comme ça, fit-il, tu t'es
laissé attraper toi aussi par leur
vendeur de téléphone ? (Au reste
presque tous les Esquimaux de
Fort-Chimo y avaient passé.) T'as pris
son téléphone
T'as le téléphone ?

— J'ai le téléphone , fit sèchement
Thomas.
— Moi aussi en convint concéda Barnabé.

Sync

Puis il bâilla de fatigue, et étira
les jambes. La conversation avec
Thomas ne l'intéressait plus guère.
C'est assez, dit-il soudainement.

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Sync

Je t'ai assez parlé. Arrête ton téléphone.
— Moi aussi, dit l'autre avec
une promptitude des plus désobligeantes.
J'étais sur le point de m'en aller à
la chasse quand tu m'as sonné.

— Ah ! dit Barnabé, ravi d'avoir
tout de même quelque peu embêté Thomas
réussi
à embêter un peu Thomas.

— Arrête ton téléphone, le somma
alors celui-ci.

Sync

Du coup Barnabé se sentit
piqué au vif.

— Arrête ton téléphone toi-même,
s'écria-t-il, indigné.

Sync

Il ne demandait pourtant
qu'à en finir. Mais comment s'y
prendre ? Le vendeur lui avait
montré comment commencer. Il
ne lui avait pas enseigné comment
terminer. Il avait tout simplement
La démonstration faite, il avait tout
simplement remis ensemble les
deux pièces du téléphone, disant : Eh Et
voilà : c'est aussi simple que
cela ; un jeu d'enfant !
A Barnabé

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Sync

cela ne parassait pas une vraie
fin. Il cherchait une formule,
une manière de le quitter
particulièrement appropriée au de quitter
le téléphone,
et ne trouvait pas.
— Je vais te fermer mon
téléphone, annonca-t-il.

C'est ça, dit l'autre, ferme-moi
ton téléphone.

Sync

Le bougre, il ne demandait que
cela.
L'en voyant
si ravi, Barnabé
changea d'idée. La meilleure manière
d'agacer Thomas, c'était encore
de le garder au téléphone. Il
attrapa par le manche son poêlon
où il se trouvait des restes de
fritures qu'il décolla du fond
du bout de l'ongle et mangea
distraitement. Un
ennui vague, sans objet précis,
l'avait surpris tout à coup.
— T'es encore là ? fit-il avec
un manque d'intérêt évident.

Sync

C'était difficile de chasser
quelqu'un qui n'était pas
sur place. Avec quelqu'un qui

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était sur place, il n'y avait qu'à lui
faire grise mine. Entre Esquimaux,
on n'était pas long d'habitude à comprendre.
ce genre de langage Mais
avec
quelqu'un qui ne vous
voyait même pas la face !
— Va-t'en, dit-il, n'en pouvant
plus.

Sync

Alors il entendit l'autre qui
semblait rire à se tordre et qui à la
fin parvint à parler :
— Va-t'en toi-même, dit-il
doucement.

Sync

Alors les voilà repartis à
rire de plus belle de ce qu'il n'y
avait apparemment pas d'issue
à ce jeu qu'ils avaient mis en
marche.
Mais leur gaieté tomba
vite.
L'ennui revint.
Tu iras peut-être à la chasse ?
fit Barnabé.

J'y serai, dit Thomas, si j'avais
pas été dérangé.

Sync

La réponse réjouit Barnabé, mais
pour peu de temps. Il était pris, quant à

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lui, du goût d'une irrésistible envie d'aller à la pêche.
Toute cette histoire de téléphoner
aux gens tout d'un coup le lassait
profondément.
D'ailleurs il en
était toujours ainsi avec les
inventions des Blancs. Pendant
quelque temps rien n'était plus
amusant, puis,
un bon matin,
on s'éveillait, dégoûté à jamais.
Il imagina
le plaisir qu'il éprouverait
à être plutôt sur la rivière à laisser
filer derrière lui dans le sillage
de sa barque sa longue ligne corde de
pêche
tout en regardant au loin
la ligne ocre des vieilles
montagnes chauves. Il se
décida sur-le-champs. Sans plus,
il mit ensemble d'un coup sec
les deux pièces du téléphone.
C'était
fait : maintenant il était chez
lui; maintenant il avait la paix.

Sync

Il s e 'en frotta les mains de
satisfaction puis se mit en frais
de tirer
hors du fouillis ce qu'il
lui fallait pour aller à la pêche

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Soudain, dans la tente, à trois
pas de lui, éclata une sonnerie à
vous crever
les oreilles. La
première impulsion de Barnabé
fut de fuir à détaler en vitesse.
Il se resaissit juste à temps, se rappelant
ce qu'avait dit le vendeur du télé-
phone :
— avec ça, tu peux sonner chez
les gens ; ils peuvent aussi sonner
chez toi.
Donc, ça devait être
quelqu'un qui sonnait ici.

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Avec méfiance encore tout de
même, Barnabé s'approcha, un
pas à la fois , de l'appareil . Ça
sonnait, ça sonnait, mais on
n'avait aucune idée de qui ça
pouvait être qui se permettait de
sonner ainsi.

