Les contours mythiques encadrant La Montagne secrète se désagrègent jusqu’à la disparition dans La Rivière sans repos[1]. Bien que l’action des deux œuvres ait lieu dans le Grand Nord, il ne s’agit plus ici d’une épopée septentrionale où espaces grandioses et éléments naturels rapetissent les personnages, les sommant de prendre conscience de leurs limitations. Loin du primitivisme boréal, dans La Rivière sans repos, le territoire de l’Ungava assume les traits d’un endroit menacé et l’immensité, la désolation des latitudes arctiques ne s’imposent pas; bien au contraire, elles subissent la pression d’un Sud envahissant qui triomphe sur l’isolement nordique. Le Nord et le Sud configurent tous deux un espace conflictuel où l’un ne saurait exister sans le concours de l’autre. Plutôt que le Nord, c’est le Sud dans le Nord qui s’inscrit dans l’œuvre. Par ailleurs, le va-et-vient des personnages, leurs voyages réels ou imaginaires entre la civilisation méridionale et les traditions esquimaudes font émerger leur vulnérabilité. Oscillant entre ces deux mondes qui s’avèrent irréconciliables, le carrousel de péripéties d’Elsa, la protagoniste du récit éponyme de clôture, l’amène à la folie, à l’éloignement de tous et d’elle-même. Épiphanie de l’aliénation, le mouvement préside son cheminement vers la démence, trajet qui s’avère un voyage de retour vers le point de départ, un retour à la figure maternelle.

 

Deux univers en conflit

 

La trame de La Rivière sans repos se situe dans un pays façonné par l’homme qui y a laissé son empreinte. Le primitivisme de l’Ungava s’évanouit et, malgré sa vastitude la toundra revêt dans la narration toute sa vulnérabilité; aux confins de l’Arctique, le progrès porte atteinte au territoire et la civilisation des Blancs met en danger l’équilibre précaire d’un environnement aussi grandiose que fragile. Dans la triade des «Nouvelles esquimaudes» et dans le récit éponyme final, l’évocation paysagère se présente régulièrement ponctuée par la prolifération de déchets, de pneumatiques ou de bidons rouillés, d’amoncellements de ferraille ou d’ordures.

La dégradation des habitations esquimaudes ne le cède en rien à celle des espaces ouverts: la tente en peau de phoque ou l’igloo d’antan, parfaitement intégrés dans l’environnement et adaptés au mode de vie, sont remplacés par des cabanes en planches ou des huttes Quonset[2], qui se dressent à présent aussi bien dans le village blanc que dans le village esquimau. À l’intérieur des cahutes, les couvertures de laine achetées au magasin Baie d’Hudson ont pris la place des peaux tannées artisanalement, le plastique foisonne et les objets de rebut recyclés font office de mobilier, tels le grabat fait de banquettes d’auto sur lequel gît Deborah dans «Les satellites» ou les caisses de bois qui tiennent lieu d’armoires, de chaises ou de tables pour Elsa dans le récit final. L’engouement pour les vêtements des Blancs, bien plus banals et inadaptés au milieu, a quasiment banni parkas et bottes en peau de phoque, tenue traditionnellement utilisée par les Esquimaux. Ces derniers, chasseurs et pêcheurs depuis la nuit des temps, se nourrissaient de la mer et fréquentaient l’intérieur des terres de manière saisonnière afin de compléter leur approvisionnement en denrées. La Compagnie de la Baie d’Hudson modifie complètement les habitudes alimentaires des Esquimaux en introduisant notamment le thé ou la farine, des produits qui constituent en grande partie le ravitaillement de la population locale. Plus le phoque cru, le poisson ou le bannock, leur pain sans levure, deviennent rares dans l’alimentation quotidienne, plus l’assimilation au style de vie américain leur impose le bœuf haché et le pain blanc. Pour la communauté esquimaude de La Rivière sans repos, la nature ne représente plus la manne nourricière qui rythme leur existence; au contraire, ce sont des histoires cinématographiques invraisemblables, venues du Sud, qui peuplent la fantaisie des habitants de ce pays reculé. Comme en réponse à l’appel du départ, orchestré autrefois par les cycles naturels les contraignant à partir pour leurs chasses lointaines, les Esquimaux se fondent dans le spectacle et se laissent emporter loin, ensorcelés par le cinéma, immergés dans la vie méridionale projetée sur l’écran. Enfin, l’armée américaine avec sa base aérienne ou ses radars installés dans le Nord est un élément déstabilisateur fort visible dans le livre. C’est également une présence cruciale pour les vicissitudes d’Elsa dans «La rivière sans repos». En réalité, c’était la guerre qui avait provoqué le viol de la jeune femme par le soldat américain, le conflit est aussi à la racine de la fuite de Jimmy de Fort-Chimo, son voyage vers le Sud, et c’est aussi la guerre qui détermine son retour aérien sur le village natal.

Dans La Rivière sans repos, la représentation du Sud constitue bel et bien une menace qui plane sur la population autochtone, car, du début à la fin, l’ébranlement de l’identité collective et individuelle des Esquimaux est le fruit de leur contact avec le mode de vie méridional. Ce danger s’étale tout au long des «Nouvelles esquimaudes», pour atteindre son climax dramatique dans l’histoire qui donne son titre à l’ouvrage. Pour utiliser une formulation de François Ricard, les personnages se montrent «non seulement divisés, mais dépossédés, incapables de se rassembler intérieurement ou de coïncider avec eux-mêmes, et comme perpétuellement en exil[3]». Exilés d’eux-mêmes, Deborah, Barnaby, Isaac ou Elsa, sont également les otages d’un espace qui, à force de leur être étranger, leur devient hostile.

L’ici et l’ailleurs de La Rivière sans repos, le Nord et le Sud, sont foncièrement liés dans une relation conflictuelle, faite à la fois de proximité et d’éloignement. Il s’agit de deux univers radicalement différents, séparés par une courte distance, la rivière Koksoak, véritable ligne de démarcation entre le vieux et le nouveau Fort-Chimo, entre monde primitif esquimau et civilisation méridionale. Malgré la proximité, la nature impétueuse du cours d’eau contribue à faire de cette traversée toute une dangereuse péripétie. C’est donc sous le signe du risque que la jeune femme entreprend son voyage vers le Nord, son séjour dans l’enclave mourante du vieux Fort-Chimo ainsi que son aventureuse expédition dans la toundra qui clôt la partie centrale de «La rivière sans repos», deux épisodes pleins de conséquences néfastes pour Elsa.

Toutes proportions gardées, le Grand Nord inscrit dans le livre est en proie à l’urbanisation et à l’américanisation qui bouleversent aussi les enclaves citadines du Sud. À preuve, les éléments typiquement urbains qui foisonnent dans l’Iguvik de «Les Satellites» ou dans «Le fauteuil roulant», mais qui sont plus abondants dans la communauté de Fort-Chimo, scénario de «Le Téléphone» et de «La rivière sans repos». Sur la rive opposée de la rivière Koksoak, le vieux Fort-Chimo n’échappe guère à l’invasion du Sud. L’exode de ses habitants vers le nouveau Fort-Chimo, provoqué par l’implantation de la base militaire américaine, accélère l’abandon de la vieille bourgade, et il devient impossible aux anciens ressortissants de cette enclave mourante de se reconnaître dans l’environnement inhospitalier du village déserté, tant il représente la misère et le dénouement des années révolues.

