Lire l’œuvre de fiction de Gabrielle Roy entraîne le lecteur, qu’il soit néophyte ou spécialiste, à s’interroger sur la notion de déplacement. Coincés au sein d’un univers de tensions et de crises, plusieurs personnages mis en scène par l’auteure, fuyant les obligations de la vie en société ou explorant les mystères de l’existence, cherchent visiblement, par l’entremise du mouvement constant qui les anime, à donner un sens à leur présent. Ces personnages se déplacent vers un ailleurs peu défini, presque toujours situé à « l’autre bout du monde », lieu qui semble fardé de l’attrait d’un mirage. S’agit-il pour eux de se lancer dans une entreprise de conquête d’un espace sacré ? Désirent-ils se mettre au diapason du temps ou, au contraire, se soustraire à la morsure de celui-ci ? Luzina Tousignant, Pierre Cadorai, le capucin de Toutes-Aides et plusieurs autres « passants » revêtent les atours de véritables Hermès qui, conditionnés au mouvement, recherchent une liberté que, paradoxalement, seule leur procurera l’immobilité sise au sein d’un paradis créé à la mesure de leurs ambitions.

Cette passion pour les périples ne représente pas simplement l’un des thèmes les plus fréquemment rencontrés dans l’œuvre de Roy ; elle en vient à structurer ses romans principaux. C’est dire à quel point voyage, mouvement, déplacements de tout acabit occupent une place prégnante dans la pensée de Gabrielle Roy. Il s’agira ici, par la mise en place d’une courte analyse de type mythocritique, de repérer les phases de l’avancée difficile opérée par les passants et de montrer comment l’écrivaine tisse, principalement dans ses romans La Petite Poule d’Eau et La Montagne secrète, les prémisses d’une recherche d’harmonie dont les fondements recèlent des implications d’ordre mythique. Les personnages en mouvement sont-ils en quête d’un Ailleurs qui puisse leur procurer un sentiment de paix ou, semblables à un Hermès accomplissant une mission au nom de divinités toutes-puissantes, ne tentent-ils pas plutôt d’agir sur le monde extérieur dans le but d’en altérer la conformation ? La teneur des images créées par Gabrielle Roy, véritables variations sur le thème du déplacement, devrait dévoiler quelques impulsions qui habitent l’imaginaire québécois à un moment précis du XXe siècle.

 

Passants en route vers l’Ailleurs

 

Parler de l’importance du voyage dans l’œuvre de Gabrielle Roy est devenu un lieu commun de la critique, les récits de l’auteure étant presque tous marqués par ce thème. Pour ne prendre qu’un exemple, Marc Gagné, il y a déjà plus de trente ans, affirmait :

 

Il n’est aucun ouvrage de Gabrielle Roy qui, en plus des multiples allées et venues circonscrites dans un rayon assez étroit, ne fasse place, au cours de son déroulement, à un long voyage. […] Pour mesurer l’importance [des déplacements], qu’on tente d’imaginer la trame des romans en faisant abstraction d’eux. Bonheur d’occasion et Alexandre Chenevert se rompent à leur charnière. La Petite Poule d’Eau et La Montagne secrète cessent d’exister. Les Satellites et Le fauteuil roulant sont annihilés. Le roman La Rivière sans repos est presque détruit.[1]

 

Voyage et mouvement se rencontrent dans pratiquement toutes les œuvres écrites par Roy. Dans La Petite Poule d’Eau comme dans La Montagne secrète ― mais on pourrait aussi considérer Cet été qui chantait tout autant que La Route d’Altamont ―, les personnages bougent continuellement, parce qu’ils trouvent dans le mouvement l’assurance qu’ils sont. D’ailleurs, les passants abondent dans l’œuvre de Roy. Les voyageurs (de longue ou de courte distance) paraissent entraînés par un élan qui les pousse vers l’Ailleurs, témoin Luzina Tousignant dans La Petite Poule d’Eau, jeune femme qui, chaque année, quitte son coin de pays pour accomplir un périple à Sainte-Rose-du-Lac. Si sont racontés en long et en large les voyages d’aller et de retour et explicités avec force détails les aléas du déplacement, rien n’est toutefois dit du temps passé par le personnage à Sainte-Rose-du-Lac ¾ c’est à croire que le but du voyage n’a pas une grande importance (ce que semble prouver l’ellipse presque complète du passage dans l’Ailleurs), ou que le mouvement, qui seul compte, prime l’arrêt prenant place au bout du trajet. La vie de la Petite Poule d’Eau est du reste dynamisée dans son ensemble par le rythme que procure aux êtres le mouvement : la « procession continue de nuages[2] » (PP, 96), les moutons qui « émigrent » (PP, 96) régulièrement, le « grand voyage de confiance » (PP, 109) qu’accomplissent chaque année les oiseaux en provenance de Floride, le vent qui met « une vélocité insensée à parcourir tant de plaines glacées » (PP, 147) figurent autant d’éléments de la nature qui trouvent dans le mouvement leur finalité. Les êtres humains demeurent pour leur part affectés par « l’ancienne maladie déposée dans la maison par mademoiselle Côté » (PP, 137), grande voyageuse s’il en fut : le désir de déplacement, toujours et encore, fait des victimes. D’où provient cette envie de bouger ? Les enfants Tousignant ont apparemment hérité de gènes les prédisposant aux plaisirs du voyage : « Avant de venir au monde, les enfants de Luzina connaissaient toutes sortes de transes, de moyens de locomotion et, finalement, cette dernière étape en chemin de fer qui, avec ses coups de sifflet, le martèlement des rails, semblait particulièrement les agiter. » (PP, 143) Sans la possibilité de mouvement qui accompagne leur vie dans son ensemble, les habitants de la Petite Poule d’Eau souffriraient littéralement de l’immobilité à laquelle ils se trouveraient dès lors confinés.