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Barnabé fit le tour entier du
téléphone avant de se décider à le
décrocher. , comme si à force de
l'examiner il y aurait peut-être
moyen de lui arracher une partie de
son secret. Mais
i I l fallait pourtant en venir
à faire cesser ce bruit-là. D'ailleurs

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Sync

une vive curiosité tenaillait mainte
nant Barnabé.
Il lui semblait
qu'il ne pourrait plus vive
vivre s'il n'apprenait pas qui
c'était qui le sonnait comme ça.
A la fin, Enfin il ne put tarder
davantage.
Mais il leva l'écouteur
tout doucement, doucement, sans aucun bruit, comme pour bien
surprendre
l'autre, tout en restant
lui-même caché. Il entendit
néanmoins Thomas qui disait :
Allo Barnabé. Ça va bien?

Sync

De dépit, Barnabé en
resta longuement sans pouvoir de
réplique.

— Comment c'est-il que tu
sais que c'est moi ? fit-il à la
longue. Tu ne me vois pas.

— C'est bien toi, va, dit
l'autre.

— Je partais justement pour la
pêche, dit Barnabé.

— a A h, comme ça, tu pensais
aller à la pêche.

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L'esprit de Barnabé s'était mis
à travailler vite.
Son bon visage
carré, tanné et recuit au soleil,
s'était couvert de rides en tous
sens comme un quadrillage à
travers lequel les yeux troublés
regardaient la vie et les choses.
Allons
donc, voici qu'il entrevoyait
que cette vieille teigne de Thomas,
ayant maintenant découvert
le moyen de l'embêter, n'allait
plus s'en priver. Il l'avait
dit au reste : le téléphone, qu'on
s'en serve ou qu'on s'en serve
pas
, c'est le même prix. Autant
donc l'user.

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Tout d'un coup, cependant, la
physionomie de Barnabé se transforma
métamorphosa
de nouveau. Il se
reprit à se tordre en silence. Il venait
d'apercevoir la manière de faire
payer Thomas.
C'était simple : il
n'y avait qu'à lui rendre la
pareille : à l'instant même où
cette conversation - qui d'ailleurs

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n'en était pas une - prendrait fin,
il sonnerait chez Thomas. Ou
mieux encore, il attendrait la
nuit venue. Alors il sonnerait,
il sonnerait, et, quand enfin , il
aurait tiré Thomas du sommeil,
il s'informerait poliment : — Dormais-
tu donc, un mot [pauvre] Thomas?

— A quoi c'est que tu penses?
demanda justement Thomas.

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Ah ça, par exemple ! , Barnabé
n'était pas pour s'en laisser arracher
le secret une lettre !

— J'arrête mon téléphone, dit-il,
et fit comme il avait dit.

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La chose faite, il s'aperçut
savoir maintenant comment se
servir du téléphone. On sonnait le
monde , quand on le voulait, peu
importe si le monde était libre ou
non. Quand on avait sa victime au
piège, on lui débitait
ce qu'on
avait à débiter. Ensuite on s'en
allait à ses affaires. On n'avait
jamais rien inventé de plus drôle.

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Barnabé décida que la pêche pouvait
attendre. Auparavant, il allait
s'amuser encore un peu à jouer
au téléphone.

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Curieusement, après avoir
appelé au plus loin, il eut
maintenant l'idée d'appeler
au plus proche. Ce serait donc chez Gertrude. Elle h Jusqu'ici,
pour lui parler, il n'avait eu qu'à
passer la tête par l'ouverture de
sa tente et la héler. Elle habitait
juste en face, dans cette belle
grande hutte q Q uonset - un vrai
palais ! - dont elle
avait hérité
au départ des troupes qui avaient
été en garnison par ici au temps
de la guerre. Il y avait de tout

là-dedans : un vrai poêle avec
un tuyau, des vitres aux fenêtres,
des rideaux en plastique, même
un reveille-matin. Cela , c'était pour réveiller le mari de Gertrude ,
qui travaillait à l'hôtel des
Blancs et devait s'y trouver

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" à l'heure " comme ils disaient. Des
riches et des civilisés, Gertrude et
son mari ! Bien entendu, ils av

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De sa place, dans la tente, Barnabé,
en étirant un peu le cou,
pouvait
voir la jeune femme occupée
présentement à faire sa lessive
au dehors, devant
la hutte. Les
enfants jouaient autour d'elle
avec de jeunes chiens. Elle-même
avait l'air de bonne humeur. Elle
chantonnait une chanson
apprise des gars de l'armée : Roll
on the barrel
.
Tout ce temps elle
frottait son linge sur sa planche à
frotter.
A côté d'elle, par terre il
y avait une de ces grandes boîtes
de savon en poudre qui, en plus
du de savon, contiennent une
serviette ou un torchon. Gertrude
fumait aussi une cigarette
tout
en lavant. Il semblait aussi
qu'elle mâchait de la mastiquait
de la gomme à mâcher. Si, avec
tout ça, elle n'avait
pas les nerfs

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apaisés, c'est qu'elle ne les aurait
jamais tranquilles, pensa Barnabé.
Il se prit
à rire des épaules.