Or, de part et d’autre de la Koksoak, abondent des vestiges soi-disant cosmopolites dont la proximité rend encore plus visible la distance qui les sépare, traduisant ainsi le conflit spatial qui configure l’enclave. Les maisons, la chapelle, le magasin ou le poste de la Baie d’Hudson désaffectés rendent compte de cette problématique dans le vieux Fort-Chimo. Pour ce qui est du nouveau Fort-Chimo, l’aperçu inaugural du village dans «La rivière sans repos» s’arrête sur la «promenade», la route pavée entre les baraquements de l’armée américaine et la piste d’atterrissage, et décrit son effet extraordinaire dans l’entourage:

[…] la large route goudronnée que l’Armée venait de construire pour relier ses baraquements à la piste d’atterrissage. Il n’y en avait pas long, un peu plus d’un mille seulement, après quoi c’était le rude sol raboteux de toujours où, à marcher par les mêmes endroits depuis des années, on n’était pas encore parvenu à marquer sous ses pas ce qui aurait pu avoir l’air d’un sentier mais, sans doute parce que très courte, cette surface lisse était d’un effet extraordinaire. Tout d’un coup, on avait l’impression d’être ailleurs, pour ainsi dire dans une ville. […] Ainsi l’endroit était-il devenu en quelque sorte la « promenade » de Fort-Chimo. (RSR, 95)

En plein cœur du désert arctique, une route; au milieu de l’immense pays nu, une agglomération urbaine… À cela s’ajoute la dénomination «ville», entre guillemets, souvent appliquée, soit au village blanc de Fort-Chimo ou à Fort-Chimo dans son ensemble, ces guillemets soulignant la distance ironique établie par la narration entre le Nord et le Sud. Si dans La Montagne secrète la description liminaire de l’Ungava présentait un territoire sauvage et surhumain, l’intrigue de La Rivière sans repos se situe dans un pays façonné par l’homme, un territoire fragile se débattant entre primitivisme nordique et progrès méridional.

Le cloisonnement spatial des personnages, tenus d’évoluer dans le cadre qui leur est assigné sans possibilité aucune de s’en sortir, n’est qu’un autre versant du conflit qui oppose le Nord et le Sud. Séparé par la Koksoak, le nouveau Fort-Chimo, destination inévitable de l’exode qui avait dépeuplé la population voisine, se dresse face au vieux Fort-Chimo, habité par les plus réfractaires au progrès, les «irréductibles» (RSR, 66). À l’intérieur du nouveau village, le «village esquimau» (RSR, 97), au bord de l’eau, se présente clairement délimité à l’égard du «village des Blancs» (RSR, 93), situé un peu plus en amont, sa localisation plus élevée tenant à souligner le rôle dominateur de la civilisation méridionale; c’est dans le village esquimau de ses premières années que retourne Elsa, vaincue par la vie, après s’être établie pendant un certain temps dans le village des Blancs. Quant à la mission catholique et au temple anglican, chacune des deux confession envisage différemment l’activité pastorale envers ses ouailles et rayonne dans des milieux divers, sinon opposés: l’ici du père Eugène, toujours proche, toujours disponible dans le village, et l’ailleurs du révérend Hugh Paterson, en perpétuelle tournée d’évangélisation à travers la toundra.

Non moins important que le cloisonnement spatial, le cloisonnement temporel assiège lui aussi les personnages. Dans La Rivière sans repos, le passé est révolu et le futur s’avère incertain; or il ne reste que le présent, lui aussi confus, plein de contradictions. Les Esquimaux, à présent sédentaires, s’adonnent fréquemment à des évocations de leur mode de vie du passé, de leur nomadisme arpentant en long et en large la toundra; les Blancs, eux, sont habités par un constant souci de l’avenir. Ainsi la communauté esquimaude balance entre l’enracinement nostalgique et récalcitrant dans sa culture millénaire, et la séduction et le déchirement face à la technique et le confort venus du Sud. C’est surtout chez Elsa que s’incarne cet écartèlement sans issue: ni tournée vers le passé ni soucieuse de l’avenir, la protagoniste ne parvient pas à donner sens à son existence.

La narration offre deux exceptions, deux lieux affranchis de cette problématique spatio-temporelle: le jardin du père Eugène, évoqué dans «Le téléphone», et le cimetière du vieux Fort-Chimo de «La rivière sans repos». Tous les deux offrent un territoire de rencontre et d’intégration à la communauté esquimaude et à la communauté blanche. Le jardin est un ouvrage collectif, créé avec de la terre venue de France mélangée à la terre locale. Entre le délire de pierre, d’eau et de glace qu’est l’Ungava, cette espèce de lopin alluvial du Sud introduit la force et la beauté fertile de la terre, élément rare dans le monde arctique. L’ici et l’ailleurs, le présent et le temps révolu se donnent la main dans le jardin du père Eugène: «Ainsi s’était constituée la merveille de Fort-Chimo, comme autrefois il y avait eu, à ce que disait le Grand Livre pieux, les jardins suspendus de Babylone» (RSR, 63). Après un passé commun de misère, le cimetière abandonné du vieux Fort-Chimo accueille quant à lui les défunts blancs et esquimaux sans distinction, à tel point que le lieu est imprégné d’entente, de «fraternel accord» (RSR, 157) entre ces deux mondes par ailleurs irréconciliables. Dans la nécropole abandonnée, protégée de l’intempérie et parsemée d’arbres, la jeune femme trouve un endroit paisible où s’abstraire au conflit des deux mondes qui la réclament autant, où dépasser l’écartèlement et la division qui bouleversent sa vie. Ce n’est que la mort qui résout le conflit d’Elsa, son tiraillement entre le Nord et le Sud.

 

Le Sud dans le Nord

 

Le Nord, le Sud, deux mondes antinomiques, deux pôles d’attraction, la destination des voyages, oniriques ou physiques, des personnages. Et pourtant il ne serait pas tout à fait exact de les considérer comme des compartiments étanches, dans la mesure où la présence narrative du Nord ne tiendrait pas sans le concours du Sud. Plus précisément, c’est le Sud dans le Nord qui configure l’univers nordique de La Rivière sans repos. Le récit du voyage d’Elsa avec son fils Jimmy et son oncle Ian vers la Terre de Baffin livre une vision grandiose de l’espace boréal, pur et illimité, la «vraie toundra», le «vrai pays des Esquimaux»:

Dès qu’ils eurent quitté la côte, ils plongèrent dans une plaine blanche illimitée et rase. C’en était fini du pays de roc, rigoureux et dénudé, qui avait pourtant eu ses courbes et ses creux dans lesquels de petits arbres parvenaient à vivre. À présent c’était le visage décharné de la création au point où il n’est pas possible de l’être davantage. De la neige, à l’infini, n’émergeaient même pas de pauvres herbes. C’était ici la vraie toundra, […] recouverte de rien d’autre que de sa rude toison végétale, le vrai pays des Esquimaux. En sa voix résonnait de la tendresse, comme s’il présentait un pays des plus accueillants. (RSR, 181)

Considérant le Nord comme «un pays des plus accueillants», la description semble mieux s’adapter à l’image habituellement réservée au Sud. Accueillant malgré la rudesse paysagère, amène malgré son austérité, hospitalier malgré l’emprise des éléments naturels et, la nuit venue, à l’intérieur de l’igloo, chaleureux et isolant de la rigueur hivernale, le Nord s’approprie les attributs du Sud. En plein milieu de la toundra, l’immense pays nu devient une habitation colossale pour les voyageurs du Septentrion; la chaleur de la maison de glace, parfaitement intégrée dans le paysage, les stimule pour maîtriser l’espace qui avait toujours été le leur, pour reprendre et s’approprier les coutumes ancestrales. À l’aller, pendant qu’ils mettent le cap sur le Nord, la nature concourt, avec une météorologie favorable, à l’allégresse des expéditionnaires, ravis de leur communion avec le ciel et la terre. En revanche, quand ils décident de rebrousser chemin vers le Sud pour faire soigner Jimmy à Fort-Chimo, la furie des éléments se déchaîne dans une tempête qui met à rude épreuve l’endurance des expéditionnaires, et la narration du périple méridional rejoint le ton d’une odyssée. D’alliée qu’elle avait été dans le Nord, la nature mute en leur pire ennemie dans le Sud.