Pierre Cadorai, personnage principal de La Montagne secrète, se voit pour sa part engagé dans une entreprise d’immobilisation de la réalité. Son occupation de peintre le force à fixer monde et mouvement sur les dessins qu’il griffonne. La vie en constante expansion, Cadorai paraît vouloir la condenser en un microcosme qui en réduit la portée et l’avancée. Pourtant, son œuvre donne un élan nouveau à l’existence, elle imprime en la réalité qui entoure le peintre un mouvement neuf. Ainsi le dessin que Cadorai offre à un compagnon de passage permet-il à ce dernier de parcourir en un instant l’entièreté de son existence :

 

Il [le compagnon] n’en revenait pas. Il y avait là un sortilège. Car voici : un étranger était survenu, sans bagage, pour ainsi dire sans nom : Pierre, c’est tout. Il s’était assis un moment, avait écouté Gédéon, prenant quelques notes ; et, à présent, tout était sur un bout de papier grand comme la main […]. (MS, 19)

 

Le sens de la vie résiderait-il dans ce passage rapide d’une condition à une autre, avec entre les deux extrémités une expérience qui, peut-être, sert à montrer à autrui qu’il est possible de saisir momentanément l’instant fugace ? L’individu, comprenant les implications funestes du voyage entrepris malgré lui lors de son arrivée en ce monde ¾ sa destination ultime le confrontant à sa propre fin ¾, peut-il espérer goûter quelque sentiment de paix avant que tout ne soit fini ?

 

L’hermès royen

      

Comment expliquer la récurrence de cette figure de passant dans l’œuvre et la pensée de Gabrielle Roy ? Serait-on justifié de recourir à la notion de complexe hermaïque ? Car, sur un plan archétypal, ces figures de voyageurs ne sont pas sans reconduire à une divinité gréco-romaine à la stature telle qu’elle a été récupérée et systématisée dans les littératures de plusieurs cultures : Hermès[3]. Un Hermès qualifié au premier chef par le mouvement constant qui l’anime. Eugène Roberto écrit à ce propos : « [Hermès] est un migrant-né. Dès le jour de sa naissance, il montre qu’il est doué pour le mouvement et le déplacement dans l’espace[4]. » S’il est un mythème qui doive caractériser Hermès, nul doute qu’il s’agit du mouvement : Hermès apparaît comme le « God of journey[5] » par excellence, estime Karl Kerényi. Il incarne le héraut des dieux de l’Olympe, le « guide des voyageurs, exerçant son pouvoir souverain sur les routes[6] », bref, ses déplacements finissent par le transformer en la divinité du négoce et du commerce. Hermès constitue dans cette optique un entre-deux, un moment situé entre un passé fixé et un futur hypothétique, fluide. Il manifeste par ses allées et venues une pensée dialectique :

 

Il avance des propositions qui contiennent à la fois la négation et l’affirmation d’une même chose. Il établit ainsi un rapport qui n’est pas si simple ni fixe dans l’arrangement de deux contraires, et fait apparaître un autre terme qui les dépasse dans la métamorphose du discours, de la pensée et de l’action. [7]

 

La transformation de l’être : voilà à quoi est destiné l’individu qui se range sous l’égide d’Hermès et s’en fait un modèle. Hermès se veut un médiateur, il « permet les échanges et balise la mobilité des déplacements[8] ». Il incite à la réunion des contraires, à la quête de l’unité. Par extension, il en viendra à être considéré comme une divinité psychopompe, c’est-à-dire qu’il a pour fonction de guider l’âme des morts aux Enfers, donc d’assurer le passage entre la vie et la mort dont il maîtrise les mystères, lui qui gravite entre les deux états tout en facilitant leur réconciliation. Sa qualité de guide le rend susceptible de servir de point de jonction entre les extrêmes[9]. Pas surprenant que Gilbert Durand ait choisi de l’élire comme représentant des structures synthétiques de l’imaginaire, dont le schème principal consiste à relier.