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Il tira le numéro de Gertrude
du cahier des abonnés. Il la
sonna.
Tout de suite après, il
allongea le cou pour la voir elle.
Elle venait
de s'arrêter de frotter,
tout en prêtant l'oreille, la tête un
peu tournée du côté de sa maison.
D'ailleurs Barnabé s'entendait
lui-même sonner chez Gertrude.

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Elle s'égoutta les mains d'un
bon petit coup
sec sur le bord de
sa cuvette, se les essuya le
long de ses des hanches
et partit au
trot pour disparaître dans
la hutte. De la voir trotter comme
ça mit Barnabé
en gaieté. Presque
aussitôt il l' entendit, la Gertrude,
tout essoufflée :

Allo.
Allo, fit-il lui-même le
plus aimablement qu'il put et demanda

avec beaucoup de civilité : Qui c'est-y

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— qui est là qui parle ?

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Il y eut un bref silence, puis ,
à l'oreille de Barnabé , un glapisse-
ment tel que tous les chiens
réunis de Fort-chimo n'en auraient
pas pu faire entendre de plus
criard :

Je m'en va t'en faire, moi, des
qui-c'est-y-qui-est-là-qui-parle !
Espèce de vieux fainéant ! Allongé
toute sa vie par terre à
téléphoner. Y a
pas cinq minutes
c'était chez Thomas. Y a pas
dix minutes qu'il était ici même,
chez moi, pour m' emprunter
encore une fois une tasse de farine. Et
je t'avertis : que ça t'arrive plus,
jamais plus t'auras de farine.

Voyons donc, voyons donc, la
essaya de la calmer belle Gertrude,
Barnabé essaya-t-il de la calmer,

mais il n'y avait rien à faire, elle
était trop emportée, elle menaçait de
ne plus jamais rien lui prêter.

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Il aurait dû se douter aussi

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qu'elle n'était pas la personne
avec qui jouer au téléphone, ayant
trop longtemps travaillé chez les
Blancs, de qui elle avait maintenant un
peu les curieuses manières, peu pas plus
enclines qu'eux à aimer se faire jouer
des tours.
Il ne fallait pourtant
pas se la mettre à dos, à cause
de la farine de temps à autre, justement,

et d'autres petits services aussi
quelquefois. Ainsi, voyant qu'elle
avait une si belle mousse
abondante, il avait pensé lui
demander d'y passer ses hardes
en même temps que ses affaires
à elle, mais il n'osa plus maintenant,
surtout que la lessive de
Gertrude était presque entièrement du
blanc bien blanc.

— Tu as une bien belle journée
pour laver et faire sécher, dit-il
aimablement.

— Si c'est pour ça que tu me déranges,
espèce de vieu fou, va voir si tu n'es
pas à l'autre bout de la grève, dit-elle,

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Puis de la grève. -- Puis elle glapit :
Bye bye,
et ce fut tout, elle n'était
plus là !

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Elle était même si peu là que
Barnabé, en remontant la guenille
qui fermait quelque peu l'ouverture de sa tente,
put la voir de retour à sa
lessive et qui frottait et qui
mastiquait
avec une vigueur
donnant à entendre que sa
mauvaise humeur était loin d'être
épuisée.

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Quelque chose cependant
l'avait ravi. C'était le : Bye bye.
Enfin, il la connaissait donc la
manière
polie de clore un entretien
au téléphone. On criait : Bye bye ;
on se sauvait, le tour était joué.
Maintenant il avait l'impression
qu'il ne pourrait plus jamais se
passer de son téléphone tant il y
lui découvrait de plus en plus
d'agrément. Ce n'était point
donc, loin de là, pour les raisons
que lui avait fait entevoir le

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Sync

Il eut l'impression qu'il ne pourrait
plus jamais se passer du téléphone
tellement il y trouvait en fin de
compte d'agrément.
C'était donc
loin toutefois d'être pour les raisons
évoquées par le vendeur qu'il
s'y attachait ; à savoir que, par
exemple,
blessé, dangereusement
malade, il pourrait là-dedans
appeler au secours.
Barnabé
avait comme l'idée qu'en pareil
cas, il se soucierait de son
téléphone autant que de ses bottes
trouées.
En pareil cas Barnabé avait
comme l'idée qu'il se soucierait
de son téléphone autant que de ses
bottes trouées.

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Il chercha de nouveau dans le
cahier des abonnés. Il y en avait une
page pleine. De quoi se tordre longtemps.
Quand il en arriva à déchiffrer le nom
de la puissante compagnie de la Baie
d'Hudson, sa joie fut à son comble.
Ses yeux en pétillèrent. Cette compagnie-là,

il y avait assez longtemps qu'elle les forçait

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à marcher , à travers la toundra , vers
ses comptoirs, vieux, jeunes, enfants,
la tribu entière, même les nouveaux-
nés, si on peut dire, sur le dos de
leur mère, c'était bien son tour
d'être un peu dérangée. Il
sonna longuement. La c C ompagnie
ne se
pressait pas. On sait bien !
Depuis
le temps que les gens allaient vers elle !