Prisonnière des espaces de liberté, tel est le paradoxe apparent de la relation d’Elizabeth Beaulieu avec le Nord, mais qui s’explique dans la mesure où, dans son Nord, le Sud est omniprésent. Créature urbaine parfaitement adaptée à la promiscuité des villes, les immenses espaces vides de la toundra accentuent sa solitude et accroissent son exil. Colifichets, lectures, musique, et jusqu’au confort et au raffinement du Sud mis en scène dans la recréation du cadre mondain de ses thés, tout s’avère inefficace pour conjurer la captivité de l’épouse dépressive du policier de Fort-Chimo. La vastitude nordique l’intimide, et elle se sent observée, jugée et même ridiculisée par le ciel boréal. Les latitudes arctiques déploient leur caractère le plus sauvage et l’horizon infini du Grand Nord atteint les proportions démesurées de La Montagne secrète dans la perception propre à la dame du Sud. Son Septentrion atteint la cruauté et la rigueur extrêmes du milieu arctique qui lançait son défi à Pierre Cadorai: «le pays nu aux horizons lointains» (RSR, 120), «la formidable emprise du pays solitaire» (RSR, 123), «l’immense paysage nu» (RSR, 147), «ce désert du ciel et de la terre» (RSR, 146), «stérile et impitoyable étendue» (RSR, 118), «neige […] livide» (RSR, 147), «le ciel rigoureux» (RSR, 123), «l’air coupant» (RSR, 146), «le morne horizon glacial», (RSR, 146) «l’infinie misère de l’Arctique» (RSR, 147), «cette extrémité du monde, pour elle barbare» (RSR, 118)… Terre hostile et dépouillée, stérile et pauvre, le Nord de madame Beaulieu se manifeste comme une horizontalité interminable et intimidante, une immense étendue enneigée de laquelle émergent, telles des îles, quelques crêtes rocheuses, composant «une sorte de mer pétrifiée» (RSR, 147). Rien de plus éloigné de l’immobilité sous-jacente dans la dernière image que la vision de la ville pour la citadine qu’est Elizabeth Beaulieu: «des rues animées, des magasins grouillants, le va-et-vient rassurant des villes» (RSR, 147). Il n’en reste pas moins que la désolation du pays exerce sur elle une certaine attraction, et le récit la situe souvent à la baie panoramique de sa maison, ouverte sur tout ce paysage vide. À l’instar du héros de La Montagne secrète, le Nord fascine la dame du Sud, mais tandis que le peintre croît intérieurement en assimilant la beauté des grands espaces arctiques comme un défi, Elizabeth Beaulieu sombre, abattue par la mélancolie. Dans le Nord, le Sud engendre un double exil: l’exil géographique, l’éloignement à l’égard des territoires méridionaux familiers, doublé d’un exil personnel, le repli sur soi, l’immersion dans ses propres distances intérieures.

Bien qu’on emprunte la voie du Nord, c’est le Sud qui paraît s’imposer pour le cheminement de Barnaby, Deborah, Isaac ou Ian. Désabusés après une expérience amère avec les latitudes méridionales, leur décision de faire route vers le Nord suppose en réalité une fuite du Sud. Tel est le cas de Barnaby, désenchanté des leurres de la civilisation, qui décide de quitter le nouveau Fort-Chimo afin de s’installer de l’autre côté de la rivière Koksoak, à la rencontre de l’authenticité primitive. Quant au périple de Deborah vers l’hôpital méridional où elle est traitée pour sa maladie, il ne fait qu’aiguiser sa nostalgie nordique; une fois de retour dans les latitudes boréales, l’empreinte du Sud creuse un éloignement infranchissable par rapport à son Nord natal, dans lequel la femme ne s’identifie plus. Cet écart déclenchera chez Deborah le départ, définitif et irréversible cette fois, son dernier voyage vers le Nord, vers la banquise, à la rencontre de la mort, à l’exemple de son ancêtre, la Vieille, souvenir qui hante la mémoire collective de la communauté. Après son suicide manqué, Isaac vise le Nord avec le regard, l’océan Glacial déjà atteint par sa fille Deborah pour mourir à la manière esquimaude; emprisonné dans son fauteuil roulant, on inflige la vie au vieil Esquimau, on lui impose la loi du Sud, à laquelle il cherche à échapper. Quittant définitivement le nouveau Fort-Chimo, Ian tourne le dos à la promiscuité de la bourgade, mais sa marche vers le Nord n’en est pas moins un geste de libération par rapport à tout le cortège d’avancements introduits par les Blancs qui, sournoisement, selon lui, engendrent une entrave à la liberté et une dépossession de soi. L’estompage du Sud n’est qu’apparent.

La fragilité et la vulnérabilité du Nord s’inscrivent dans La Rivière sans repos dans la même proportion que l’on montre la «fausse douceur» (RSR, 176) du Sud perçue par le policier Roch Beaulieu et qui obnubile Elsa. Traversant la Koksoak, la protagoniste entreprend bien plus qu’un voyage dans l’espace, puisque dans son aventure nordique la dimension géographique va de concert avec une dimension temporelle: la période dans son village natal, le vieux Fort-Chimo, constitue essentiellement un retour aux origines, où tout échappe aux règles des Blancs, le logement, la nourriture et jusqu’à la sexualité ― l’inceste. L’odyssée nordique de Jimmy préfigure pour l’enfant le paradis perdu qu’il essayera de trouver plus tard dans le Sud. De la main de son oncle, le séjour dans le vieux Fort-Chimo suppose une découverte ravissante de la vie esquimaude traditionnelle, les coutumes, la pêche, et une initiation à l’aventure viatique, explicite dans le petit traîneau construit par Ian à son intention et où «[l’enfant] partait seul pour des semblants de randonnées» (RSR, 165). Toutefois, le périple nordique se solde par un échec: voulant contourner les impositions de la civilisation, la scolarisation obligatoire en l’occurrence, la fugitive Elsa se heurte aux limites des savoirs traditionnels, insuffisants pour guérir son fils, et elle doit le confier à la médecine des Blancs. En réalité, avec son expédition vers le Nord, Jimmy entame son départ définitif vers le Sud; d’ailleurs, le retour vers le rivage méridional de la Koksoak, le nouveau Fort-Chimo, signale une étape intermédiaire pour sa fuite vers le Sud. C’est prostré dans son lit d’hôpital, entouré des soins d’une infirmière blonde aux yeux gris, que Jimmy commence à s’écarter de sa mère, à l’égard de laquelle il perçoit pour la première fois la différence raciale.