Figure en mouvement, donc, personnage suscitant la métamorphose, servant de tuteur à ses pairs dans leur quête d’acquisition de la connaissance : à la lecture des œuvres de Gabrielle Roy, l’image frappe. Les passants foisonnent chez Roy, on vient de le voir, personnages qui ne vivent pas pour eux-mêmes, migrants-nés tantôt déterminés à accéder à un lieu où ils savent pouvoir atteindre à une certaine forme d’unité, tantôt engagés dans un processus de transition devant les conduire à enseigner leur savoir. Des trois mythèmes qui, selon Gilbert Durand, caractérisent Hermès (les rôles de médiateur et de psychagogue ainsi que la puissance de l’infime), au moins les deux premiers se rencontrent constamment dans les romans de Roy. Parfois l’Hermès royen est un simple personnage secondaire qui, par son action incitative, exhorte le personnage principal à le suivre dans son équipée. Nick Sluzick, dans La Petite Poule d’Eau, en constitue un exemple : facteur de métier, Sluzick d’une part sert de moyen de communication entre les lieux et les gens, d’autre part offre à ces derniers de participer au mouvement à ses côtés. Luzina Tousignant l’accompagne une fois par année dans ses randonnées et elle devient à sa façon un moyen de médiation entre les habitants : quand elle revient au foyer familial, c’est pour partager avec les membres de la famille le fruit de ses pérégrinations à Sainte-Rose-du-Lac ¾ sous forme d’un nouveau-(migrant-)né. Nul besoin, d’ailleurs, de s’éloigner de la Petite Poule d’Eau pour se sentir sous l’influence d’Hermès : les maîtresses et maîtres d’école s’y succèdent, une ou un différent à chaque année, personnage de passage qui partage la connaissance sans toutefois élire domicile dans ce lieu retiré. À la Petite Poule d’Eau, remarque Monique Genuist, on « accueille à bras ouverts tout humain qui se risque sur [l’île][10] », conscient du rôle d’éducateur que celui-ci jouera indubitablement.

Procédons maintenant de manière plus systématique et examinons le cas du père Joseph-Marie, capucin de Toutes-Aides, habile communicateur « connaissant presque toutes les langues, fort en latin, un grand voyageur qui avait tout vu » (PP, 234). Le père Joseph-Marie transporte dans ses bagages non seulement la foi, mais des trésors de connaissance qui enthousiasment les Tousignant (sans parler des nouvelles : les Tousignant n’en sauraient que peu sur ce qui se passe dans le monde sans le capucin). Toujours empressé de jouer de bons tours aux habitants[11], le père Joseph-Marie se présente sous le jour d’un parfait Hermès, lui qui finit par ajouter à son occupation de guide la spécialité peu commune parmi ses pairs ecclésiastiques de négociant de fourrures (PP, 201). Les rôles de médiateur et de psychagogue se reconnaissent sans difficulté chez le père Joseph-Marie. En tant que médiateur, l’Hermès décrit par Gilbert Durand se spécifie par quatre critères : l’intermédiaire, l’échange, le voleur, l’harmonie. Le père Joseph-Marie a tout de l’intermédiaire : il s’occupe par exemple d’échanger les peaux lui ayant été confiées par les trappeurs métis contre de l’argent bien sonnant, procédant de ce fait à des échanges parfois quelque peu tendancieux. Voleur, le capucin ? Probablement serait-il exagéré de le prétendre. Cela dit, n’a-t-il pas l’intention, lors de ses escapades à la ville, de soutirer aux profiteurs de ce monde leurs richesses ? Cette action créera en retour une certaine harmonie : Robin des Bois des temps nouveaux, il redistribue les biens des riches, corrigeant par là les inégalités observées. François Ricard a vu en lui un « infatigable créateur de liens (“l’homme de la réconciliation universelle”, dit Jacques Allard), dont les courses à travers le pays établissent entre les habitants, telle une parenté, un vaste réseau d’entente[12]». Le capucin se trouve en effet au centre d’une toile d’échanges créateurs d’harmonie. Quant aux fonctions du psychagogue, en l’occurrence le guide, l’initiateur et le civilisateur, on peut tout autant les retrouver chez le père : son rôle de capucin en fait un guide aux yeux de ses ouailles ― lesquelles le considèrent au demeurant comme une figure directrice fiable ―, mais aussi et surtout un maître d’initiation. Il concrétise à vrai dire la situation propice à l’initiation repérée par Guy Lecomte dans le caractère de microcosme de la Petite Poule d’Eau[13]. La personne du capucin est marquée par une unité intérieure qui se répercute sans difficulté sur ceux qu’il rencontre, comme le note encore Monique Genuist : « personnage équilibré entre tous, tenant à la fois du ciel et de la terre, [auprès de qui] les hommes oublient les races, langues et croyances qui séparent, et se rappellent qu’ils sont des hommes et des frères[14] ». La valeur hermaphrodite de son nom traduit cette unité sur le plan onomastique et son choix de saint Joseph comme patron confirme son rôle de guide et légitime sa passion pour les déplacements. Parcourant les plaines du Manitoba en quête d’accord et de paix, il participe au processus d’établissement de la civilisation. L’adéquation s’avère quasi parfaite avec les mythèmes hermaïques.

Un autre Hermès important dans l’œuvre de Roy est Pierre Cadorai, artiste désireux de faire l’expérience totale du monde, « [ê]tre d’impulsion et d’élan » (MS, 24), toujours plus ou moins en mouvement, sinon dans le monde des phénomènes, du moins à l’intérieur de lui-même, à ressasser idées et images dans le but de les partager avec ses semblables (nous retrouvons ici la qualité du guide), et dont la mission ici-bas consiste à « révéler » (MS, 24) la matière du monde. Aux yeux de plusieurs, Cadorai est un être plus grand que nature, il appartient au rang des divinités : « Homme-au-crayon-magique » (MS, 93), écrit encore Roy, il se sert avec dextérité de l’instrument par excellence de communication entre individus. D’Hermès, il possède la stature : il distribue ses dessins comme autant de points de repère[15] qui permettront de le retrouver où qu’il aille (l’image se calque sur celle du Poucet, avatar direct d’Hermès, et nous retrouverons là le troisième mythème à l’œuvre, la puissance de l’infime) : « Il fut consolé par cette idée qu’à travers […] presque tout le Nord canadien, on eût pu suivre à la trace, par ces petits bouts de papier tombés de sa main, l’itinéraire de sa vie […], son cheminement d’être obstiné. » (MS, 99) S’il n’a de cesse de bouger, il sait également que les bribes de connaissance qu’il sème sur sa route font le bonheur de ceux qu’il rencontre, ce qui d’un côté atténue son tempérament solitaire et de l’autre accentue son rôle d’initiateur. « [… L]’Homme-au-crayon-magique qui semblait travailler à élucider le mystère de la vie, de plus en plus aux autres le découvrait. » (MS, 127) Pierre Cadorai manie la vie, il devient peu à peu celui qui la comprend et peut la faire comprendre à ses semblables, ce qui fait de lui l’« enfant entre tous chéri des hommes, celui qui ouvre leurs yeux, celui qui ouvre aussi entre eux de grandes portes soudaines de communications. » (MS, 133) Comment douter de la ressemblance avec la figure hermaïque ?