Sync

Tout d'un coup, il entendit une
voix polie à sa manière, excédée
pourtant :
— Allo. Ici Nicholson.

Sync

Histoire de partir d'un bon pied,
si l'on veut, dans la conversation,
Barnabé s'informa avec un curieux
mélange de sentiments où la révérence
côtoyait l'effronterie la plus naïve :
C'est la compagnie ? Elle-même ?
En personne ? Elle va bien ?

— Comment ça, en personne ? lui
fut-il demandé sur un ton où
perçait franchement l'irritation.

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Barnabé pensa à l'explication
que donnait le pasteur anglican de

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Dieu en trois personnes et il fallit
faillit pouffer.
Savoir en combien
de personnes la compagnie, elle,
se résumait !
— Qui est à l'appareil ? demanda
Nicholson avec de moins en moins
de patience.

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Barnabé s'imagina la scène
avec plaisir : trois ou quatre Blancs,
deux fois plus d'Esquimaux sans
doute, tous entassés comme des
mouches autour du comptoir en
attendant d'être
servis et impatients
déjà - ils l'étaient tous dès qu'ils
avaient le pied dans le magasin,
Dieu sait pourquoi, car que
faisaient-ils ensuite de si important
de leur précieux temps!
Or de les voir
s'impatienter devait être dur à supporter pour
le gros Nicholson qui était déjà
lui-même de peu d'équanimité.

— Qui est là ? fit-il encore une
fois.

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Et comme justement, Barnabé
ne disait mot depuis un assez bon

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moment, il s'entendit demander :
Qui parl
— Qui parle ?

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Ce fut plus fort que lui. Il
ne put se retenir de faire quelque
hi hi. Puis il se contint.

— Qui parle ? redemanda
Nicholson, presque menaçant.

— C'est personne, dit Barnabé,
voulant peut-être faire entendre
par là qu'il se considérait lui-même
de très peu d'importance , .
Ou encore
qu'il se désolait quand même
un peu malgré tout ,en un
sens,
de tant
déranger. Au
vrai, il ne savait pas ce qui l'avait
pris tout d'un coup et fait
agir
de la sorte. Peut-être un e
sorte
certain
énervement à se
voir avec cet instrument chez lui.
Tout d'un coup il se rappela la
manière polie, la formule, pour
en finir.

Bye bye, dit gentiment Barnabé,
et il raccrocha, ou plutôt, tel il se

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Sync

présenta à lui-même la chose, il
s'enfuit à toutes jambes et juste
à temps.

Sync

Seul, chez lui, bien à l'abri,
assis par terre, il rit de tout à son
goût. Il avait quand même
eu un peu peur pendant un moment.

Sync

Seul dans sa tente, bien tranquille
chez lui, à l'abri de tout le monde, il s'esclaffa.
Il avait eu un peur pendant un moment instant , .
m M ais
apparemment il s'était sauvé
au bon moment. Nicholson ne pouvait
l'avoir reconnu. Cela prenait
quelqu'un de fin comme la Gertrude,
habituée à sa voix, et qui, de plus,
n'arrêtait
pour ainsi dire pas de le
surveiller du coin de l'oeil. C'était
là la merveille du téléphone : on
y
pouvait impunément braver
les gens jusque chez eux. Ils n'avaient
pas de moyen pour savoir qui c'est-y
qui était là qui parlait.
Barnabé
se tapa allègrement les cuisses. Puis
il se reprit à consulter la liste
des abonnés. Tout de suite après

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Sync

la Baie d'Hudson, à Fort-Chimo , venait,
en importance, la Wheeler. En impo

Sync

En importance, à Fort-Chimo ,
tout de suite après la Baie d'Hudson ,
venait la Wheeler. Cette compagnie
prêtait louait des petits hydravions
à des groupes
de prospecteurs, de géologues, même
à des gens du gouvernement
qui venaient parfois se rendre
compte par eux-mêmes du
genre de vie que menaient les
Esquimaux. Barnabé sonna
là presque aussi longtemps
qu'à la Baie d'Hudson. En
attendant qu'on lui réponde, il
regardait aller et venir Gertrude qui
mettait du linge maintenant son linge à sécher sur
une corde tendue entre deux piquets. Puis
elle alla déverser par terre ce qu'il
lui restait d'eau encore un peu
mousseuse. C'était dommage de
la perdre, mais Gertrude n'avait pas
encore l'air d'être assez revenue à la
bonne humeur pour passer son
eau de lessive à un bon voisin pourtant.

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Sync

Barnabé avait peut-être oublié
qu'il était en train de téléphoner, à
force d'attendre. Toujours est-il
qu'il fit encore une fois le saut
quand il entendit droit dans son
oreille.
— Allo.

Allo, reprit-il dit-il lui-même
dès qu'il se fut resaissi, et il demanda
gentiment : C'est la Wheeler ?

— C'est bien ça, lui dit-on
gentiment aussi. Que vous faut-il ?

— Un avion, dit Barnabé pris de
court et ne sachant trop que d'autre
solliciter d'autre d'une société de navigation
aérienne justement.