Empruntant la voie des airs pour entreprendre son périple méridional, fuguant vers les grandes villes des Blancs, Jimmy entreprend la recherche du paradis perdu, non plus dans le primitivisme nordique ébauché dans la fuite avec sa mère et son oncle, mais dans le progrès méridional représenté par le pays paternel, les États-Unis. Son retour à Fort-Chimo, aérien également, confirme que ce n’est pas le paradis qu’il a rencontré là-bas, mais l’enfer de la guerre du Viet-Nam. Pour sa part, retournant s’établir dans le village blanc de Fort-Chimo, Elsa plonge dans le monde des Blancs, ce qui entraîne inévitablement une séparation des siens et, à la longue, une immersion dans ses propres distances intérieures. De retour dans le village esquimau de Fort-Chimo, accrochée à la bière et à la cigarette, nomade comme naguère Winnie, sa mère, Elsa erre inlassablement sur les bords de la rivière Koksoak. Ni la Terre de Baffin ni les États-Unis ne se présentent dans La Rivière sans repos comme des espaces favorables à la réinvention de soi ou à la quête identitaire, devenant plutôt des enclaves conflictuelles. Quoique Elsa se penche vers le Nord ou vers le Sud, quoiqu’elle cherche à perpétuer l’expérience séculaire de ses ancêtres esquimaux avec son périple nordique, le séjour dans le vieux Fort-Chimo ou la fuite vers la Terre de Baffin, quoiqu’elle se démène pour s’assimiler aux Blancs avec son retour vers des latitudes plus méridionales, ses tentatives d’échapper à son destin échouent. Chaque voie qu’elle entreprend s’oppose à la précédente et l’amène à un cul-de-sac.

Le Sud aussi bien que le Nord configure l’espace problématique de La Rivière sans repos, où aucun des deux points cardinaux ne saurait exister sans l’autre. Il s’agit de deux forces qui attirent et perturbent également les personnages, et qui se manifestent avec une acuité dramatique chez Elsa, dont la maternité tourmentée reflète le choc de ces deux mondes en tension. À la manière de la route pavée de l’armée américaine, le trajet vital de cette Esquimaude ne conduit nulle part. Ou, plutôt, le voyage intérieur entrepris par Elsa l’amène loin, l’éloigne d’elle-même.

 

Épiphanie de l’aliénation

 

La division et la dépossession de soi qui assaillent les personnages de La Rivière sans repos atteignent leur point culminant dans la protagoniste de la narration éponyme. Deborah, Barnaby, Isaac, Ian ou Winnie sont atteints par ce que Dominique Fortier appelle une «double aliénation[4]», car, d’une part, ils se montrent «étrangers à un progrès qu’ils ne maîtrisent ni ne comprennent tout à fait», et, d’autre part, «ils sont pareillement étrangers au mode de vie qui a toujours été le leur et qu’ils ont abandonné au profit de ce progrès auquel ils n’arrivent pas à s’acclimater». Plus que nul autre des personnages royens, la protagoniste de «La rivière sans repos» sombre dans l’aliénation. La dépossession de soi qui accable Elsa Kumachuck, loin d’être symbolique, se concrétise par une déchéance progressive, de corps et d’esprit. L’œuvre retrace les étapes du cheminement de l’héroïne jusqu’au dénouement inexorable, la folie, au gré de son va-et-vient entre la culture blanche et la civilisation esquimaude traditionnelle. Par son voyage vers le Nord, son seul périple réel, ou par ses errances sans but aux bords de la Koksoak comme par sa tendance innée à la rêverie, qui configure d’innombrables parcours imaginaires, la jeune femme se présente toujours en marche, s’éloignant de plus en plus de soi.

Au début du récit, Elsa se trouve parfaitement intégrée dans la communauté esquimaude du nouveau Fort-Chimo, où elle habite avec sa parenté et où elle continuera à vivre avec Jimmy, l’enfant qu’elle a eu, fruit du viol infligé par un soldat américain. La fascination devant la singularité physique de son rejeton la pousse à l’habiller et à lui offrir tout ce qui entoure les enfants du Sud. Pour cela, elle reprend son emploi comme aide domestique des Blancs. Éblouie par la culture méridionale, la jeune mère régale son petit avec les biens exhibés dans la vitrine du magasin de la Baie d’Hudson, s’empêtrant dans la spirale de la consommation, tout cela dans la première partie du récit. Puis, du nouveau Fort-Chimo, Elsa gagne la rive sauvage de la Koksoak et s’établit avec le garçon dans le vieux Fort-Chimo, pour vivre là à la manière ancestrale en compagnie de son oncle Ian, tel que recueilli dans la deuxième partie. Une fois dans la nouvelle bourgade, troisième et dernière partie, la jeune femme ne retourne pas vivre avec ses parents: mère et fils s’installent dans le village blanc et adoptent totalement les coutumes de cette communauté, à tel point que Jimmy en vient à mépriser les Esquimaux. Attiré par la civilisation méridionale, l’adolescent finit par fuguer vers le Sud. Jimmy définitivement enfoui, Elsa retourne au village esquimau; là, dépossédée de son identité jusqu’aux dernières conséquences, sa déchéance corporelle et mentale s’accélère. L’éloignement du gars provoque chez la mère l’éloignement irréversible d’elle-même, sa folie.

L’aliénation d’Elsa suit un trajet dans lequel il est aisé de repérer quatre étapes, toutes étroitement liées au mouvement, lequel agit de ce point de vue en tant qu’épiphanie de l’aliénation. L’étape liminaire, qui correspond avec la première partie du récit (chapitres 1 à 7), démarre avec la jeune fille en marche. En effet, au début de la narration, l’héroïne réalise aisément le transit entre ces deux mondes en tension, le Sud et le Nord, les histoires cinématographiques dont elle cherche à élucider le sens avec ses amies et son chez soi esquimau, vers lequel elle retourne, enjouée; elle dépasse la problématique qui affronte les deux pôles et réussit à les harmoniser: «Aimant le cinéma comme un songe merveilleux, elle n’en était pas moins rendue heureuse par le simple fait de retrouver les réalités du pays esquimau […]. Singulière Elsa qui se montrait la plus impatiente de courir au cinéma et la plus pressée toujours de rentrer chez elle!.» (RSR, 98) Premier jalon dans son éloignement de la réalité, l’épisode du viol[5] entre les arbrisseaux s’insère dans une atmosphère également éloignée de la réalité, à mi-chemin entre les fantaisies filmiques méridionales et la prosaïque quotidienneté esquimaude: «elle était stupéfaite au point de séparer mal la réalité du buisson de l’histoire d’amour vue à l’écran plus tôt dans la soirée et dont ceci pouvait sembler la suite» (RSR, 100). La maternité, bouleversante, amorce son écartèlement entre ces deux univers antinomiques; l’éblouissement de la jeune mère devant le mode de vie méridional s’explique parce que de ce milieu, fruit de l’agression sexuelle perpétrée par un jeune soldat blanc, provient son bébé, un «être unique» (RSR, 112), blond, avec les yeux bleus, unanimement admiré dans la petite communauté esquimaude. Au nom de la singularité de cet enfant, Elsa renonce à sa propre identité esquimaude, succombant aux risques de la civilisation. Sa perplexité devant le malaise de la patronne chez qui elle travaille, madame Beaulieu, montre à quel point l’Esquimaude reste étrangère à un progrès qui lui échappe et dont elle ne perçoit guère les aléas: ni rien ni personne ne réussit à conjurer la mélancolie de la dame du Sud, pourtant comblée d’affection et de bien-être matériel. Il n’en reste pas moins qu’Elsa se tient également à l’écart du mode de vie qui a toujours été le sien par le biais du refus de la figure maternelle, elle rejette son appartenance esquimaude, et sa mère représente ce que la fille ne veut pas être. Il n’y a que l’«enceinte paisible» (RSR, 130) de la Koksoak pour échapper à cet écartèlement et donner libre cours aux rêveries libératrices.