 

La quête du bout du monde

 

La rencontre des différents espaces parcourus par ces hermès royens crée des rapports divers au réel, selon les nécessités de la quête entreprise. Elle donne surtout dans un premier temps à constater une scission du monde (déjà notée sous toutes sortes de formes par certains critiques, notamment Paula Gilbert Lewis et Ekitike Behounde[16]), d’où mise en relief d’un Ici et d’un Ailleurs. L’Ici consiste évidemment en le lieu habité initialement par le personnage, mais où la vie lui est apparue insatisfaisante et incomplète, de sorte que s’est tôt manifesté le désir de s’ouvrir à autre chose, ce qui explique l’intérêt prononcé pour l’Ailleurs chez les personnages royens. Luzina Tousignant, lors d’une de ses visites annuelles à Sainte-Rose-du-Lac, goûte avec félicité la rencontre avec l’inconnu : « Vivant si loin du monde, elle avait rencontré des êtres de toutes les nationalités et de tous les tempéraments. Le roman le plus passionnant ne lui eût pas offert une telle variété de personnages […]. » (PP, 29) Même chose dans le cas de Cadorai : lui entend « l’appel d’une beauté qui n’existait pas encore, mais qui, s’il en atteignait la révélation, le comblerait d’un bonheur sans pareil. » (MS, 28) Les paroles du père Le Bonniec le guideront, lui indiquant que la béatitude de l’infini mystère se trouve dans la résorption des différences entre l’Ici et l’Ailleurs et entre les représentants de ceux-ci : « Il y a le cœur de celui qui donne, et le cœur de celui qui reçoit ; il arrive parfois que l’un et l’autre soient de même contenant ; ce qui vient de l’un emplit l’autre de joie ; et c’est alors seulement peut-être que jaillit cette chose qu’on nomme : la beauté. » (MS, 135) Deux mondes se côtoient ici-bas : l’Ici et l’autre monde, ou le monde autre, qui parfois relève du connu, mais souvent n’est accessible que sous forme de rêve. Dans la plupart des cas, le voyageur, Hermès créateur de liens, permettra que s’établisse la communication entre l’Ici et l’Ailleurs, il donnera accès à « un autre temps, […] un autre monde[17] », comme le laisse entendre Gabrielle Roy dans Cet été qui chantait. Si François Ricard n’hésite pas à écrire qu’ [à] mesure que se déroule l’œuvre de Gabrielle Roy, on voit […] s’affirmer de plus en plus nettement le besoin de composer par la fiction un univers serein, dont les caractéristiques sont celles d’une sorte de lieu idéal où la solitude tend à disparaître pour faire place à l’échange et à la réconciliation, [18] il semble que l’Hermès royen fait office d’agent dynamisant dans ce processus.

Le voyage trouve chez Roy son point culminant dans un lieu précis qui figure en quelque sorte l’alpha et l’oméga de la quête du voyageur. Il convie celui qui s’y lance à ordonner le monde, à y apposer les points de repère devant l’aider à constituer un « jardin ». Sur un plan géographique, les personnages aboutissent dans des endroits distincts selon leurs aspirations (le village pour Luzina Tousignant, la campagne pour le père Joseph-Marie). Il reste que ce lieu est dans pratiquement chaque cas assimilable à un point unique, vers lequel le voyageur concentre sa volonté de même que ses gestes, point situé en amont de toute vie : le bout du monde. L’expression revient continûment dans l’œuvre de Gabrielle Roy. Le bout du monde, c’est pour Luzina le village où la conduit Nick Sluzick ; pour Nick Sluzick, l’univers qu’habitent Luzina et les siens ; c’est pour Pierre Cadorai tantôt la montagne qu’il jauge de sa lunette d’artiste, tantôt la ville qu’il découvre après son départ de la montagne. Lieux différents, même réalité : le bout du monde apparaît là où l’explorateur veut le trouver, il est le microcosme mobile que le passant évoque pour se figurer la réalité sous forme de jardin auquel il aura éventuellement accès[19]. Ce lieu de solitude et de méditation pour Cadorai, d’action pour Luzina Tousignant et le père Joseph-Marie, cet espace où s’accomplit la communion avec la nature et l’accord avec la culture, chacun y trouve le cadre où se conquiert la liberté d’être. Pierre Cadorai, dans l’Ungava, apprend la maîtrise de lui-même, de son art et de sa vie. Simultanément, il transpose une part de culture dans cette nature vierge et, en retour, il rapportera un peu de nature vers la culture. La particularité évidente d’Hermès réside au demeurant dans sa propension à assurer cette réunion des contraires. Jean Morency parle de La Montagne secrète comme du roman du clair-obscur, oxymore qui appuie d’une certaine manière la dimension hermaïque repérable dans la trame de l’histoire[20].