— Deux places? Trois places?
— Trois peut-être, dit Barnabé.
— C'est pour quand ? demanda la
Wheeler imperturbable.

— C'est pour tout de suite, dit Barnabé.
— Où voulez-vous donc vous rendre ?

Sync

— « Je ne sais pas » , allait répondre
Barnabé et se retint juste à temps.

— Je regrette, continua la Wheeler, mais

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Sync

pour l'instant nous n'avons rien de
disponible d'ici trois semaine.
C'est notre saison la plus occupée.
Seriez-vous assez bon pour nous
laisser votre nom et adresse ? ...

Sync

Pour la première fois depuis qu'il
s'était pris au jeu du téléphone, Barnabé
commença à se demander si on
ne riait pas de lui autant pour le
moins qu'il
avait ri des autres.
Tant de politesse ne lui disait rien
qui vaille. Il décida de prendre
le parti d'avoir l'air mécontent ,
ce qui chez avec les Blancs amenait
généralement de bons effets.
— C'est tout de suite qu'il me
faut mon avion, dit-il, et pas
d'histoire.

Sync

Il crut entendre rire au loin
et de nouveau on lui demandait :
qui par — Qui parle
— Qui parle ?
— C'est moi, dit Barnabé le
front plissé, tout étonné de la tournure
que prenait les évènements.

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Sync

— Moi ! Qui ça, moi?
— Un homme, dit Barnabé,
ne sachant peut-être trop comment
se présenter autrement sans ruiner toute sa
petite stratégie.

Sync

Puis, en oubliant son bye bye ,
il mit ensemble les deux pièces
de son téléphone et demeura
assis
à rire encore un bon coup tout
de même.

Sync

Gertrude qui passait par là,
avait dû
s'attarder à écouter,
dissimulée derrière les hardes qui
pendaient de la corde
à linge de
Barnabé. Elle le menaça :
Si tu cesses pas de sonner
tout le temps comme ça chez les Blancs,
des gens occupés et sérieux, je
m'en vais te dénoncer à la
police.

Sync

La police ! Parlons-en ! Peut-être
qu'en d'autres parties du monde, il
y avait
lieu de la craindre, de
se tenir vis-à-vis d'elle sur
ses gardes. Mais ici ! L'homme le

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Sync

plus serviable, le plus obligeant du
monde, attaché comme pas un à
ses Esquimaux qui le lui rendaient
bien d'ailleurs ! Dix fois par
jours, ils trouvaient le moyen
sous un prétexte ou un autre , d'aller

lui rendre visite, manger son
manger, fumer son tabac,
regarder ses vieux magazines.
Au contraire d'autres pays, sans
doute,
ici, quand on menaçait quelqu'un
d'aller chercher la police, c'était
comme si on eût dit : Je m'en vais
chercher le Père Noël.

Sync

Barnabé rit à s'en décrocher
les mâchoires. Tout de même, dans
le fond, il ressentait une petite
inquiétude enfin. Surtout il
était enragé contre la Gertrude.
— Va-t'en chez le diable, lui dit-il,
et se mit en frais de sonner
maintenant
à la Mission catholique.

Sync

Lui, appartenant au rite anglican,
relevait du révérend Hugh Paterson,
un homme sévère ; ce n'est jamais Barnabé

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Sync

n'aurait pu se laisser aller à lui jouer
des tours. D'ailleurs le pasteur était
toujours en tournée, vire de ce côté-ci,
vire de ce côté-là, à la recherche
tout le temps d'hommes à convertir,
un saint
homme, il n'y avait pas
à dire ! De son côté, le Père Eugène,
lui, [rest] était plutôt du genre
à rester chez lui à attendre les
hommes dans leurs besoins.
Chacun
donc avait sa manière, la meilleure
peut-être dans les deux cas toutes les
deux, celui-là avec l'Évangile,
la
parole austère, le cadeau rare,
celui-ci avec sa salle de cinéma,
ses cadeaux de vieilles revues
et surtout sa salle de loisirs mise
à la portée de tous les hommes, « n'étaient-ils
pas frères ? » Deux hommes
de première
qualité, cela ne faisait pas de
doute; comme l'avait toujours
soutenu Barnabé, il n'y avait donc

qu'à suivre l'un ... et prendre
ce que l'autre offrait... puisque
ça lui faisait tant plaisir.

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Sync

Il y avait un bon moment déjà
que cela sonnait chez le Père
Eugène et Barnabé en était à se
demander s'il si celui-ci aussi
n'avait pas tout d'un coup
pris
le goût de la trotte, ce qui
aurait été triste tout de même, ; un
village sans plus personne de présent
de la part de
pour représenter le bon Dieu.
Mais alors
il pensa au jardin et se dit que
le Père devait s'y trouver. Casqué

de son casque contre les moustiques,
il pouvait être long à entendre
son téléphone. — Sonnons toujours, se
dit Barnabé,
et il se mit à songer

à ce petit jardin du Père.