Les deux versants de l’aliénation d’Elsa, son asservissement aveugle au progrès et son éloignement identitaire d’avec le monde esquimau, se traduisent par une constante course, un va-et-vient frénétique défiant la force des éléments, de la hutte familiale à la maison des Blancs:

S’asseoir, parler! Elsa ne s’y soumettait pas de bon gré. Cela allait à peu près pour elle, tant qu’elle courait, se démenait, frottait. Mais si elle s’arrêtait et s’accordait un moment de réflexion, elle aussi était submergée par une confuse aspiration vers une autre manière de vivre, à moitié comprise, et qui pourtant l’appelait sans répit. (RSR, 147)

Par cette marche effrénée, Elsa fait penser à «quelque objet roulé, emporté par les rafales» (RSR, 120), comme à la merci de son dilemme entre sa propre identité et le progrès. Le mouvement s’esquisse aussi dans la figuration avec laquelle la jeune femme se représente le refus de sa culture ancestrale: «la marche qu’elle poursuivait vers un but d’ailleurs sans cesse se dérobant» (RSR, 127); un chemin inextricable vers un avenir incertain dans lequel le modèle maternel n’est qu’un obstacle.

Le départ de la jeune mère vers le rivage Nord de la Koksoak et son installation dans le vieux Fort-Chimo pour y vivre à la manière traditionnelle en compagnie de son oncle Ian inaugurent une deuxième étape (chapitres 8 à 12). Elsa croit répondre à un appel confus vers un autre mode de vie et, de la sorte, parer aux risques du progrès. Une fois de plus, le changement de cap dans sa vie se manifeste avec le mouvement et, dès qu’elle met le pied dans le vieux hameau de son enfance, elle assume le nomadisme atavique des femmes de son ethnie: «Elle sembla avoir pris le pas des femmes de sa race, naguère, quand elles étaient presque toujours en marche.» (RSR, 158) C’est aussi la marche qui souligne ses tentatives pour se réinventer elle-même en se penchant vers son propre passé, ce que supposent ses parcours au bord de l’eau pour ramasser du bois afin de se chauffer ou ses promenades dans le cimetière du vieux Fort-Chimo. D’autre part, grâce à ses lettres à sa mère et à madame Beaulieu, Elsa écourte la distance avec les siens et se rapproche de ceux qu’elle a laissés loin, sur l’autre rivage.

Le retour à la rive méridionale de la Koksoak ouvre la troisième étape (chapitres 13 et 14). De retour dans la nouvelle bourgade, la mère et le fils ne vont pas habiter avec leur parenté; s’installant dans le village blanc de Fort-Chimo, Elsa se situe en marge des Esquimaux et embrasse complètement les coutumes de la communauté blanche, sans pour autant s’y intégrer tout à fait. Les exigences grandissantes de Jimmy intensifient l’esclavage d’Elsa, qui travaille d’arrache-pied pour la fabrication de souvenirs esquimaux, des recréations artificielles du passé. Isolée de sa famille, coincée entre le passé et l’avenir, sa course vers un but qui se dérobe sans cesse et qui exige son reniement identitaire la déboussole:

Il lui arrivait pendant quelques jours de se sentir lasse de trop de possessions […]. Si elle jetait […] un coup d’œil devant elle sur l’avenir toujours aussi brumeux, il lui paraissait néanmoins devoir l’éloigner de plus en plus de sa vraie nature, l’entraîner loin d’elle-même. Elle ne voyait vraiment pas vers quoi elle allait. Par ailleurs, si elle regardait en arrière dans la direction d’où elle venait, elle s’apercevait qu’il lui était impossible de retourner à cette façon de vivre. Elle se voyait donc condamnée à avancer à travers l’inconnu. (RSR, 199)

Enfermée dans son logis, la femme vit enchaînée à son présent. Le mouvement circulaire de la machine à coudre remplace la rêverie erratique ou le contact avec la Koksoak de jadis. À défaut, le regard d’Elsa se pose de temps en temps vers le lointain, vers les vieilles montagnes érodées à l’horizon.

La dépossession filiale amorce l’étape finale dans l’aliénation du personnage (les quatre derniers chapitres de «La rivière sans repos»). Pour Elsa, la maternité suppose, à parts égales, perturbation et stimulation, «un point d’ancrage dans la réalité» pour une femme «naturellement disposée à se perdre dans l’imaginaire», comme que signale Alain Roy[6]. De telle sorte qu’après le départ de son fils le personnage rebrousse le chemin entrepris derrière son propre moi. Ainsi, la mère abandonnée retourne s’établir, loin de tous, dans le village esquimau où elle se laisse emporter par la divagation et l’indolence, tandis que son effondrement physique la rapproche de plus en plus de sa mère Winnie. Libérée de son travail, de ses possessions et de ses apprêts vestimentaires, elle se crée un nouveau besoin, la bière, «le bon poison» (RSR, 229), qui nourrit ses rêves et l’éloigne du monde extérieur. Privée de son fils, anéantie par l’ébranlement identitaire, malade et prématurément vieillie, Elsa s’enfonce dans sa dépendance à l’alcool et au tabac, et elle arpente sans arrêt, été comme hiver, les bords de la rivière: «À moitié édentée, le dos pareil à l’arc tendu, la paupière droite plissée, inséparable de la fumée de cigarette, elle suivait en tout temps les bords de la sauvage Koksoak.» (RSR, 240) Le retour aérien de Jimmy représente pour elle un fait extraordinaire, que son esprit détraqué situe hors de la réalité et qui devient une obsession. Convertie en «une incorrigible nomade» (RSR, 240), ses constants allers et retours au bord de la rivière impétueuse n’obéissent plus à la recherche de calme caractéristique de la première étape, au rétablissement d’une identité propre comme dans la deuxième ou au besoin de trouver des remèdes pour freiner l’éloignement filial de la troisième. À présent, dans cette quatrième étape, la protagoniste cherche à éviter n’importe quelle tentative pour rétablir les situations caractéristiques des trois phases antérieures. Intensifiant sa rêverie, elle prétend à tout prix se soustraire à la réalité; le branle-bas d’Elsa, ses déplacements compulsifs, physiques et mentaux, révèlent un esprit détraqué, enfermé dans un corps sérieusement endommagé:

Elle en avait pour des jours à marcher, la tête en avant, les épaules inclinées, se morigénant, avant d’user sa peine revenue et le désir de reprendre sa vie en main, de se donner du mal encore pour essayer de la conduire vers un but changeant, impossible, toujours incompréhensible. (RSR, 225)

Épiphanie de l’aliénation, la marche qui accompagne à tout moment la progressive décadence physique et mentale de l’héroïne dépasse une simple dimension spatiale; temps et mouvement sont intrinsèquement liés, et ils ne pourraient pas exister l’un sans l’autre. Les avatars de la protagoniste configurent, alors, autant de périples temporels, réels ou imaginaires; son va-et-vient entre le monde des Blancs et l’univers esquimau la situe assumant successivement, de gré ou de force, différentes perspectives temporelles, le futur, le passé ou le présent. Dans un premier moment, pendant la première étape, la confuse trajectoire d’Elsa vers un avenir incertain la projette, à son corps défendant, vers le futur; plus tard, le long de la deuxième étape, son respect absolu des fidélités ancestrales suppose un retour au passé, et son postérieur asservissement à un présent sans issue, troisième étape, l’enchaîne à une réalité dont elle finit par s’éloigner irrémédiablement, la raison perdue, dans la quatrième et dernière étape. La démence finale de l’héroïne transpose le récit en dehors de la réalité, dans un non-espace et un non-temps.