Lancés à la découverte du monde, les héros royens sacralisent celui-ci selon les impératifs que leur dicte le fondement de leur être, de façon à le faire coïncider avec leur espace intérieur. Le capucin de passage chez eux consacre l’habitat des Tousignant, glorifiant par la grâce de Dieu ce que déjà l’être humain a sacralisé à sa façon, par la fête. Et que dire de la montagne que Pierre Cadorai parvient enfin à fixer en lui et sur sa tablette à dessin ? Lieu sanctifié par l’action de l’humain, il s’agit d’un point de rupture géographique mais aussi spirituelle dans l’esprit de celui qui le contemple, où l’inaccessible ultime, enfin rendu accessible à l’individu, donne à comprendre que les frontières sont intérieures. Le jardin que cultivent les personnages de Roy au bout du monde n’est somme toute qu’un reflet de leur propre intérieur. Il met en accord être et monde, de sorte que le bout n’est plus la fin mais le commencement, un tremplin vers autre part (l’au-delà ? l’en deçà ? peut-être les deux ?). Le capucin en visite chez les Tousignant découvre chez ces derniers « ce qu’il pouvait y avoir pour lui de plus proche d’un foyer » (PP, 221), un centre permettant de concilier le désordre de la fête à l’ordre que convoque la présence du messager de Dieu, ombilic manifestant l’accord entre les extrêmes, espace sacré définissant le champ de perception de la réalité du groupe culturel[21]. Le paradis évoqué par Gabrielle Roy se distingue de la vision héritée des textes sacrés, car l’auteure se situe habilement par rapport aux mythes ancestraux : elle les actualise afin de parachever une œuvre dédiée à illustrer la liberté de l’individu, et là réside probablement son originalité : d’une part, avoir su transformer une figure symbolisant l’unité extérieure en un personnage détenteur d’une unité intérieure, d’autre part, avoir fait de l’Ailleurs ― espace traditionnellement marqué, dans la culture et la littérature québécoises, par le danger et la menace ― un lieu porteur d’espoir et dispensateur de connaissance.

 

Entre l’espace et le temps

 

De quel espoir disposent justement ceux qui habitent le centre ou qui, survivants d’un long et épuisant périple, le construisent au bout du monde ? Coincé dans la linéarité qui caractérise tout déplacement, l’être humain se voit confronté, par l’entremise de son avancée dans l’espace, à une progression simultanée dans le temps, qui fait surgir l’idée de sa propre fin possible. Comment considérer que le Père capucin de Toutes-aides se laisse aller à savourer « l’ardent amour pour les joies de la terre » (PP, 191) sans prendre en compte le fait qu’il se sent écrasé par le « regret de penser qu’il faudrait bien la quitter [cette terre] sur sa faim » (PP, 191) ? Éternel insatisfait, l’individu anticipe avec frayeur le moment où il devra renoncer à l’existence et aspirer à quelque transcendance. Il réagit en s’accrochant à la vie qui passe, en cherchant à faire s’interrompre le processus d’avancée du temps, ce qui risque toutefois de créer l’effet contraire. Erreur que de croire en l’éternité de l’instant, car les moments qui sont donnés à l’être humain forment un étrange paradoxe :

 

la vie, bizarre, un jour après un autre, et cela fait la vie, le passé ; cela vous conduit à la mort. Hier, on était jeune ; aujourd’hui on est vieux. Tout [se trouve devant l’individu] : l’étonnement d’avoir vécu, l’âge, qu’on en fût rendu là tout de même à force de patienter, et jusqu’à la douce tristesse que cela fût enfin compris. (MS, 19-20)

 

Que Pierre Cadorai se donne la possibilité d’oublier momentanément la menace de la linéarité temporelle, et voilà qu’il est ramené à la réalité par « ce bruit de soupir, d’inquiétude, que fait le temps qui passe. » (MS, 73) Peut-on douter qu’à travers ses multiples personnages, Gabrielle Roy fait part de certaines frayeurs communes à l’ensemble des êtres humains ? « Mais le temps fuyait, lui, avait grandi, le temps fuyait » (MS, 149), un temps qui ne laisse à l’individu qu’une échappatoire possible : « l’illusion […] de la durée… » (MS, 179) Battre le temps de vitesse ? Si la jeunesse semble porter l’éternité en elle et la conférer à ce qu’elle touche, elle aussi doit pourtant s’effriter tôt ou tard, si bien qu’elle nourrit à son insu la tare du temps destructeur. Mais la jeunesse se renouvelle et donne ainsi un rythme à la linéarité temporelle…

Les personnages de Gabrielle Roy affrontent à vrai dire la difficulté (souvent présentée comme l’impossibilité) de vivre dans le présent, coincés qu’il sont entre l’ « attente toujours de l’avenir, et [le] regret souvent du passé », comme l’écrit Gabrielle Roy dans La Route d’Altamont[22]. Faut-il dès lors conclure que temps et fatalité vont de pair ? La menace de la fin guette et, on le sait, « les époques heureuses […] passent toujours trop rapidement » (PP, 121). À l’instar d’Alexandre Chenevert, nous sommes tous poursuivis par « un tic-tac rapide qui grignot[e] le temps affreusement vite[23]. » Comment, dans cette optique, ne pas considérer le temps qui avance, et avec lui la vie dans son entièreté, comme une malédiction concédée à l’être humain pour qu’il s’épuise à tenter de trouver une solution à l’énigme de l’instantanéité qui l’habite ? Pauvre hère qui ne réussit d’aucune manière à se donner une prise sur son présent, l’individu hésite à accepter que l’instant puisse lui procurer de la joie puisqu’il est destiné à s’éteindre pas plus tard que l’instant d’après, qui lui-même n’est plus, sitôt advenu. La vie est de la mort en puissance, elle est attente de la fin.