Sync

C'était le seul à Fort-Chimo .
Il parait même que c'était le seul
dans tout
le pays esquimau. La terre
en était venue d'un peu partout,
une poignée par ici, un poignée par
là. La première poignée de tout, le
Père Eugène
l'avait apportée de son
village de France . Tout le monde avait
été voir ça, la première terre à arriver

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Sync

quelque chose de noir, d'inerte, et
pourtant, selon le Père, toute vie,
toute beauté, y étaient
contenues
en puissance. Il en était arrivé
ensuite deux ou trois sacs pleins
par avion
- on peut s'imaginer
un mot le prix qu'avait dès lors alors
atteint l ce terreau !
Le Père avait
fait construire un e sorte de toit
pour protéger son jardin, puis enfin
une sorte de cabane transparente
tout autour pour l'enserrer en
entier et le garder contre tous le s
mauvais temps.
Finallement Finalement
il avait fait installer le chauffage
là-dedans. Pour aucune créature
vivante jusqu'ici on n' n'en avait
fait autant. Tout le monde

maintenant avait pris de un mot l'intérêt
pour le jardin. Quand, au cours
de leurs chasses lointaines, les il
Esquimaux arrivait
aux Esquimaux
de trouver un peu plus de terre en des
creux bien abrités, le long de petits
lacs, ils se chargeaient d'en apporter

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Sync

sur leur dos, soigneusement enveloppée,
parmi les leurs paquets les plus
indispensables.
Ainsi s'était
constituée la merveille de Fort-
Chimo
, comme
autrefois il
y avait eu, à ce que l'on disait
dans le grand livre pieux,
les
Jardins suspendus
de Babylone.
Chaque chose en son temps. De
jour
en jour, on allait voir
pousser les tomates, les radis,
une laitue.

Sync

Pensant à tout cela, qui
valait bien le miracle accompli
par le Père Eugène, et qui valait

bien le miracle de l'eau
changée en vin, Barnabé se
sentit quelque peu honteux de
ses tours, de ses farces et de cette
vie
oisive qu'il menait depuis
quelque temps. Il eut la velléité
d'en changer tout de suite. Mais
à ce moment justement retentit à
son oreille une bonne voix cordiale
qui le salua i[t] t sans facon :

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— Allo Allo.

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Cette fois encore, Barnabé ne
fut pas maître de ne pas sauter
un peu,
tout en jetant vers le
seuil de la tente un regard agité.
C'était cette soudaineté d'apparition
de la voix, si l'on peut dire,
à laquelle il ne s'habituait
pas. Son calme retrouvé, il dit
à son tour : — Allo Allo, en tâchant
d'y mettre la curieuse désinvolture
des Blancs qui lui avaient toujours
paru à Barnabé fait l'effet,
à Barnabé d'avoir l'air, au téléphone,
d'avoir l'air de ne parler
qu'à du
bois. Point beaucoup d'animation.
Presque pas de geste. Le sourire chiche.
Il revint plutôt vite à sa bonne
manière à lui, affable, chantante
et colorée.
— Qui c'est-y donc qui est là
qui parle ?

Sync

Rien ne paraissait moins
mériter la rebuffade que la bonne
face de Barnabé à l'instant même,

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Sync

ses grosses lèvres ouvertes en un sourire
plein de confiance, les yeux
brillants de plaisir d'amitié . Aussi
bien, quand elle survint rapide
comme un coup de fouet, en
fut-il abasourdi à ne plus
savoir même quelle contenance
deux lettres prendre , . même au téléphone,

Sync

Il avait déjà pourtant déjà
perçu quelque chose de l'esprit
coléreux du Père, lorsque, par
les beaux dimanches d'été, passant
à côté de la petite chapelle
catholique dont les fenêtres étaient
grandes ouvertes, il s'était attardé
à l'écouter s'en prendre durement
à ses paroissiens pour avoir
encore, à son dire, dans leur
party de la veille, bu et
agi pis que des païens, c'était
là un bel exemple
à donner
aux Esquimaux, ces innocents
enfants de la nature, qui
à cause
même des mauvais
chrétiens qu'ils avaient sous les

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Sync

yeux, pourraient être entraînés au
mal, et, en ce cas, ils les mauvais chrétiens en porteraient
éternellement devant le Seigneur,
la responsabilité.

Sync

Même à Barnabé cela avait
paru un peu fort. Mais qu'était-
ce que cette colère du dimanche
contre auprès ce qu'il attrapait maintenant
lui-même.

— Barnabé de Barnabé. Je vais
te la faire passer ta démengeaison

du téléphone. Depuis ce matin que
les plaintes arrivent de tous côtés:
la Baie d'Hudson, le Bureau d'obser-
vations métérologue météorologique
, les
Affaires indiennes, la Ungava Ore...
la faculté de géologie de l'Université...

Sync

Tout de même ! Barnabé essaya
de glisser deux mots pour se
laver d'une partie de ces accusations
soustraire au moins à quelques
chefs d'accusation. Il commençait à percevoir qu'il était
loin d'être le seul à avoir jouer
au jeu du téléphone.
Mais il n'y
avait pas à arrêter le Père emporté

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dans un torrent de reproches. une sorte de " sermon " .
— Un homme de ton âge !
Devenu aussi fou subitement !
Depuis le temps que tu gardes la
ligne, sais-tu bien qu'on aurait
pu en avoir besoin pour un
cas grave ; un enfant, par
exemple, qui un mot serait tombé
dans un piège à ours... Tu
devrais avoir honte...