De même que le courant fluvial du titre[7], l’héroïne est une créature «sans repos», en continuelle mobilité physique et mentale. Frontière entre deux mondes, la rivière trace également une ligne de démarcation entre le futur et le passé; itinéraire du vagabondage récalcitrant d’Elsa, le cours d’eau, toujours proche, est refuge dans son égarement, baume apaisant dans sa douleur, sa seule possession après avoir tout perdu; la rivière sans repos, le changement perpétuel, en vient à constituer le seul point d’ancrage pour cet être toujours en marche. La Koksoak symbolise le mouvement sans fin, amplement accueilli par la narration, où il y a aussi de la place pour l’éloignement immanent et l’ordre immuable de l’univers à travers la figuration des montagnes. Elles soulignent la distance insurmontable pour la protagoniste entre son présent et le passé idyllique antérieur au viol, à la maternité: «Il lui semblait trop loin vraiment, aussi loin déjà que les vieilles montagnes rondes à l’horizon, sur lesquelles son regard trouvait le temps parfois, entre deux coutures, de s’arrêter pour un bref moment» (RSR, 195). Avec la même image de la montagne, le personnage se représente sa vie en rétrospective, tout comme la narratrice dans La Route d’Altamont[8]: «ce fut comme si s’effondrait le patient édifice de sa vie, cette montagne de poupées esquimaudes confectionnées de jour et de nuit; il ne lui restait rien entre les mains» (RSR, 211).

La temporalité problématique implicite dans la double aliénation d’Elsa atteint son paroxysme après la fuite du fils. La perte de Jimmy marque pour la mère un point d’inflexion décisif dans son écartèlement entre présent et passé, et tout en s’isolant du monde extérieur sa raison se délie de la réalité, se délie de la temporalité, à la manière de la Koksoak. La rumeur de la rivière, semblable «à de douces voix lointaines réunies en un chant indistinct» (RA, 99), se rapproche de «la petite phrase chuchotée» (RA, 75) suggérée par le lac Winnipeg dans «Le vieillard et l’enfant» et opère l’abolition de la distance entre passé et présent. Venue de très loin, la voix fluviale va au-delà du présent et du futur. Coulant parallèlement aux vieilles montagnes immobiles et usées par le temps, les vicissitudes d’Elsa, comme la rivière, se situent dans une espèce d’éternité. En réalité, son trajet vers l’aliénation conduit cette femme en dehors du temps, vers une intemporalité: «elle avait l’air, en suivant le bord de l’eau et parallèlement, au loin, la ligne des vieilles montagnes rondes, de venir depuis le commencement des âges pour aller, d’étapes en étapes, jusqu’à la fin des temps» (RSR, 131).

Le duel, la perte, sous-tend les voyages réels et imaginaires d’Elsa. Les successives phases dans son aliénation impliquent distance, son éloignement soit à l’égard du progrès soit à l’égard des traditions esquimaudes. Une autre perte, celle de son fils, l’éloigne inexorablement d’elle-même et la division qui tenaille l’héroïne ne se résout qu’avec la mort; en fait, le cimetière du vieux Fort-Chimo est à peu près le seul endroit où elle trouve repos. Et si le duel et la mort sont au fond du mouvement d’Elsa, réciproquement le mouvement, moyennant l’image fluviale, recouvre la figuration de la mort comme transit, comme transformation ultime et définitive, l’aliénation à son degré maximal, l’arrivée à destination d’un voyage. De là, la prolifération de termes dynamiques («en marche», «descendre», «coulait», «arriver») dans le fragment qui suit:

Toujours solitaire, toujours en marche le long de la Koksoak, elle avait parfois l’impression de descendre elle aussi le cours de sa vie vers son but ultime, vers sa fin. Elle aurait pu imaginer que sa propre existence, issue comme la rivière de loin derrière les vieilles montagnes rongées, coulait aussi depuis une sorte d’éternité. Elle éprouvait parfois comme une hâte d’«arriver» enfin. (RSR, 229)

Mort, éloignement, duel… soutiennent la discrète présence de la problématique créative dans La Rivière sans repos, l’unissant ainsi aux deux ouvrages royens le précédant, La Montagne secrète et La Route d’Altamont. Dans les trois ouvrages, la création artistique est conçue comme étant un fruit de la distance. L’éloignement spatial et temporel devient incontournable pour créer, tel qu’on peut le voir dans les deux passages suivants:

Ou encore, ayant trouvé un bois d’épave, Elsa, à partir de si peu, tentait de montrer l’arbre dont il pouvait provenir, et de témoigner de sa beauté. Quoi qu’elle dit, cependant, le bout de bois rongé par le temps et par la mer faisait penser plutôt aux restes de quelque pauvre animal étrangement mutilé. (RSR, 133)

Un jour elle ramena une poutre provenant sans doute de quelque lointain naufrage. Débitée en morceaux, ménagée autant que possible, à combien de bonnes soirées se déroulant auprès du feu, en songes et souvenirs, participa cette pièce de navire défunt! (RSR, 165)

Par œuvre et grâce du temps, les épaves se transforment en beauté, ou elles prédisposent vers la beauté. Cependant, à l’origine de cette mutation se trouve la mort — la mort de l’arbre ou la disparition du vaisseau — et, à son tour, les résultats évoquent la mort (la dépouille «de quelque pauvre animal étrangement mutilé»).

Physiquement délabrée, éloignée d’elle-même, la protagoniste de «La rivière sans repos» succombe au conflit de civilisations qui l’a tiraillée toute sa vie durant. Il n’en est pas moins vrai que la déchéance du personnage ne se montre pas sous un angle défavorable, car, en contrepartie, la folie exonère le personnage de tout asservissement à la consommation. De plus, la perplexité initiale d’Elsa devant le progrès cède le devant de la scène à une perception clairvoyante des risques de la civilisation blanche à travers le malheur pressenti de son fils, devenu G.I. comme son père. D’autre part, la démence n’ôte à cette femme aliénée ni son extraordinaire sensibilité devant la magnificence de la nature ni sa capacité à s’émouvoir devant la beauté:

Au crépuscule, il lui arrivait de suspendre son interminable marche. Elle s’attardait. Elle regardait encore longuement le monde à l’heure de son enchantement. Puis elle se penchait pour ramasser des riens: un galet au reflet bleuté; un œuf d’oiseau; ou de ces filaments de plante, fins, blonds et soyeux comme des cheveux d’enfants, qui sont faits pour porter au loin des graines voyageuses. //

Elle les détachait brin à brin et soufflait dessus, son visage abîmé tout souriant de les voir monter et se répandre dans le soir. (RSR, 240)

Après une vie marquée par la souffrance, le sourire qui se dessine dans le visage d’Elsa clôt le récit sur un ton d’espoir.

 

Retour à la mère

 

Elsa et sa mère Winnifred semblent décrire des trajectoires opposées; l’agitation vitale de la protagoniste se veut un éloignement de la mère, mais bientôt se transforme en un retour involontaire à la figure maternelle. Elsa commence par s’opposer à Winnie, réfractaire à la servitude de la jeune femme devant le mode de vie méridional, la génitrice devenant l’anti-modèle pour la fille, «l’être humain auquel elle tenait le moins à ressembler, peut-être même sa pire ennemie, en tout cas un obstacle dans la marche qu’elle poursuivait vers un bout d’ailleurs sans cesse se dérobant» (RSR, 127). De la distance du vieux Fort-Chimo, la voyageuse essaye de se rapprocher à sa mère par la voie épistolaire; plus tard, le retour au Sud accroît leur séparation et, à la fin de ses jours, la fille réassume en elle-même la figure maternelle:

À quarante ans, elle eut tout l’air d’une vieille femme. Dans ses robes sans plus de couleur, aux pieds des bottes dépareillées, grise comme la terre, ne regardant plus le monde que d’un œil, l’autre clos dans la fumée de cigarette, elle ressemblait de plus en plus à sa défunte mère. Un jour, deux commères qui avaient bien connu celle-ci, en voyant venir par la grève la même silhouette, leur sembla-t-il, s’écrièrent ensemble:

— Mais c’est pas possible! C’est Winnie elle-même, Winnie est revenue sur terre! (RSR, 232)

Par la ressemblance physique et même gestuelle[9] avec sa mère, par ses dons de voyance[10], la façon de marcher et le nomadisme, Elsa devient, malgré elle, «une nouvelle Winnie[11]».