Le temps linéaire dans lequel les personnages de Gabrielle Roy sont coincés les conduit inéluctablement vers leur fin, il est vrai. Mais ce temps irréversible ― le temps newtonien ― comporte des lacunes que l’auteure a su exploiter avec bonheur. Un temps anthropologique sublime, à certains moments dans l’œuvre de Roy, le temps linéaire. Si, pour certains, le temps représente une force qu’il faut ou fuir ou terrasser avant qu’elle ne fasse crouler le présent sous le faix de sombres réminiscences, pour d’autres il est garant de possibilités futures (c’est le cas de Pierre Cadorai). Le temps devient à ce moment de l’espace, et il épouse la forme du cercle : il s’agit d’un temps rythmique, voire cyclique, qui offre à l’individu la chance d’un recommencement. C’est de fait à un arrêt du temps que convie la découverte du bout du monde et l’établissement du centre. Le foyer prolonge le temps de l’individu ici-bas, lui donne ne fût-ce que l’illusion de sa propre éternité, à travers le découpage dans l’espace qu’il opère. L’ouverture d’esprit nécessaire pour que ce processus prenne place nécessite habituellement du Sujet qu’il meure à son ancien mode d’être pour renaître à un nouveau, plus riche. C’est ce qui arrive à Pierre Cadorai qui, au seuil de la mort, vit une expérience de « décorporalisation » puis revient à la vie nanti d’une sensibilité nouvelle. Il voit désormais les couleurs sous un nouvel aspect, il peut en quelque sorte percevoir l’invisible (MS, 56-58). Désireux de revenir à ses origines, Cadorai accomplira un cycle devant le conduire au centre de lui-même, ce qui aura pour effet de lui permettre enfin « de se rencontrer lui-même, tel il avait été, voyageant avec confiance vers l’avenir. Descendant vers le passé, il se croisait allant de l’avant. » (MS, 198) Un sentiment de continuité se crée de cette façon et permet à l’être de se doter de points de repère essentiels pour la poursuite de ses buts. Mais il y a plus. Certains hermès royens parviennent, fût-ce dans l’imaginaire de la collectivité, à surmonter les affres du temps, voire à remonter le temps. Le capucin ami des Tousignant s’est « [à] sa manière […] immortalisé à la Petite Poule d’Eau ». (PP, 210)

Gabrielle Roy travaille donc le thème du temps dans deux sens contraires : d’une part, le temps irréversible n’offre aucune chance de survie ; d’autre part, maîtrisé, il peut devenir source d’espoirs en la préservation de la vie. Chose étrange, c’est en fixant les objets sur ses toiles que Pierre Cadorai leur restitue leur portée mais aussi leur sens, qu’il les tire en fait du temps pour leur donner la possibilité d’exister à tout jamais. La quête qu’accomplit le jeune homme a quelque chose d’existentiel, mais aussi d’universel : Cadorai tente « d’arracher quelque chose en passant au vide effarant, à l’effarante solitude qu’il travers[e] ». (MS, 25) Artiste-né, il soupèse le poids de la réalité et saisit d’emblée ce que celle-ci peut avoir de faux ; sa destinée, dès lors, consistera à rétablir la vérité, à insuffler une part d’éternité à l’instant passé. Pour ce faire, l’artiste use d’un mélange de poiesis et de mimesis, il ne se contente pas de reproduire le réel, car « les choses se mettent à en dire un peu plus dans l’image que sur nature [… p]our atteindre ce terrible vrai » (MS, 47) des choses et des êtres. L’art crée une intemporalité instantanée. Le matériau brut de l’artiste, la matière qu’il mout comme les couleurs qu’il manie, reconduisent à l’enfance, aux origines mentionnées ci-haut. (MS, 59)

 

Une poétique du déplacement        

 