Sync

C'était inutilement enfoncer
le fer dans la plaie. Même
au bout de son fil de téléphone,
Barnabé courbait le front.
Ce qui l'atterrait le plus cependant,
c'était d'avoir été découvert,
reconnu, pincé jusque chez
lui. Cela, il ne l'aurait pas
cru du téléphone. Pas plus qu'il
ne reconnaissait les Blancs à
leurs voix qui lui paraissaient
la même - plate et sans musique,
comme leur s face aussi d'ailleurs lui
qui lui paraissaient avaient toujours paru
identiques - pas
plus n'imaginait-il les Blancs

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Sync

dans une sorte de grand " sermon "
furieux.
— Un homme de ton âge ! Quelle
pitié ! Depuis le temps que tu gardes
la ligne,
sais-tu bien qu'on aurait
pu en avoir besoin pour un cas
grave ; un enfant, par exemple,
qui serait tombé dans un piège
à ours... Tu devrais avoir honte.

Sync

C'était bien inutilement
enfoncer le fer dans la plaie. Barnabé
avait honte .
Même au téléphone
il courbait la tête et se faisait
petit. Ce qui l'atterrait cependant,
le plus ce n'était
pas l'histoire
d'un enfant tombé dans un piège
à ours - chose assez invraisemblable -
mais d'avoir
été découvert.
Cela il ne l'aurait pas cru du
téléphone . ; une trahison pareille. Pas
plus,
en effet, qu'il ne reconnaissait facilement les Blancs à leurs voix qui lui
paraissaient la même - plate et
sans musique, comme, au reste,
leurs faces aussi lui avaient toujours

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Sync

paru identiques - pas plus
n'imaginait-il les Blancs capables
d'identifier un Esquimau à sa
voix seulement. Voilà donc
que cela enlevait beaucoup
pour lui au téléphone. Excessif
dans ses revirements, il
se sentit, à cette heure, dégouté
de tout ; le téléphone, la Police,
la baie d'Hudson, la Wheeler,
lui-même sans doute.
— Te voilà bien avancée ! le
poursuivit le Père. Pris au
piège du téléphone toi aussi ! Ton argent
dépensé, et qu'est-ce qui te reste ?
Veux-tu que je te le dise ? La
servitude. C'est cela, le téléphone.
Il sonne: tu accours. Ou
bien, tu n'accours pas, mais
en ce cas, tu en as pour des heures
à te ronger les sangs et te demander
qui a bien pu t'appeler.

Sync

Barnabé ne pouvait pas être
plus d'accord.

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Sync

paru identiques - pas plus n'imaginait-il
les Blancs
capables d e 'identifier un
Esquimau à sa voix seulement. Le
téléphone avait donc trahi. Il n'y
avait plus jamais à lui accorder
confiance après un mot ce coup.

— Te voilà bien avancé, renchérit
le Père. Ton argent dépensé, et qu'as-
tu en retour ? Veux-tu que je te
le dise ? La servitude. C'est ça, le
téléphone. Il sonne : tu accours,
ou bien,
tu n'accours pas,
mais alors tu te ronges les
sangs de regret ou de curiosité
insatisfaite.

Sync

Barnabé acquiesçait à petits
coups de tête tristes, d'un air
convaincu.
C'était bien ainsi
que cela se passait. En fait,
personne plus que lui à l'heure
actuelle n'était autant retourné
contre le téléphone, contre tout, du
reste : la Wheeler, la Baie d'Hudson,
même la Police, et, s'il fallait
aller au fond des choses, un mot

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Sync

tout, contre lui-même peut-être plus que tout .
Encore un peu, et il mettait mettrait donc
le téléphone
en pièces.
— Attention, dit le Père, comme
s'il lisait sans difficultés dans
les pensées de Barnabé. Ne va
surtout pas te venger du
téléphone. Ils te feraient payer
les dégâts.

Sync

Comment ! Au bout du
compte le téléphone n'était même
pas à lui !

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Cela restait toujours la
propriété de la société compagnie,

lui apprit le Père.

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Celui-ci Il s'était considérablement
radouci. depuis son départ en tonnerre.

Il finit par se montrer du meilleur
un mot [effet] conseil possible sur le pauvre Barnabé pour le pauvre Barnabé .

Allons mon vieux. Va plutôt,
mon vieux, faire un tour
sur la rivière.
C'est cela mieux que tout qui un
te remettra changera les idées . en place.