La mort de la mère fournit à la fille une mise en abyme du long et profond écartèlement de sa propre vie; avec la solitude de la mère, la fille saisit sa propre solitude; la paradoxale vision multiple de la mère, arrêtée mais toujours en mouvement, illustre le perpétuel dilemme filial entre le progrès et sa propre identité, entre le Nord et le Sud; la temporalité multiple assumée par la mère, le présent et l’avenir, représente le complexe vécu temporel de la fille, qui finit coincée entre un non-espace et un non-temps:

À présent Elsa «voyait» sa mère. Elle la voyait de dos, s’en allant le long de la grève, un fil de fumée de cigarette la précédant ou la suivant, selon le vent, car depuis longtemps c’était là sa seule compagnie. […]

Elsa continuait à la voir, toujours à la même place, et cependant toujours en route, seule et chétive dans l’immensité rase et silencieuse du pays esquimau. Puis, tout d’un coup, son regard s’aiguisa, elle se pencha un peu en avant comme pour mieux saisir quelque intuitive image la touchant au plus vif. Lui en venait-il enfin de l’avenir, et se voyait-elle relayant un jour Winnie dans cette interminable et toujours solitaire procession des générations? (RSR, 205)

La réponse implicite dans le récit à cette dernière interrogation — «se voyait-elle relayant un jour Winnie dans cette interminable et toujours solitaire procession des générations?» — n’est pas réconfortante. La ronde des générations, qui se profile aussi vigoureusement dans La Rivière sans repos que dans La Route d’Altamont, revêt, ainsi que signale Fortier[12], des significations diverses, voire opposées, dans les deux créations. Le phénomène hautement positif pour la réalisation professionnelle et personnelle de Christine devient un lest accablant pour la jeune Esquimaude. Sa filiation lui donne un nouveau tour d’écrou dans son aliénation et l’emprisonne plus étroitement entre passé et avenir. La grand-mère Mary n’apparaît à peine dans le récit arctique, si ce n’est pour souligner l’opposition à l’autorité maternelle, la même qui opposa autrefois Winnie et sa mère. Du contrepoint de La Route d’Altamont, l’ascendence matrilinéaire acquiert une allure cruellement ironique: les échecs successifs d’Elsa dans ses tentatives pour se rencontrer elle-même lui empêchent de vivre sa propre vie, et elle se voit condamnée à reproduire le modèle maternel tant refusé. Cette circularité rapproche le roman à Bonheur d’occasion[13].

En tant que figure maternelle elle-même, Elsa sera objet d’un refus identique vers sa personne, de la part de son garçon. L’installation de mère et fils dans le nouveau Fort-Chimo provoque l’éloignement à l’égard des siens et intensifie le refus d’Elsa vers sa mère, mais en même temps il inaugure l’éloignement de Jimmy à l’égard de la sienne. Au début, la grande différence physique entre la mère et le fils contribue à resserrer les liens entre eux, puis, en grandissant, la singularité de Jimmy amène le gars à se questionner sur ses origines et à éprouver envers sa mère le même mépris que celle-ci avait ressenti envers la sienne, à tel point que mère et fils deviennent étrangers l’un pour l’autre. L’adolescent fugue la première fois vers Roberval, est ramené à Fort-Chimo et fuit ensuite pour de bon vers le Sud, vers le pays du père inconnu. Prenant parti rapidement pour l’un des deux univers en conflit, le Nord et le Sud, le jeune homme, à différence de sa mère, dépasse la division et l’écartèlement.

Avec ses rares voyages physiques ou avec ses innombrables divagations mentales Elsa répond «au long appel du lointain» (RSR, 180); ses périples sont, sans exception, une réponse irrépressible à cette invitation viatique, à la recherche d’un destin distant et confus à parts égales: «Elsa devait partir, dit-elle d’elle-même comme de quelqu’un sur qui elle n’avait pas tous pouvoirs» (RSR, 148). Cependant, aucune des traversées du personnage ne semble se voir couronnée par le succès. Son voyage au Nord se prétend un retour à l’enfance, la rencontre avec un primitivisme idyllique, mais la nature en état pur montre son versant le plus hostile et force le retour de la fugitive au rivage méridional de la Koksoak; retournant au Sud, le progrès assumé sans réserves lui ôte son fils. La trajectoire d’Elsa accomplit au pied de la lettre la «loi de l’exil[14]», d’après laquelle «le personnage fait face à cette nécessité (et à cette douleur) de défaire les liens qui l’attachent à son monde premier, et donc de rompre — au moins intérieurement — avec les siens»; un accomplissement jusqu’aux dernières conséquences, l’exil de la raison.

Il n’en est pas moins vrai qu’Elsa ne ménage pas ses efforts pour dépasser la tension qui écartèle sa vie, pour dépasser son éloignement perpétuel envers les autres et envers elle-même, pour «s’exiler de son exil[15]». «La rivière sans repos» se fait écho des tentatives réitérées de la protagoniste, d’autant plus pathétiques qu’elles échouent, pour se rapatrier de son exil en se réinventant elle-même. La recréation artificieuse de son propre passé, à travers la fabrication en chaîne de souvenirs ou de poupées esquimaudes, ne relève pas de sa réalisation personnelle; au contraire, cette besogne industrielle l’enfonce davantage encore dans la folie, car elle contribue à la soumettre tyranniquement au progrès et, par là, à l’éloigner de son fils. Cependant, s’adonnant à l’écriture grâce aux lettres à sa mère et à madame Beaulieu rédigées du vieux Fort-Chimo, Elsa aperçoit une voie pour s’exprimer et pour transmettre ses impressions à autrui. Finalement, la jeune femme fléchit devant l’effort mental, et même physique, requis par la tâche scripturale[16], explicite dans l’image du mouvement: «Suivre ses pensées comme on suit la course des nuages, ou encore, indéfiniment, le fil de l’eau, était une chose; courir après, les traquer, les enfermer en des mots, en était une autre.» (RSR, 171) Face à l’aliénante invention des fictions cinématographiques, les livres sont les amis sûrs, et les histoires livresques, venues de loin, réconfortent l’esprit en lui apportant chaleur et proximité:

Elle ressentit bientôt à l’égard de ces vieux livres aux coins déchiquetés une passion comme elle en avait éprouvée toute jeune pour le cinéma, mais en plus fort, car la source de ravissement était à présent proche, sûre, peut-être plus vraie, et elle-même peut-être plus apte à y puiser. (RSR, 166)

Or, la lecture représente une autre tentative pour se communiquer avec les autres. Sur l’autre rive de la Koksoak, le parcours dominical des Écritures ou la lecture à voix haute d’un classique de la littérature écossaise, Ivanhoe, qui rappelle la transmission oral des textes de jadis, suscite l’intérêt d’Elsa, Ian et Jimmy, et les maintient unis autour d’une émotion commune. Lire devient un appel aux autres, avec lesquels on marche ensemble à travers l’histoire lue, une communication qui laisse parfois son empreinte visible dans le livre quand le lecteur tient à ajouter son apport à la narration grâce, encore une fois, à l’écriture:

Par ailleurs elle était émue à la moindre trace du passage d’un autre lecteur: un trait pour souligner une phrase, des notations, dans la marge, d’une écriture serrée qu’elle s’arrêtait à déchiffrer. Alors elle avait le sentiment, comme dans la toundra, à la vue de quelques pierres déplacées ou de la mousse de caribou foulée, qu’un être humain venait tout juste de traverser l’infini pays désert, qu’avec un peu de chance on pourrait peut-être encore apercevoir au loin sa silhouette en marche. (RSR, 167)

Guidée par cette sensation revalorisante, essayant de la transmettre à son petit, la jeune femme lui apprend à écrire, sur la stéatite d’abord, sur le papier ensuite.