Le point de jonction entre la figure hermaïque du passant et la notion de mouvement se situe, je l’ai supposé plus haut, dans un thème qui semble structurer la majeure partie de l’œuvre de Gabrielle Roy, celui du voyage. Presque tous les personnages de l’auteure goûtent un jour ou l’autre à la frénésie du voyage : Pierre Cadorai, après avoir vaincu la montagne, part en Europe pour s’y approprier de nouvelles façons d’affiner son art ; Luzina Tousignant quitte une fois par année son île pour dénicher un surplus de vie à Sainte-Rose-du-Lac. Une poétique du déplacement finit par se dégager des récits de Gabrielle Roy, poétique peut-être le mieux exprimée par le narrateur de La Montagne secrète lorsqu’il affirme que « les plus beaux voyages ne coûtent que de ne pas compter ses pas. » (MS, 188) Le voyage le plus enrichissant n’est-il pas celui qui ne mène nulle part, qui est pure errance, qui n’a de but qu’en lui-même ? Retour sur soi, il prend son sens en lui-même : il devient action dans l’inaction, gage de paix aux yeux du voyageur qui s’y est engagé. À ce moment, le voyage se métamorphose en une propulsion de l’individu hors de lui-même et le déplacement jouxte la quête de son identité. À quoi conduira un tel périple ? La poétique du voyage culmine invariablement, chez Gabrielle Roy, en des questionnements ayant à voir avec l’établissement d’un centre du monde facilitant la (re)conquête des origines. « Maladie de famille [que] ce mal du départ[24] », confesse encore Gabrielle Roy dans La Route d’Altamont. Si tel est le cas, l’unique remède se dénichera dans la constitution, au cœur de l’Ailleurs, d’un lieu préservé de l’extérieur et des affres du temps qui passe, un centre où établir des points de repère passibles de transformer le Sujet en sa propre fin, ce à quoi convie Hermès, lui dont un hymne homérique dédié à Hestia indique qu’il est en définitive le protecteur des « foyers des hommes de la terre[25] ». Un foyer en appelle cependant un autre, et Hermès poursuit sa route, qui doit le conduire éventuellement au « fin fond du bout du monde » (PP, 12).

La poétique du déplacement, sorte de calque de la vie mais, en même temps, poiesis servant à reconstruire le réel selon les impulsions de l’individu, rend compte, par l’entremise de présupposés mythiques, d’une vision du monde synthétique. Aux déplacements dans l’espace se superposent des déplacements dans le temps, et l’acte de raconter lui-même, inscrit dans un temps précis, accomplit sa tâche première avec précision : dorénavant, la possibilité de faire s’inverser l’avancée inéluctable vers la mort s’offre aux personnages. Rendus malléables, espace et temps acquièrent dans l’univers imaginaire de l’écrivaine une dimension leur conférant le statut de vecteurs d’évolution, et l’imaginaire collectif, nourri d’un tel matériau, s’épanouit de pair. Il devient possible, sur un plan anthropologique, de poser le double statut ontologique de l’être humain : d’un côté, ce dernier est habité par un élan vers l’extérieur qui résulte en une fragmentation, de l’autre, par un désir d’unité le ramenant à lui-même. Le visage double d’Hermès lance l’idée d’une possible union avec soi et avec le monde.

Une mythanalyse qui compléterait cette courte mythocritique devrait évidemment rendre compte, sur un plan contextuel, des implications de la présence constante et prononcée de la figure d’Hermès dans l’œuvre de Gabrielle Roy. Au cœur d’un XXe siècle marqué de plusieurs façons par une percée dionysiaque, par un imaginaire à teneur mystique (selon l’acception durandienne du terme), Gabrielle Roy offre un intermède synthétique au premier regard surprenant, sorte d’euphémisation qui atténue la peur de l’éclatement dionysiaque en cours et qui semble aider à renverser la conception traditionnelle d’un Ailleurs menaçant. Figure constitutive de la psyché collective québécoise (car Gabrielle Roy n’est pas la seule auteure à l’insérer dans ses textes), Hermès ouvre à un espace mythique rendant compte d’une tentative de sacralisation, il trouve au bout du monde un surplus de vie facilitant l’établissement de la dialectique et, ainsi, propose de nouvelles voies d’exploration identitaires, où nature et culture se réconcilient. Mobile, le centre établi au bout du monde apparaîtra aux yeux de certains comme une utopie supplémentaire, mais il n’en constitue pas moins un îlot d’harmonie palliant la frénésie d’un siècle houleux.

 

Jean-Pierre Thomas

Université York (campus Glendon)

 

 


[1]              Marc Gagné, Visages de Gabrielle Roy, l’œuvre et l’écrivain, Montréal, Librairie Beauchemin limitée, 1973, p. 97-98.

[2]              Afin d’alléger les notes, j’utiliserai les sigles suivants à la suite des citations tirées des œuvres de Gabrielle Roy : PP pour La Petite Poule d’Eau, Montréal, Boréal, coll. « Boréal Compact », no 48, 1993, 271 p., et MS pour La montagne secrète, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1962, 222 p.

[3]              Sur la question de cette récupération, voir Antoine Faivre, « Hermès », Dictionnaire des mythes littéraires, [s.l.], Éditions du Rocher, 1988, p. 734-761.

[4]              Eugène Roberto, L’hermès québécois, Coll. « Voix savantes », 16, Ottawa, Les Éditions David, 2002, p. 14.

[5]              Karl Kerényi, Hermes. Guide of Souls. The Mythologem of the Masculine Source of Life, Zürich, Spring Publications, 1976, p. v. Kerényi apporte une précision notable en ce qui a trait au caractère de l’Hermès voyageur : celui-ci serait davantage un « journeyer » qu’un « traveller » (Ibid., p. 13). L’accent est mis ici sur le trajet ou le parcours qu’implique le voyage plutôt que sur le but. Pour Hermès, le voyage n’a pas de fin, il se poursuit encore et encore et se vit pour le plaisir qu’il procure, au détriment du point d’arrivée, qui jamais n’apparaît.

[6]              Nadia Julien, Le dictionnaire des mythes, Alleur, Marabout, 1992, p. 296. Souligné par l’auteure.