Sync

Justement Barnabé en était
à fixer la Koksoak qui passait

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pour ainsi à sa porte. Il la
regardait passer depuis
un bon
moment sans trop savoir encore
qu'elle l'appelait. Il se rappela
le temps tout autre, point si
éloigné pourtant, où
les Esquimaux
vivaient entre eux dans le vieux
Fort-Chimo de l'autre
côté de
la rivière, paisible et presque
inconnu du reste de l'humanité.
Mais la guerre était survenue
quelque part dans le monde
et ici même, voici que ' , en face, sur

la rive opposée de la Koksoak ,
avait surgi un petit poste de
l'armée canadienne, une sorte

de village des Blancs poussait
tout alentour. Un à un, la
plupart des Esquimaux avaient
alors franchi la rivière pour
venir, de ce côté-ci, jouir,

comme on disait, des commodités.

Sync

Barnabé ne quittait toujours pas
des yeux le flot rapide de la
Koksoak .
Chez ce bavard, qui

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Sync

l'aurait cru, demeurait intact
l'amour du silence et de
la liberté. Là-bas , sur
l'autre rive de la rivière, étaient
restés quelques rares
irréductibles. Barnabé se
mit à avoir d'être de leur
nombre.
En un instant sa
décision fut prise.
Bye bye , dit-il gentiment
à son téléphone. Je m'en retourne.

Sync

Aussitôt dit, presque
aussitôt fait. Ce ne pouvait
être long ; il laissait sur place
les trois-quarts de ses effets,
des tas de choses qu'il accumulait
avec l'idée qu'un jour elles
pourraient lui être utiles: des
pneus crevés, des bidons, des
bouts
de tuyau. Il revenait
à ce qui avait été longtemps
le maximum de ses possessions :
sa tente, sa carabine, ses engins de
pêche, de quoi manger et
fumer pendant quelques semaines.

Image

Sync

Il porta transporta le tout dans son canot.
Il s'embarqua. Il gagna le
courant.
Bientôt
il atteignit le
courant. Toutes choses eurent
[] [illis.] pris dès lors leurs justes

proportions. Contre l'immense
ciel nu et la ligne lointaine
des vieilles montagnes rondes,
les petites maisons basses du
village esquimau en bordure
de la rivière se voyaient à peine
plus. Et bien sur, d D ans l'ampleur

soudain découverte du pays,
le village des Blancs, situé un
peu plus haut, le long de la
piste d'atterrissage, n'avait
guère plus d'importance.

Sync

Barnabé rama encore un
bon coup. Au milieu de la rivière,
un air plus fort l'accueillit. Il
prit le temps de [le] respirer avec un
bonheur vif soulagement.
Un vieux fond de
tristesse chez cet être rieur, qui
l'avait poussé à cent folies,
que n'étaient pas parvenues

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Sync

à vaincre les meilleures distractions,
enfin lui était enlevé.
Peut-être pas pour toujours.
Barnabé n'était pas assez
simple maintenant pour
croire
que l'homme sur terre
arrive à secouer pour de bon
sa vieille tristesse. Sans
quoi inventeraient-ils encore
tant de choses drôles, amusantes
et même de celle qui sont
faites pour réjouir
le regard?
Mais quelque chose était
retrouvé que Barnabé avait
cru perdu. Son ancien visage
en recouvra une certaine
beauté. De même le sol
de son pays aride que l'on
pourrait croire de roc seulement.
Mais qu'une pluie survienne,
et le voilà qui reverdit !

Sync

Au loin, sur la grève, parmi
la ferraille tordue et les
détritus du campement abandonné,
le téléphone, déjà à moitié enfoncé

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dans le sable, sonnait, sonnait.

Image Image

Légende

Correspondance Sync lorem ipsum dolor
Variante lorem ipsum dolor V
Ajout en interligne lorem ipsum dolor
Ajout en surchage, en haut de l'ensemble du texte lorem ipsum dolor
Ajout en surchage, en bas de l'ensemble du texte lorem ipsum dolor
Ajout au crayon à la mine lorem ipsum dolor
Ajout au stylo bleu lorem ipsum dolor
Ajout avec un autre stylo bleu lorem ipsum dolor
Ajout avec un stylo noir lorem ipsum dolor
Ajout d'un accent lorem ipsum dolor
Ajout en marge de gauche lorem ipsum dolor
Ajout en marge de droite lorem ipsum dolor
Ajout en marge du haut lorem ipsum dolor
Ajout en marge du bas lorem ipsum dolor
Retrace par dessus une lettre lorem ipsum dolor
Suppression déchiffrable lorem ipsum dolor
Suppression indéchiffrable lorem ipsum dolor
Suppression d'un élément en marge lorem ipsum dolor
Suppression de tout le paragraphe lorem ipsum dolor
Effacé lorem ipsum dolor
Raturé ou biffé lorem ipsum dolor
Suppression réécrite lorem ipsum dolor
Réécrit sur la même ligne lorem ipsum dolor
Transcription confecturée lorem ipsum dolor
Mot ou passage illisible lorem [] dolor
Inversion lorem ipsum dolor
Dialogue lorem ipsum dolor
Passage souligné lorem ipsum dolor
Passage encerclé lorem ipsum dolor
Personnes citées lorem ipsum dolor
Lieux cités lorem ipsum dolor
Thèmes lorem ipsum dolor
Oeuvres de Gabrielle Roy lorem ipsum dolor
Autres oeuvres citées lorem ipsum dolor