Aliénée, Elsa retourne à sa mère. La folie d’Elsa lui rendra aussi son fils. Un événement extraordinaire le met dans le chemin de retour. Un jour, un avion militaire survole la bourgade, et, par la radio une voix s’enquiert de Thaddeus, de Ian, du père Eugène et, d’après quelques-uns, la voix aurait salué la «chère petite mère» (RSR, 236) du pilote. Un fait merveilleux: «Son enfant, venu pour ainsi dire du ciel, ravi un beau jour par le ciel, était repassé par le ciel; tout se tenait.» (RSR, 238) Dans l’esprit perturbé de la mère, la figure de Jimmy s’installe comme une créature surnaturelle[17]. L’absence de Jimmy n’en est pas une. Dans son monde à elle, dans son exil de la réalité, la figure filiale reste présente; perdu en chair et en os, Jimmy lui revient dans son univers onirique. La naissance du fils donne vie à la mère à deux reprises, quand sa mère le met au monde biologiquement et quand Jimmy retourne à sa mère pour s’intégrer dans sa rêverie, dépassant toute contingence et transcendant toute temporalité.

Se recherchant elle-même, Elsa Kumachuck se perd dans les méandres de la folie. Refusant le modèle de la mère, la fille finit par devenir son double. Le cheminement de l’héroïne constitue un retour au point de départ, un retour à la mère. Ses rares périples réels et ses fréquentes errances imaginaires sont autant de tentatives pour s’éloigner de la figure maternelle, aussi acharnées qu’infructueuses car une telle agitation n’obtient que le résultat contraire, à savoir: se rapprocher de Winnie.

Dès avant sa naissance, Elsa entreprend un périple sans retour, le voyage collectif de la communauté esquimaude vers le progrès. La maternité tantôt accélère son parcours frénétique vers la civilisation méridionale, continuation individuelle du voyage vers le Sud, tantôt la pousse à s’accrocher fidèlement aux traditions de sa culture millénaire, un voyage vers le Nord qui se solde par un échec. Embarquée dans la poursuite du périple vers le Sud, l’abandon de son fils l’exile d’elle-même. Son voyage sans retour se métamorphose en un voyage nulle part.

 

Lidia González Menéndez

Université d’Oviedo

 

 


[1]           Gabrielle Roy, La Rivière sans repos, Montréal, Boréal, coll. «Boréal Compact», nº 63, 1995 [1970]. Désormais, les renvois à ce roman seront identifiés par le sigle RSR.

[2]           Structure semi-circulaire préfabriquée, construite en tôle ondulée, dont le dessin s’est inspiré de la remise Nissen développée en Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. La construction prend son nom de l’endroit où se trouvait sa première usine, Quonset Point, à Rhode Island.

[3]           François Ricard, Introduction à l’œuvre de Gabrielle Roy (1945-1975), nouvelle édition, Québec, Nota Bene, coll. «Visées critiques», 2001, p. 158.

[4]           Dominique Fortier, L’écriture comme paradoxe: étude de l’œuvre de Gabrielle Roy, thèse de doctorat, Montréal, Université McGill, 2003, p. 206.

[5]           Le particulier traitement narratif de cet épisode est analysé par Fortier, op. cit., p. 210-214. Alain Roy, pour sa part, considère qu’il s’agit d’un «viol amical»; voir Alain Roy, Gabrielle Roy: L’idylle et le désir fantôme, Montréal, Boréal, coll. «Cahiers Gabrielle Roy», 2004, p. 111.

[6]           Alain Roy, op. cit., p. 145.

[7]           L’identification entre Elsa et la Koksoak est signalée par Richard Chadbourne, «The Journey in Gabrielle Roy’s Novels», Frans C. Amelinckx y Joyce N. Megay (dir.), Travel, Quest and Pilgrimmage as a Literary Theme: Studies in Honor of ReinoVirtanen, Lincoln (Nebraska), Society of Spanish and Spanish-American Studies, 1978, p. 259; à cet égard, Alain Roy, op. cit., p. 132, tient à souligner les transformations de la rivière, tout au long de la narration, d’après l’évolution animique du personnage.

[8]           Cfr. «C’est ça, la vie [...] une montagne de “barda”. Heureusement qu’on ne la voit pas dès le début, sans quoi on ne s’y aventurerait peut-être pas; on rechignerait. Mais la montagne se dessine seulement au fur et à mesure qu’on monte. Et du reste, autant de “barda” on a fait dans sa vie, autant il en reste pour les autres, derrière soi. C’est de l’ouvrage jamais fini, la vie». Gabrielle Roy, La Route d’Altamont, Montréal, Boréal, coll. «Boréal Compact», nº 47, 1993 [1966], p. 20. Désormais, les renvois à ce roman seront identifiés par le sigle RA.

[9]           «Comme si elle trouvait de quoi s’amuser à présent au spectacle de sa propre vie, ou de toute vie, elle prit l’habitude, en riant silencieusement, de se donner des claques sur les cuisses, à la manière, il y avait peu de temps, de Winnie.» (RSR, 224)

[10]          «Ne lui demandez pas comment au juste, mais elle était sûre qu[e Jimmy] avait fini par rejoindre les G. I. Et maintenant elle l’avait “vu” arriver au Vietnam. Elle devait tenir ce don de Winnie qui, en vieillissant, n’avait plus guère eu à se déranger pour connaître les événements lointains la concernant: tout d’un coup ils lui étaient révélés intérieurement.» (RSR, 227)

[11]          François Ricard, op. cit., p. 157.

[12]          Dominique Fortier, op. cit., p. 216.

[13]          Les similitudes entre les deux œuvres ont été énumérées par Lori Saint-Martin, La voyageuse et la prisonnière: Gabrielle Roy et la question des femmes, Montréal, Boréal, coll. «Cahiers Gabrielle Roy», 2002, p. 116, no 17.

[14]          François Ricard, «Un biographe et son personnage», entretien de François Ricard avec Lakis Proguidis, L’Atelier du roman, Paris, nº 10, printemps 1999, p. 126.

[15]          François Ricard, loc. cit., p. 128.

[16]          Énonçant de cette façon l’effort exigé par l’activité créatrice, La Rivière sans repos établit un autre lien avec La Montagne secrète.

[17]          Sur le caractère surnaturel de Jimmy, voir Marc Gagné, «Nœud: Jimmy est un enfant divin», chap. dans «La Rivière sans repos de Gabrielle Roy: Étude mythocritique incluant “Voyage en Ungava” (extraits) par Gabrielle Roy», Revue de l’Université d’Ottawa, vol. 46, nos 1-3; nº 1, janvier-mars, p. 82-107; nº 2, avril-juin, p. 180-199; nº 3, juillet-septembre, 1976, p. 99-107.