[7]                Eugène Roberto, op. cit., p. 23.

[8]              Yves Bonnefoy (dir.). Dictionnaire des mythologies. Tome I, Paris, Flammarion, 1981, p. 501.

[9]              À l’origine, l’hermès aurait d’ailleurs été un simple poteau de bois destiné à servir de support à la vigne pour lui permettre de se développer tout en hauteur, de se déplacer au sein d’un espace figé ( Rendel J. Harris, The Origin of the Cult of Hermes, Manchester, The Manchester University Press, 1929, p. 6.).

[10]             Monique Genuist, La création romanesque chez Gabrielle Roy, Ottawa, Le Cercle du Livre de France, 1966, p. 41.

[11]             Pensons au « tour joué à Aggie Macfarlane, protestante, qui avait été guérie sans qu’elle s’en doutât le moins du monde par saint Joseph à qui il avait demandé la chose en cachette ». (PP : 176) Un hymne homérique dédié à Hermès décrit celui-ci comme un véritable joueur de tours qui, tout juste né, a volé les troupeaux d’Apollon afin de le berner.

[12]             François Ricard, Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy (1945-1975), Coll. « Visées critiques », Québec, Éditions Nota Bene, 2001, p. 75.

[13]             Guy Lecomte « La Petite Poule d’Eau : élection et exclusion, l’innocence problématique », dans A. Fauchon, Colloque international « Gabrielle Roy », Winnipeg, Presses universitaires de Saint-Boniface, 1996, p. 99.

[14]             Monique Genuist, op. cit., p. 46-47.

[15]             Autre trait explicitant l’origine de la divinité : « Posté aux croisements des routes, sous la forme de ces hermes à deux ou quatre têtes, il marque les directions et borne les parcours. » (Yves Bonnefoy, op. cit., p. 500.)

[16]             Paula Gilbert-Lewis, The Literary Vision of Gabrielle Roy : An Analysis of Her Works, Birmingham, Summa Publications, 1984, et Ekitike Behounde. Dialectique de la ville et de la campagne chez Gabrielle Roy et chez Mongo Beti, Montréal, Éditions Qui, 1983.

[17]             Gabrielle Roy, Cet été qui chantait, Coll. « Boréal Compact », 45, [s.l.], Fonds Gabrielle Roy, 1993, p. 49.

[18]             François Ricard, op. cit., p. 32.

[19]             Sans me livrer à un repérage exhaustif de l’expression « bout du monde », je note toutefois qu’elle revient successivement avec ses dérivés à un rythme effarant dans les œuvres de Gabrielle Roy : La Petite Poule d’Eau : 12, 88, 264 ; Alexandre Chenevert : 224 ; Rue Deschambault : 111 ; La montagne secrète : 35 ; 14 (l’expression, ici, est « au fond du monde »), 27 (« au bout de la terre »), 35, 39 (l’ « inconnu du monde »), 90 (« au plus lointain du monde ») ; La route d’Altamont : 98 (les « endroits du monde reculés ») ; La rivière sans repos : 172 (le « lointain du monde »), 230 ; Cet été qui chantait : 11 (« l’extrémité du monde habité »), 26 (« au bout du pays »), 55 (le « bout du pays »), 77 ; Un jardin au bout du monde (au titre ô combien évocateur) : 67, 108.

[20]             Jean Morency, Un roman du regard. La montagne secrète de Gabrielle Roy, coll. « Essais », 13, Québec, Centre de recherche en littérature québécoise, 1985, 97 p.

[21]             Plusieurs traditions ancestrales évoquent dans leurs récits mythologiques un foyer ou un axe figurant l’équivalent d’un centre du monde : chez les Germains, Yggdrasil, l’Arbre cosmique, supporte et réunit entre eux les niveaux cosmiques ; dans la mythologie grecque, le Titan Atlas remplit un rôle équivalent, lui qui, « debout, aux rives du couchant, soutient sur ses épaules la colonne qui sépare le ciel et la terre, fardeau pénible à porter » (Eschyle,  Théâtre complet, coll. « GF-Flammarion », no 8, Paris, Garnier-Frères, 1964, p. 110) ; la tradition biblique parle de l’échelle de Jacob, laquelle relie le bas et le haut ; le chamanisme du nord et du centre de l’Asie enseigne de son côté que l’ascension d’un arbre symbolique mène le chamane au royaume des êtres surhumains. De quelque côté qu’on regarde, quelque tradition qu’on consulte, toujours apparaît cette image d’un pilier central autour duquel le monde tourne, pilier situé au point où toute vie, où toute énergie culmine, à l’ « endroit précis où le mouvement et l’immobilité, c’est-à-dire le temps et l’éternité, s’unissent » (Joseph Campbell, Puissance du mythe, Paris, Éditions J’ai lu, 1991, p. 161). On peut dire de cet axe qu’il constitue le point réel où s’établit le contact avec le sacré matérialisé, qu’il est le véritable centre du monde.

[22]             Gabrielle Roy, La route d’Altamont, Montréal, Boréal, coll. « Boréal Compact », no 47, 1992, p. 48.

[23]             Gabrielle Roy, Alexandre Chenevert, Montréal, Boréal, coll. « Boréal Compact », no 62, 1995, p. 27.

[24]             Gabrielle Roy, La route d’Altamont, op. cit., p. 112. 

[25]             Homère, Des héros et des dieux, Paris, Arléa, 1998, p. 140.